Page images
PDF
EPUB

textuelle desdits crimes et attentats portée dans le Code pénal existant lors du jugement.

Art. 3. Sont justiciables de la Chambre des pairs, pour les susdits crimes et attentats, et ne peuvent être jugés ailleurs, pour raison d'iceux, les prévenus revêtus de l'une des dignités ou remplissant une des fonctions suivantes, savoir : Princes du sang,

Pairs de France, etc.

Sans doute, Messieurs, cette rédaction, toute modifiée qu'elle est, renvoie encore pour le moment au Code que je voudrais écarter, puisque c'est encore le seul Code existant. Mais autre chose est certainement de le comprendre en général dans une de ces clauses législatives, qui indiquent l'état transitoire de l'autorité du jour par cela même qu'elles règlent les futurs contingents par l'autorité des temps à venir, secundum autoritatem pro tempore existentem; autre chose est de poser pour règle, nominativement et exclusivement, le Code penal, qui est aujourd'hui d'inquiéter les esprits par l'idée de sa perpétuité; d'énumérer ses articles comine étant tous obligatoires, ses définitions comme étant toutes justes, ses rigueurs comme étant toutes légitimes."

Je n'ai pas le moindre doute que, dans tous les cas, ce Code ne soit réformé et purgé avant que nous avons un second procès à instruire. L'article que je viens de vous proposer pour le projet de loi que vous voulez soumettre Sa Majesté, n'en pourra pas moins rester tel qu'il est, puisque tout nouveau code sera toujours le Code existant. Mais le lendemain de cette réforme il faudrait changer la rédaction de vos commissaires. Les titres, les nombres du nouveau code ne se rapporteront pas avec ceux de l'ancien. Il ne sera plus question de dire Depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104. Pourquoi écrire aujourd'hui une ligne qu'il faudra effacer demain?

En voilà assez, Messieurs, sur ce premier objet; et je craindrais d'avoir abusé de votre patience, si, dans ce qui touche à un sujet si délicat et si sacré, il n'était rien qui n'attirât toute la religion de vos consciences et tout l'intérêt de votre humanité.

Je vous ai annoncé un second point sur lequel j'ai encore regretté d'avoir une opinion différente de celle de votre commission; c'est sur l'article 2 de son projet.

A la suite de l'article 1er, qui détermine la compétence de la Chambre des pairs par la nature des crimes et la qualité des personnes qui en sont prévenues, l'article 2 de votre commission porte: Cependant l'attentat ou complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine, ou de l'heritier présomptif de la couronne, est toujours de la compétence de la Chambre, QUELLE QUE SOIT LA QUALITÉ DES PRÉVENUS.

Ici, Messieurs, je n'aurai plus de conclusions subsidiaires à vous présenter. C'est, je l'avoue, un principe contraire à celui de votre commission que je me crois obligé non pas seulement de vous soumettre, mais de vous recommander. A la suite des deux articles amendés que j'ai eu l'honneur de vous lire, immédiatement après la nomenclature des personnes que votre commission a jugées devoir être justiciables de la Chambre, mon avis est de poser l'article 4 comme il suit:

Art. 4. Aucune personne que celles ci-dessus dénommées ne peut étre, pour raison des susdits crimes et attentats, traduite devant la Chambre des pairs, et distraite de ses juges naturels, à moins toutefois qu'elle ne soit impliquée comme

T. XVI.

complice d'un accusé justiciable de la Chambre ; auquel cas, les poursuites contre l'accusé principal peuvent attirer à elles la poursuite contre l'accusé inférieur; ce qui est laissé à la discrétion et au jugement de la Chambre.

Je ne vous dirai pas, Messieurs, que, pour la dignité, la solennité et l'efficacité de vos jugements, ils ne peuvent être trop rares, motif qui doit cependant avoir son poids.

J'irai droit au grand principe, et vous me permettrez de vous observer que la mesure du respect que nous pourrons exiger pour nos priviléges sera le respect que nous conserverons nous-mêmes pour les priviléges de tous nos concitoyens. Etre tous égaux devant la loi, être jugée par ses pairs, ne pouvoir étre distrait de ses juges naturels (1), voilà les priviléges de tous les Français. L'esprit des temps les réclamait; la Charte les a vousus. Ce sont les principes établis; on ne peut plus les en freindre.

Ne nous le dissimulons pas, il est aussi précieux pour un membre de la commune d'être jugé par ses pairs, qu'il peut l'être pour nous d'être jugés par les nôtres.

Traduit devant cette Chambre, un accusé perd plusieurs moyens de défense que la loi lui assurait ailleurs; il perd des juges d'instruction absolument distincts des magistrats et du jury de jugement; il perd la révision de la chambre du conseil pour sa mise en accusation; il perd le recours en cassation après son jugement. Celui qui a l'honneur de trouver en vous ses juges naturels a une compensation à ces moyens de défense dans les rapports de sympathie qu'établissent entre vous et lui une élévation commune, un commerce habituel, une confraternité toujours disposée à l'indulgence, une dignité qu'on respecte dans les autres en raison même de ce qu'on la respecte en soi, enfin tous les genres d'affinités, de sang, de caractère et de mœurs. Cette compensation manquera au simple citoyen accusé devant vous.

Le rapporteur de la commission vous a dit, et avec raison: Le juge naturel et compétent est celui que son existence sociale rapproche de l'accusé, et à qui elle donne la mesure exacte de la moralité de l'action et de l'intention qu'il s'agit de juger. En suivant cette définition, vous voyez déja quels sont vos justiciables. Cela est vrai, Messieurs; mais, en suivant cette définition, vous voyez aussi quels ne sont pas vos justiciables.

On a dit qu'un pair accusé en imposerait trop par son importance à un jury de la commune. La commune ne répondra-t-elle pas qu'un accusé qui lui appartient n'en imposerait pas assez à une Chambre de pairs tout à la fois juges et jury?

On a dit qu'un pair, accusé devant un tribunal et un jury de la commune, aurait à redouter une secrète et jalouse envie. La commune ne répondrat-elle pas que ses membres, distraits de leurs juges naturels, croiront avoir à craindre une légère et orgueilleuse insouciance?

Je cherche en vain comment l'Etat pourrait être intéressé à ce que le crime de lèse-majesté au premier chef ne fût jamais jugé que par la Chambre des pairs.

Est-ce que le président d'une cour d'assises, d'une cour royale, n'est pas un grand magistrat, un savant personnage, dans la route de cette magistrature suprême qui conduit à la présidence de cette Chambre? Pourquoi ne saurait-il pas, dans une cour de justice comme dans l'autre, ap

(1) Article 62.

14

peler, découvrir, faire briller la vérité tout entière aux yeux du jury et de la nation?

Le procureur général qui exercera le ministère public dans la cour des pairs est celui qui l'exerce dans la cour royale. Pourquoi aura-t-il moins de facultés dans une place que dans l'autre ?

En deux mots, Messieurs, le rapporteur de votre commission vous a exposé avec une justesse et une précision parfaites combien la Chambre des pairs de France et celle d'Angleterre différaient entre elles, considérées comme cours de justice.

Je crois qu'on peut établir en principe qu'il y a aujourd'hui en France une justice royale et nationale à la fois : ce sont les cours royales et le jury; une justice royale et suprême, mais d'exception, c'est la Chambre des pairs' quand elle est cour de justice.

Attirer à vous le jugement de tous les coupables du crime de lèse-majesté au premier chef, quelle que soit leur qualité, c'est tout à la fois rabaisser votre dignité et dégrader les cours royales.

C'est vous rabaisser, car vous établissez qu'il est une gravité de personnes qui n'est pas nécessaire pour qu'on soit votre justiciable.

C'est dégrader les cours royales, car c'est leur dire qu'il est une gravité de délits telle qu'il ne leur appartient plus d'en connaître.

Ceux des régicides de Charles Ier, exceptés de l'amnistie royale par le parlement, furent jugés par la cour du Banc du Roi et par un jury spécial. Ce fut au milieu du peuple que le Père du peuple fut vengé par la justice du Roi et du peuple. Ce fut dans ce concours, dans l'effusion de la douleur générale si longtemps comprimée, que le juge Mallet fit tout à coup cette belle comparaison de la nation anglaise avec ce fils dont l'histoire a conservé le souvenir, qui, devenu muet de saisissement en voyant assassiner son père, recouvra la parole vingt ans après par une autre révolution de la nature, et cria aux juges qui le confrontaient avec des accusés traduits devant lour tribunal Voilà ceux qui ont tue mon père!

En 1715 et en 1715, lorsque les derniers efforts de la maison de Stuart eurent échoué en Angleterre, lorsque le gouvernement qui triomphait livra aux tribunaux les vaincus devenus des criminels, c'était la mème rébellion, la même conspiration; il n'y avait pas seulement connexité, il y avait identité: les accusés furent distribués, en raison de la qualité des personnes, entre les différents juges auxquels ils appartenaient. Les lords Derenwater, Kilmarnock, Lovat, Balmerino, furent jugés par la Chambre des pairs, les officiers par des cours martiales, les accusés de la Commune par le jury et les cours ordinaires.

Même en France, dans les temps anciens, l'adage était Chaque accusé son procès.

Je crois donc avoir poussé l'exception aussi loin qu'on peut la porter, en proposant, dans le projet d'article que je viens de vous soumettre, qu'en cas de complicité reconnue, le jugement d'un prévenu, votre justiciable, amenat devant vous l'accusé, qui, sans cette complicité, n'appartiendrait pas à votre compétence.

Je me résume, Messieurs.

Avant tout, convient-il à la Chambre d'ordonner à sa commission de conférer avec le ministre de la justice sur la loi et les définitions promises par l'article 33 de la Charte, ainsi que sur les supplications qui pourraient être adressées à Sa Majesté sur ce sujet? Telle est ma première proposition.

Subsidiairement je propose d'amender l'article 3

deux articles, tels que j'en laisse la rédaction sur le bureau.

J'y dépose également l'article que j'ai proposé de substituer à l'article 2 de la commission. J'adhère aux autres articles.

Série des articles, avec le texte et dans l'ordre des amendements proposés par le comte de LALLYTOLLENDAL.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

Art. 2. Les crimes et attentats dont la Chambre des pairs connait, en vertu de l'article 33 de la Charte constitutionnelle, sont les crimes de haute trahison où de lèse-majesté au premier chef, c'est-à-dire les attentats, complots, machinations, soit contre la vie et la personne sacrée du Roi, de la Reine et de l'héritier présomptif de la couronne, soit contre l'autorité royale ou l'ordre légitime de la successibilité au trône, soit contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, selon la définition textuelle desdits crimes et attentats, portée dans le Code penalexistant lors du jugement.

Art. 3. Sont justiciables de la Chambre des pairs, pour les susdits crimes et attentats, et ne peuvent être jugés ailleurs pour raison d'iceux, les prévenus revêtus de l'une des dignités ou remplissant une des fonctions suivantes, Savoir :

Princes du sang, Pairs de France, Maréchaux de France, etc. Art. 4. Aucune autre personne que celles ci-dessus dénominées ne peut être, pour raison des susdits crimes et attentats, traduite devant la Chambre des pairs et distraite de ses juges naturels, à moins toutefois qu'elle ne soit impliquée comme complice d'un accusé justiciable de la Chambre; auquel cas, les poursuites contre l'accusé principal peuvent attirer à elles la poursuite contre l'accusé inférieur; ce qui est laissé à la discrétion et au jugement de la Chambre.

Art. 5. Conformément à

Leur correspondance avecles articles proposés par la commission.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

(L'article 2 de la commission est placé ci-après, en face de celui qu'on lui oppose dans le projet d'amendement.)

Art. 2. Les crimes de la compétence de la Chambre des pairs, auxquels se rapporte l'article 33 de la Charte sont ceux...

mentionnés au Code penal depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104 inclusivement.

lorsque le prévenu ou l'un
des prévenus est revêtu de
l'une des dignités ou rem-
plit les fonctions suivantes,
Savoir:

Princes du sang,
Pairs de France,

Maréchaux de France, etc. Art. 3. Cependant l'attentat au complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine ou de l'héritier présomptif de la couronne est toujours de la compétence de la Chambre, quelle que soit la qualité des prévenus.

Art. 4. Toutefois, et con

[blocks in formation]

Ici les deux projets se sont rejoints, sauf les résultats de la discussion.

On demande et l'Assemblée ordonne l'impression de l'opinion de M. le comte de Lally-Tollendal. M. de Serres, comte de Saint-Roman (1)

Le monarque se souviendrait qu'avant tout il est le protecteur de son empire. Il ferait arrêter le conspirateur, et on le transporterait dans une prison d'Etat, jusqu'à ce que les faits fussent éclaircis et le danger passé. Il le ferait, je n'en doute pas; car son devoir le lui ordonnerait impérieusement. Cette manière de voir, quelle que soit la force des préventions, tranchons le mot, des préjugés modernes, est, à mes yeux, je ne crains pas de le dire, au-dessus de toutes les atteintes. Je mettrai de la constance à la défendre; et, puisque des adversaires semblent me montrer le chemin, je ne leur laisserai pas le

Messieurs, tout en rendant justice au travail (u-champ libre; je les suivrai partout; ils ne seront

mineux de la commission, je ne le crois pas exempt d'un défaut dans lequel tombent la plupart des législateurs c'est d'envisager leur sujet d'une manière absolue, et de ne laisser aucune latitude pour les exceptions.

Personne plus que moi ne redoute les mesures arbitraires, et je crois cependant fermement qu'il est des circonstances où l'on ne peut s'en passer. Je vais plus loin; je regarde comme radicalement mauvaise toute loi, en matière de crimes d'Etat, qui se tait sur ces circonstances, parce que la conséquence qu'on tire de ce silence est que la loi est absolue. Mais, comme la nature est plus forte qu'elle, il arrive quelquefois que le souverain se voit obligé de pourvoir au salut de l'Etat par des mesures dont elle ne parle pas, ou qui lui sont contraires. Alors on ne voit plus qu'une violence dans ce qui n'est qu'une nécessité, et de fatales secousses viennent menacer l'existence même de la société.

Les crimes d'Etat sont-ils de ceux qui peuvent toujours se juger d'après les formes ordinaires? Des systèmes exagérés dans le bien voudraient l'établir; mais la raison le nie de la manière la plus formelle.

Mille exemples viendraient à l'appui de mon assertion; mais je ne veux en citer qu'un seul. Je suppose qu'un conspirateur, traître envers son prince, ait pratiqué des intelligence avec une puissance étrangère; faudra-t-il que l'article 19 du projet de la commission sur la publicité des débats ne puisse souffrir aucune exception? Serons-nous forcés de penser que des complices peuvent, à notre insu, venir dans nos séances recueillir d'importants renseignements, ou verrons-nous, sans pouvoir l'éviter, l'ambassadeur de cette puissance quitter notre enceinte pour aller expédier ses courriers, dérober les fils d'une conspiration qui travaille peut-être de toutes ses forces à la perte de la patrie?

Il y a mieux; la simple raison, qui quelquefois vaut mieux que d'orgueilleuses lumières, eût peut-être persuadé nos ancêtres de la difficulté que des secrets fussent inviolablement gardés par une assemblée de deux cents personnes; et certains crimes d'Etat sont de nature à exiger la plus grande discrétion alors non-seulement ils n'eussent pas souffert de débats publics, mais j'ignore jusqu'à quel point ils eussent insisté pour que la totalité de la Chambre, dans toutes circonstances, sans exception, et dût l'Etat périr tout entier, fùt appelée au jugement de ces crimes.

Je sais bien cependant ce qui arriverait dans cette extrémité où le cours ordinaire de la justice présenterait un danger imminent pour la sûreté du royaume.

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur.

les seuls à diriger l'opinion; et j'aime à leur annoncer que j'accepte le défi, et que le combat de doctrine est déjà publiquement engagé.

Toutefois, Messieurs, je le répète, ce serait avec douleur que je me verrais transporté dans un ordre de choses où il pourrait souvent arriver qu'un citoyen fût détenu contre le vœu des lois, et qu'on reprochât au gouvernement une sorte de déni de justice, tandis que ce serait la législation seule qu'il faudrait en accuser. C'est pourquoi je n'approuverais pas entièrement un texte de loi aussi absolu que celui qu'on vous présente. Je voudrais que, si la nécessité l'exigeait, des modifications fussent possibles, et que notre compétence ne fût pas si irrévocablement déterminée, que, dans des circonstances urgentes et extraordinaires, la sasagesse du monarque ne pût y apporter quelque changement momentané; et je désirerais également que, sur l'accord de ses volontés et de nos délibérations, nos formes intérieures cessassent, dans les mêmes occurrences, d'être sur tous les points et à jamais invariables.

:

Mon avis avait été primitivement de nous contenter d'un règlement sur nos formes de procéder, en laissant la question de compétence à la décision du Roi je me disais à moi-même que, quelque respect que l'on eût en Angleterre pour les antécédences et pour les traditions, on devait être bien persuadé que la Chambre des pairs de ce pays ne se ferait pas de scrupule de modifier ses usages dans des procès qui présenteraient des dangers d'un genre nouveau et inconnu. Ces dangers me paraissaient beaucoup plus redoutables, et pouvant être beaucoup plus fréquents dans un pays continental que dans un pays insulaire; et je pensais qu'un simple règlement nous laissait aussi la faculté d'aviser, de modifier, lorsqu'il y aurait un besoin indispensable de le faire, et était de beaucoup préférable à une loi qui, par son caractère, ne comportait aucune altération, tant que les trois différentes branches de la législature ne se seraient pas accordées pour y apporter des changements.

Mais quelques points de doctrine récemment agités parmi nous, et qui sembleraient tendre à accroître singulièrement le pouvoir des Chambres; ces rapprochements de l'Angleterre, où l'on dit la toute-puissance du parlement, et de la France, où nous avons entendu prononcer les mots de toute-puissance du Roi uni aur Chambres, m'ont rappelé ce que se sont montrées, depuis bientôt trente ans, les Assemblées dans notre malheureuse patrie, et m'ont fait envisager que ce pourrait être un règlement modifiable au gré des passions qui les tourmentent, des résistances qu'elles aiment à déployer et des envahissements auxquels trop souvent elles s'abandonnent.

Je suis donc revenu à sentir la nécessité d'une loi qui prouvera hautement notre prudence et notre loyauté, puisque nous nous y donnerons à

peler, découvrir, faire briller la vérité tout entière aux yeux du jury et de la nation?

Le procureur général qui exercera le ministère public dans la cour des pairs est celui qui l'exerce dans la cour royale. Pourquoi aura-t-il moins de facultés dans une place que dans l'autre ?

En deux mots, Messieurs, le rapporteur de votre commission vous a exposé avec une justesse et une précision parfaites combien la Chambre des pairs de France et celle d'Angleterre différaient entre elles, considérées comme cours de justice.

Je crois qu'on peut établir en principe qu'il y a aujourd'hui en France une justice royale et nationale à la fois : ce sont les cours royales et le jury; une justice royale et suprême, mais d'exception, c'est la Chambre des pairs quand elle est cour de justice.

Attirer à vous le jugement de tous les coupables du crime de lèse-majesté au premier chef, quelle que soit leur qualité, c'est tout à la fois rabaisser votre dignité et dégrader les cours royales.

C'est vous rabaisser, car vous établissez qu'il est une gravité de personnes qui n'est pas nécessaire pour qu'on soit votre justiciable.

C'est dégrader les cours royales, car c'est leur dire qu'il est une gravité de délits telle qu'il ne leur appartient plus d'en connaître.

Ceux des régicides de Charles ler, exceptés de l'amnistie royale par le parlement, furent jugés par la cour du Banc du Roi et par un jury spécial. Ce fut au milieu du peuple que le Père du peuple fut vengé par la justice du Roi et du peuple. Ce fut dans ce concours, dans l'effusion de la douleur générale si longtemps comprimée, que le juge Mallet fit tout à coup cette belle comparaison de la nation anglaise avec ce fils dont l'histoire a conservé le souvenir, qui, devenu muet de saisissement en voyant assassiner son père, recouvra la parole vingt ans après par une autre révolution de la nature, et cria aux juges qui le confrontaient avec des accusés traduits devant leur tribunal: Voilà ceux qui ont tué mon père!

En 1715 et en 1715, lorsque les derniers efforts de la maison de Stuart eurent échoué en Angleterre, lorsque le gouvernement qui triomphait livra aux tribunaux les vaincus devenus des criminels, c'était la mème rébellion, la même conspiration; il n'y avait pas seulement connexité, il y avait identité: les accusés furent distribués, en raison de la qualité des personnes, entre les différents juges auxquels ils appartenaient. Les lords Derenwater, Kilmarnock, Lovat, Balmerino, furent jugés par la Chambre des pairs, les officiers par des cours martiales, les accusés de la Commune par le jury et les cours ordinaires.

Même en France, dans les temps anciens, l'adage était Chaque accusé son procès.

Je crois donc avoir poussé l'exception aussi loin qu'on peut la porter, en proposant, dans le projet d'article que je viens de vous soumettre, qu'en cas de complicité reconnue, le jugement d'un prévenu, votre justiciable, amenat devant vous l'accusé, qui, sans cette complicité, n'appartiendrait pas à votre compétence.

Je me résume, Messieurs.

Avant tout, convient-il à la Chambre d'ordonner à sa commission de conférer avec le ministre de la justice sur la loi et les définitions promises par l'article 33 de la Charte, ainsi que sur les supplications qui pourraient être adressées à Sa Majesté sur ce sujet? Telle est ma première proposition.

Subsidiairement je propose d'amender l'article 3

deux articles, tels que j'en laisse la rédaction sur le bureau.

J'y dépose également l'article que j'ai proposé de substituer à l'article 2 de la commission. J'adhère aux autres articles.

Série des articles, avec le texte et dans l'ordre des amendements proposés

par le comte de LALLYTOLLENDAL.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

Art. 2. Les crimes et attentats dont la Chambre des pairs connait, en vertu de l'article 33 de la Charte constitutionnelle, sont les crimes de haute trahison où de lèse-majesté au premier chef, c'est-à-dire les attentats, complots, machinations, soit contre la vie et la personne sacrée du Roi, de la Reine et de l'héritier présomptif de la couronne, soit contre l'autorité royale ou l'ordre légitime de la successibilité au trône, soit contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, selon la définition textuelle desdits crimes et attentats, portée dans le Code penalexistant lors du jugement.

Art. 3. Sont justiciables de la Chambre des pairs, pour les susdits crimes et attentats, et ne peuvent être jugés ailleurs pour raison d'iceux, les prévenus revètus de l'une des dignités ou remplissant une des fonctions suivantes, Savoir :

Princes du sang, Pairs de France, Maréchaux de France, etc. Art. 4. Aucune autre personne que celles ci-dessus dénommées ne pent être, pour raison des susdits crimes et attentats, traduite devant la Chambre des pairs et distraite de ses juges naturels, à moins toutefois qu'elle ne soit impliquée comme complice d'un accusé justiciable de la Chambre; auquel cas, les poursuites contre l'accusé principal peuvent attirer à elles la poursuite contre l'accusé inférieur; ce qui est laissé à la discrétion et au jugement de la Chambre.

Art. 5. Conformément à

Leur correspondance avecles articles proposés par la commission.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

(L'article 2 de la commission est placé ci-après, en face de celui qu'on lui oppose dans le projet d'amendement.)

Art. 2. Les crimes de la compétence de la Chambre des pairs, auxquels se rapporte l'article 33 de la Charte sont ceux...

mentionnés au Code penal depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104 inclusivement.

lorsque le prévenu ou l'un des prévenus est revêtu de l'une des dignités ou remplit les fonctions suivantes, Savoir :

Princes du sang, Pairs de France, Maréchaux de France, etc. Art. 3. Cependant l'attentat au complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine ou de l'héritier présomptif de la couronne est toujours de la compétence de la Chambre, quelle que soit la qualité des prévenus.

Art. 4. Toutefois, et con

[blocks in formation]

Ici les deux projets se sont rejoints, sauf les résultats de la discussion.

On demande et l'Assemblée ordonne l'impression de l'opinion de M. le comte de Lally-Tollendal.

M. de Serres, comte de Saint-Roman (1). Messieurs, tout en rendant justice au travail lumineux de la commission, je ne le crois pas exempt d'un défaut dans lequel tombent la plupart des législateurs c'est d'envisager leur sujet d'une manière absolue, et de ne laisser aucune latitude pour les exceptions.

Personne plus que moi ne redoute les mesures arbitraires, et je crois cependant fermement qu'il est des circonstances où l'on ne peut s'en passer. Je vais plus loin; je regarde comme radicalement mauvaise toute loi, en matière de crimes d'Etat, qui se tait sur ces circonstances, parce que la conséquence qu'on tire de ce silence est que la loi est absolue. Mais, comme la nature est plus forte qu'elle, il arrivé quelquefois que le souverain se voit obligé de pourvoir au salut de l'Etat par des mesures dont elle ne parle pas, ou qui lui sont contraires. Alors on ne voit plus qu'une violence dans ce qui n'est qu'une nécessité, et de fatales secousses viennent menacer l'existence même de la société.

Les crimes d'Etat sont-ils de ceux qui peuvent toujours se juger d'après les formes ordinaires? Des systèmes exagérés dans le bien voudraient l'établir; mais la raison le nie de la manière la plus formelle.

Mille exemples viendraient à l'appui de mon assertion; mais je ne veux en citer qu'un seul. Je suppose qu'un conspirateur, traître envers son prince, ait pratiqué des intelligence avec une puissance étrangère; faudra-t-il que l'article 19 du projet de la commission sur la publicité des débats ne puisse souffrir aucune exception? Serons-nous forcés de penser que des complices peuvent, à notre insu, venir dans nos séances recueillir d'importants renseignements, ou verrons-nous, sans pouvoir l'éviter, l'ambassadeur de cette puissance quitter notre enceinte pour aller expédier ses courriers, dérober les fils d'une conspiration qui travaille peut-être de toutes ses forces à la perte de la patrie?

Il y a mieux; la simple raison, qui quelquefois vaut mieux que d'orgueilleuses lumières, eût peut-être persuadé nos ancêtres de la difficulté que des secrets fussent inviolablement gardés par une assemblée de deux cents personnes; et certains crimes d'Etat sont de nature à exiger la plus grande discrétion alors non-seulement ils n'eussent pas souffert de débats publics, mais j'ignore jusqu'à quel point ils eussent insisté pour que la totalité de la Chambre, dans toutes circonstances, sans exception, et dût l'Etat périr tout entier, fùt appelée au jugement de ces crimes.

Je sais bien cependant ce qui arriverait dans cette extrémité où le cours ordinaire de la justice présenterait un danger imminent pour la sûreté du royaume.

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur.

Le monarque se souviendrait qu'avant tout il est le protecteur de son empire. Il ferait arrêter le conspirateur, et on le transporterait dans une prison d'Etat, jusqu'à ce que les faits fussent éclaircis et le danger passé. Il le ferait, je n'en doute pas; car son devoir le lui ordonnerait impérieusement. Cette manière de voir, quelle que soit la force des préventions, tranchons le mot, des préjugés modernes, est, à mes yeux, je ne crains pas de le dire, au-dessus de toutes les atteintes. Je mettrai de la constance à la défendre; et, puisque des adversaires semblent me montrer le chemin, je ne leur laisserai pas le champ libre; je les suivrai partout; ils ne seront pas les seuls à diriger l'opinion; et j'aime à leur annoncer que j'accepte le défi, et que le combat de doctrine est déjà publiquement engagé.

Toutefois, Messieurs, je le répète, ce serait avec douleur que je me verrais transporté dans un ordre de choses où il pourrait souvent arriver qu'un citoyen fût détenu contre le vœu des lois, et qu'on reprochât au gouvernement une sorte de déni de justice, tandis que ce serait la législation seule qu'il faudrait en accuser. C'est pourquoi je n'approuverais pas entièrement un texte de loi aussi absolu que celui qu'on vous présente. Je voudrais que, si la nécessité l'exigeait, des modifications fussent possibles, et que notre compétence ne fût pas si irrévocablement déterminée, que, dans des circonstances urgentes et extraordinaires, la sasagesse du monarque ne pût y apporter quelque changement momentané; et je désirerais également que, sur l'accord de ses volontés et de nos délibérations, nos formes intérieures cessassent, dans les mêmes occurrences, d'être sur tous les points et à jamais invariables.

Mon avis avait été primitivement de nous contenter d'un règlement sur nos formes de procéder, en laissant la question de compétence à la décision du Roi je me disais à moi-même que, quelque respect que l'on eût en Angleterre pour les antécédences et pour les traditions, on devait être bien persuadé que la Chambre des pairs de ce pays ne se ferait pas de scrupule de modifier ses usages dans des procès qui présenteraient des dangers d'un genre nouveau et inconnu. Ces dangers me paraissaient beaucoup plus redoutables, et pouvant être beaucoup plus fréquents dans un pays continental que dans un pays insulaire; et je pensais qu'un simple règlement nous laissait aussi la faculté d'aviser, de modifier, lorsqu'il y aurait un besoin indispensable de le faire, et était de beaucoup préférable à une loi qui, par son caractère, ne comportait aucune altération, tant que les trois différentes branches de la législature ne se seraient pas accordées pour y apporter des changements.

Mais quelques points de doctrine récemment agités parmi nous, et qui sembleraient tendre à accroître singulièrement le pouvoir des Chambres; ces rapprochements de l'Angleterre, où l'on dit la toute-puissance du parlement, et de la France, où nous avons entendu prononcer les mots de toute-puissance du Roi uni aux Chambres, m'ont rappelé ce que se sont montrées, depuis bientôt trente ans, les Assemblées dans notre malheureuse patrie, et m'ont fait envisager que ce pourrait être un règlement modifiable au gré des passions qui les tourmentent, des résistances qu'elles aiment à déployer et des envahissements auxquels trop souvent elles s'abandonnent.

Je suis donc revenu à sentir la nécessité d'une loi qui prouvera hautement notre prudence et notre loyauté, puisque nous nous y donnerons à

« PreviousContinue »