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concours. Le célèbre recteur du gymnase de Strasbourg, Jean Sturm, évoquant dans un écrit composé à la fin de sa vie les souvenirs du passé, nomme quelques-uns de ces valeureux champions. La cause de l'Evangile comptait plusieurs partisans dévoués au sein du Sénat. Louis Bocklin de Boecklineau, vieillard plein de sagesse et d'autorité, parlait avec calme, ne contredisait jamais ses adversaires d'une manière absolué, mais écoutait tranquillement leurs raisons, et les réfutait avec un bon sens supérieur. Egenolphe Rudiger de Thiersbourg, vieux capitaine encore animé du feu de la jeunesse, avait servi sous l'archiduc Philippe, le beau-père de Charles-Quint. Il avait beaucoup vu, beaucoup observé, dans ses courses à travers l'Europe. Son air était martial, ses allures décidées, mais sans arrogance. Lent à se résoudre, il était inébranlable dans les résolutions qu'il avait prises.

Jacques Sturm de Sturmeck, stettmeister de Strasbourg, était « la perle de la noblesse allemande. » - Né en 1489, d'une famille originaire d'Offenbourg, il étudia sous l'excellente direction de Wimpfeling, qui composa pour lui son traité de l'Intégrité, plein de sages conseils et d'exhortations paternelles (1). Sturm s'en souvint, après la mort de sa jeune fiancée, fille du chevalier de Bock. Il écarta toute idée de mariage, pour ne s'occuper que du bien public, et vit son exemple suivi par ses deux frères, sa sœur Marguerite. La maison qu'ils habitaient en commun dans la rue Brulée était, dit un contemporain, « un temple de pureté, et de toutes vertus.» Elu pour la première fois membre du Sénat, en 1524, il y acquit une grande influence par sa prudence consommée et son sens politique profond. Une médaille frappée en son honneur, rappela les services qu'il avait rendus dans la guerre des Paysans. A une rare perspicacité il joignait un tact parfait, un sang-froid à toute épreuve; aimé de ses concitoyens, estimé même de ses adversaires. On ne prenait

(1) Voir la notice sur ce digne précurseur de la Réforme en Alsace, Bull., t. XVII, p. 561, et t. XIX, p. 49.

aucune décision importante sans le consulter; on n'envoyait pas une ambassade dont il ne fit partie. Quatre-vingt-onze fois il représenta sa ville natale au dehors, aussi bien vu de François Ier que de Charles Quint. La considération dont il jouissait rejaillit sur sa patrie, et valut une importance exceptionnelle à Strasbourg. Sa mort (30 octobre 1553) fut un deuil public. Les discordes politiques et religieuses, calmées par l'ascendant de ce grand citoyen, recommencèrent alors. de déchirer la république.

Nicolas Knibs, de la classe bourgeoise, alliait une grande simplicité à une piété profonde. La crainte de Dieu était le trait dominant de son caractère et de sa vie, Il exerça en 1519 les fonctions d'ammeister, avec l'intime persuasion que la Réforme triompherait à Strasbourg, affermi par les lettres de Zwingle dans la fidèle profession de la doctrine évangélique.

Martin Herlin était aussi ferme qu'éloquent, savait écouter et se taire dans les délibérations publiques; puis lorsque après une discussion prolongée, on hésitait à conclure, « l'honorable Martin Herlin, dit un chroniqueur, portait la main à sa tête, rejetait ses cheveux en arrière, et prenait la parole. Tous les regards se fixaient alors sur lui. Il passait en revue les arguments mis en avant, résumait les débats, et émettait enfin son opinion qui prévalait presque toujours. »

Mathias Pfarrer, gendre du poëte satirique Sébastien Brandt, avait fait d'excellentes études et de nombreux voyages. Le peuple, qui l'aimait fort, le nomma sept fois ammeister. L'aménité de ses manières et son esprit conciliant lui valurent une influence qu'il fit tourner au profit de la Réforme, dont il puisait les principes dans la lecture assidue des écrits de Luther. Ce digne magistrat était le père des pauvres.

En dehors du Sénat, Nicolas Gerbel avait mis la main à l'impression et puissamment contribué à la propagation des écrits de Luther. On a signalé ses rapports avec Ulrich

de Hutten, Erasme, Zwingle, Mélanchthon. On a de lui tout un recueil de lettres adressées à son ami Jean Schwebel, réformateur de Deux-Ponts, et un journal très-précieux pour l'histoire du temps. Son édition du Nouveau Testament publiée en 1521, eut un grand succès. On assure que Luther se servit du texte de Gerbel, dans sa traduction commencée à la Wartbourg.

Fils d'un simple tonnelier, Othon Brunfels entra d'abord dans l'ordre des Chartreux, dont la règle était extrêmement sévère. Mais la vie monacale, avec ses rigueurs outrées et ses désordres inouïs, lui déplut bientôt. Lié avec Wimpfeling, Gerbel et Beatus Rhenanus, il ne tarda pas à jeter le froc aux orties. Il devint pasteur de la petite ville de Steinheim, près de Francfort-sur-le-Mein, encourut la haine du clergé parce qu'il prêchait l'Evangile, et fut enfin appelé dans la paroisse de Neuenbourg en Brisgau. Ce fut alors qu'il publia son livre des Scandales provoqués par la parole de Dieu. Une grave maladie l'éloigna peu après du ministère, sans le préserver des erreurs de l'anabaptisme.

Le chevalier Mathias Wurm, secrétaire impérial, avait beaucoup voyagé, et possédait un grand fonds de savoir et d'expérience. La fan:ille des seigneurs de Gendertheim étant éteinte, il obtint comme fief la moitié de ce village, situé près de Brumath; mais quelques terres contestées par le couvent de Saint-Nicolas aux Ondes, donnèrent lieu à un procès terminé par sa condamnation devant le tribunal ecclésiastique. Il refusa de s'y soumettre, et fut excommunié. Il écrivit alors un pamphlet très-mordant intitulé: L'ânesse de Balaam, ou l'excommunication qui ne saurait atteindre pour cause d'argent ou d'autres motifs futiles. Dans cette allégorie, fort claire pour les contemporains, le chevalier est l'ânesse; Balaam représente le clergé aveuglé, et l'ange flamboyant la Parole de Dieu, supérieure aux vaines excommunications des hommes. Wurm reprit plus d'une fois la plume de controversiste avec succès. Ses écrits, pleins de citations

bibliques, et d'un style populaire, ne furent pas sans influence sur les esprits. Le plus important est la Consolation aux nonnes retenues en captivité, composé à l'occasion de sa sœur qui ne recouvra la liberté qu'à l'abolition des couvents à Strasbourg.

Eccard de Drubel, ou « le fidèle Eccard, » comme on l'appelait, était un vieux soldat qui avait rapporté à son foyer des connaissances très-utiles. Ses yeux s'étaient de bonne heure ouverts sur les abus de l'Eglise romaine. Dans son Humble représentation à la chrétienté publiée en 1521, il s'exprimait ainsi : « Je ne suis ni luthérien, ni antiluthérien, mais un simple laïque pressé d'élever la voix contre des abus qui soulèvent son cœur d'indignation. Tout est vénal dans l'Eglise, et moi qui ai parcouru tant de pays, la Turquie, la Valachie, la Podolie, je n'ai renconté ni secte, ni religion qui offrît rien de pareil ! » Dans son Eloge de la ville chrétienne et illustre de Strasbourg, il félicite le magistrat d'avoir. rendu des décrets pour la prédication du pur Evangile. Il exhorte la noblesse, le clergé à entrer dans cette voie, conforme aux commandements divins: « Ne vous y opposez pas, dit-il, car les temps sont venus marqués par Dieu luimême, où les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, et où les pierres même crieraient, si l'homme se taisait! » Eccard de Drubel était un croyant et un patriote. Si ses conseils avaient été suivis la fatale guerre des Paysans aurait été évitée. Ses écrits fort goûtés de la bourgeoisie ne contribuèrent pas peu aux progrès de la Réforme, dont il lui fut donné de voir le triomphe avant de s'éteindre au château de Hindesheim, vers le milieu du XVIe siècle.

JULES RATHGEBER.

DOCUMENTS INÉDITS ET ORIGINAUX

A

MÉMOIRES DE LA VIE DE JÉHAN L'ARCHEVESQUE
SIEUR DE SOUBISE (1)

Bientost après sa guérison, Monsr le Prince et les autres seigneurs qui luy assistoient advisèrent comme ils se departeroient pour garder les places, et fut parlé d'envoyer Monsr de Soubise à Rouen. Toutesfois voyant que Lyon estoit de plus grande conséquence, tant pour estre une des principalles villes de France, que pour le passage des estrangers, estant près de la frontière, la charge luy en fut commise. Or n'estoit pas le voyage peu hasardeux à cause que tout le pays qu'il luy falloit passer, depuis Orléans jusques-là, estoit tenu par les catholiques; et partant quand il fut à la première couchée au partir d'Orléans, jusques où beaucoup de noblesse avoit suivi pour scavoir quel chemin il estoit délibéré de tenir, il les appela tous au soir et leur dit: Je croy que pas un de vous ne scait le lieu où je vais, et pour ce que je serois marry qu'a mon occasion vous entreprinssiez de venir en lieu dont après vous eussiez regret, et que vous vous plaignissiez que je vous aurois amenés à la boucherie, je vous veux bien déclarer que je vay à Lyon, afin que si aucun de vous trouvé ce voyage trop fascheux, vous vous en puissiez retourner premier que d'estre embarqués plus avant, ce que vous pouvez faire feignant estre venus jusques icy pour ine conduire, priant, au nom de Dieu, ceux qui auront tant soit peu de doubte d'entreprendre ce voyage, ou pour quelques incommodités de leurs personnes, ou par faulte de moyens ou autrement, de me vouloir faire le plaisir de ne passer point outre. Et, quant à ceux qui voudront venir, je courray mesme fortune qu'eux, et n'auront mal que je n'en aye ma part. Mais premier que de le faire je les prie d'y

(1) Voir pages 15, 305 et 452.

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