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L'ancien Bulletin (t. XIV, p. 299) contient une demande de renseignements sur le martyr Couteau, dont le frère, réfugié à Neuchâtel, fut secouru par l'entremise des pasteurs de cette ville. « De quelle province de France, se demande M. le pasteur Emile Couthaud, étaient M. Couteau et son frère? En quelle ville, en quelle année le premier fut-il martyrisé, et quel fut son supplice? Quelle était la profession ou la vocation de l'un et de l'autre ? »

Je viens, quoiqu'un peu tard, répondre d'une manière que je crois satisfaisante à toutes ces questions. La famille Couteau, désignée encore sous les noms de Cotteau et de Coutaut, habitait le Dauphiné. Le martyr Cotteau de Rochebonne était bourgeois de Saillans, et syndic du consistoire de ce lieu. Il fut condamné à la potence pour crime d'assemblée, et après avoir été appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, il souffrit avec fermeté le martyre à Crest, près de Saillans, en 1683. Son frère Cotteau de Beauvallon, impliqué dans la même affaire, put échapper aux poursuites dirigées contre lui et se réfugia à l'étranger. Nul doute qu'il ne soit celui que nous trouvons l'année suivante à Neuchâtel, avec plusieurs autres Dauphinois « engagés comme lui dans la persécution. » (Bulletin, t. X, p. 320.)

Ces renseignements me sont fournis par un Mémoire très-exact du pasteur Daniel Vouland sur le Dauphiné, conservé à la bibliothèque de Genève (ms. Court, no 17, vol. B). On y lit encore que les deux frères étaient accusés de s'être trouvés, le 29 août 1683, près de Bourdeaux. Il devait se tenir près de ce village une assemblée au Désert, qui fut l'ọccasion d'un combat meurtrier entre les protestants et les dragons de Saint-Ruth. Le projet formé dans ce temps (mai 1683) par les protestants réformés du Vivarais, du Dauphiné et du Languedoc, de s'assembler pour la célébration du culte dans les lieux interdits, et dont Claude Brousson fut l'inspirateur, explique la rigueur incroyable avec laquelle

on sévit contre les protestants sous le coup des édits, Antoine Chamier, avocat de Montélimar, et arrière-petit-fils du grand Chamier, convaincu d'avoir pris part au combat de Bourdeaux, fut roué vif.devant la maison de son père. Un autre fidèle arrêté en même temps que lui, François Rozan d'Arnayon, fut pendu grâce à l'acharnement du marquis de Simiane, seigneur d'Arnayon, qui vint tout exprès à Montélimar pour déposer contre lui. « Rozan, raconte Daniel Vouland, après avoir fait sa prière et chanté le psaume LIe, appela le marquis de Simiane à comparaître devant le tribunal de Dieu, un an et un jour après sa condamnation, ce qui arriva, et le marquis criait durant sa maladie : « Ah! « Rozan, que tu me fais souffrir! »

Ces différentes condamnations, suivies bientôt de celle d'Isaac Homel, le vénérable pasteur de Soyous en Vivarais (20 octobre 1684), engagèrent un grand nombre de protestants à quitter le royaume, en particulier les pasteurs et les fidèles exceptés de l'amnistie. On peut lire dans le Bulletin (t. XIX, p. 314) la liste de ceux qui trouvèrent un refuge à Genève.

Voici maintenant de quelle manière Claude Brousson raconte les derniers moments de Cotteau de Rochebonne. Nous trouvons ces détails pleins d'un douloureux intérêt dans son Apologie du projet des Réformés, au chapitre VII, où il est question de « l'admirable fermeté de plusieurs rompus vifs ou pendus en Dauphiné. »

« Le sieur Couteau, bourgeois du lieu de Saillans et syndic du consistoire de ce lieu-là, s'était trouvé à un exercice fait dans un lieu interdit, et il avait été pris sous ce prétexte; mais parce que l'on eut quelque honte de faire mourir un chrétien et un homme de probité pour avoir prié Dieu, on lui imputa d'avoir eu quelque relation avec ceux qui étaient attroupés, et quoique l'on n'eût là-dessus que le témoignage d'un malheureux qui, pour des considérations mondaines, avait renié la religion réformée, on ne laissa pas de le condamner à être pendu, et à être auparavant appliqué à la question ordinaire et extraordinaire.

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Lorsque le jugement lui fut prononcé, il n'en fut point troublé; au contraire, il exhorta lui-même tous les autres prisonniers à être fidèles à Dieu et à imiter son exemple, si Dieu les y appelait. En effet, il souffrit avec une constance admirable les tourments de la torture, à laquelle il fut appliqué par deux fois, et où ses membres furent presque tous déchirés. Néanmoins, il n'avoua rien de ce qu'on lui imputait, et lorsqu'il fallut le mener au supplice, on voulut le mettre sur un tombereau, mais il n'y voulut pas monter, disant qu'il sentait que Dieu lui donnait assez de force pour aller à la mort, nonobstant le cruel traitement que son corps avait souffert. Il y alla donc avec une si grande résolution,

et en donnant de si beaux témoignages de sa piété, de sa foi, de son espérance; que les catholiques romains furent contraints de dire qu'il était mort comme un saint. >>>>

La veuve de ce confesseur hérita de sa fidélité chrétienne, et souffrit comme lui le martyre en 1694, c'est-à-dire onze ans après son mari. Tout son crime était d'avoir assisté à une assemblée qui se tint à Espenel, près de Saillans. Elle fut pendue à Die. Le prédicant qui avait présidé le culte subit la même peine, et plusieurs de ses auditeurs furent condamnés aux galères ou à la prison. (Bulletin, t. VI, p. 66, ot ms. Court, no 17, lettre B.)

Puisque je tiens la plume, pourrai-je à mon tour demander quelques renseignements sur un autre martyr appelé Chambon? On connaît plusieurs galériens de ce nom; mais le Chambon dont il s'agit dut être pendu à Montpellier, si j'en crois sa complainte que j'ai sous les yeux. Ce document, qui n'offre d'ailleurs aucun intérêt littéraire, porte en outre qu'il était bourgeois des Boutières, dans le Vivarais, et qu'après avoir séjourné quelque temps en Hollande et en Suisse, il rentra dans sa province et fut arrêté près de Saint-Pierreville, où il subit un premier interrogatoire; mais les motifs de son arrestation, la date et les circonstances de son martyre me sont inconnus. Quelque lecteur du Bulletin fournira peut-être aux continuateurs de la France protestante des détails complémentaires sur ce martyr inconnu.

Agréez, Monsieur le Rédacteur, l'assurance de mon dévouement respectueux.

D. BENOÎT, pasteur,

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Si vous y trouvez quelque intérêt pour notre public, donnez place, je vous prie, dans le Bulletin, à la lettre ci-dessus, qu'on pourrait dire d'un illustre inconnu. Ce qu'il dit de lui-même en fait assurément un personnage, et d'un autre còté, la France protestante l'ignore. M. Lièvre, à qui bien peu de choses importantes ont échappé pour la région dont il à écrit l'histoire, en cite à peine le nom, et encore inexactement. 11 est vrai que ce personnage était d'origine étrangère (des Pays-Bas); mais il avait été pasteur au moins deux ans à Montaigu (1619 et 1620). Comme cette Eglise de Montaigu a été rattachée tantôt à la Bretagne et tantôt au Poitou, cela m'autorise peut-être à parler d'un de ses pasteurs.

Nicolas de Marbais, et non Nicolas Marbes, comme l'appelle M. Lièvre, avait eu avec un pasteur nommé Vincent des difficultés, dont il se plaignait avec une vivacité extrême. Ce Vincent était-il le pasteur de La Rochelle? C'est probable, quoiqu'en 1619 il dût être bien jeune. D'un autre côté, la mention des personnes et des lieux, faite dans cette lettre, montre qu'il s'agissait d'un pasteur du Poitou ou de la Saintonge. Quoi qu'il en soit, voici cette lettre, dont je dois la communication, comme de tant d'autres, à l'amitié de M. Paul Marchegay. Recevez, cher Monsieur, mes cordiales salutations.

VAURIGAUD, pasteur.

P. S. Le Bulletin, t. IV, p. 106, a reproduit une lettre du même individu; mais les détails manquaient sur l'auteur, comme ils manquent aujourd'hui.

A Monseigneur, Monseigneur le duc de la Tremouille et de Thouars, pair de France, etc., etc,

Monseigneur,

Après que le Tout puissant m'a donné le courage de quitter volontairement le service de l'Empereur Rodolphe et de toute la maison d'Autriche et du Pape Antechrist, et quant et quant mes grandes charges politiques et ecclésiastiques, pour me ranger du tout à son divin service parmi ceux de la religion je ne deürois (devrois) tant m'estoner si le regret de m'avoir perdu, qui sais tous leurs plus grans secrets et desseins, les portoit à me calomnier par devers ceux de la Religion, afin de les empescher de se servir de moi contre eux, et à leur domage; mais que quelques uns se trouvent entre ceux qui se dient de la religion, si malins et insolens que d'oser m'attaquer en mon honneur (que je préfère à ma vie) et de si petites gens que ce Vincent beaufils du Sr Perillau, cela est intolérable. Je vous en ay faites mes justes plaintes il y a huit jours, Monseigneur, et ma très humble requeste de ne vouloir endurer qu'il presche en vostre Eglise de Thouars avant qu'il ne se soit présenté à nostre prochain synode à Niort pour y estre jugé de son fait. Attendu même que le Sr Rivet avoit donné parole à Fontenay qu'il ne parleroit ni près ni loin de ce Vincent pour prescher à Thouars; quoiqu'au reste contre sa parole, et pour de plus en plus m'asseurer de sa malveillance envers moi, il ait porté son Eglise de Thouars à le demander à la province d'Anjou et à s'en servir sans congé ni permission de ceste province (1). Ce qui est contre la discipline et ordre de nos Eglises. Mais je crois fermement puisque j'ay esté si honorablement recomandé à Madame, puisque je suis en cest'

(1) Il semblerait que ce pourrait être Jean Vincent, pasteur de Saumur, et père de Philippe Vincent.

Eglise pour le seul respect de Madame et de vous Monseigneur, puisque vos plus proches maternels m'honorent de leur bonne affection, laquelle ils m'ont fait paroistre partant de grans bénéfices, je dis Messeigneurs les princes, électeur palatin (aujourd'hui roy de Bohême) et Maurice de Nassau (à présent prince d'Orange) puisqu'estant si honorablement cognu ès Allemagnes, Bohême, Hongrie, Suisse, Pays-Bas ma patrie, Angleterre, Danemarck, Suède et de plus grands tant Protestants que Papistes, sans parler de l'Italie et Espagne, où j'ay manié de si importantes affaires dudit Empereur Rodolphe, je veux vous rendre de meilleurs services que ce Vincent, je vous serais plus considérable que lui; et que daignerés ne pas permettre qu'il presche dans vostre Eglise avant que nostre prochain synode ait cognu de son fait. Car il y va de mon honneur tant et plus qu'il ne presche en aucune Eglise de ceste province de Poictou avant qu'il m'ait satisfait selon que de raison. Et si vous l'admettiés autrement en vostre Eglise de Thouars, on dirait à bon droit que Madame et vous mon seigneur, approuveriés par ce fait tout ce qu'il a dit et escrit contre moi. Je me promets donc votre deffense et protection de mon honneur contre ce Vincent, au moins pour l'amour desdits deux grands princes, qui sont cause que suis venu droit à Thouars pour prendre quelque Eglise en lieu dépendant de Madame et de vous Monseigneur. Attendant la fin des calomnies de ce Vincent, vostre Eglise pourra se servir de celui qu'elle a à présent, ou de Monsr Blanc, ou de Monsr Coignac de Niort, ores que MonsTM Chauffepied est de retour. Si par mes très humbles requestes par escrit je ne puis obtenir de Madame et de vous Monseigneur, ma très juste demande, je me transporterais en personne à Thouars pour cet effet; attendu qu'il y va du tout de mon honneur et que j'aime mieux mourir qu'endurer aucune flétrissure d'icelui de par ce Vincent ni autre, comme j'ay desja affermé par mes précédentes envoyées à Monsr Diray pour les présenter à Madame et à vous avec les doubles des bons témoignages qu'ay du dit Prince (maintenant Roy) du prince d'Orange et des souverains seigneurs de Berne etc. Encor que je sois étranger en France où les médecins m'ont fait venir sous promesse que je n'y languirois pas comme ès Allemagnes : si ne suis-je pas résolu de souffrir les calomnies de ce Vincent.

Tandis je prie l'Eternel autheur de toute bonne donation, qu'il poursuive à espandre de plus en plus ses bénédictions tant spirituelles que temporelles sur vous, aille vous conservant longuement à l'Estat, et à ses Eglises recueillies en icelui vous laisant voir votre très illustre race et postérité jusqu'à la troisiesme et quatriesme génération.

C'est le vœu très ardent,

Monseigneur,

De votre très humble et très obéissant serviteur.
NICOLAS DE MARBAIS.

A Montaigu ce dernier Décembre 1620.

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