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s'en emparer, qu'il me soit permis de vous soumettre quelques réflexions sur leur peu de fondement.

Que veut-on dire, lorsqu'on suppose qu'il y a dans l'esprit d'un grand nombre de députés de cette Chambre une tendance vers la démocratie? Si je me trompe, la démocratie est le gouvernement de la multitude, faisant ses lois, ou nommant ses magistrats au gré de ses caprices, de sa volonté absolue, et souvent même par un respect bizarre pour l'égalité des droits, par la voie du sort. La démocratie n'admet d'autre souverain que le peuple même, d'autorité que celle qu'il délégue. Quelle proposition est sortie de cette Chambre qui ait eu tendance, même la plus indirecte, à donner au peuple quelques droits aux dépens de la prérogative royale? Une accusation, si extraordinaire dans la bouche de ceux qui, naguère, nous appelaient ultra-royalistes, ne serait-elle pas du nombre de celles qu'invente l'esprit de parti, pour signifier contre ses adversaires tout, sauf ce que signifie réellement le mot employé ?

On nous fait un grief de soutenir la nécessité de l'indépendance pour les assemblées qui nomment les députés, et surtout pour les députés eux-mêmes. Si par ce mot on entend le sentiment qui porte un honnête homme à ne choisir, à ne voter que suivant sa conscience, et non suivant les désirs ou les intérêts de tel individu, de telle coterie, je m'avoue coupable, et je crois partager ce tort avec tous les vrais amis du Roi et de la patrie. Mais si l'on a voulu dire que la Chambre tendait à s'emparer de tous les pouvoirs, à se mettre au-dessus de toutes les règles,. une telle accusation est démentie par la nature même de ses attributions, et par la manière dont elle en use.

Aucun des actes de cette Chambre, même quand ses délibérations sont provoquées par Sa Majesté; il ne commande l'obéissance, n'est et ne peut être obligatoire qu'après l'assentiment des pairs et la sanction royale. Si quelquefois elle agit de son propre mouvement, ce n'est point avec la prétention de se dire ou de se faire organe de l'opinion publique, mais pour répondre à la confiance du souverain, qui l'y autorise par l'article 19 de la Charte, et, à l'exemple de nos anciens Etats généraux, rédiger des doléances respectueuses, d'humbles adresses, qui n'arrivent même aux pieds du trône qu'autant que la Chambre des pairs y

consent.

Ah! qu'on soit de bonne foi! Si cette trop fameuse Assemblée, qui s'arrogea le nom de constituante, avait aussì fidèlement observé la forme des délibérations, et la mesure d'action qui lui avaient été prescrites; si, le 23 juin 1789, elle eût obéi à la volonté de son Roi, au lieu de prêter le serment sacrilége du Jeu de Paume, que de malheurs et de crimes eût évités notre malheureuse patrie!

Je croirais vous faire injure, Messieurs, si, après avoir rappelé que les formes et les conditions de notre existence ne peuvent en quoi que ce soit nous faire acquérir cette indépendance démocratique dont on nous accuse, j'essayais de prouver que vos sentiments personnels sont encore, pour le monarque et pour les prérogatives de la couronne, une garantie au moins aussi solide. D'ailleurs, qu'ajouterais-je à ce que vous a dit, avec une si noble franchise, l'honorable collègue qui m'a précédé à cette tribune? Non, Messieurs, vous n'avez rien à apprendre en fait d'amour pour le Roi, de fidélité pour la monar

peut-être un jour servirez-vous de modèles? Ces sentiments ne vous abandonneront point dans la discussion de l'importante loi des élections.

L'article 35 de la Charte porte: « qu'une loi «< déterminera la composition des corps électo«raux chargés de former la Chambre des dépu«tés. » L'ordonnance du 13 juillet dernier a réitéré cette promesse. C'est pour l'acquitter que Sa Majesté a provoqué la discussion qui vous occupe aujourd'hui.

Le projet présenté par les ministres, celui de votre commission, offrent à la fois des règles sur la composition et le renouvellement de la Chambre des députés, et sur l'organisation du pouvoir électoral.

Il me semble que, dans l'ordre naturel des idées, on doit savoir comment sera composé le corps qu'il s'agit d'élire, avant d'examiner de quelle manière l'élection sera faite je commencerai donc par m'expliquer sur le premier objet.

La Charte offrait tout ce qui pouvait concerner la composition et le renouvellement de la Chambre; mais, par son ordonnance, Sa Majesté a décidé que la révision de tous ces articles aurait lieu dans la présente session.

Ici se présente une question en quelque sorte préjudicielle. Quel a été le caractère de cette ordonnance? N'y doit-on voir qu'une simple promesse éventuelle et subordonnée au cas où Sa Majesté jugerait à propos de ne pas changer de volonté ?

Expliquer ainsi l'ordonnance du 13 juillet, est, selon moi, en contrarier le sens littéral, et diminuer la confiance due aux actes de l'autorité souveraine.

Si, dans la pensée de Sa Majesté, cette expression, tels et tels article seront soumis à la révision, avait sous-entendu ces autres mots, si Sa Majesté le veut, l'ordonnance, j'ose le dire, eût été dérisoire. Que signifie, en effet, l'annonce faite par une personne que telle ou telle chose aura lieu si elle le veut? Ne serait-ce pas ce que les jurisconsultes appellent une promesse purement potestative de la part de celui qui s'oblige, promesse dont toutes les lois déclarent et prononcent la nullité?

J'ai entendu, avec autant de surprise que de douleur, ajouter dans la séance d'hier, que l'ordonnance du 13 juillet, rendue presque à l'instant de l'entrée du Roi à Paris, lui avait été en quelque sorte arrachée.

Je sais, Messieurs, que, pendant le trop long intervalle qui s'est écoulé depuis la seconde abdication de l'usurpateur jusqu'au 8 juillet, de criminelles intrigues arrêtèrent le zèle des habitants, et surtout de la fidèle garde nationale de Paris; mais que Sa Majesté ait été forcée à des concessions pour que la capitale le reçût et l'entourât de son amour, c'est ce que les faits et des milliers de témoins oculaires peuvent hautement démentir.

On raisonnait bien autrement lorsque, dans la célèbre discussion sur l'amnistie, on invoquait l'ordonnance du 24 juillet, et le droit qu'avait eu Sa Majesté de la rendre. Aussi personne ne contestait ce droit; le sens de l'ordonnance était sculement controversé. Pourquoi? c'est que, le 24 juillet, comme le 13, en un mot depuis le 20 mars 1815 jusqu'au 7 octobre suivant, jour de notre installation, Sa Majesté se trouvait investie des mêmes droits extraordinaires illimités qu'elle avait eus le 4 juin 1814, quand elle donna la Charte; la force des circonstances ne permettant plus qu'elle partageât le pouvoir législatif avec les Chambres qu'une affreuse tempête avait dispersées, ce

remonté vers sa source, et réuni dans la personne du souverain.

Mais pour achever, par un dernier mot, de répondre à l'objection, si l'on peut supposer (ce n'est qu'à regret que je me prête à cette idée) que l'ordonnance du 13 juillet ait été arrachée à Sa Majesté par le ministère d'alors, pourquoi, dans le discours émané du trône le 7 octobre, quand le ministère était changé, cette ordonnance estelle présentée comme un nouveau bienfait du Roi envers son peuple?

Il est donc vrai que l'ordonnance du 13 juillet a réellement décidé que seize articles de la Charte seraient revisés. S'ensuit-il qu'on doive les corriger tous?

Ici, Messieurs, je dois, avec tout Français, me reporter aux paroles mémorables de Sa Majesté : Auprès de l'avantage d'améliorer est le danger

d'innover!

Ils n'ont pas été perdus, ces avis qu'un père sage et prévoyant adressait à ses enfants pour la première fois librement réunis autour de son trône. Parmi les nombreuses propositions que le désir ou le besoin d'amélioration dans nos lois fait éclore cette année, il n'en a pas été fait une seule sur cet objet. Il semblait à chacun que le Roi, en ordonnant de suite l'exécution des changements les plus utiles, avait amélioré; que tout ce qui n'en serait pas la conséquence deviendrait une innovation.

Les changements, dont l'ordonnance du 13 juillet a produit l'exécution anticipée, concernent l'âge, le nombre, l'époque du renouvellement des députés.

Je n'aurai point l'imprudence de redire tout ce que vous avez entendu sur ces questions.

Doit-on désirer que les députés soient âgés de quarante ans? J'avouerai qu'il y a tout autant de raisons et d'exemples pour un sentiment que pour l'autre. Dans toutes les Assemblées dites nationales qui se sont succédées depuis 1789, on a vu l'âge mûr, la vieillesse même disputer de démence et de crimes à la jeunesse. La jeunesse, à son tour, a montré souvent cette maturité de jugement, cette fermeté de principes qui devraient être l'attribut particulier de l'âge avancé.

Si néanmoins la question était tout entière, je voterais pour qu'on ne puisse être député qu'à l'age de quarante ans. Mais l'autorité qui a fait la Charte où se trouve cette règle, est aussi celle qui a voulu que les députés pussent être choisis à un age moins avancé; j'obéis.

Je n'en conclurai pas cependant que l'âge de vingt-cinq ans doive suffire. Il est une foule de circonstances dans lesquelles l'esprit du législateur doit être préféré au sens de la loi qu'il a proclamée.

des députés dont la Chambre sera composée. Le Roi a accordé cette augmentation au peuple, le peuple l'a acceptée par son adhésion. Un contrat (qu'on veuille bien me pardonner ce mot auquel je n'attache aucun sens démocratique), un contrat si récemment formé, dont l'exécution n'a eu lieu qu'une seule fois, et qui n'a produit que d'heureux effets, peut-il être si promptement rescindé!

En est-il de même du mode de renouvellement de la Chambre? Divers orateurs, en développant leurs brillantes théories, ont élevé plusieurs questions sur ce point.

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«Que peut perdre, que peut gagner le ministère, à tel mode plutôt qu'à tel autre? A-t-il « besoin de la majorité pour se soutenir? Est-il plus à craindre qu'il acquière la majorité, que « de voir la majorité l'acquérir? »

J'avoue que je n'éprouve pas autant de difficulté qu'ils en supposent à résoudre ces questions.

Les électeurs de mon département m'ont dit: << Servez le Roi. » Voilà toute ma mission; ils ne m'en ont pas dit autant sur le ministère.

Quand les objets qu'il présentera seront dans l'intérêt du Roi, je les soutiendrai sans attendre aucune récompense. Mais par le même principe je ferais tout le contraire, si quelque projet me semblait opposé à l'intérêt du Roi; et je suis bien convaincu que tous les membres de cette Assemblée ont pris une semblable résolution.

Ainsi, Messieurs, mettons la métaphysique de côté, laissons et les abstractions qui trompent tout le monde, et les exemples étrangers qui ne rendent jamais de bon fruit hors de leur pays natal; considérons le renouvellement sous le seul rapport digne d'une assemblée de Français. Qu'y gagneront le Roi et son peuple que nous ne devons jamais séparer ?

Le Roi ne peut tout voir, tout faire par luimême; il ne peut exercer le pouvoir exécutif, l'une des branches les plus importantes de l'autorité royale, que par des ministres. J'oserai même dire qu'il le doit: car aucun acte émané du Roi ne peut être exécuté s'il n'est contresigné. Enfin les ministres sont responsables, et la Chambre des députés a le droit de les accuser, de les pour

suivre.

Cet état de choses nécessaire au Roi pour le garantir des surprises, au peuple pour le mettre

l'abri des abus de pouvoir, peut facilement amener une division entre le ministère et la Chambre.

Quoique celle-ci tienne de l'élection immédiate du peuple la faveur d'être naturellement considérée comme l'organe des doléances de la nation, il pourrait arriver qu'elle écoutât plutôt des passions particulières que l'intérêt public; mais aussi, il ne serait pas impossible que les plaintes fussent bien fondées, et que le ministère les présentât au

Lorsque Sa Majesté a, dans l'ordonnance du 13 juillet, permis de nommer des députés âgés de vingt-cinq ans, elle statuait par analogie. Les lois-Roi comme de pures calomnies. permettant alors d'être électeur à vingt-cinq ans, il a pu paraître naturel que les élus ne fussent ni plus ni moins âgés. Aujourd'hui que les électeurs devront être âgés de trente ans, je crois que l'analogie commande d'exiger aussi trente ans pour les élus; il serait bizarre, en effet, qu'on pût être élu lorsqu'on n'a pas même l'åge nécessaire pour être électeur.

C'est à trente ans, d'ailleurs, qu'on est habile aux plus hautes fonctions de la magistrature, qu'on est appelé, comme juré, comme juge, à décider de l'honneur, de la fortune, de la vie de ses semblables.

Les mêmes motifs me décident sur le nombre

Partagé entre le désir de conserver ses minis.. tres s'ils sont fidèles, et cependant de rendre justice au peuple si ses doléances sont fondées, le Roi peut et doit user du droit d'appeler une nouvelle Chambre, prérogative nécessaire, et sans laquelle il est impossible de concevoir une monarchie tempérée, prérogative dont l'absence fait nécessairement dégénérer la monarchie en république, et qu'en effet les meneurs de l'Assemblée constituante qui voulaient une république, refusèrent à cet infortuné monarque, qu'ils réduisaient à la qualité de premier commis du peuple.

On voit que, par sa nature, la prérogative de dissoudre la Chambre a ses dangers. Le système

qui les diminuera, sans affaiblir ou restreindre le droit de Sa Majesté, est donc, ce me semble, celui qu'on doit préférer. Or, un renouvellement périodique en totalité a seul ces avantages. Si le renouvellement est partiel, la dissolution totale de la Chambre annoncera nécessairement l'appel au peuple, dont le danger est si grand et si visible; il sera de toute impossibilité d'y supposer un autre motif: si, au contraire, on établit que la renouvellement sera toujours intégral, le Roi pourra facilement prendre l'habitude d'en varier les époques en usant de sa prérogative; il fera comme en Angleterre, où le parlement septénaire ne finit jamais sa durée constitutionnelle; et l'usage de congédier la Chambre entière avant l'expiration légale étant une fois introduit, à peine s'apercevra-t-on quand la nécessité l'emploira.

Croyez-vous, Messieurs, que ce soit si peu de chose, que de rendre presque insensible l'emploi d'un moyen qui, par sa nature, est, en quelque sorte, une véritable déclaration de guerre entre les députés et les ministres du Roi; et dans la politique comme dans l'ordre physique, toute la perfection ne consiste-t-elle pas à produire le plus d'effet avec le moins d'action extérieure, à obtenir des résultats, en cachant les moyens qui les amènent?

Considérons maintenant l'intérêt de la nation, si cher à un roi de France. Le ministre a, contre la Chambre, une arme puissante; par ses conseils, Sa Majesté peut, sans en donner les motifs, la dissoudre, dissoudre encore la suivante, puis la troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il arrive enfin des députés qu'on ne redoute plus. Mais si quelque jour les députés, pour plaire au minis tère, oubliaient ceux qui les ont choisis, le peuple ne peut ni les révoquer ni les remplacer qu'aux époques légales. N'est-il pas juste qu'il trouve, en compensation, un moyen général de réclamation, au moins une fois tous les cinq ans?

Le Roi, qui ne veut, qui n'est supposé vouloir que le bien, a un puissant intérêt à connaître les besoins, les vœux de la nation: non pas seulement un vou partiel, mais un vœu général, qu'il ne trouvera jainais d'une manière complète dans un cinquième des députés, et qui peut seul exprimer fidèlement l'universalité de tous ceux qu'amènera le renouvellement total.

Tant d'autres raisons victorieuses défendent ce système et repoussent des objections qui n'ont pour elles que les talents et le nom de leurs auteurs, qu'il me semble inutile de prolonger la discussion.

Toutefois, si je prouve qu'à l'intérêt du Roi et de la nation se joint encore la volonté déjà exprimée de l'un et l'assentiment de l'autre, tous les doutes ne sembleront-ils pas levés? Or, c'est ce que je trouve dans l'ordonnance du 13 juillet.

Si Sa Majesté avait voulu maintenir un système de renouvellement par cinquième, il eût été nonseulement tout simple, mais indispensable qu'elle ordonnât que les départements de la première série choisiraient des députés dont les fonctions dureraient cinq ans, que ceux de la deuxième série nommeraient pour quatre ans, et ainsi de

suite.

Mais nous ne voyons rien de semblable dans l'ordonnance du 12 juillet; tous les députés de tous les départements ont reçu un titre légal, une nomination uniforme; ce n'est qu'en janvier 1816 qu'on propose, pour la première fois, un projet de loi qui établit un tirage au sort de l'ordre des

dition ni réserve au mois d'août 1815. Ainsi, la durée des fonctions des députés de chaque dépar tement serait déterminée, non par une loi auté rieure à l'élection, comme il eût été de toute justice, de toute nécessité: elle le serait par une loi ex post facto, et par conséquent par une loi rétroactive!

Je vais maintenant, Messieurs, mais avec moins d'étendue, vous soumettre quelques réflexions sur l'organisation de ce que je nomme le pouvoir électoral; elles porteront sur l'ensemble du système proposé par le ministère, et de celui qu'y substitue votre commission. Les différentes modifications de détails me semblent devoir être mieux placées dans la discussion des articles.

Le ministère propose d'attribuer le droit d'électeur à certaines places, à certaines fonctions, indépendamment de la somme de contributions payées par les personnes qui occupent ces places, qui exercent ces fonctions; la commission, au contraire, exige de tout électeur une somme de contributions.

Quelque habileté qu'un ministre, dont j'honore le caractère et les vertus, ait voulu employer dans cette séance pour vous prouver que ces deux plans se rapprochaient, je ne saurais être d'accord avec lui sur ce point, et j'appellerai toujours et exclusivement électeurs de droit les hommes qui n'auront d'autre titre pour l'être que la fonction qu'ils occupent.

Maintenant, faut-il des électeurs de droit? la commission a-t-elle bien fait de les rejeter? voilà la question.

S'il était possible que la loi des élections eùt pu être ajournée à trois ou quatre ans, l'idée principale qu'a présentée le ministère me semblerait excellente.

Je crois très-bonne en elle-même, très-monarchique, l'idée de faire entrer de droit certains fonctionnaires dans les assemblées qui nomment les électeurs, et même dans les colléges électoraux qui nommeront les députés.

Mais il faut avant tout que le sort de ces fonctions publiques soit fixé, il faut que notre organisation administrative ne soit plus incertaine; il faut enfin que les fonctionnaires à qui leur place accorderait ce privilége, car c'est le mot exact, aient une véritable indépendance.

On vous propose de faire entrer de droit dans l'assemblée de canton les maires de toutes les communes, et seuls ils en formeront plus du quart; mais toutes les communes de France seront-elles toujours des mairies? Ne verrons-nous jamais avec le nom de paroisse, qui rappelle les touchants souvenirs de la religion, revenir aussi les syndics de village, pour laisser les maires aux seules cités?

C'est cette égalité ridicule que Bonaparte avait conservée du système républicain, parce que les extrêmes se touchent, que nous pourrions, à juste titre, appeler une déplorable démocratie; il est donné au règne paternel de nos rois de la faire disparaitre; tous les voeux appellent ce changement or, quand vous n'êtes pas sûrs de conserver la fonction, devez-vous en consacrer l'existence et les droits par une loi qui devrait être aussi immuable que la Charte ?

J'en peux dire autant des conseils généraux de département, dont l'insignifiance actuelle sera sans doute bientôt remplacée par des administrations provinciales, ce dernier des bienfaits que l'infortuné Louis XVI venait de donner à ses peuples, quand une Assemblée en révolte s'em

institutions, et leur substitua les bizarres conceptions de sa déliraute démocratie.

Je veux encore que les électeurs de droit soient indépendants, et sous ce point de vue je distingue le titre de leur nomination. Quand les maires, les administrateurs de la provience seront nommés par les administrés, au moins par voie de présentation au choix du Roi, leur indépendance me semblera aussi bien assurée que s'ils étaient inamovibles; mais chaque fois que le fonctionnaire sera directement nommé par le Roi, sur la seule présentation de ses ministres, je ne peux, comme dans les fonctions judiciaires, voir d'indépendance que dans l'inamovibilité!

Les maires actuels sont-ils dans l'un et l'autre cas? Peut-on nier que si le maire n'est pas propriétaire, et alors son droit électoral résultera de cette qualité, il sera dans la dépendance, je ne dirai pas du ministre, les regards ne descendent pas de si haut, mais dans celle du préfet qui le nomme, et bien plus souvent de l'homme en crédit qui l'a fait nommer?

Les desservants, faut-il le dire, n'ont pas même aussi cette indépendance; au moins je ne la leur croirai point tant que l'influence des lois de Bonaparte continuera de peser sur la religion de l'Etat.

Pour assurer un bon système d'électeurs de droit, et en général même un bon système électoral entier, conbien nous manquent d'autres éléments! Ces corporations, sans lesquelles il n'y a point de monarchie stable, ces corporations qui, dans toutes les classes de la société, unissent chacun par un intérêt commun, existent-elles parmi nous, qui, depuis vingt-cinq ans, parlons d'esprit public, et n'avons vu s'élever sur les débris de nos institutions que l'égoïsme et l'avidité?

Ah! qu'on les rétablisse, ces corporations; qu'à leur tête on voie briller, non comme un ordre distinct, et que des priviléges isoleraient ou rendraient odieux, cette Eglise gallicane, la plus noble entre toutes les. Eglises de la chrétienté! Que ces assemblées, au sein desquelles de nouveaux Bossuet proclameront encore nos franchises religieuses, puissent nommer directement des députés à cette Chambre!

Que le commerce, les lettres, les arts, toutes les industries, réunis par un lien commun sans être enchainés par des règlements oppressifs, dirigés et non pas gouvernés, obtiennent aussi le droit de participer au pouvoir électoral! Alors, mais alors seulement, j'admettrai un système qui n'accorderait pas tout exclusivement à la propriété territoriale; alors aussi, je croirai la monarchie raffermie sur ses bases antiques, et le trône de nos rois à l'abri de tous les coups, quand tous les intérêts y seront rattachés.

Mais jusque-là, puisqu'une loi d'élection est indispensable (non pour opérer le renouvellement partiel que j'ai combattu, mais pour le cas où Sa Majesté userait du droit de dissoudre cette Chambre), jusque-là, ne pouvant faire tout le bien que nous souhaitons, faisons tout le bien possible. Amenons par nos vœux, par nos humbles supplications vers le trône, l'instant où la voix créatrice dira aux ossements de nos antiques institu tions: Réunissez-vous ! levez-vous! jusque là ne confions de droits qu'à la propriété, la seule base première de toutes les sociétés, le seul but de toutes les sociétés, et le principal pivot sur lequel roulera toujours tout bon système social, en un mot, le seul immuable, au milieu de la variation infinie des organisations politiques.

Le projet de votre commission, qui ne me sem

blerait pas complet, si nous étions dans un meillieur ordre de choses, est donc préférable à celui du ministère. Nous ne devons point attribuer de plein droit les fonctions électorales à des fonctionnaires publics, lorsqu'ils ne payent pas une somme d'imposition qui prouve qu'ils sont propriétaires; et s'ils payent la cote requise, ils trouvent dans le projet de votre commission la garantie de leurs droits.

Mon attachement sincère à la religion, le vif désir que j'ai de voir ses ministres jouir de la considération qui leur est nécessaire, ne saurait me faire dévier du principe.

Mais ici une règle nouvelle doit leur rendre ce que je leur refuse à titre d'exception.

Les traitements du clergé de France ne sont pas de simples salaires, tels que ceux que reçoivent les fonctionnaires publics. Ces traitements représentent les biens dont nos pères avaient doté les temples et les autels. Sans vouloir ici réveiller de fâcheuses discussions sur le droit qu'on eut de s'en emparer, ils n'ont été pris que sous la promesse d'un remplacement pécuniaire. Ce que l'Etat paye au culte catholique étant donc la représentation des immeubles dont le clergé était doté en 1789, il est, non pas seulement de convenance, mais de stricte équité, de décider que les ecclésistiques employés seront, pour leur traitement, considérés comme des propriétaires de fonds produisant un égal revenu.

Ce sera, Messieurs, l'objet d'une rédaction que je me réserve de présenter dans la discussion des articles, et dont j'ose croire que votre justice a déjà reconnu le fondement.

Divers articles du projet de votre commission, dont vous voyez, Messieurs, que j'adopte tout à fait le système, me semblent aussi susceptibles de quelques amendements. Je me réserve de les indiquer.

Vous savez maintenant, Messieurs, par quels motifs, et sous quelles réserves je vote pour le projet de votre commission,

M. Lainé est appelé à la tribune par l'ordre de la parole: il ne croit pas nécessaire de reproduire une discussion déjà épuisée sur quelques points principaux de la question qui occupe la Chambre. Sur l'un de ces points, il déclare se référer à l'opinion qu'il a cru de son devoir de faire imprimer et distribuer à ses collègues (1). Il şe bornera à un petit nombre d'observations sur le projet de la commission.

La loi sur les élections, dit M. Lainé, est la vie véritable du gouvernement représentatif. C'est elle qui doit le mettre en mouvement, en action: c'est par elle que nous réussirons à recueillir les débris plutôt épars que détruits de nos anciennes institutions. Je pourrais reproduire, en discutant ce qu'une telle loi doit être, reproduire les théories qui ont été posées, les comparaisons, les analogies qui ont été établies; examiner les dangers et les avantages de ce qu'on a appelé l'expression de l'opinion publique; mais des développements étendus ont déjà été donnés à ces questions, et, laissant là les hautes régions des idées politiques spéculatives, je me bornerai modestement à traiter du projet de la commission.

(1) Cette opinion est spécialement relative à la question du renouvellement de la Chambre. M. Lainé y envisage cette question sous tous les rapports qu'elle a présentés dans la discussion préliminaire, et conclut, aux termes de la Charte, en faveur du renouvellement par cinquième. On trouvera plus loin cette opinion annexée à la séance de ce jour.

Ce projet s'appuie sur des motifs séduisants, sur des principes de liberté qu'on aime à voir professer au sein de cette Chambre, précisément à cause des calomnies dont elle a été l'objet. Mais je trouve dans ses propositions les éléments d'une démocratie dangereuse que je crois devoir combattre. Je crains qu'en nous écartant des règles positives, des principes certains et invariables tracés par la Charte, nous ne nous jettions dans un vague et dans une incertitude dont nous aurions au moment de la délibération quelque peine à sortir.

Le rapport de la commission a donné naissance à une multitude de systèmes et d'opinions diverses (l'orateur les rappelle et les analyse); mais ces propositions diverses, relativement au droit d'élire, sont écartées par le fait la Charte a statué qu'un électeur nommé à la Chambre des députés devait payer 300 francs de contribution, et je ne m'attendais pas que l'orateur qui m'a précédé put vous proposer de substituer d'autres dispositions à celles qui sont si clairement énoncées.

L'article 35 de la Charte dit bien que le système des élections sera déterminé par une loi, mais la Charte en a dit davantage; elle a posé avec soin les bornes de la loi future. L'article 40 exige de la part des électeurs qui concourent à la formation de la Chambre des députés, une contribution de 300 francs (d'impositions directes). Rien n'est plus positif; la Charte n'a pas employé de termes généraux d'où l'on pourrait conclure qu'elle n'a entendu parler que des électeurs qui nomment les députés directement; et comme si on eût prévu la difficulté qui s'élève, elle s'est exprimée avec précision; elle parle des électeurs nommés médiatement où immédiatement, quelle que soit leur mission. Je sais bien que, malgré notre respect pour la Charte, si le changement de sa disposition était évidemment nécessaire, on pourrait la modifier, si toutefois le Roi le proposait; mais je ne vois pas ici cette nécessité démontrée, je ne vois pas démontrés les avantages qu'on a fait briller, et je suis bien plus certain des avantages que présente la fixité, la stabilité. Je ne suis pas moins certain que l'on peut justifier comme bonnes et salutaires les dispositions de la Charte, puisque la contribution qu'elle demande comprend celles qu'acquitte le commerce et l'industrie, et par conséquent ouvre une porte assez large à l'exercice des droits politiques en faveur d'un très-grand nombre de citoyens.

Si vous réduisiez la condition exigée, croyezvous que vous trouveriez un grand concours de votants à l'effet seulement de nommer un homme qui doit en nommer d'autres appelés à nommer un député? Ce n'est pas précisément à l'exercice de cette sorte de droit que l'on est attaché dans nos campagnes : c'est à la localité, c'est à la fabrique, aux élections paroissiales, aux conseils municipaux et je demanderai à la Chambre la permission de revenir particulièrement sur ce dernier objet.

On a dit hier, relativement à la condition exigée par la Charte pour être électeur, que les hommes payant 300 francs formeraient une classe privilégiée, et que les autres classes seraient contristées de se voir exclues de l'exercice du même droit; mais d'abord je ne crois pas que cette fixation de 300 francs réduise si fort le cercle des hommes susceptibles d'être électeurs; quels que soient les malheurs éprouvés par la France, elle conserve encore un nombre assez grand de propriétaires remplissant les conditions dont il

exclusive et privilégiée; mais ensuite ce n'est point ici un privilége; c'est une condition, que le travail, l'industrie, l'accroissement de fortune qui en résultent, donnent à tous le moyen d'atteindre, et qui n'exclut personne; ceux qui ne payent pas 300 francs ne seront pas plus contristés de n'être pas électeurs, que ceux qui ne payent pas 1,000 francs ne seront mécontents de n'être pas députés. La proportion est sagement établie je craindrais plutôt qu'en faisant descendre la condition à 50 francs, on n'établit des rivalités, des jalousies inconnues encore aux classes au sein desquelles on les ferait naître; qu'on n'augmentât le danger de ces jalousies par le nombre de ceux appelés à les ressentir, et qui ne les conçoivent pas quand ils n'aperçoivent qu'à une distance éloignée d'eux le point où peuvent naître les prétentions à l'électorat ou à la législature. Quoi qu'il en soit, la question est décidée par la Charte; et je ne crois pas que vous puissiez revenir sur une de ses dispositions les plus formelles.

Cependant, je pencherais avec la commission pour les assemblées de canton, si je croyais trouver dans chaque canton un nombre suffisant d'hommes payant 300 francs. Mais il est plus que probable qu'il y a beaucoup de cantons où le nombre ne se trouvera pas, et c'est ce qui me fait croire qu'en adoptant le système de la commission, il faut reporter aux assemblées d'arrondissement ce qu'elle propose d'attribuer aux assemblées de canton. Ainsi, deux seuls changements peuvent suffire pour être d'accord sur ce point: substituer le mot d'arrondissement à celui de canton, et la condition des 500 francs à celle de 50 francs qu'elle propose; et c'est ainsi que je me félicite vivement de me rapprocher d'elle en restant fidèlement attaché aux principes de la Charte.

L'orateur passe ici à l'examen de la question des électeurs de droit, et avoue qu'ici il diffère d'avis avec les ministres de Sa Majesté. La commission a banni les électeurs de droit; elle a peut-être été trop sévère, mais aussi le ministère avait été bien prodigue; il l'avait été à ce point qu'il laissait à peine place dans les assemblées aux propriétaires qui remplissent la condition de payer 300 francs.

Mais parce que ce système avait été porté trop loin, doit-il être écarté absolument? Les deux idées peuvent se concilier, et j'essayerai de le faire, sans tomber dans une inconséquence, sans m'écarter de la condition constitutionnelle exigée. Il peut y avoir, selon moi, quelques électeurs de droit, mais à condition qu'ils remplissent d'ailleurs la condition constitutionnelle. On peut donner à quelques fonctionnaires une distinction honorifique, qui sera moins un droit qu'un lustre répandu sur leurs fonctions, et qui en sera souvent la seule et juste récompense. Nous pouvons y trouver l'avantage de recueillir ainsi quelques débris de nos anciennes institutions. Autrefois pour les Etats généraux, pour la convocation des notables, dans le système d'élection d'alors, il y avait des nominations de droit attribuées à certaines fonctions qu'on se plaisait à honorer; ainsi cet exemple peut être imité.

Mais, dit-on, les ministres auront ainsi sur les élections une influence qui pourra être fatale à la liberté. J'ignore, Messieurs, si cette influence pourrait jamais être fatale; mais je crois qu'elle sera bien faible: il faut, vous l'avouerez, que cette influence existe un peu. Non qu'elle se

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