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mort; et apres y avoir trainé le nommé Bennetot plus de deux lieues, on l'abandonna aux bêtes sauvages. Une femme de Dreux ayant recraché l'Hostie qu'on luy avoit fait prendre par force les derniers jours de sa vie, fut bruslée apres son decés. Il y en eut une a Rouen qui êtant pressée par le Vicaire de saint Maclou sa Paroisse de consentir a de pareilles abominations, s'ala jetter dans la riviere. On concluoit a l'y laisser perir; mais enfin ayant eté repeschée et portée a la Magdeleine, elle y rendit l'esprit. On ne sçait point de quelle maniere on a traité le sieur Du Mont, Orfevre, vieillard de quatre vingt huit ans demeuré paralytique dans un lit. Car les Bigots s'etans emparés de sa maison, ses enfans n'y purent jamais rentrer, et il est mort entre les mains de ses ennemis. On peut juger par cet échantillon de la fureur barbare des Persecuteurs, et combien on est obligé a prier Dieu pour ceux qui sont encore exposés a leur violence.

CORRESPONDANCE

UN TABLEAU ALLÉGORIQUE

Paris, le 25 juin 1874.

Monsieur le Rédacteur,

Un de mes collègues au Consistoire de Lyon, M. Jacques Bernard, a récemment ajouté à la belle collection de tableaux qu'il possède, un tableau sur bois, de 60 centimètres de large sur 40 de haut, représentant une scène allégorique.

Il est signé très-lisiblement, en haut, Abr. Vand. Eyck fecit.

anno 1721.

Au fond d'une grande salle, représentant le prétoire monumental d'un tribunal de fantaisie, une statue assise de la Justice élevée sur un piédestal tient une balance de la main droite, de la gauche, un glaive brisé. A droite de la Justice, une statue de femme assise tenant d'une main une hallebarde, étend de l'autre une couronne sur la tête d'un homme à peine vêtu d'une toge, montrant à des animaux féroces, dragons, loups, sangliers, boeufs sauvages, dressés sur leurs pattes de derrière, un parchemin scellé qu'il tient à la main.

De l'autre côté de la Justice, quatre rois couronnés, vêtus à l'antique, tirent un char au moyen de couronnes passées sur leurs épaules. Üné large draperie verte, pendante du plafond, cache la vue du personnage monté sur le char.

Au devant de la Justice, autour d'une table à tapis vert, des hommes vêtus de noir, scribes, tabellions, sont assis. Tout ce qui a été décrit précédemment, sauf le dernier groupe, est peint en camaïeu gris.

Au devant, peints en couleurs naturelles, sont rangés, l'un à che, l'autre à droite, deux groupes caractéristiques.

Du côté gauche du tableau, au-dessus du char traîné par des rois, un prince, un électeur probablement, debout et souriant, richement vêtu d'un justaucorps de velours bleu, constellé de fleurs d'or, d'un travail très-habile, montre de son bâton de commandement le plateau d'une énorme balance, dont le système est attaché au plafond. L'un des plateaux contient le livre de l'Institution Chrétienne, de Calvin; sur ce livre qui fait pencher le plateau de la balance, est posée l'épée de l'électeur. Sept docteurs, dans lesquels on peut reconnaître les types de Théodore de Bèze, de Viret (?), de Farel, entourent un docteur agenouillé devant l'Electeur; ce suppliant, qui prie ou remercie, n'est autre que Calvin.

De l'autre côté de la balance, dont le plateau le plus léger porte la Bible, et quatre rouleaux de parchemins, d'où pendent des sceaux en cire rouge où l'on distingue un lion, se tiennent onze docteurs, portant à peu près le même costume: robes et calottes noires, fraises godronnées du XVIe siècle, à barbes blondes, tenant des cannes à corbin. Ils sont évidemment les antagonistes des premiers, et ont l'air de subir à contre-cœur la loi du plus fort. Leurs physionomies expriment la colère, le dépit ou le sarcasme.

Le tableau a une véritable valeur artistique : les figures sont peintes à la façon des Mieris et des Terburg, l'adresse de main dans les détails des vêtements et des objets est extraordinaire. La conservation du tableau est parfaite.

On demande quel en peut être le sujet. C'est une allégorie, mais à quoi se rapporte-t-elle?

R. DE CAZENOVE.

ENCORE LES PRÉTENDUES LETTRES DE CALVIN

AU MARQUIS DU POET

On nous a communiqué il y a quelques mois une copie du XVIIe siècle des deux prétendues lettres de Calvin au marquis du Poët, dont l'insigne faussêté a été démontrée d'une façon si péremptoire par M. Jules Bonnet dans ses Lettres françaises de Calvin, t. II, p. 588, et après lui par M. Ch. Read dans le Bulletin, t. IV, p. 7 à 13. Ce document a pour titre « Copie sur l'original. En faisant l'inventaire des biens de M. du Poet en son château de Saint-André au commencement de septembre de 1760. Par les officiers de Crest. »

La première lettre porte la date du 14 septembre 1541 et commence ainsi: «Qu’avés jugé du colloque de Poissy; » la seconde, du 8 mai 1547, débute par ces mots : « Quy pourra entreprendre de vous rezister. »

La première a une autre date que la seconde insérée dans le Bulletin, laquelle est du 13 septembre 1561. L'écart est de vingt ans. Pour la seconde de notre copie, la date est comme dans la première du Bulletin (8 mai 1547).

Le Dr Long, de Die, ne s'est pas fait scrupule de publier ces deux lettres dans son ouvrage La Réforme et les guerres de religion en Dauphiné (p. 36 à 38). Il assure en tenir la copie « d'une main sûre, » et donne de toutes les deux des dates qui différent à la fois de celles de MM. Bonnet et Read, et de celles de notre document.

Pour cet auteur, la lettre « Qu'avés jugé du colloque de Poissy» est du 14 septembre 1551, et la lettre « Quy pourra entreprendre de vous rezister,» du 8 mai 1557.

Il est certain que les deux dates de 1541 (notre copie) et de 1551 (Long) sont fautives, puisque le colloque de Poissy eut lieu en 1561. La date du Bulletin, conforme à celle des Lettres françaises, est la

bonne.

Pour ce qui est du millésime 1547 (notre copie et le Bulletin), c'est aussi le vrai, et le Dr Long s'est trompé en écrivant 1557. Il se trouve ainsi que cet historien, qui enregistre avec un air de triomphe non déguisé les deux lettres de Calvin, a commis deux méprises, dont l'une est des plus grossières. Nous voulons bien croire que l'une et l'autre, la seconde surtout (1551 pour 1561), sont des coquilles. Le volume pourtant sort des presses de Didot!

Si nous passions à l'examen du texte des trois copies, nous trouverions qu'elles diffèrent entre elles, mais il ne nous paraît pas nécessaire de nous arrêter à cette question. Disons seulement que le texte du Bulletin est certainement le plus authentique, et que celui du Dr Long occupe, comme fidélité, le second rang. MM. les « officiers de Crest» ne viennent qu'après eux, et leur texte renferme des fautes qui ne font pas honneur à leur science chartographique. Ajoutons qu'ils renchérissent sur les mauvais sentiments attribués à Calvin. Ils lui font dire dans la première lettre de notre copie : « Vous, nepargnez ny couvents ny hommes,» tandis que le Bulletin, d'accord avec les Lettres, porte: « Vous, n'espargnez ni courses ni soings, » et le Dr Long : « Vous n'espargnerez ni courses ni soins. »

MM. Bonnet et Read estiment que la fraude épistolaire qui nous ọccupe, et qui a été reconnue par tous les hommes impartiaux (1), est due aux artifices des Jésuites. Nous partageons tout à fait leur sentiment. La femme de Marcel de Blaïn du Poët, neveu et héritier du célèbre capitaine du Poët, se convertit avec éclat au catholicisme en 1619 (2), et nous ne serions pas surpris que le jésuite Isnard de Die, qui contribua pour la plus large part à sa défection, qui ne se faisait pas faute de susciter des tracasseries de mille sortes aux professeurs de l'académie de Die et qui se rendit coupable du crime de rapt à l'égard de deux de leurs élèves (3), ait composé lui-même les deux lettres attribuées à Calvin. Il aimait à écrire, et trouva sans doute dans du Poët, qui s'était luimême converti au catholicisme depuis quelques années, un auxiliaire complaisant. Les documents synodaux du Dauphiné établissent en effet qu'aussitôt après l'ahjuration de sa femme, ce seigneur chassa les protestants du Poët-Célard, un de ses fiefs, de la salle de la maison commune, où ils célébraient leur culte depuis plus de soixante ans.

E. ARNAUD, pasteur.

(1) Voy. Ad. Rochas, Biographie du Dauphiné, t. II, p. 115; Lacroix, Notice sur Dieulefit, p. 56.

(2) Voy. notre Notice hist. et bibliogr. sur les controverses relig. en Dauphine

p. 35.

(3) Voy. notre Hist. de l'académ. de Die, p. 74.

Paris,

Typ. de Ch. Meyrueis, 13, rue Cujas. 1874.

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE

DU

PROTESTANTISME FRANÇAIS

ÉTUDES HISTORIQUES

UN CONFESSEUR DE LA R. P. R. SOUS LOUIS XIV

ÉLIE NEAU, MARTYR SUR LES GALÈRES

ET DANS LES CACHOTS DE MARSEILLE

(1692-1698)

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Au mois de juillet 1853, il y a maintenant plus de vingt-et-un ans, nous insérions dans ce Bulletin (t. II, p. 113) une lettre des plus intéressantes que nous venions de recevoir du vénérable pasteur de l'Eglise française de Berlin, de l'auteur de la Vie de Calvin, feu M. P.-E. Henry. Cette lettre, dans laquelle il donnait sa chaleureuse adhésion à notre Société naissante, signalait à notre attention quelques vieux livres de la Bibliothèque du Séminaire de théologie de Berlin, et entre autres une « Histoire des souffrances du sieur Elie Neau sur les galères et dans les cachots de Marseille (Rotterdam, 1701). »

Désireux, depuis lors, de connaître cet ouvrage, nous n'avions pu le trouver nulle part, car il n'existe dans aucune de nos bibliothèques publiques de France, et vainement nous le demandions à tous les catalogues. Une seule fois, il y a quatorze ou quinze ans, il avait figuré dans une annonce de livres mis en vente à prix marqués d'avance par un libraire parisien : mais, quelque empressement que nous XXIII. 34

eussions mis à l'aller saisir au passage, il avait déjà été enlevé par un acquéreur plus diligent encore, et sans que l'on pût nous dire quelles mains s'en étaient emparé !... Une autre fois, un connaisseur nous avait fait espérer la communication du précieux volume, qu'il croyait avoir en sa possession : mais cet espoir avait été déçu... Bref, nous n'avions jamais eu sous les yeux un exemplaire de cet épisode de notre martyrologe, et c'était un des desiderata que nous souhaitions le plus pouvoir rayer de notre liste, toujours trop longue (1).

Ce you vient d'être comblé. L'occasion tant attendue s'est offerte enfin à notre zélé collègue M. F. Schikler, qui en a profité avec bonheur pour enrichir notre Bibliothèque de ce précieux bouquin, dont la rareté était si bien démontrée. Nous avons fait à ce rara avis l'accueil qu'il méritait, et nous pensons que nos lecteurs ne seront pas fâchés d'en faire avec nous une étude historique et bibliographique quelque peu détaillée, et en suivant pas à pas le texte.

I

En tête du volume (qui a 287 pages petit in-8°) nous trouvons une Dédicace, un Avertissement et une Préface qui sont tous trois instructifs,

La Dédicace, adressée à Mylord comte de Portland, et signée du nom d'un pasteur réfugié, J. MORIN, nous apprend que la délivrance d'Elie Neau avait été due à la célèbre ambassade de ce plénipotentiaire du roi de la Grande-Bretagne en France, lors de la conclusion de la paix de Ryswick. Le corollaire des négociations avait été la libération de prisonniers et de galériens huguenots, qu'avait fait réclamer le prince « défenseur de la foy,» voulant tirer du fond des cachots ceux qui souffraient pour elle; car il s'était souvenu « de la froissure de Joseph. » Elie Neau avait été du nombre de ceux à qui avait profité cette intervention de la politique et de la charité de Guillaume III, et l'auteur du récit de ses souffrances en faisait hommage au représentant de ce souverain, pour lui donner une preuve de la reconnaissance de ce confesseur et une marque publique de son respect.

(1) M. Eug. Haag, dans le court article consacré à NEAU, dans la France protestante, dit aussi (t. VIII, p. 13): « Jusqu'ici, nous n'avons pu nous procurer ce volume. » Seulement il nous apprend que la publication faite à Rotterdam, en 1701, est une traduction de l'anglais. L'Histoire de Neau avait d'abord paru, en cette langue, à Londres en 1699.

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