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les fondements mêmes de la hiérarchie cléricale en enseignant « que les prestres n'ont que telle puissance que les layċs! (1) »

Néanmoins, cette fois-ci, les adversaires d'A. Fourré en furent pour leurs frais de délation, et M. l'Official du Sgr cardinal de Chastillon acquitta le pauvre maître d'escolle au grand scandale de toute la gent cléricale. Par contre, la joie fut grande dans le petit troupeau évangélique de Beauvais, les conventicules se multiplièrent, de jour, de nuit, chez Fourré, chez Trenchant, chez Jean de Bury; on propageait la Doctrine du Salut gratuit dans le peuple au moyen de propos, d'argumentations, de placards; et le nombre des prosélytes augmentait chaque jour, surtout dans le métier des drapiers et des laineurs.

§ 4.

Abjuration. Triumvirat. Premiers massacres (1561).

La petite et obscure Eglise réformée de Beauvais allait faire un prosélyte d'une nouvelle espèce; elle allait recruter un chef dans l'état-major de ses adversaires, un protecteur au sein même du sacré collége des cardinaux; cet illustre prosélyte fut Odet de Chastillon. Comment s'opéra la conversion de l'évêque de Beauvais : fut-elle prompte et subite comme celle d'un Augustin ou lente comme celle d'un Constantin? Il nous serait difficile de trancher la question dans le silence des témoignages contemporains à ce sujet. Mais, d'après plusieurs indices, nous penchons à croire que cette conversion fut lentement mûrie par une série de circonstances. L'exemple de sa mère, la maréchale de Chastillon, mourant « à la huguenotte,» sans accepter les sacrements de l'Eglise (1546), le spectacle de tous les scandales de la Rome pontificale (1550-1551), la vue du martyre d'Anne du Bourg à Paris, et de tant d'innocentes victimes à Amboise (1559); mais surtout l'ardente influence de d'Andelot, qui avait déjà converti au protestantisme son frère, l'amiral de Coligny, telles furent les étapes successives dans le progrès de la pensée du cardinal. Mais le motif qui le décida à faire profession publique de sa foi nouvelle, ce fut le changement subit du connétable Anne de Montmorency, jusque-là favorable. Celui-ci, en effet, sous l'influence de sa femme Magdeleine, une dévote savoyarde, venait de conclure avec le duc de Guise et le maréchal de Saint-André le fatal Triumvirat, et avait pris parti contre les Chastillon, ses neveux.

(1) Plainctes et doléances... (Octobre 1560.) Cahier des Laineurs.

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C'est au château de Merlemont, dans les premiers jours d'avril 1561, qu'Odet de Chastillon accomplit cet acte décisif : il abjura irrévocablement la foi catholique romaine, et adhéra en termes solennels à la foi évangélique réformée en présence de MM. Jean des Courtils, seigneur de Merlemont; François des Courtils, Sgr de Grémevillers; Georges de Vaudrey, Sgr de Mouy; Louis de Boufflers, Sgr de Cagny; des seigneurs des Champ-Morel, de l'Isle-Marivaux, de Beaurepaire, de Gamaches (1).

Aussitôt, dans la première ferveur de son zèle, et pour sceller sa foi par un sacrement, il se rendit à Beauvais; et là, le lundi de Pâques (7 avril 1561), dans une chapelle de son hôtel épiscopal, il célébra la Sainte-Cène sous les deux espèces, avec tous les officiers de sa maison et de nombreux habitants de Beauvais, parmi lesquels Jean de Bury, Pierre Trenchant, Pierre Bourrée, Loïs de Baillon et aussi le maître d'école de la rue Sainte-Marguerite Adrien. Fourré (2).

Tandis qu'à Merlemont et à Beauvais, Odet de Chastillon s'engageait par deux actes pacifiques à partager la fortune de ses frères réformés, son oncle Anne de Montmorency concluait à Fontainebleau une alliance hostile et un pacte d'une tout autre nature. Influencé par sa femme Magdeleine, jalouse du crédit de Chastillon, inquiété dans sa fortune par l'enquête sur les vols publics, proposée par Coligny aux états provinciaux de l'Isle-de-France, et effrayé des progrès de la Réforme, le vieux connétable se rapprocha du duc de Guise, son ennemi juré, par l'intermédiaire du maréchal de SaintAndré, afin de faire face à l'ennemi commun : les huguenots! Ce fut le Triumvirat, et, à l'exemple des Romains, les nouveaux triumvirs résolurent d'ouvrir leur campagne par d'immenses proscriptions.

Ils reprirent le projet d'extermination, conçu dès 1533 par Clément VII et François Ier à Marseille (3); proposé par Granvelle au cardinal de Lorraine aux conférences de Péronne (1558), essayé à Orléans en décembre 1560, mais interrompu par la mort subite de François II. « Philippe II serait le chef et conducteur de toute l'entreprise; le duc de Guise serait le chef de la confession catholique en France... Dans le courant de l'hiver prochain, le roi d'Espagne

(1) Le procès-verbal authentique de cette abjuration, signé de tous les Seigneurs assistant comme témoins, se trouvait dans les Archives du Château de Merlemont; il a été enlevé en 1793.

(2) Information secrète de la ville contre Pierre Trenchant, pigneur de laine. Déposition du 20 avril 1561.

(3) G. Hermant, tome III, 1. XII, c. 5.

envahirait tout à coup les Etats du roi de Navarre; à ce signal, 'les catholiques se lèveraient partout. L'empereur et les princes catholiques d'Allemagne tomberaient sur les luthériens; les Suisses catholiques assailleraient les zwingliens; le duc de Savoie et les princes italiens feraient l'escalade de Genève, et anéantiraient cette cité maudite et tout son peuple; enfin, en France, on prendrait la Confession de foi rédigée par la Sorbonne en 1542 pour pierre de touche : ceux qui la signeraient seraient saufs; mais quiconque refuserait d'accepter ce formulaire serait, sans forme de procès, dégradé de tous états, dignités et honneurs, et envoyé au feu dès le lendemain. On effacerait jusqu'au nom de la race des Bourbons et des Chastillon (1). »

Ce plan fut secrètement approuvé par la cour de Rome et par ies premiers prélats réunis à Trente; et « les triumvirs crurent pouvoir sceller ce pacte infernal en communiant ensemble dans la basse chapelle de Saint-Saturnin à Fontainebleau. Près de là, dans une autre chapelle, priaient les protestants qu'on voulait égorger. C'était le 6 avril 1561, fête de Pâques, jour que l'histoire marquera d'un rouge sombre! (2) » En effet, le mot d'ordre impie, parti de Fontainebleau, fut porté en un clin d'œil d'un bout de la France à l'autre, et ne tarda pas à faire couler le sang des hérétiques, « ad majorem Dei gloriam! »

« La semaine sainte (1-6 avril 1561), exploitée par les prêtres, avait redoublé le fanatisme populaire; partout les prédicateurs tonnaient contre les Colligny et même contre la reine mère, alors leur alliée (3). » Qui sème le vent, récolte la tempête, dit l'Ecriture. Ces excitations déplorables portèrent leurs fruits après Pâques. Les 7 et 8 avril, émeute à Beauvais et massacre de protestants. Peu après, massacres du même genre à Amiens et à Pontoise. Le 23 avril, l'évêque du Mans écrit pour excuser un petit massacre commis par son bon peuple, sur les huguenots (4). Vers la fin d'avril, émeute à Paris et meurtre à l'hôtel de Longjumeau, sur le Pré-aux-Clercs. Voilà comment les triumvirs entendaient la conversion et la pacification de la France: ce qu'ils voulaient, c'était la paix des tombeaux !

J

Mais revenons à Beauvais. Les causes de l'émeute y furent les mêmes qu'à Paris et autres lieux. Sur la consigne donnée à Fon

(1) Mémoires-Journaux du Duc de Guise, à la Bibliothèque Nationale. - Ma

nuscrits venant de Colbert.

(2) Michelet, Histoire de France, Guerres de Religion, p. 245.
3) Henri Martin, Histoire de France, tome X, page 80.
(4) Michelet, Guerres de Religion, pages 245 et suivantes.

tainebleau, le clergé marcha comme un régiment; entre autres, Cornet, curé de Saint-Sauveur, et Pastour, curé de Sainte-Marguerite, prêchèrent toute la semaine avec une violence à peine déguisée contre leur évêque, et les termes d'apostat, traître, nouveau Judas ne lui furent pas épargnés. Faisons la part de chacun : Odet commit une imprudence; et, au lieu de faire modestement, simplement la Cène, soit à Merlemont, soit en son château de Bresle, il la célébra, le lundi de Pâques, dans une chapelle de son palais épiscopal de Beauvais, au vu et au su de toute la ville. Par là, il compromit la cause qu'il voulait servir, et il exposa la communauté réformée à de graves périls. En effet, à peine la nouvelle de la Cène de Mgr le cardinal fut-elle répandue, que la ville tout entière fut en rumeur. Il ne fallait qu'une étincelle pour déterminer l'explosion de la fureur populaire.

La procession du lundi de Pâques la fit jaillir.

Le curé de Sainte-Marguerite passe, avec la procession de sa paroisse, devant la maison d'A. Fourré, au moment où celui-ci faisait le culte avec quelques protestants. Le chant des Psaumes scandalise les gens de la procession. Les litanies romaines irritent les réformés et troublent leur culte. Des injures sont échangées entre le maître d'école et le curé de Sainte-Marguerite. Cependant, le conflit

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n'avait pas été plus loin, et la procession avait continué son chemin jusqu'à l'Hôtel-Dieu. C'est alors que, par un motif inqualifiable, le Pastour fait un retour offensif contre la maison de Fourré et engage une lutte corps à corps, qui fut le signal d'un massacre général. Mais laissons la parole aux témoins oculaires (1).

Procès-verbal faict pour l'émotion populaire des jours de Pâques (2):

« Le lundy 7ème jour d'Apvril, l'an 1561, lendemain de Pâques, heure de 6h. du soir nous Maire et pairs de la ville de Beauvais, estant advertis que quelques gens estaient au devant de la maison d'un nommé Jehan de Bury, demeurant sur le Marché (3) du dit Beauvais nous serions transportés en l'hostel de la dite Ville; et y estant, aurions vu quelque nombre de gens jettant pierres contre la maison du dit de Bury; avec clameurs, à cause d'un homicide que l'on disait avoir été commis par le dit de Bury, estant dans sa maison.

« Or ce que nous nyant, aurions délibéré d'en advertir Monseigneur le

(1) G. Hermant, tome III, 1. XII, c. 24.

(2) Délibérations de la Commune de Beauvais. Séance du 8 avril 1561. Registre BB, 19, dernier folio.

(3) Aujourd'hui, la place Jeanne-Hachette.

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révérendissime cardinal de Chastillon estant en son hostel épiscopal (1) du dit Beauvais ; et estant parvenus près le dit hostel épiscopal aurions encore trouvé un grand nombre de gens estant alentour d'un homicidé gisant sur le pavé, que l'on disait estre Mtre Adrien Fourré, prestre. Et nous entrés dans la court du dit hostel, en laquelle estant, près le perron du dit lieu sur les degrés, aurions trouvé le dit Seigneur révérendissime accompagné d'aucuns prothonotaires et gentilshommes, faisant par nous entendre au dit Seigneur les dites assemblées inopinées et soudaines; dict que de notre part nous présentions pour, par son advis, nous employer à notre pouvoir, pour faire cesser telles assemblées. Lequel Sgr Rév dissime nous aurait fait response, que nous prioit de travailler à rompre telles assemblées; et pour cest effet, eussions à prendre forces avec gens et armes, de telle sorte que la force nous demourast. Suivant ce, et pour exécuter le vouloir du dit Ser aurions mandé les archers, harquebuziers et arcbalestriers.

« Et cependant, sortant hors du dit hostel épiscopal, aurions été advertis que le dit de Bury s'estait réfugié ès prisons du dit hostel épiscopal, et que partie des personnes qui avaient suivi iceluy estaient dans la rue Cul-de-Fer (2), paroisse St Gilles, en la maison de Pierre Trenchant, estant auprès de laquelle maison, et au dessus de l'Eglise St-Michel, aurions aussy trouvé assemblée de gens entre lesquelles estoit le Mtre exécuteur des hautes œuvres du dit Beauvais, garny d'une épée rude en sa main, et d'une dague en sa ceinture, la quelle dague et épée aurions prins et saisi. Et ce faict, allé dans la maison du dit Trenchant, au devant de la quelle aurions trouvé la femme du dit Trenchant dans le ruisseau par terre, ensanglantée. Autour de la quelle y avait plusieurs personnes à nous incongnues criant hautement que icelle n'avait été le jour de Pasques à l'Eglise et qu'elle sentait mal de la foy. « Et pour obvier à la fureur du peuple, estant en grand nombre, aurions levé icelle disant qu'ils eussent à leur contenir et que fallait procéder par justice, non par voie de faict; et que la pugnition serait faicte d'icelle, que pour cest effet, la mesnerions ès prisons. A nous estre impossible de pouvoir prendre aulcuns du dit peuple pour la multitude d'iceluy, et que n'avions aulcunes forces, estant 8b. du soir et plus.

<«< Et ayant mis icelle femme ès prisons, aurions adverti le dit Ser Révdissime du dit faict, qui nous auroit dit que nous aurions bien procédé d'emprisonner la dite femme pour seureté de sa personne; et que la nuict eussions à mettre gens par la ville pour obvier à émotion. Et pour ce faire, nous serions transportés en l'hostel de la dite Ville. Estant auquel, voyant quelque feu au Marché du dit Beauvais, nous interrogeant d'iceluy, nous fut faict response que c'estoit le corps du dit Fourré qui auroit esté bruslé pendant que vacquions aux choses cy-dessus. Et pour faire retirer le monde dans leurs maisons, aurions faict

(1) Aujourd'hui, le palais de Justice.
(2) Aujourd'hui, la rue de l'Ecu-de-Fer.

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