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à cet égard. « Je vous feray, Messieurs, disait-il (1), une requeste laquelle je vous prye bien affectueusement de me vouloir accorder, car c'est une chose dont nous avons grand besoin pardeça pour l'advancement et augmentation de nostre Eglise, à sçavoir que vous nous y laissiez encores le Sr de Bèze, lequel est maintenant en si bon train de servir à la gloire de Dieu et édification de son Eglise en ce royaulme, que ce seroit grand dommage de l'en destourner. Par ainsy, Messieurs, je remets en vous de considérer combien cela importe, et vous prye que en une telle besogne vous nous faciez congnoistre combien vous désirez nous ayder et accommoder de ce qu'est en vostre pouvoir. »

Th. de Bèze, qui avait déclaré au conseil de Genève (2) s'en rapporter à ce qu'il déciderait, reçut promptement l'autorisation de prolonger son absence. Sous le triple patronage de Jeanne d'Albret, de Coligny et de Condé, sa situation, déjà considérable, s'agrandit encore. Il la consacra tout entière au service de la plus sainte des causes.

Tandis que la prédication évangélique, grâce à lui et à ses pieux protecteurs de la cour, s'affermissait à Saint-Germain, elle s'étendait de proche en proche dans une foule de localités en France. Elle faisait aussi de notable progrès, soit dans les faubourgs de Paris, soit à Paris même, où la mère du prince de Portien, la comtesse de Seninghen, était revenue de SaintGermain ouvrir l'accès de son hôtel à une assemblée religieuse, « qui fut faicte la veille de la Toussaint, devant les yeux de tout le monde et remparée de la présence des prévôsts, des mareschaux et de leurs archers, pour empescher qu'il n'y eûst émotion de peuple (3). » Peu de jours après, les réformés. « entreprirent de faire deux presches alternatifs, l'un aux fau

(1) 23 nov. 1561. Archives de la ville de Genève, no 1715.

(2) Dans une lettre du 28 novembre 1561 (Archives de la ville de Genève, no`1564), il disait aux magistrats de Genève : «Je n'ay ny païs ny choses quelconques en ce monde que j'estime me toucher de plus près que vostre ville, en laquelle il vous a pleu me recevoir, et jamais, jour de ma vie, ne seray las, Dieu aydant, de vous faire tout service en quelque endroict que je me puisse trouver, autant que mon petit povoir le pourra porter. »

(3) OEuvr. d'Est. Pasquier, t. II, p. 87, 88, liv. IV, lettre XI.

bourgs de Saint-Marcel, au lieu dit le Patriarche, l'autre, hors de la porte Saint-Antoine, au lieu appelé Popincourt. Il seroit incroyable de dire quelle affluence de peuple se trouvoit à ces nouvelles dévotions à quoy Gabaston, chevalier du guet, et ses archers faisoient escorte. A Popincourt preschoient l'Aulnay et l'Estang : au Patriarche, Malo et Virel (1). D

D'intéressants détails sont fournis par Hubert Languet sur les diverses assemblées religieuses qui se tenaient alors à proximité de la capitale, et qui se composaient de deux, de trois, de neuf, de dix, et même parfois de quinze mille personnes (2). La présence des agents de la force publique à ces assemblées témoignait clairement de la tolérance accordée aux protestants par l'autorité supérieure, en dépit des doléances et des réclamations de l'ambassadeur d'Espagne, du légat, du cardinal de Sainte-Croix (3) et de la plupart des prélats français. A la différence de tous ces hommes qu'aveuglait l'esprit d'intolérance, « les seigneurs catholics, au dire d'un contemporain (4), voyaient qu'il leur était nécessaire de caller la voile à la tempeste. » Vainement le clergé de Paris, alors essentiellement agressif, rompit-il violemment avec cet état de choses, en suscitant le tumulte de SaintMédard, et en se livrant à des excès dont le cours ne fut arrêté que par l'énergique intervention de l'un des fils de la contesse de Seninghen, assisté de quelques gentilshommes protestants (5) il n'en demeurait pas moins certain que la grave question des réunions pour l'exercice public du culte réformé avait fait, dans l'automne de 1561, un premier pas

en avant.

Mais il fallait soustraire ces réunions au régime précaire d'une simple tolérance et leur assurer les garanties d'un ré

(1) Est. Pasquier, ibid.

(2) Hubert Langueli Epist. LXII, lib. 2.

(3) Voir sa lettre au cardinal Borromée datée de Poissy, 13 novembre 1561, dans Aymoa, Rec. des synodes, t. I, p. 3 à 16.

(4) Est Pasquier, ibid.

(5) Th. de Bèze, Hist. eccl., t. I, p. 671, 672.

gime de liberté légale : nul ne le sentait mieux que Coligny. Il avait amené Michel de l'Hospital, depuis la clôture du colloque de Poissy, à partager ses idées sur ce point les efforts combinés de l'amiral et du chancelier, auxquels s'associèrent ceux de plusieurs personnages d'élite, aboutirent bientôt à l'élaboration solennelle du célèbre édit de janvier 1562.

Ici doit s'arrêter notre récit. De l'ensemble des faits qui y sont exposés ressortira, nous l'espérons, la preuve, que les protestants qui se trouvèrent à la cour de Saint-Germain, lors du colloque de Poissy, y servirent efficacement, par leur attitude aussi noble que ferme, la cause de la liberté religieuse réservée dans notre pays à tant de vicissitudes.

Cite JULES DELABORDE.

DOCUMENTS INÉDITS ET ORIGINAUX

LETTRES CHOISIES DE LA DUCHESSE DE BOUILLON

A LA DUCHESSE DE LA TRÉMOILLE

(1598 — 1628) (1).

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Le mariage de Charlotte-Brabantine de Nassau avec Claude de la Trémoille permit aux deux sœurs de se visiter fréquemment, de se rencontrer à la cour et de faire ensemble plusieurs voyages. Eloignées l'une de l'autre, elles s'écrivaient exactement chaque semaine. Quoiqu'il n'ait rien été retrouvé pour les années 1602, 1625, 1626, 1629, 1630 et 1631, la correspondance de Madame de Bouillon est encore très-volumineuse. C'est parmi ses trois cent soixante-quinze lettres à la duchesse de la Trémoille qu'ont été choisies les trente suivantes, en moyenne une par année. On y trouvera à peu près leur autobiographie au milieu des détails où leur esprit, leur caractère et leurs habitudes se montrent avec l'abandon le plus complet. La réputation des deux duchesses, qui furent avec Catherine de Parthenay et Louise de Colligny les plus grandes dames du protestantisme français à la fin du XVIe siècle et dans le premier tiers du XVIIe, ne peut, du reste, que gagner à la publication de ces précieux autographes, tant leurs qualités aimables, belles et grandes, s'y manifestent à toutes les périodes de leur vie, au milieu des joies ainsi que des douleurs de la famille, dans les relations du monde comme à propos des affaires d'Etat.

Le sommaire qui suit fera apprécier l'ensemble de cette correspondance avant d'arriver aux conversations, plutôt que lettres écrites avec tant d'intimité, de sentiment et de verve par l'aînée à sa cadette. Nous avons déjà cité plusieurs témoignages de l'estime profonde inspirée par la duchesse de la Trémoille à ses contemporains, même les plus prévenus contre elle à cause de sa croyance religieuse. Avant l'impression de quelques-unes de ses lettres, découvertes dans le chartrier de Thouars, la duchesse de Bouillon n'était guère connue que par l'appréciation

(1) Voir le Bulletin, t. VI, p. 191; t. XV, p. 36 et suivantes.

haineuse du duc de Saint-Simon (1). La mère du grand Turenne, il n'est plus permis d'en douter aujourd'hui, a mérité et justifié l'éloge concis que Du Plessis-Mornay (2) faisait d'elle en 1615: « C'est une dame pieuse et prudente, qui porte et laisse une bonne odeur après elle. » PAUL MARCHEGAY.

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1. De Turenne, 18 octobre 1598.

Joie d'avoir son mari près d'elle; espoir que sa sœur a le même bonheur. Nouvelles de sa fille, de leur belle-mère et de la mode. Voeux pour que Madame de la Trémoille ait un fils. Conseils pour sa grossesse. Affaires pour la succession de leur père (Guillaume le Taciturne). Bonheur d'entendre les louanges qu'on donne à sa sa hardiesse dans les

sœur. Vie qu'elle mène à Turenne ; chasses à cheval.

Chère sœur, je crois que ce vous est plus de plaisir de recevoir de mes lettres, vous faisant voir que je suis et bien contente et bien gaie, que non pas lorsque je vous témoigne et de l'ennui et du déplaisir de me voir absente de ce que j'aime le mieux au monde (1). Dieu merci je le vois depuis uit jours, ce cher mari; aussi vous dépêchons nous tous deux ensemble, pour apprendre de vos nouvelles. J'ai tardé plus que je ne devois; le retour de ce gentilhomme qui m'avoit promis de repasser par ici et prendre de mes lettres, en est bien cause. Je crains que ces lettres vous trouvent privée du bien dont je jouis. Toutefois la diète du Roi (2) vous pourroit bien avoir rendu ce contentement de plus longue durée que vous ne l'espériez; je le souhaite de tout mon cœur. A tout hasard, j'écris à votre bon monsieur, et ne puis assez estimer l'heur que je reçois du bien qu'il me veut; aussi désiré-je sur toute chose que l'amitié de ce que nous aimons le plus soit inséparable, ni moindre que de propre frère (3). Vous m'avez bien promis d'y aider s'il en étoit be

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(1) Mémoires, édition Chéruel, in-8°, t. V, p. 312. Après avoir parlé de Henri de la Tour, premier duc de Bouillon, Saint-Simon ajoute: « Pour sa femme, elle passa toute sa vie à Sedan... aussi ambitieuse et guère moins habile qué son mari. »

(2) Lettres et Mémoires (Louis Elzevier, 1652), p. 725: Lettre à M. de Primerose, 7 mars 1615.

(1) Voir ses lettres des 4 juin et 4 novembre 1596.

(2) Repos et régime imposés à Henri IV par sa goutte.

(3) Avant de devenir beaux-frères, MM. de la Trémoille et de Bouillon étaient cousins germains, ayant eu pour mères deux filles du connétable Anne de Montmorency.

XXIII. 5

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