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danger. Elle est sans danger pour la loi religieuse, puisque, dans ce cas, la loi civile n'attaque aucune des obligations que la loi religieuse prescrit, et qu'au contraire elle tend à améliorer le citoyen en lui imposant un devoir de plus. Elle est sans danger pour la loi civile, car, à la différence de la loi religieuse, qui n'a aucun moyen humain pour sa défense, la loi civile se défend efficacement par elle-même. La loi religieuse a beau être facile, les effets civils du mariage étant sous la dépendance de la loi civile, cette loi n'a besoin que de sa propre force pour faire exécuter ses dispositions.

Et qu'on ne dise pas qu'en privant les citoyens d'une faculté que leur laissent leurs principes religieux, on porte atteinte à la liberté de leur culte.

On y porte atteinte lorsqu'on leur en interdit l'exercice; on y porte atteinte lorsqu'on leur prescrit ce que ce culte défend, ou lorsqu'on leur défend ce qu'il prescrit; mais jamais lorsqu'on empèche ce qu'il tolère. La loi civile alors ajoute et ne contrarie pas.

Elle ajoute, et elle en a le droit : « Outre les « conditions que demande la religion, pour que le mariage soit valide (dit encore Montesquieu), « les lois civiles en peuvent encore exiger d'au«tres. Ce qui fait que les lois civiles ont ce pou« voir, c'est que ce sont des caractères ajoutés, et « non pas des caractères contradictoires. »

Notre législation nous en offre plus d'un exemple.

Le culte catholique tolère le mariage du beaufrère avec la belle-sœur, et la loi civile le défend. Cette loi ne déclare capable du mariage qu'à une époque plus reculée que celle où ce culte le permet. Ce culte autorise le mariage du mineur pubère sans le consentement de ses parents, et malgré leur opposition, et ce mariage est prohibé par la loi civile. A-t-on jamais imaginé de prétendre que, par ces différences, la loi civile mettait obstacle au libre exercice du culte catholique? Reconnaissons-le donc, Messieurs, notre Code peut être purgé de la souillure du divorce, sans que la liberté assurée au culte protestant en soit blessée; et, au contraire, le divorce ne peut y être maintenu sans porter la plus cruelle atteinte au culte catholique.

On observerait en vain que les époux qui suivent ce culte, restent libres d'obéir à sa défense. Oui, sans doute, ils conservent cette liberté. Mais à la séduction des passions, vous ajoutez la séduction de la loi; en opposant l'autorité de celleci à l'autorité de la religion, vous affaiblissez le respect qu'ils étaient accoutumés de porter à la croyance de leurs pères; vous les livrez au danger de la méconnaitre ou à celui de la trahir.

Si donc la religion n'est pas un vain nom dans l'Etat, si le trône doit essentiellement s'appuyer sur cette base sacrée, si, pour me servir des expressions de cette Déclaration à jamais célèbre où trois monarques animés du même esprit, viennent tout à l'heure de lui rendre un hommage si solennel, ses préceptes sont le seul moyen de consolider les institutions humaines, la France catholique, dans la presque généralité de son étendue, ne doit pas y admettre le divorce.

La religion ne s'y opposât-elle pas, l'intérêt de l'Etat le repousserait encore.

L'Etat se forme de la réunion des familles. Tout ce qui nuit à la famille, tout ce qui en altère l'union, en détériore les sentiments, en provoque la dissolution, nait donc essentielle ment à l'Etat.

C'est dans la famille, c'est dans l'exercice des vertus domestiques, que les vertus publiques prennent naissance. La pratique d'un devoir dispose l'âme à en remplir un autre. Un bon fils, un bon mari, un bon père, sont rarement de mauvais citoyens. Si vous voulez donner à la société des hommes capables de l'honorer; si vous voulez donner à l'Etat des sujets fidèles et dévoués, protégez donc la famille, c'est là seulement qu'ils peuvent se former.

C'est le mariage qui crée la famille. Sans lui les enfants n'ont point de père, la femme point d'appui, l'agrégation des fruits de ces unions passagères, point de chef, et par conséquent point de durée.

L'intérêt de l'Etat veut donc que le mariage soit honoré, que les liens qu'il forme soient maintenus et respectés.

L'admission du divorce les brise ou les relâche

tous.

Ne nous dissimulons pas les imperfections de notre nature. Les affections de l'âme ne se conservent pas toujours égales; l'habitude du bonheur lui-même en affaiblit les charmes; la différence des goûts, des caractères, des âges, donne lieu souvent dans l'intérieur des familles à des démêlés plus ou moins graves. L'inconstance, la légèreté viennent y joindre leur danger. Si les époux peuvent porter leurs regards jusqu'au divorce, ces orages momentanés risquent d'avoir les suites les plus funestes. Le sentiment qu'il existe un moyen de changer leur position, rend le mari moins indulgent, la femme moins patiente. Le commerce du monde, les rapports de société leur fournissent l'occasion de faire des rapprochements, d'apercevoir des différences qui peuvent ne leur être pas toujours favorables. L'ambition du mari sera flattée d'une union qui lui offrirait plus d'avantages; les goûts de la femme seraient plus satisfaits d'un mariage qui lui promettrait plus d'agréments; il est facile de voir combien la possibilité d'y arriver doit rendre plus pénible et moins sacré T'engagement qui y met obstacle.

Le danger peut aussi venir du dehors.

La rupture d'un mariage peut favoriser des passions étrangères. Elle peut entrer dans les calculs de l'intérêt, du penchant des convenances. Des piéges de toute nature sont alors dressés autour des époux, et l'espoir du succès fait mettre en œuvre tous les moyens de l'obtenir.

Que le mariage soit indissoluble, et tous ces dangers disparaissent.

Plus de crainte de la part des intérêts étrangers. On ne tente plus ce qu'on ne peut pas espérer. Et quant aux époux entre eux, la pensée qu'ils ont à passer leur vie ensemble, leur fait sentir le besoin des égards réciproques, d'un support mutuel. On se conforme facilement à une situation qui ne peut pas changer. Ils sont indulgents par intérêt pour eux-mêmes; ils sont patients par nécessité.

D'une autre part, l'indissolubilité de l'engagement donne au mari une autorité plus grande. On respecte plus le chef quand il ne peut cesser de l'être. Cette autorité tourne au profit de la famille. Chacun y est plus contenu; les devoirs de tous y sont mieux remplis. L'histoire de tous les peuples nous atteste que le gouvernement doimestique est d'autant meilleur qu'il est plus fort. One devient cette famille, si le nœud qui l'avait formée se rompt?

La femme laisse dans la maison qu'elle quitte ses titres, sa dignité. Elle n'est plus épouse,

peine est-elle mère; au lieu de la considération et du respect dont elle était environnée, elle obtient tout au plus la pitié; heureuse si elle échappe au mépris!

Le malheur de ce résultat ne se borne pas à elle seule le mari le partage. On lui reproche de n'avoir pas su maintenir une société dont il était le chef, on lui impute de n'avoir pas ou prévenu ou calmé les troubles qui l'ont agitée; on suppose des torts communs dans les causes qui l'ont rompue. Et comme entre les époux il y a une sorte de communauté de gloire et d'estime qui les fait valoir l'un par l'autre, il y a aussi une espèce de déconsidération solidaire qui ne peut en atteindre un sans les frapper tous deux.

Leurs familles respectives ne demeurent pas étrangères aux effets de ces éclatantes ruptures; elles y font naître un germe de ressentiment et d'aigreur qui les divise, et peut y perpétuer les haines et les vengeances.

Mais c'est surtout la condition des enfants qu'il faut, dans ce cas, déplorer; innocents des fautes de leurs parents, ils en deviennent les plus malheureuses victimes.

La nature leur avait donné des protecteurs et des gardiens; le divorce les leur enlève. Abandonnés par le père ou la mère, il ne leur reste que la sollicitude de l'un des deux encore même cette sollicitude est-elle affaiblie; car le nœud qui attache les époux à l'enfant, se fortifie de celui qui les unit entre eux. Et si de nouveaux nœuds succèdent aux nœuds rompus, si d'autres enfants naissent de ces engagements nouveaux, quel est e sort des tristes fruits du premier mariage? Livrés à eux-mêmes, ou aux soins d'un tuteur indifférent, ils croissent sans éducation et sans culture; rien ne les défend de l'attaque des passions. Ils ne sont point soutenus, dans les dangers qui les entourent, par le souvenír ou les exemples des vertus de leurs parents; l'idée des auteurs de leurs jours ne se lie dans leur esprit qu'à des idées d'irréligion et d'immoralité; et c'est ainsi que se prépare, pour le vice et le désordre, une génération nouvelle pire que celle qui la précéda.

N'attendez pas des résultats plus heureux pour les fruits de ces seconds mariages. Contractés dans l'ivresse d'une passion aveugle, ils seront rarement plus unis que les premiers. Des époux qui violent ouvertement la foi donnée, qui foulent aux pieds les principes religieux dans lesquels ils avaient été nourris, et bravent l'opinion publique, ne peuvent pas s'estimer l'un l'autre. Et quelles leçons donneront-ils à leurs enfants, qui ne soient démenties par leurs exemples?

Il s'établira donc dans les mœurs une dégradation héréditaire, dont on ne peut, sans effroi, calculer les progrès et le terme.

On a opposé l'exemple des peuples qui avaient admis le divorce sans en éprouver ses funestes suites.

Mais distinguons, avec l'auteur de la proposition que nous discutons, les âges divers de la société, et disons avec lui que chez un peuple peu avancé dans les arts, la tolérance du divorce est sans danger, parce qu'elle est sans exemple; mais que lorsque la société est arrivée à ce point de civilisation où la perfection des arts, l'autorité des usages, la licence des systèmes, le mépris des principes, semblent se réunir pour donner plus de force aux attraits de la volupté et détruire les barrières qui en défendent les écarts, tolérer le divorce, c'est légaliser l'adultère, c'est conspirer avec

les passions de l'homme contre sa raison, et avec l'homme lui-même contre la société.

Aussi a-t-on commencé d'en rougir à mesure que le délire révolutionnaire s'est calmé. On a restreint les cas où le divorce pourrait être admis; on a reconnu la nécessité de l'environner d'obstacles, de le charger d'entraves.

Et remarquez que cette nécessité s'est fait sentir partout où il s'était introduit. L'Angleterre, qui l'avait permis originairement dans cinq cas, ne le tolère plus que dans celui de l'adultère; encore même faut-il alors l'intervention et tout l'appareil du pouvoir législatif. Ce n'est qu'en vertu d'un acte du parlement qu'il peut être prononcé, tant on a reconnu qu'en sapant la base des mœurs, il ébranle les fondements de l'Etat lui-même !

Mais si, pour l'empêcher de détruire les familles et l'Etat, on a besoin de l'enchaîner, pourquoi ne pas entièrement le proscrire?

On plaint le sort d'une épouse livrée aux excès et aux violences d'un époux féroce, et l'on veut l'y soustraire.

On prévoit le cas où la loi flétrit l'un des deux époux, et l'on ne veut pas que l'autre en partage l'ignominie.

L'adultère surtout, en attaquant le mariage dans son essence même, paraît devoir en entrainer la dissolution.

Mais d'abord, observez, Messieurs, que ces malheurs sont les déplorables suites de mariages mal assortis, et que les époux qui les éprouvent sont rarement exempts de reproche dans les vues qui les ont dirigés en s'unissant. Les qualités personnelles qui, dans une union de cette nature, devaient être d'un si grand poids, entrent à peine dans la balance. On associe les fortunes et les rangs plutôt que les personnes. Est-on bien autorisé à se plaindre si l'on s'est égaré, quand on n'a pris pour guide que l'ambition ou l'intérêt?

Remarquons même, en passant, que l'admission du divorce excite à cette imprudence. On est moins effrayé des risques d'un engagement, quand on sait qu'il peut se rompre. L'indissolubilité du mariage joint donc encore à l'avantage de conserver la famille, celui de mieux préparer les éléments de son bonheur.

Ensuite, dans les cas dont on parle, la séparation de corps, en respectant le lien, remplit l'objet qu'on se propose.

Pourquoi élever un mur d'airain entre les époux? Pourquoi, en les arrachant l'un à l'autre, ne pas leur laisser l'espérance de se réunir?

La solitude, les souvenirs, la réflexion peuvent adoucir le caractère d'un mari violent et emporté. Le cœur de la femme peut se rouvrir à l'indulgence et à la bonté : ces sentiments lui sont si naturels ! Une rencontre fortuite, la vue de leurs enfants, un témoignage de regret peuvent encore la jeter dans les bras de son époux. Craignons, en rendant ce retour impossible, d'offenser à la fois la religion et la nature!

La femme coupable peut aussi trouver grâce aux yeux de son mari. Dans la fragilité de notre nature, il ne doit pas y avoir de faute irrémissible. Quelle serait notre destinée, Messieurs, si le repentir ne devenait pas un asile pour la faiblesse !

Il est douloureux, sans doute, pour un époux, de voir sa destinée unie à celui ou à celle que la justice à flétri. Mais la séparation de corps sépare leur existence. On peut même ajouter qu'il n'est pas rare qu'il y ait eu entre eux, sinon complicité de fait, au moins complicité de tolérance. Enfin,

l'époux criminel envers l'Etat peut ne pas l'être envers l'autre époux. Quelle que soit la cause de sa honte, il est malheureux et à ce titre, il a droit à des consolations de la part de l'être qui s'est uni à lui pour adoucir ses infortunes comme pour partager son bonheur.

On a opposé, dans le cas de l'adultère, qu'une simple séparation ne mettrait pas à couvert le mari, comme le ferait le divorce, du danger de la naissance d'un enfant illégitime, survenu pendant sa durée.

Cet inconvénient de l'indissolubilité du mariage est grave sans doute. Mais il doit disparaître avec tous les autres devant les grands intérêts qui la réclament. Nos pères ne les avaient jamais mis en balance.

Songez d'ailleurs à l'abus qui pourrait être fait de ces exceptions, s'il était possible de les admettre.

Le mari qui voudrait rompre un lien devenu importun, n'aurait qu'à se livrer à des violences qu'il saurait rendre insupportables, ou souiller le foyer domestique de la présence de sa concubine.

La femme. . . . Il n'est pas sans exemple, en Angleterre, de voir une infâme connivence s'établir entre la femme, son séducteur et son mari, pour fournir à la justice des preuves légales dé l'adultère, et parvenir à un divorce, ou lâchement vendu par le mari, ou honteusement convenu entre les passions de ces hommes sans pudeur. Qui de nous, Messieurs, ne frémirait pas à la pensée de laisser introduire en France de pareils désordres?

Déjà des voix se sont fait entendre dans le parlement d'Angleterre, pour en tarir la source. Ne nous laissons pas prévenir dans cette mesure si fortement sollicitée par les bonnes mœurs.

Ceux qui la repoussent allèguent les inconvénients du célibat pour les époux qui ne sont que séparés; allèguent, pour l'Etat, l'accroissement de population que peut procurer le divorce par la liberté des seconds mariages.

Mais ici, Messieurs, l'observation et l'histoire viennent démentir ce prétendu avantage du divorce.

C'est dans les bonnes mœurs qu'est la source féconde de la population. Où la voyez-vous s'accroître? Est-ce dans ces grandes villes où règne audacieusement la licence, où les passions en délire trompent sans cesse les sentiments et le vœu de la nature, ou bien dans les campagnes où les mœurs se conservent encore pures? Quels sont les lieux qui fournissent des soldats à nos armées, des ouvriers à nos ateliers, des laboureurs à nos champs? Ne sont-ce pas les villages et les hameaux où le mariage est encore l'engagement de la vie, où le noeud conjugal, sous la garde de la religion, est toujours inviolable et sacré, où le nom de divorce est à peine connu? Cherchez dans les âges des nations les époques où leur population fut la plus nombreuse, où elles eurent leurs meilleurs citoyens, où leur existence fut le plus fortement établie, et vous vous convaincrez que c'est à celles où le mariage fut environné de plus de respect. C'est que le mariage honoré ne donne pas seulement naissance aux enfants, mais il les conserve et les élève. Les mœurs des Romains résistèrent pendant plusieurs siècles à la loi du divorce, mais sitôt qu'elles eurent commencé de céder à son influence, leur dégradation s'opéra, le dégoût du mariage s'étendit, et la dépopulation se fit ressentir dans une progression si rapide, qu'Auguste, au milieu de sa gloire et de son beau

siècle, fut forcé de faire des lois contre le célibat Et quant aux époux, obligés de le garder dans leur séparation, faut-il donc, pour les en dispenser, leur permettre l'adultère? N'oublions pas que la loi religieuse est là. Il faut, pour franchir l'obstacle, ou éteindre la croyance, ou faire braver la défense; il faut rendre le citoyen ou irréligieux ou criminel. Voulez-vous que la loi civile se charge de cet odieux office?

Ah! déjà assez de dangers menacent ce qui nous reste de bonnes mœurs; épargnons-leur au moins l'attaque de nos lois. Si, quand les mœurs sont faibles et dépravées, la législation se prête à leur faiblesse et flatte leur corruption, qui pourra assigner le terme de leur décadence? Eviterez-vous la chute de l'édifice si vous le poussez dans la direction de sa pente?

Epurons donc nos lois pour épurer nos mœurs. Les bonnes mœurs, je le sais, s'inspirent et ne se commandent pas. Mais par quels moyens peuvent-elles être inspirées, si ce n'est par les bonnes institutions et les bonnes lois?

Quand une nation a vieilli dans les vices d'une longue civilisation, il est difficile, sans doute, au législateur, de lui rendre la vigueur et la pureté de ses premiers temps. Mais si une grande secousse vient à l'ébranler, si une crise violente bouleverse ses rapports, détruit tous ses appuis et la suspend sur le précipice, il est possible alors que ses ressorts affaiblis se retrempent dans le malheur; et que le sentiment profond du danger lui fassé retrouver sa première énergie, et lui donne une existence nouvelle.

C'est la position où se trouve la France.

Toutes les bases sur lesquelles elle était assise avaient été brisées. Elle avait perdu tout à la fois sa religion, son Roi, ses institutions, ses principes, ses vertus, jusqu'à ses souvenirs. Sauvée de l'anéantissement par une providence miraculeuse, elle sort de ses ruines, et renaît en quelque sorte à la vie. Quelle bonne loi pourrait-elle aujourd'hui n'être pas capable de supporter? Elle a appris à apprécier les biens qu'elle avait perdus, les frivoles avantages qu'elle avait ambitionnés, les fausses doctrines qui l'avaient égarée. Son Roi, sa religion, tout ce qui avait embelli son antique existence lui sont devenus plus chers. Profitons, Messieurs, de ces heureuses circonstances. Aidons ces dispositions favorables du secours de nos lois. Les peuples eux-mêmes vous le demandent. Croyez-vous qu'en vous chargeant des importantes fonctions que vous exercez, ils ignorassent les sentiments qui vous animent, les principes que vous professez ? Non, ils les savaient; et ce sont ces principes mêmes et ces sentiments, c'est l'espoir que votre conduite y serait conforme, qui sont devenus vos titres auprès d'eux. Remplissons donc leur attente et notre honorable destination. Nous ne pouvons pas sans doute remédier en un jour à tous les maux de la patrie. Mais la religion et les mœurs réclament nos premiers soins. Souvenons-nous que c'est à leur école et sous le toit domestique que se forment les bons citoyens, que la famille est le berceau de l'Etat, et que le mariage fonde la famille, et le divorce la détruit.

C'est d'après toutes ces considérations, Messieurs, que votre commission m'a chargé de vous proposer de supplier le Roi de présenter une loi qui contienne: 1° l'abolition du divorce; 2° la détermination des cas où la séparation de corps, entre époux, pourra avoir lieu; 3° le règlement des effets de cette séparation, soit par rapport aux époux eux-mêmes, soit par rapport aux en

fants, et qui porte que les instances en divorce, pour causes déterminées actuellement pendantes, ne pourront être suivies que comme instances en séparation, et que celles introduites pour cause de consentement mutuel seront considérées comme

non avenues.

La Chambre décide l'impression du rapport et sa distribution au nombre de six exemplaires. La séance est levée.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELIER.

Séance du 20 février 1816.

A une heure la Chambre se réunit en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance du 16 de ce mois.

L'Assemblée entend la lecture et adopte la rédaction du procès-verbal.

M. le Président communique à la Chambre un message parvenu hier, et contenant envoi d'une résolution prise par la Chambre des députés le 9 de ce mois, relativement aux pensions ecclésiastiques dont jouissent des prêtres mariés.

Lecture faite de cette résolution par un de MM. les secrétaires, le renvoi aux bureaux, l'impression et la distribution en sont ordonnés conformément à l'article 15 du règlement.

L'ordre du jour appelle le rapport de la commission spéciale à l'examen de laquelle a été renvoyée, dans la séance du 10 de ce mois, la résolution de la Chambre des députés, en date du 25 janvier, et relative aux donations au clergé.

M'. l'abbé de Montesquiou, rapporteur de cette commission, obtient la parole et fait à l'Assemblée le rapport suivant :

Messieurs, la commission que vous avez nommée pour examiner la résolution que la Chambre des députés vous a présentée dans le dessein de subvenir aux premières nécessités du culte divin, m'a chargé de vous faire le rapport de son travail. Elle a porté dans ses recherches tout l'inté rêt qu'un objet si élevé devait lui inspirer. Au seul nom de la religion nos sentiments les plus chers et les souvenirs les plus pénibles se réveillent. Dans les jours de sa gloire elle polica nos aïeux et leur fit connaître la justice et les lois, au lieu de cette indépendance sauvage, seul bien qu'ils eussent connu sans elle. Notre siècle a vu ses honneurs détruits, ses autels renversés, et l'édifice social qu'elle avait élevé, précipité dans le même abime. Que de systèmes funestes, et combien de malheurs en ont été le fruit! Mais laissons ces temps de cruelle mémoire. La religion ne se plaît point dans les souvenirs qui aigrissent nos peines; elle n'est au contraire que consolations et courage, et ne veut se rappeler nos malheurs que pour les adoucir, ou pour nous donner la force de supporter ceux qu'elle ne saurait atteindre.

Parmi ces malheurs, nous devons placer au premier rang l'état déplorable de nos pasteurs. ils vivent depuis longtemps dans une pauvreté honorable pour eux, mais honteuse pour nous: bientôt ces hommes apostoliques ne seront plus, et nous n'aurons pas le droit de demander à leurs successeurs les mêmes sacrifices, parce que la religion, qui proportionne le mérite aux besoins, ne réservé pas pour les temps ordinaires ces vertus surnaturelles. Nous devons done nous conduire selon les règles de la prudence humaine,

ministres, ni de ministère, si l'Etat n'assure à ceux qui l'exercent une honorable subsistance.

Cependant l'indépendance de notre siècle, ou peut-être la corruption de ses mœurs, a fait concevoir le système d'une indifférence absolue de religion, en laissant à chacun le soin de payer ses prètres, selon ses besoins ou ses goûts. Heureusement la Constitution a pris soin de prévenir un tel désordre. Ne serait-ce pas, en effet, appeler toutes les sectes, s'abandonner à tous les fanatiques, donner à tous les partis des liens mystérieux et une ardeur inspirée? Il n'est rien que la main des hommes ne puisse dénaturer; aussi l'Eglise de France a-t-elle toujours demandé cette surveillance utile et honorable. Laissons donc ces systèmes funestes, et acquittons sans regret une charge nécessaire, et dont les avantages surpassent tous les sacrifices qu'elle peut demander.

La Chambre des députés nous propose, comme un premier moyen, de rendre nos églises susceptibles de recevoir des donations, et de leur accorder le droit de conserver d'âge en âge ces fruits de la piété de fidèles.

Cette faculté, aussi ancienne que l'Eglise, et qui fut consacrée par les Francs dans leurs premiers Capitulaires, ne lui avait jamais été contestée. L'édit de 1749 lui enleva seulement le droit de faire des acquisitions nouvelles, sa fortune, qui était déjà plus que suffisante, ne paraissant pas pouvoir s'accroître sans danger pour le commerce. Elle subsista dans ce dernier état jusqu'à la Révolution, qui lui enleva tous ses biens avec la faculté d'en recevoir ou d'en posséder d'au

tres.

"

Le Code civil semblait devoir la ramener à son premier état. L'article 910 reconnaît à tous les établissements d'utilité publique la faculté de recevoir des donations; il dit : « Les dispositions « entre-vifs ou par testaments au profit des hospices, des pauvres d'une commune ou d'éta«blissements d'utilité publique, n'auront leur » effet qu'autant qu'elles seront autorisées par un décret impérial. » Les établissements ecclésiastiques semblaient devoir faire partie de ces établissements d'utilité publique, et acquérir ainsi les mêmes doits. Cependant l'opinion contraire a prévalu. Les hospices, les fabriques, les pauvres, ont paru susceptibles de recevoir et de posséder; l'Eglise seule a paru exceptée.

Le Roi à fait cesser cette bizarrerie par son ordonnance du 10 juin 1814. Il a reconnu aux établissements ecclésiastiques les mêmes droits qu'à ceux d'utilité publique, et ils doivent en jouir aujourd'hui.

Cette ordonnance du Roi a fait naître une première difficulté qu'il est peut-être nécessaire de résoudre avant de discuter le mérite de la résolution.

On a prétendu que les droits des Eglises étant reconnus et établis par cette ordonnance, la loi proposée devenait inutile dans ce point essentiel.

Nous n'ignorons point que les ordonnances doivent interpréter les lois et en expliquer les obscurités; mais, dans des questions aussi graves, l'autorité de la puissance législative ne peut être surabondante, surtout lorsque la jurisprudence est contraire; une interprétation laisse toujours le moyen et peut-être le droit de remonter au texte de la loi. Cette explication peut être contestée et bien des difficultés peuvent s'ensuivre. Une loi termine toutes ces incertitudes, et ne permet plus ni discussion ni débats.

C'est donc avec raison que la Chambre des dé

La résolution qu'elle a prise, et dont nous avons à vous rendre compte, établit d'abord que le clergé peut être propriétaire; elle prononce même qu'il doit l'être, puisqu'elle désigne des biens qui doivent lui étre remis. Elle forme ensuite un conseil, dont elle laisse la nomination à l'évêque diocésain, et le règlement au Roi, pour accepter les donations, en déterminer l'emploi et en surveiller l'administration. Elle spécifie en même temps les acceptations où l'autorité du Roi sera nécessaire; elle détermine la portion d'héritages que chacun peut donner à l'Eglise, et fixe les droits annuels que ces biens doivent acquitter, pour compenser ceux de mutations dont ils seraient grevés, s'ils restaient dans le com

merce.

Les premières questions qui se présentent, et les seules peut être qui soient du ressort de la puissance législative, consistent à savoir si les établissements ecclésiastiques peuvent accepter des donations et les posséder en toute propriété. Dans la circonstance présente, ces deux questions n'en font véritablement qu'une seule. Il s'agit seulement de décider si cès Eglises peuvent être propriétaires; car ce droit ne leur étant accordé que pour soulager leurs besoins, il emporte nécessairement le droit de recevoir, puisque l'un et l'autre ne sont qu'un même moyen de les secourir dans leur détresse.

Mais comment pourrait-on refuser à des établissements si utiles un droit que les lois reconnaissent à tout ce qui n'est pas hors de la société? Chacun fait de sa propriété ce qu'il lui plaît, l'abus est même une partie de ses droits; et l'Etat ne pourrait pas, pour son propre avantage, se réserver des propriétés et les consacrer à un service d'utilité publique? La loi dirait : « Vous pouvez frustrer vos parents, dépouiller vos enfants; vous pouvez être injuste, capricieux. ingrat même dans vos libéralités; mais vous ne donnerez rien à ces hommes qui vous défendent et vous protégent; à ces premières sentinelles de l'ordre public, qui instruisent le peuple dans le respect de votre personne et de vos droits, qui lui apprennent à supporter sa misère et à vous pardonner votre bonheur et peut-être vos injustices. » Qu'estce donc que la propriété, si elle est indifférente au bien-être de l'Etat et à celui des particuliers, et si les hommes qui assurent à la fois le repos des familles et la tranquillité publique peuvent être exclus de ses droits? Aucun peuple n'a fait une exception si étrange; et, nous ne craignons pas de le dire, elle ne serait pas honorable pour

nous.

Cependant une inquiétude secrète agite les esprits; on craint de voir renaître ces ordres, ces corporations, disons même cette aristocratie, l'ennemie la plus irréconciliable de notre constitution. Mais le clergé redeviendra-t-il un ordre parce que le service divin sera fait avec décence, et que nos pasteurs ne seront plus dans la misère? Reprendra-t-il ses anciens priviléges parce qu'on lui reconnaîtra des droits que la loi ne refuse à personne? ou sera-t-il contraire à la constitution lorsqu'il sera traité comme les hôpitaux et ces autres établissements qui acquièrent et possèdent sans inconvénients et sans dangers?

Quelle consistance même peuvent avoir ces vaines inquiétudes de richesse et de grandeur? Sommes-nous donc dans le siècle des libéralités? Un seul jour et quelques paroles de saint Vincent de Paul suffirent pour donner un asile aux enfants trouvés, et assurer leur subsistance. Nos lois ont permis depuis longtemps aux hôpi

taux de recevoir, et ils ne subsistent que par des impôts et des octrois.

Permettez-moi, Messieurs, une réflexion. Ne serait-il pas plus sage d'exciter la charité de nos concitoyens qued'en craindre les effets? Nos pères sortirent de la barbarie par cet esprit de charité que la religion exerçait sans relâche. Leurs largesses étaient peut être indiscrètes, mais cette personnalité antisociale que le vice de notre nature oppose toujours à la loi était sans cesse combattue le premier bien de l'aumône est de rendre sociable celui qui la fait. Donner, c'est faire un sacrifice aux autres, et c'est là toute la société. Ne nous plaignons pas de l'anéantissement de l'esprit public; et quel esprit public peut-il y avoir dans une génération qui rapporte tout à elle-même, et qui ne veut d'autre devoir que ses caprices et ses goûts? La vertu a ses habitudes, et demande un long exercice. Quel sera donc le meilleur citoyen? Celui qui vit pour les autres, ou celui qui ne vit que pour lui-même; celui qui se dépouille, ou celui qui ne pense qu'à acquérir; celui qui, indifférent aux jouissance de la fortune, se trouve heureux d'acheter à ce prix un bonheur durable et certain, ou celui qui a fait son dieu de son argent, ne voulant vivre et mourir qu'avec lui?

Ne craignons donc pas des profusions si contraires à nos mœurs; gémissons plutôt sur la cause qui doit les rendre si rares. C'est beaucoup pour la charité de notre siècle d'avoir à secourir la détresse des hôpitaux, celle des établissements de charité et celle du clergé. Chacun restera pauvre, parce que nos meurs resteront les mêmes; et peut être s'agit-il bien plus ici de rendre aux Églises un honneur qui leur est dù, que de leur accorder le secours qui leur est si nécessaire.

Mais quelle que soit la faiblesse de ce secours, peut-on le négliger, dans l'extrême indigence de nos prêtres? Ils recevront peu, mais nous aurons témoigné le désir de les secourir; la fortune publique ne permet pas les sacrifices que nous aimerions à leur faire, mais nous les autorisons à recevoir ce que nous ne pouvons leur donner; nous ne nous montrons pas insensibles à leurs besoins, et, pour des hommes si dévoués et si courageux, une simple marque de bonté, la moindre attention, paye de grands services et soutient les courages.

Cependant on a paru craindre que cette faculté n'inspirat aux familles des inquiétudes sur l'abus que pourrait en faire un ministère qui s'exerce souvent auprès des infirmes et des mourants; on a même craint que cette inquiétude ne détournât les parents d'appeler les secours spirituels que les malades auraient demandés, et qu'ainsi cette faculté ne fût à la fois funeste à la considération des ministres de la religion et à la religion même.

Cette inquiétude serait très-grave, si elle était fondée; car ce respect pour la religion, et cette considération pour ses ministres, est le véritable objet que la Chambre des députés s'est proposé d'atteindre. Mais nous répondons que nos anciennes lois, que le Code civil, ont prévu ce dé sordre, dont les mœurs du clergé ne sauraient inspirer la crainte. D'ailleurs l'opinion unanime de votre commission sur la nécessité de l'autorisation du Roi pour toutes les donations ne doit laisser aucune inquiétude. Toutes ces difficultés seront encore résolues par la sagesse et la piété du Roi, qui donnera sans doute un règlement pour laisser aux fidèles l'exercice de leurs libéralités

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