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M. le Président donne lecture d'une lettre par laquelle M. le ministre de l'intérieur annonce que l'intention du Roi est que l'adresse de la Chambre lui soit présentée par une simple députation que Sa Majesté recevra dans la soirée, à huit heures et demie.

M. le Président lit ensuite une autre lettre du chapitre métropolitain qui invite MM. les députés à assister au service qui sera célébré, le 21, à Notre-Dame, pour le roi Louis XVI.

Un membre (M. le général de Canuel est appelé a la tribune pour le développement de sa proposition tendante à faire accorder des pensions aux soldats mutilés et aux veuves et orphelins des armées royales de la Vendée, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Normandie et du Midi.

M. le lieutenant-général de Canuel. Messieurs, si la plume se maniait aussi facilement qu'une épée, si les mots s'arrangeaient eux-mêmes pour émettre la pensée, je me présenterais à cette tribune avec plus d'assurance. Etranger à l'art oratoire, je crains que mes faibles moyens ne me trabissent et que les expressions me manquent pour donner au développement de la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre, la force et la clarté nécessaires. Cependant le motif qui me guide, dans cette circonstance, me rassure. Le sujet dont je vais vous entretenir présente tant d'intérêt, que celui qui s'en empare peut se passer des ornements de l'éloquence pour le traiter avec quelque succès.

Je veux vous parler des armées royales de la Vendée, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Normandie, et du Midi.

Je ne vous ferai point l'apologie de tous les chefs qui les ont commandées; qu'il me soit seulement permis de les présenter à l'Europe et à la France comme des modèles de fidélité. Voilà leur éloge!

Continuerai-je sans vous parler du marquis de La Rochejacquelin, qui, marchant sur les traces de son frère aîné, des Lescure, des Bonchamp, des Delbée et des Charette, fidèle à son Roi et à l'honneur, est venu trouver une mort glorieuse sur cette terre sacrée de la Vendée, si souvent arrosée du sang des siens?

Je n'arrêterai pas plus longtemps votre attention sur les généraux; dans un moment elle va se fixer avec plus d'intérêt sur les soldats. Fidélité, courage, dévouement, désintéressement, persévérance, tous ces mots sont synonymes avec soldats des armées royales. En effet, parcourons toutes les époques de la Révolution, et reportonsnous principalement vers les temps désastreux où, en 1793, la Vendée, pour la première fois, courut aux armes pour défendre la religion de ses pères et le trône de ses rois; ils rapelleront à notre mémoire des actions et des victoires presque incroyables, et par contraste, des revers et les malheurs inouïs qui en furent la suite: ils remettront sous nos yeux le tableau effrayant d'une population presque entière détruite par le fer, et d'un immense pays dévoré par les flammes. Quatre années consécutives de dévastation n'ont pu ébranler la constance et la fidélité des habitants de ces malheureuses contrées.

Je ne vous ferai point l'histoire de cette guerre, ni des événements qui la provoquèrent; des écrivains plus habiles que moi en ont déjà tracé le tableau. Je dois, Messieurs, appeler votre attention sur les malheureux qui en furent les victimes, et qui sont échappés, comme par miracle, au massacre général, mais que d'honorables

de pourvoir à leur subsistance par leur traJe veux également qu'elle se fixé sur les vel et les orphelins, dont les maris et les pères morts glorieusement sur des champs de bata et qui n'ont laissé pour héritage, à leurs fem et à leurs enfants, qu'honneur et misère.

En 1814, après sa rentrée en France, notre Roi tourna ses regards paternels sur la Ver et la Bretagne, qui avaient si vaillamment fendu sa cause. Des récompenses et des sec furent accordés à quelques-uns de ces vi guerriers de 1793; mais le temps qui s'éc avec rapidité, et les factions qui marchent vite encore, ne lui permirent pas d'acheve qu'il avait commencé. La catastrophe du 20 m arriva ces funestes événements, qui vouent le auteurs à l'exécration des races futures, con ils sont l'horreur de la génération présente, pelèrent encore une fois les Vendéens et Bretons aux armes. Le cri de guerre se fit par entendre: l'indignation était dans tous les co et le désir d'une prompte vengeance ne laissa même le temps de prendre toutes les mest qu'exigeait le parti auquel on s'arrêtait.

Comment, en effet, entreprendre la guerre s armes, sans munitions de guerre ni de bouc et sans argent? Les Vendéens et les Bretons su résoudre ce problème. Rien n'est au-dessus leur courage et de leur désintéressement, qu il s'agit du Roi.

Des vivres! ils les fournissent; chacun l'envi, s'empresse de conduire à l'armée tou dont elle a besoin. Des armes! Le soldat armées royales, muni de quelques cartouches massées à la hâte, armé d'un mauvais fusil d'un bâton, mettant sa confiance en Dieu et d son courage, se précipite sur l'ennemi, et chercher dans ses rangs les munitions qui manquent ou un fusil meilleur que le sien; n souvent il y trouve la mort ou des blessures ne laissent de prespective à sa famille dés que douleur et indigence. Hâtons-nous, Messie d'assurer du pain aux familles de ces braves.

Déjà Sa Majesté a jeté un regard de bienv lance sur les officiers. Le ministre de la gue ce ministre qui, au moment où Buonaparte le pied sur le sol de la France, eut le noble c rage de se charger du portefeuille, alors mqu'il était impossible de réparer le mal déjà ce ministre qui, à cette malheureuse époqu donné à l'Europe et à la France un gr exemple de fidélité, quand tout, autour de trahissait ou se laissait entraîner dans une h teuse défection, aujourd'hui dispensateur grâces du souverain, s'est empressé d'applic aux armées royales l'article 6 de l'ordonna du 8 septembre dernier, relative à la solde bientôt, n'en doutons pas, par ses soins bienv lants, ces braves armées, formées spontaném aux cris d'alarme de leurs chefs, jouiront, d tout ce que peut leur accorder légalemen ministre, des mêmes avantages que les arm régulières.

Mais, Messieurs, les soins divers qui occup le Roi et les ministres n'ont sans doute permis de songer aux soldats blessés. C'est p eux que je parle; une loi est nécessaire sur c matière, puisqu'il s'agit d'accorder des pensi viagères.

Je sais que la situation de nos finances n'ét point en rapport avec les immenses besoins l'Etat, nous devons mettre une espèce de pa monie dans nos dépenses, et nous interdire tou

ce n'est pas ici le cas; la dépense que je vous propose, en même temps qu'elle est d'une rigoureuse justice, elle devient la récompense méritée d'un dévouement sans exemple, et l'indemnité d'immenses sacrifices; ce surcroît de dépense ne sera pas un fardeau bien pesant pour le trésor royal je puis vous assurer d'avance, qu'avec peut-être moins de 500,000 francs, on pourra acquitter dans la Vendée militaire, dans la Bretagne et le Midi, cette dette sacrée, que l'humanité réclame, et que la reconnaissance fait un devoir de payer.

Si la bonté paternelle de Sa Majesté, qui ne voit que des Français égarés dans les soldats d'une armée parjure, qui cherchaient à lui fermer l'entrée de son royaume: si, dis-je, cette bonté, cette inépuisable indulgence, porte son cœur généreux non seulement à pardonner, mais encore à accorder des pensions de retraite à ceux qui ont été mutilés dans cette bataille de déplorable mémoire; croyez, Messieurs, qu'elle accueillera avec beinveillance le vœu que vous allez lui manifester j'irai plus loin, les armées rebelles qui ont combattu contre les armées royales, jouirontelles seules des récompenses qui ne devraient être accordées qu'à la fidélité?

Loin de moi, Messieurs, la pensée d'insulter à l'armée vaincue, lorsque, en parlant d'elle, les mots parjures et rebelles sortent de ma bouche: ce terrible anathème ne frappe que les chefs qui l'ont égarée; eux seuls sont véritablement coupables. L'obéissance est un devoir pour le soldat, et l'obéissance l'a malheureusement entraîné au delà de son devoir; mais cette obéissance le ralliera sous l'étendard des lis; et s'il faut encore combattre, il effacera, par des victoires, la tache qu'un moment d'erreur à imprimée sur son front.

Mais pourquoi, me dira-t-on peut-être, accorder une plus forte pension aux soldats des armées royales, que celle fixée pour ceux de la ligne? Pourquoi? parce que les armées royales ne comptent dans leurs rangs, en majeure partie, que des pères de famille; que ces braves, en se dévouant pour la cause qu'ils défendent, compromettent le sort futur de leurs enfants. Pourquoi? parce que les Vendéens et les Bretons ont fait, depuis vingt-deux ans, la guerre à leur frais, sans toucher de solde. Pourquoi enfin? parce que, dans les guerres antérieures à la campagne de 1815, ils ont fourni gratuitement à tous les besoins de l'armée. En faut-il davantage pour légitimer ma proposition?

Les détracteurs des armées royales, et le nom bre en est grand, vous diront sans doute : Quoi ! vous allez charger l'Etat d'une nouvelle dépense, quand il a besoin de se restreindre à la plus stricte économie! Eh! qu'ont donc fait ces Vendéens, ces armées royales, de si grand, de si important pour le salut de la patrie, et qui mérite les récompenses qu'on réclame pour eux ? Ce qu'ils ont fait ! depuis vingt-deux ans ils entretiennent le feu sacré de la royauté, ils sont restés purs au milieu de la corruption générale. Ce qu'ils ont fait ! ils ont dans cette dernière campagne sauvé la France et l'honneur français, ils ont été fidèles.

Je n'ai pas besoin d'étendre davantage les développements de ma proposition pour convaincre de la nécessité de la prendre en considération.

Après ce discours, M. de Canuel a proposé de supplier Sa Majesté de proposer le projet de loi suivant :

Art. 1er. Les sous-officiers et soldats de nos armées royales, qui ont reçu des blessures graves, tant dans le cours de la campagne de 1815 que

dans les campagnes antérieures, et qui les mettent hors d'état de pourvoir à leur subsistance par leur travail, recevront des pensions de reiraite, qui ne pourront être moindres que le maximum de celles accordées à nos sous-officiers et soldats de nos armées de ligne. Ces pensions pourront être élevées à des sommes plus fortes, mais qui ne pourront excéder un quart en sus; elles seront accordées en raison de la gravité des blessures.

Art. 2. Nos sous-officiers et soldats des armées royales, qui ont reçu des blesseures qui ne les mettent pas hors d'état de pourvoir à leur subsistance, recevront, en récompense de leurs services et de leur dévouement, une année de solde de retraite au maximum de celle attribuée à leurs grades.

Art 3. Les veuves et orphelins des sous-officiers et soldats de nos armées royales recevront des pensions dont le montant sera déterminé et réglé par une ordonnance particulière.

Art. 4. Le produit des extinctions, par décès des titulaires de pensions militaires, est spécialement affecté au payement des pensions créées par la présente loi.

Art. 5. Les individus qui seront admis à recevoir des pensions, en jouiront à dater du 1er janvier de la présente année 1816.

Art. 6. Dans les quinze jours qui suivront la promulgation de la présente loi, notre ministre de la guerre donnera les ordres nécessaires pour que les tableaux des individus désignés aux articles antécédents soient dressés.

La Chambre ordonne l'impression de la proposition et des développements et le renvoi à une commission.

M. le Président annonce que l'on va procéder à l'appel nominal pour la signature de l'adresse au Roi.

Cette opération étant terminée la séance est levée.

SIRE,

ADRESSE AU ROI (1).

Vos fidèles sujets de la Chambre des députés viennent offrir à Votre Majesté un bien douloureux hommage.

Pour épargner à la France le crime dont ce jour renouvelle la mémoire, Louis XVI, votre auguste frère, en avait appelé à son peuple. Après vingt-trois ans d'asservissement et de calamités, le peuple français rendu à la liberté et à lui-même, peut enfin répondre à l'appel de son Roi. Nous venons en son nom, à la face de l'Europe, en présence du trône révéré de Henri IV et de saint Louis, désavouer cet attentat. Non, Sire, il ne fut pas le crime de la France. Nous en attestons la confiance du Roi martyr, les innombrables victimes dont le sacrifice suivit le sien, les transports qu'excita votre retour; nous en attestons l'horreur qu'inspirent à la nation les auteurs de ce forfait. Ils avaient cru anéantir le pacte antique qui unit nos destinées à votre auguste famille: ils le rendirent plus sacré. Qu'il nous soit permis, Sire, d'en renouveler l'inviolable engagement, pour nous consoler des souvenirs que ce jour affreux nous rappelle; souffrez, qu'organes de la France en deuil, nous vous disions: « Sire, nous n'avons « pas dégénéré de la loyauté de nos ancêtres. Tant « que votre illustre race existera, nous lui serons

(1) Nous trouvons le texte de cette adresse dans le Journal des Débats du 22 janvier 1816.

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fidèles jamais nous ne reconnaîtrons pour nos «rois légitimes que les princes qui en seront «< issus, et à qui l'ordre de primogéniture en aura « imprimé le caractère. Nous le jurons devant « Dieu et devant les hommes. Que le nom français « se perde dans l'oubli, plutôt que de trahir ce « serment de l'honneur!» Nous le déposons à vos pieds, Sire, et nous supplions Votre Majesté d'crdonner que, gravé sur l'airain et souscrit du nom de tous les membres de la Chambre des députés, il soit attaché au monument expiatoire que la douleur nationale prépare, afin de transmettre à la postérité la plus reculée, et la protestation du peuple français contre l'attentat du 21 janvier, et le témoignage solennel des sentiments qui nous animent.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.
Comité secret du 22 janvier 1816.

Le procès-verbal du comité secret du 18 janvier est lu et adopté.

L'ordre du jour appelle le développement de la proposition (de M. Picquet), tendante à ce qu'il y ait présomption de mort de tous les Français qui, ayant rejoint l'armée, ont cessé, depuis deux ans, de paraître au corps auquel ils appartiennent, et dont on n'a pas reçu de nouvelles.

M. Picquet. Messieurs, si la loi doit l'appui de son autorité à tous les citoyens indistinctement, elle doit encore une protection plus spéciale à ceux qui, par la faiblesse de leur âge, de leur sexe, de leurs infirmités morales, sont dans l'impuissance de s'occuper eux-mêmes de la conservation de leurs intérêts.

Aussi, Messieurs, existe-t-il à cet égard des dispositions dont la sagesse certifie la prévoyance du législateur.

Cette prévoyance, cependant, eût été incomplète, si la sollicitude de la loi ne se fùt aussi fixée sur les personnes qui, ayant cessé de paraître au lieu ordinaire de leur domicile ou de leur résidence, doivent être présumées absentes, et réclamer à ce titre la protection immédiate de l'autorité qui nous protége tous.

Mais cette omission, qui eût été grave sans doute, n'a existé sous l'empire d'aucune des législations qui nous ont gouvernés.

Ce n'est done point contre un oubli de la loi que je réclame en ce moment.

La proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre a seulement pour objet la justice de modifier quelques principes qui ne s'accordent plus avec les intérêts d'un grand nombre de familles.

S'il est vrai qu'un des plus grands bienfaits dont les gouvernements puissent favoriser les hommes, est celui de leur accorder une législation qui soit toujours maintenue en harmonie avec leurs véritables besoins, j'ai le droit de dire devant vous: Les dispositions législatives dont je sollicite que l'on resserre l'application, étaient convenables peut-être au moment où elles furent promulguées; mais maintenant, elles seraient indignes de l'équité de la loi, si, par une sage exception, on ne les appropriait pas aux circonstances actuelles.

Je ne vous rappellerai pas, même en analyse, ce qu'à des époques successives, les anciennes lois et l'autorité des jurisprudences locales avaient consacré sur le fait de l'absence, dans l'intérêt de l'absent, comme dans celui de ses héritiers présomptifs.

tile, puisqu'il n'ajouterait rien ici aux raisons décider, et que d'ailleurs c'est un devoir p moi de n'occuper votre attention que pendan temps nécessaire pour me faire bien comprend

En peu de mots, voici la théorie de nos 1 actuelles sur l'absence; toutes leurs dispositio sont contenues dans le titre IV du livre ler Code civil qui nous gouverne.

Lorsqu'un citoyen a cessé de paraître au 1 de son domicile ou de sa résidence, et que, dep quatre ans, on n'en a point eu de nouvelles, to personne qui y a intérêt peut se pourvoir en ju tice pour faire prononcer l'absence.

Les diligences à faire, les formalités à remp la nature des documents à fournir, tout est terminé par des textes, et tout doit être cont dictoire avec le ministère public; il y a, de pl nécessité d'enquête et obligation, pour le procure du Roi, d'envoyer les jugements interlocutoi et définitifs au ministre de la justice, pour qu leur fasse donner la publicité que réclame l'in rêt de la société.

Nous devons ajouter ici que le jugement de nitif qui déclare l'absence, ne peut être ren qu'un an après celui qui a ordonné l'enquête, qui emporte un délai de cinq années.

La loi fixant ensuite les effets de l'absence, d tingue deux cas :

Celui où l'absent n'a pas laissé de procurati pour administrer, et celui où il en existe une.

Dans le premier cas, au bout des cinq ans, co qui étaient héritiers présomptifs, au jour de disparition, ou des dernières nouvelles, pourro en vertu du jugement qui déclare l'absence, faire envoyer en possession des biens laissés la charge de donner caution pour la sûreté de l administration.

Telle est la disposition de l'article 120 de loi.

Si, au contraire, il y a une procuration, l'a cle 121 décide alors que l'on ne pourra poursui la déclaration d'absence et l'envoi en possess provisoire qu'après dix années révolues, à con ter des mêmes époques.

Je suis loin de vouloir critiquer la différer que la loi a établie entre les résultats de ces de espèces.

Il est bien sensible qu'il n'était pas aussi urg de venir au secours de celui représenté par mandataire de son choix, que de s'occuper intérêts de l'absent qui, n'étant représenté personne, avait sa fortune à l'abandon.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, les rédacteurs Code étaient sans doute loin de prévoir, alors, c celui qui gouvernait à cette époque deviendr bientôt le fléau du monde et le destructeur de population française.

Si leurs regards, plongeant dans l'avenir, avai su devancer les événements et saisir, par u anticipation miraculeuse, cette effrayante succ sion de calamités que nous réservait l'ennemi genre humain, ils auraient senti la nécess comme la justice de s'occuper davantage de co partie de la législation, puisque bientôt elle dev intéresser si douloureusement un grand nom de familles françaises.

Ils sont excusables cependant, car les vues l'homme sont tellement bornées, que le mom qui va suivre celui où nous vivons est souv impénétrable à notre faible prévoyance. Il n'a partient qu'au Souverain Maitre d'embrasser à fois tous les temps et tous les lieux.

Mais ce que l'on n'a pas fait à la rédaction

de le faire alors, faisons-le, nous, Messieurs, tristes témoins de tant de désastres, et faisons-le sans retard, en prenant l'initiative pour une chose que l'on réclame de toutes parts.

Les familles des militaires français ont été torturées par d'assez longues douleurs sous l'ancienne tyrannie, pour avoir acquis le droit de solliciter une loi d'exception que la justice sollicite pour elles et avec elles.

Il n'est personne parmi vous, Messieurs, qui ne soit très-convaincu que dans le nombre des victimes sacrifiées à la folle ambition de celui qui méprisait trop les hommes pour mettre du prix à leur conservation, ilen est péri une quantité dont le calcul serait effrayant, et dont cependant aussi la mort ne peut être prouvée par les voies ordinaires.

La seule retraite de Russie en a dévoré des milliers.

Les détails de cette effroyable campagne ne sont depuis longtemps un secret pour personne.

Tout ce qui a suivi n'a été qu'un enchaînement de batailles plus ou moins meurtrières et dont la rapidité, dans la marche, n'a pas permis non plus d'avoir d'autre preuve de la mort que la certitude qu'au milieu, ou à la suite du carnage, tels avaient cessé de paraître au corps.

Il ne s'agit donc pas, Messieurs, dans l'espèce en faveur de laquelle je réclame, de la simple présomption d'une absence de quelques années, qui doit toujours rester soumise aux règles ordinaires.

Ici ce sont des faits dont l'ensemble permet à peine de conserver un léger doute sur la certitude de la mort.

Ce sont des circonstances telles que leur concours repousse jusqu'à la faible espérance dont il est si consolant de pouvoir conserver l'illusion.

Pourquoi donc les héritiers présomptifs seraient-ils, pendant dix ans, étrangers à la fortune de celui dont tout certifie la mort ?

Pourquoi un tiers, parce qu'il a reçu une procuration, qui cependant ne peut pas survivre à celui qui l'a donnée, se perpétuera-t-il dans l'administration des biens et dans la jouissance des revenus, au préjudice de celui que la loi appelle?

Pourquoi un frère, un cohéritier quelconque qui, peut-être, n'a eu la préférence du mandat que parce qu'il s'est trouvé là seul au moment du départ, prolongera-t-il, pendant tant d'années, cette grande inégalité d'avantages au préjudice des autres cohéritiers?

Aussi longtemps que l'on reçoit des nouvelles de l'absent, ou que rien ne repousse les présomptions de la vie, l'homme qu'il a constitué son mandataire ne doit pas être troublé dans l'exercice du pouvoir qu'il a reçu.

Il représente spécialement son mandant, et aucun parent ne peut alors ni le préférer ni même concourir avec lui.

Mais lorsque tous les faits attestent que la mort a remplacé l'absence, lorsque ces faits attestent encore par leur nature qu'il y a impossibilité de fournir la justification ordinaire, le mandat ne doit-il pas disparaitre devant la preuve morale, et le droit d'administration, comme celui de jouissance, n'est-il pas réclamé par le privilégé du sang?

A la place du mandataire constitué, dont le titre s'anéantit avec la personne qui le lui a remis, ne doit-on pas voir un mandataire légal dans l'héritier présomptif?

Que l'on continue de faire l'application des ar

ticles 120 et 121 aux cas ordinaires pour lesquels ils étaient destinés : rien de plus sage.

On ne peut pas avoir un respect trop profond pour la stabilité des lois; c'est ce qui en constitue la force et la dignité. Je ne me pardonnerais pas, Messieurs, de vous parler un autre langage, ni de vouloir insinuer une erreur dangereuse, aux dépens d'un principe d'éternelle vérité, digne d'exister aussi longtemps que la raison gouvernera les hommes.

Cependant, Messieurs, il faut bien se garder de confondre les lois constitutionnelles fondamentales, qui établissent l'état des citoyens, le droit public des nations (loi dont on ne doit approcher qu'avec la plus timide circonspection), et celles qui ne sont que des lois particulières, des lois de détail, comme celle qui nous occupe en ce

moment.

Cette loi, malgré la généralité de ses expressions, non-seulement peut, mais doit être restreinte lorsque des circonstances extraordinaires, changeant la position d'une partie des membres de la société, viennent faire sentir le besoin de nouvelles dispositions.

Dans ces cas, Messieurs, associés au pouvoir législatif, n'est-ce pas un devoir pour vous de provoquer, par la voie de supplique au souverain, les exceptions que demande la nécessité de rétablir l'harmonie entre les lois anciennes et les intérêts nouveaux ?

Pourquoi tant de familles, déjà trop malheureuses d'avoir perdu des membres chéris, serontelles encore, je le répète, condamnés au désagrément de voir la jouissance d'une fortune, que la loi leur destine, rester pendant dix années dans les mains de l'étranger?

Je dis dix ans, parce qu'en général les militaires avaient ou laissé ou envoyé des procurations. Voudrait-on supposer qu'après avoir cessé de paraître au corps depuis deux ans, qu'après que tous les prisonniers ont été rendus, qu'après que ceux dirigés sur les points les plus éloignés, sont revenus en France, ou bien ont eu beaucoup plus que le temps nécessaire pour y rentrer ; voudraiton, dis-je, supposer que, quoique réconciliés avec toutes les puissances de l'Europe, ces infortunés ayant des moyens faciles pour demander des secours s'ils étaient infirmes, ayant les routes libres pour venir fouler encore le sol natal, et jouissant de la permission d'accourir au-devant des consolations de leurs parents et de leurs amis, aient méprisé tant de bonheur ?

Supposera-t-on que s'ils vivaient encore, ils seraient restés jusqu'à ce jour insensibles à de si douces jouissances?

Supposera-t-on, enfin, qu'ils eussent porté cette inconcevable apathie (que la nature ne place pas même dans les cours les plus dépravés) jusqu'au point de ne pas vouloir donner de leurs nouvelles pour tranquilliser des parents qui pleurent peutêtre encore sur leur fatale destinée?

Disons-le, Messieurs, la raison repousse si fortement de telles suppositions, que les présenter est assez les combattre, et surtout pour qui se rappelle que tous les principes de mort qui peuvent produire une rapide destruction dans les armées, s'étaient plus que jamais ligués contre ces malheureuses victimes.

Cependant le retour est possible, rigoureusement possible; je vais done raisonner un moment dans cette hypothèse, et établir en très-peu de mots que la proposition sur laquelle j'appelle votre attention, est même dans l'intérêt de l'absent en cas de retour.

L'homme parti pour les armées n'avait pas d'hypothèque constituée par sa procuration sur les biens de son mandataire; il n'avait pas non plus d'hypothèque légale, puisque la loi ne l'accorde qu'aux femmes, sur les biens de leur mari; aux mineurs, aux interdits, sur les biens de leurs tuteurs; à l'Etat, aux communes, aux établissements publics, sur ceux des receveurs et des administrateurs comptables.

Dès lors, si le mandataire n'est pas solvable au retour de l'absent, la perte de celui-ci est inévitable; la répétition de la jouissance de ses revenus accumulés pendant des années est impossible, rien ne peut prévenir sa ruine.

Si, au contraire, les héritiers présomptifs sont renvoyés en possession provisoire, en vertu de la loi que je sollicite, indépendamment du plus. grand soin apporté dans l'administration des biens auxquels ils attacheront l'intérêt que met tout homme raisonnable à l'objet dont beaucoup de vraisemblances lui promettent la propriété définitive, la solvabilité de la caution qui aura été donnée, la précaution des mesures conservatoires qui seront requises par le ministère public, garantiront à l'absent, en cas de retour, là certitude d'obtenir la remise de tout ce qui lui sera dù.

Il est donc bien évident, Messieurs, que même, dans l'hypothèse admise, la disposition législative que je provoque donnerait à l'absent une garantie précieuse qu'il n'a pas maintenant.

Dans l'ordre de la justice, cette considération est bien digne sans doute de vous être soumise, et pèsera nécessairement dans vos esprits.

Objectera-t-on que de tous les délais le plus bref, imposé jusqu'à ce jour, était celui consacré par les principes parisiens, et qu'encore ce délai était de trois années?

Je l'avoue, Messieurs; aussi je n'attaque pas le principe général de la loi, je demande seulement une exception à son autorité pour une espèce particulière qui tranche d'une manière si frappante avec les cas ordinaires, que personne ne me semble pouvoir s'étonner de la voir soumise à une règle faite pour la gouverner exclusive

ment.

Quelle différence, Messieurs, entre la présomption qui ne résulte, dans l'absence, que d'un silence qui peut être décidé par mille autres causes que celle de la mort, et la présomption (je pourrais dire la conviction) que produit ce concours de tristes circonstances dont je ne vous affligerai plus en en répétant l'analyse!

Peat-être opposera-t-on qu'il n'y a pas de corps militaire qui ne fasse tenir des états très-exacts, par noms, prénoms, désignations de grade, avec les lieux et les époques de ceux qui périssent à Farmée; que conséquemment l'exercice du droit de l'héritier doit être suspendu jusqu'à l'expiration des délais prescrits, s'il ne représente pas cette preuve légale si facile à se procurer.

Je serais moi-même de cet avis si ce qui sert de règle et de police dans les corps avait été praticable au milieu des terribles événements dont les détails rendront bien effrayantes quelques pages de notre histoire.

Mais, vous le savez, Messieurs, jamais la loi n'imposa à personne l'obligation de l'impossible; l'axiome de droit, qui existe à cet égard, est devenu trivial à force de vérité.

Et vous n'ignorez pas que la nature des circonstances, pour un grand nombre de familles, élève un obstacle invincible à la représentation de la

Tout ce qui constitue l'état des hommes être prouvé par la représentation de l'ex des registres, dont la tenue est commandée la loi.

Si cependant, Messieurs, dans des temps trouble, ces registres ont été incendiés, lac l'obligation de les représenter cesse. Un a genre de preuve est reçu.

La preuve testimoniale est inadmisible que la valeur de l'objet en débat ex 150 francs.

Et cependant la loi déroge encore à ce principe, lorsqu'il est constant qu'il n'a pa possible au créancier de se procurer un écrit.

Inutilement, Messieurs, je multiplierais ic exemples de cette nature; il me suffit de dire La loi est trop sage pour ne pas auto des exceptions à la généralité de ses pro principes, dans tous les cas où elle ne pou s'y refuser qu'en exigeant l'impossible.

Il y aurait tyrannie et absurdité si elle r faisait pas.

Je ne vous observerai point, Messieurs, l'intérêt du trésor public réclame l'exception je provoque, parce que je vous honore trop penser que jamais vous vouliez faire agin une loi purement civile les considérations fiscalité.

Mais, qu'en terminant, il me soit perm vous répéter encore qu'un grand nombr familles est intéressé au succès de ma dema et que, si je ne me trompe fortement, la ju elle-même vous invite à la prendre en consi tion.

Proposition.

Supplier humblement le Roi de présente projet de loi qui déclare :

1° Qu'il y a présomption de la mort de tou militaires français qui, ayant rejoint l'ar ont cessé, depuis deux ans ou davantage, d raître au corps auquel ils appartenaient et depuis, n'ont pas donné de leurs nouvelles.

2° Qu'en conséquence de cette présomptio en annulant toute disposition de loi cont pour l'espèce dont il s'agit, ceux qui, au mo du départ ou des dernières nouvelles desdit litaires, étaient leurs héritiers présomptifs, ront, après avoir fait constater l'absence manière légale, demander l'envoi en posse provisoire des biens de l'absent, à la charg donner bonne et valable caution, pour la s de leur administration.

Un membre fait observer que le gouverne s'occupe en ce moment de la loi dont le vient d'être développé.

M. le Président met aux voix si la pro tion sera prise en considération.

La Chambre se prononce pour l'affirmati ordonne l'impression des développements.

M. le Président appelle à la tribune le ra teur de la commission chargée de l'examen proposition de M. Michaud tendant à décern témoignage de reconnaissance publique aux çais qui ont défendu le Roi et la royauté, lo la révolution du 20 mars et pendant l'inter M. de Bonald (1). Messieurs, lorsque

(1) La commission était composée de MM. le Mouchy, Richard, de Bourrienne, le comte d'Hautef de La Marre, Amariton de Montfleury, de Bonal

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