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timent tel, ou dans le peuple ou dans la Chambre, que le Roi se croie obligé de dissoudre cette même Chambre; alors arrive nécessairement le renouvellement total, ce mode si dangereux; et c'est précisément pour la circonstance où il peut offrir de graves inconvénents que ce mode devient inévitable, puisqu'il est la suite nécessaire de l'exercice de la prérogative royale.

Quant au rapport du ministère avec la Chambre, il me semble que le ministère aura bien plus de moyens de bien connaître une Chambre qui sera la même pendant cinq ans, que celle dans laquelle il entrerait chaque année des éléments nouveaux. A cela on a discuté hier à cette tribune l'inutilité d'une action quelconque du ministère sur la Chambre, et je conçois que l'indépendance de notre caractère rend cette action plus difficile à acquérir en France, que dans toute autre nation. On a parle'de l'Angleterre, de l'impossibilité de comparer la marche de cé gouvernement avec la marche du nôtre; et je l'entends très-bien en ce sens, qu'une chose naissante ne peut pas être exclusivement comparée à une chose qui existe depuis longtemps cependant il y a toujours analogie entre les choses de même nature; l'enfant peut être comparé au vieillard: ce qui servit à ce dernier dans sa longue carrière, peut être utile aussi à celui qui commence la sienne; ce qui fut bon pour l'un peut-être bou pour l'autre; et plus les rapports de principes sont réels, plus il doit en résulter de rapports de conséquences. Or, la similitude de formes entre les deux gouvernements doit, ce me semble, établir des points fondés de comparaison, au nombre desquels on trouvera en première ligne la nécessité d'une action du ministère sur la Chambre; si cette action est nécessaire, il est incontestable que plus le ministère connaîtra la Chambre,plus il pourra l'exercer, et moins les changements seront fréquents dans cette même Chambre, mieux il la connaitra.

Quant aux qualités nécessaires pour des législateurs, elles s'acquerront bien plus évidemment par l'habitude du travail, par une pratique soutenue, et par une suite positive dans leurs fonctions, que par un mode de renouvellement, qui réduirait à une presque nullité pour ces memes fonctions une partie des députés élus.

Mais, dit-on encore, la Charte établit le renouvellement par cinquième: Messieurs, vous êtes appelés à reviser cet article, à le faire concorder avec lui-même. Quand la Charte nous fut octroyée, ce mode de renouvellement existait; elle le consacra, et alors la chose allait d'elle-même, et devait être ainsi, parce que la Chambre se renouvelait déjà par cinquième, et qu'a moins de la dissoudre, ou de la rendre permanente, il fallait suivre le mode établi.

Je pourrais appuyer mon opinion de beaucoup d'autres considérations; je pourrais m'occuper des intérêts du peuple dans leur union avec ceux du gouvernement; mais quoique je sois bien convaincu qu'il appartient à ceux qui ont toujours vécu dans le silence et l'obscurité de la retraite, qui n'en sont jamais sortis que pour travailler de toute la puissance de leur âme et de leurs moyens à conserver dans le cœur le feu sacré de l'amour de ses rois légitimes, quoiqu'il leur appartienne, dis-je, de parler des intérêts du peuple, sans que leurs paroles puissent é're mal interprétées, cependant on a fait un tel abus de ce mot, et nous vivons sous un Roi tellement le père de son peuple, que je m'interdis toutes les réflexions qui pourraient y être relatives.

Il me reste une observation qui mérite une réponse en adoptant le renouvellement en totalité, Vous avez, peut-on nous dire, l'apparence de vouloir vous perpétuer. Pour vous et pour moi, Messieurs, celte accusation me touche peu, et aucune considération ne peut nous engager à taire ce que nous croyons utile de dire. Lorsque des avantages d'une certaine nature étaient attachés à la carrière que nous parcourons, une pareille observation eùt pu affliger le cœur d'un honnête homme; mais une Assemblée choisie dans ces derniers temps par le Français fatigué d'infortunes, une Assemblée composée de gens qui, bien loin d'être une charge pour leur patrie, viennent pour la plupart lui consacrer les derniers restes d'une fortune épuisée; qui, élus dans les plus difficiles circonstances, accourent de toutes les parties du royaume, abandonnent leurs familles, leurs intérêts pour venir au pied du trône abjurer leurs souvenirs et dévouer tous leurs instants à la reconstruction du vieil édifice de nos pères, ces hommes, Messieurs, peuvent sans orgueil, je le pense, croire leur noble franchise au-dessus du soupçon.

La confirmation du renouvellement par cinquième, présentant, selon moi, une contradiction manifeste avec l'exercice de la prérogative royale, un moyen assuré pour les agitateurs d'entretenir tous les ans en France une disposition fâcheuse, évidemment nuisible à cette harmonie qui doit régner entre les pouvoirs; le renouvellement en totalité, au contraire, me paraissant inséparable de l'exercice de la prérogative royale, et propre à donner au gouvernement une marche forte et suivie dans l'administration, je vote pour le mode de renouvellement en totalité et pour les autres articles proposés par la commission, sauf le premier article, pour lequel je soumets l'amendement suivant à la Chambre :

<«< Nul ne pourra être élu à la Chambre des députés s'il n'est âgé de trente ans révolus. »

M. le comte de Saint-Aulaire soutient que toutes les dispositions de la loi des élections doivent être considérées dans leur ensemble, parce que toutes doivent être coordonnées les unes par rapport aux autres, et régies par l'influence du même principe. Le nombre des députés, par exemple, ne peut être fixé arbitrairement; il sera la conséquence rigoureuse, arithmétique d'un calcul dont les bases seront fournies par le système qui sera adopté pour la formation de la Chambre. L'orateur soutient que l'âge des députés est soumis à l'influence du même principe, si l'on convient que la principale fonction de la Chambre des députés est de faire entendre au gouvernement l'expression de l'opinion publique, de l'avertir sans cesse des intérêts nationaux, c'est-à-dire les intérêts de la majorité des citoyens; alors il convient de laisser aux électeurs la plus grande latitude possible, parce qu'ils sont les meilleurs juges possibles des conditions qui rendront leurs délégués les interprètes fidèles de leur opinion, les mandataires les plus sûrs de leurs intérêts.

On craint, dit l'orateur, l'esprit novateur qui appartient à la jeunesse. Peut-être, dans l'état actuel de la France, pourrait-on observer au contraire que les souvenirs de l'age mûr sont plus inquiets que l'imagination de la jeunesse. Peutêtre les plus grands, les plus périlleux changements seraient-ils provoqués par les regrets du passé, plutôt que par des combinaisons nouvelles pour l'avenir.

Quoi qu'il en soit, si la Chambre des députés

doit être l'organe de l'opinion publique, si cette opinion se compose des voeux, des intérêts, des passions, même de tout ce qui a une volonté active dans la nation, quel étrange calcul vous porterait à éloigner de cette Chambre toute la génération dont la volonté a le plus d'action, le plus d'influence sur la volonté générale? Quel étrange calcul vous empêchera d'interroger l'opinion de la partie la plus forte de la nation, c'està-dire de celle avec laquelle il est le plus important que le gouvernement marche parfaitement d'accord?

Sans doute, ces raisonnements perdraient beaucoup de leur force, si vous voulez ne considérer, dans la Chambre des députés, qu'une espèce de conseil du Roi, destiné à assister Sa Majesté dans la répartition de l'impôt et à éclairer la discussion des lois. Il conviendrait alors de faire choix des hommes de la nation les plus éclairés dans les questions d'économie et de jurisprudence. Les connaissances appartenant habituellement à l'âge mûr, il serait alors conséquent de choisir des députés âgés de quarante ans.

C'est ainsi, Messieurs, que dans les hypothèses différentes nous arrivons à des résultats différents; et rien ne prouve mieux que dans cette importante matière toutes les questious sont enchaînées les unes aux autres. On ne saurait en résoudre une d'une manière absolue, sans remonter jusqu'au premier principe qui les régit toutes. Nous voulons déterminer le nombre, l'âge des députés de la Chambre, et nous ne nous étendrons pas sur la nature de cette institution; sur l'étendue du pouvoir qu'il faut lui attribuer dans notre gouvernement. Hier, nous avons entendu un de nos éloquents collègues se plaindre que nous abandonnions les anciens principes de la monarchie, que nous allions chercher chez une nation étrangère des analogies inconsistantes avec nos mœurs, avec l'esprit de notre gouvernement.

Je ne comprends pas, je l'avoue, comment il nous serait possible d'accepter le principe du gouvernement anglais, et d'en refuser les conséquences. Je ne puis saisir aucun rapport entre les anciennes institutions de la monarchie et celles qui existent aujourd'hui. Le plus grand, le plus important changement me paraît survenu, nonseulement dans la forme, mais dans le principe de notre gouvernement.

En effet, Messieurs, il n'existe que deux principes de gouvernement réellement différents entre eux, la liberté et l'arbitraire.

La liberté existe partout où le citoyen ne peut être atteint que par la loi dans sa personne et dans sa fortune. L'arbitraire existe lorsque le souverain peut disposer suivant sa volonté de la fortune et de la personne du citoyen.

Cette distinction me parait la seule réelle. Celles que l'on établit entre les républiques, les monarchies absolues ou limitées, ne sont prises que dans la forme des institutions, et les institutions elles-mêmes n'ont d'importance qu'autant qu'elles garantissent l'existence du principe du gouver

nement.

Au moyen âge, le principe de la monarchie française etait la liberté. Mais la science du gouvernement, dans son enfance, n'avait enseigné que des institutions, garanties insuffisantes de la liberté. On y suppléait par la violence. Cette violence avait un caractère légal, et les Institutions de saint Louis établissent dans quel cas un vassal peut faire la guerre au Roi son seigneur. Une civilisation plus avancée devait proscrire ces

rendit ensuite la pratique impossible. Mais dès lors le principe du gouvernement périclita, puisque ce principe n'avait plus de garantie. Depuis plusieurs siècles notre gouvernement, le plus doux et le plus heureux de l'Europe, grâce au caractère de nos souverains, ne pouvait cependant se vanter d'aucune institution constituée conservatrice de la liberté, puisque les prétentions des parlements ne s'appuyaient sur aucun droit précis et reconnu.

A son retour en France, le Roi a proclamé la liberté, c'est-à-dire qu'il a reconnu à ses sujets le droit de ne pouvoir être atteints dans leurs personnes et dans leur fortune que par une loi à laquelle ils seraient appelés à concourir.

Mais Louis XVIII, Messieurs, ne voulait pas, comme Buonaparte, tromper la confiance de ses peuples; en proclamant la liberté il a créé des institutions conservatrices de la liberté. Pour remplacer la violence de l'ancienne aristocratie, ou l'autorité contestée du parlement, le Roi-législateur a appelé l'opinion publique, par laquelle il a voulu être sans cesse averti des intérêts de ses peuples ou des prévarications possibles de ses ministres. Il a institué la Chambre des députés organe légal de cette opinion. C'est ainsi, Messieurs, que je comprends la Charte constitutionnelle. L'autorité royale a voulu s'imposer la loi de consulter toujours, de déférer souvent à l'opinion publique légalement exprimée, et cette concession n'est pas moins un monument de la grandeur que de la bonté de notre monarque.

En effet, Messieurs, dans l'état actuel de la France, l'extrême difficulté de gouverner ce malheureux pays résulte de ce que les anciennes aristocraties sont détruites, et l'on n'aperçoit pas les cléments pour en constituer de nouvelles. Les propriétés sout plus divisées que dans aucun pays du monde, des lumières bienfaisantes ou fatales, vraies ou fausses, ont pénétré dans toutes les classes de la société. Après vingt-cinq années de révolution, tous les liens de la subordination politique, morale et religieuse sont relâchés, tous les intérêts sont opposés, toutes les passions sont en présence, et lorsque le gouvernement devrait déployer une vigueur si nécessaire, la force publique est à peine organisée ... Qui le protégera?... Qui assurera sa marche sur une mer battue de tant d'orages? . . . Ne craignons rien, Messieurs, pour le vaisseau chargé de nos plus chères espérances; un pilote habile peut saisir un gouvernail qui brave les tempètes, qui sillonnera paisiblement les flots les plus menaçants. Le Roi peut disposer d'une force qui disperse les armées, qui renverse les trônes ou qui les affermit sur des bases inébranlables: l'opinion publique, la volonté nationale. . . Que le gouvernement marche avec elle, et la patrie est sauvée, et bientôt nous serons étonnés nous-mêmes de notre prospérité.

L'orateur termine en demandant que l'Assemblée ne fixe ni l'âge ni le nombre des députés avant d'avoir adopté un plan général pour la loi des élections.

M. Michaud paraît à la tribune. La faiblesse de son organe ne lui permettant pas de se faire entendre, il remet son opinion écrite à M. le vicomte de Castelbajac qui en fait la lecture.

M. Michaud (1). Messieurs, croyez-vous qu'il soit possible de faire aujourd'hui une bonne loi sur les élections? Notre législation, sur ce point,

(1) Le discours de M. Michaud n'a pas été inséré au

doit être réglée d'après l'état actuel de la société, ou d'après les améliorations qu'on espère dans la société? Doit-elle être le résultat et la conséquence des lois qui ont été faites jusqu'à ce jour, ou doit-elle être le résultat et la conséquence des lois qui nous restent à faire? Telles sont les questions que la discussion a fait naître dans vos bureaux, et qui ont fait désirer à plusieurs d'entre nous que le projet de loi soit ajourné.

En jetant les yeux sur l'état présent de la société, je ne vois aucune des institutions auxquelles une bonne loi pourrait se rattacher. Nous trouvons en France 25 millions d'individus, mais aucune classe de citoyens; nous voyons partout des hommes former des partis pour défendre des opinions et des systèmes, mais nulle part des corporations formées pour défendre de véritables intérêts; il est aisé de suivre sur la carte les divisions de notre territoire, mais on ne voit dans nos départements que les noms des fleuves et des rivières qui puissent nous rappeler les souvenirs de la France. Les habitudes populaires, les usages des provinces, cet esprit d'administration locale, qui était un sentiment de patriotisme, cet esprit de corps, qui était presque toujours un sentiment d'honneur, tout ce qui servait à réunir les hommes et les faisait marcher ensemble vers un but commun, tout ce qui constituait la force morale de la patrie, s'est dissipé comme l'ombre; il ne nous reste plus, si j'ose parler ainsi, que le matériel de la société; il ne nous reste plus que des terres et des maisons, je veux dire la propriété. Dans cet état de choses, ne doit-on pas plaindre le législateur qui est obligé de reconstruire l'édifice social, et qui se trouve sans cesse condamné à bâtir sur des ruines et avec des ruines?

Votre commission, Messieurs, a senti toutes les difficultés qui vous attendent. Aussi s'est-elle bornée à vous présenter d'abord quelques-uns des articles de la Charte qui ont rapport aux élections, et que l'ordonnance du 13 juillet vous a chargés de réviser. Je n'examinerai point les premiers articles qui vous sont proposés, et sur lesquels la Chambre paraît avoir d'avance exprimé son opinion. Je dirai peu de chose de l'âge prescrit pour être député cet article est un de ceux que l'on peut attaquer et défendre par de fort bonnes raisons. La discussion sur ce point nous rappelle une vérité affligeante: c'est que, dans notre société actuelle, l'âge est la seule chose qui distingue les citoyens, et qui les range en plusieurs classes. Lorsque, dans la Révolution, on voulut diviser le Corps législatif en deux chambres ou deux conseils, on ne trouva dans le peuple français que deux classes d'hommes : les vieux et les jeunes. On forma le conseil des CinqCents, et le conseil des Anciens. Il est douloureux de voir que nous ne soyons guère plus avancés aujourd'hui que nous ne l'étions alors. Au reste, Messieurs, sans m'arrêter davantage sur cette pensée, je me hâte d'arriver à une question qui me semble bien plus importante, et sur laquelle je n'aurai pas besoin d'appeler votre attention.

L'article 37 de la Charte a été expliqué diversement, ce qui prouve au moins que le sens en est obscur, et que la rédaction doit en être changée. D'après cet article 37, les députés sont élus pour cinq ans; d'une autre part, on nous dit que nous devons être renouvelés par série, et que le renouvellement doit commencer dans la présente session; la Constitution dit donc tout à la fois que nous sommes élus pour cinq ans, et que nous

T. XVI.

sommes renouvelés tous les ans. On nous objecte que la disposition de la Charte n'est pas applicable aux nominations de 115, mais aux nominations futures; ne peut-on pas répondre à cette objection que, lorsque, dans l'avenir, le Roi usera de la prérogative qui lui est accordée de dissoudre la Chambre, la difficulté restera toujours la même? Il y aura toujours des députés qui ne seront point élus pour cinq ans, et l'article 37 de la Constitution ne sera maintenu que pour être violé chaque année.

Souffrez, Messieurs, que je vous exprime ici ma surprise, et que je vous demande pourquoi la Constitution, que nous regardons tous comme l'Evangile de notre liberté, est sans cesse pour nous un objet de controverse. Quand donc viendra le jour où cette Constitution aura cessé d'être comme un livre qu'on vend chez les libraires, et que tout le monde peut expliquer, commenter, critiquer à son gré? Quand viendra le temps où nous la trouverons dans la monarchie légitime, où nous l'étudierons dans le gouvernement que nous avons juré de défendre, restant à la fin pour nous comme une Charte vivante, comme une grande pensée mise en action? Dans l'article 37, comme dans beaucoup d'autres, chacun se montre habile à découvrir le sens qui convient à ses vues et à son système; mais au milieu de nos grands débats, personne n'a le droit de prononcer et de donner son opinion pour une autorité; et dans le doute, il nous semble que votre commission a fait sagement de décider la question en faveur de la prérogative royale. Cette prérogative reste tout entière avec le renouvellement intégral qu'on vous propose; avec le renouvellement successif, elle n'est qu'un attribut illusoire. Dans le premier cas, le pouvoir royal s'exerce dans toute son étendue, et peut montrer sa prévoyance; dans le second, il n'a plus besoin de faire ce que le sort et le temps peuvent faire sans lui. Personne, à cette tribune, n'a contesté au Roi le droit qu'il a de dissoudre la Chambre; nous pensons tous, au contraire, que cette prérogative est la sauvegarde de nos institutions. Nous pensons tous que le Roi doit en user souvent, et qu'il doit en user sans même que les circonstances l'exigent, afin que son droit soit consacré par l'usage avant de l'être par la nécessité.

Ceux qui pensent que la Chambre doit être renouvelée par cinquième, vous disent que ce mode de renouvellement est plus conforme à la nature du gouvernement représentatif, qu'il causera moins d'agitation dans le peuple, qu'il mettra plus d'harmonie entre les pouvoirs.

Ces raisonnements ne sont que de pures assertions qui ne reposent sur aucun fait connu. Ce ne sont là que des assurances qu'on nous donne, et dont nous pouvons croire tout ce que nous voudrons, puisque l'avenir seul peut nous apprendre si elles seront réalisées. Lorsque nous citons l'exemple de l'Angleterre, où le renouvellement intégral de la Chambre des communes a lieu tous les sept ans, sans agitation et saus secousse dans l'Etat et dans le peuple, les mêmes orateurs nous disent que l'Angleterre n'est point comparable à la France, et que deux peuples, si différents par leurs mœurs et leur caractère, ne peuvent être gouvernés par les mêmes lois : on peut leur répondre, cependant, qu'il nous faut chercher les sujets de comparaison hors de notre pays, puisque nous ne les trouvons pas chez nous; quand il s'agit du gouvernement représentatif, nous ne pouvons nous comparer à nous-mêmes, puisque notre gouvernement n'a point de passé,

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et que, sous ce rapport, nous sommes un peuple nouveau, un peuple né d'hier; les mêmes orateurs ont ajouté à cette tribune, que le gouvernement anglais ne subsistait que par les abus qui s'y sont introduits, et, que si janiais les principes sur lesquels il repose, venaient à être mis en action, il périrait. J'avoue qu'on ne peut faire une satire plus sanglante du gouvernement représentatif; et si la doctrine qu'ils professent venait à être reconnue pour la vérité, la Chambre ne devrait plus s'occuper du renouvellement intégral ni du renouvellement successif, mais supplier le Roi de reprendre l'autorité de ses aïeux, et de se proclamer le seul représentant de son peuple.

Les mêmes orateurs, pour combattre le projet de la commission, s'efforcent de réveiller nos craintes ils nous représentent les dangers des passions populaires; ils nous montrent l'avenir Sous les sanglantes images du passé; ils affectent surtout de montrer la démocratie armée contre la monarchie, dans la Chambre des députés. Dans la discussion qui nous occupe, on a souvent parlé du pouvoir démocratique, et j'avoue que j'ai de la peine à comprendre ce qu'on entend par ce mot. S'il est vrai que la Chambre des députés représente la démocratie dans notre gouvernement, il faut convenir que c'est une étrange démocratie que celle qui est composée des plus fidèdes amis du Roi, qui est composée des plus grands propriétaires du royaume, que celle, en un mot, qui est sans cesse occupee a détruire tout ce qui nous reste de l'esprit et des formes démocratiques. Non, sans doute, nous ne sommes point la démocratie, et c'est pour cela que nous voulons assurer la paix et le repos de la France. Non, sans doute, nous ne sommes point la démocratie, et c'est pour cela que nous adoptons le projet de la commission, et que nous préférons une Assemblée législative, qui peut rester la même pendant cinq ans, à une Assemblée qui doit changer sans cesse.

Vainement m'objectera-t-on que ce changement ressemble à cette transpiration insensible, par laquelle se renouvellent tous les corps organisés je répondrai que dans notre corps politique, tel qu'il est constitué, il faut, surtout, chercher le principe de la vie dans ce pouvoir qui met les autres pouvoirs en action; dans ce pouvoir, en un mot, sans lequel il n'y a point d'autres pouvoirs.

Comme on s'obstine à nous dire que la prérogative royale reste tout entière dans le système du renouvellement annuel, permettez-moi d'ajouter une seule observation: si jamais la Chambre est dissoute par le Roi, parce qu'elle aura été jugée dangereuse, qu'arrivera-t-il? La Chambre nouvelle se trouvera sans doute animée d'un meilleur esprit; mais comme tout peut changer, grâce au renouvellement successif, une année, deux années suffiront pour rendre la dernière Chambre plus dangereuse que la première. Ainsi, vous aurez donné au Roi la faculté de dissoudre une Chambre lorsqu'elle sera mauvaise, mais vous lui aurez refusé le pouvoir de la conserver lorsqu'elle sera bonne. Ainsi vous aurez exposé la monarchie à tous les dangers que peuvent lui faire courir les chances du sort et de l'avenir, les fluctuations de l'opinion publique, et la corruption du siècle où nous sommes.

Vous n'ignorez pas, Messieurs, qu'un des plus grands obstacles au bien qu'on pourrait faire, est cette habitude du changement, ce malaise, cette mobilité inquiète des esprits, dernière plaie de la Révolution. Depuis vingt-cinq ans tout change au

séparé de la veille par un siècle d'événements nouveaux. Les hommes et les institutions ont passé sous nos yeux, comme des ombres fugitives. Au milieu de ce théâtre mobile et changeant on ne s'attache à rien; à l'impatience des nouveautés, s'est mêlée une profonde indifférence pour tout ce qu'on a vu une seule fois. Il me semble, de toutes parts, entendre ces paroles qui expriment si bien la maladie de notre siècle : Soyez le vice, soyez la vertu, soyez la sottise, soyez le génie, vous serez également accueillis. pourvu que vous arriviez aujourd'hui, et que vous partiez demain. Tel est le malheureux esprit qui à fait la Révolution, qui l'a prolongée, qui peut la prolonger encore, et voilà le mal qu'on ne pourra guérir, qui ne fera que s'accroître chaque jour, si vous n'accoutumez le peuple à voir, pendant quelque temps au moins, les mêmes hommes dans les assemblées politiques, et si vous lui présentez sans cesse l'instabilité des choses humaines comme le mobile de notre gouvernement et le principe de notre Constitution. Non, Messieurs, je n'ai pas besoin de vous répéter que le renouvellement successif, admis en concurrence avec l'exercice de la prérogative royale, ne tend qu'à entretenir la funeste disposition des esprits, à toute espèce de changement.

Dans le système que l'on voudrait nous faire adopter comme une garantie pour l'avenir, les hommes que le peuple a nommés pour défendre ses intérêts ont à peine le temps de se connaître entre eux, de se former aux fonctions qu'ils sont chargés de remplir; cette opinion publique dont on a fait un quatrième pouvoir dans les gouvernements représentatifs, ne peut connaître et juger des hommes qui ne font que passer. La responsabilité morale qui doit offrir une sûre garantie au peuple, n'existe plus pour des législateurs qui ne paraissent qu'un moment sur la scène. Je ne vois alors qu'un déplacement, qu'une révolution continuelle où les passions n'ont plus de frein, où chacun n'est occupé, pour me servir de l'expression d'un grand poëte, qu'à dévorer le règne d'un moment; où personne n'a le temps de recevoir ni la punition ni la récompense de sa conduite. Souvent la sagesse d'une Assemblée dépend de la conscience qu'elle a de sa durée. Plus vous abrégerez l'existence politique des députés, plus ils seront pressés d'agir et de hâter ce qui doit être fait lentement; moins ils auront de cette sage patience qui souffre le mal qu'on ne peut empêcher, qui fait attendre l'occasion, et qui ne demande point au présent des biens qu'on ne peut attendre que de l'avenir.

Je conviens, Messieurs, qu'un trop long exercice du pouvoir peut corrompre les plus sages législateurs; mais il est vrai de dire aussi que l'éternel changement dans les hommes chargés de la législation, peut amener des changements dans les lois de l'Etat; car il est dans la nature de l'homme de donner à tout ce qu'il fait l'empreinte de sa volonté, et de marquer partout son passage par des choses qui lui sont propres. Il est nécessaire, sans doute, que la Chambre des députés soit renouvelée; elle doit l'être surtout, lorsqu'elle peut donner des sujets de crainte au monarque et à la patrie; l'indépendance du trône, le salut du peuple veulent que les députés de la nation ne restent pas en place trop longtemps, et que même ils soient changés avant le terme de cinq ans, fixé par la Constitution. Mais pour que ces changements ne causent ni agitation ni inquiétude, pour qu'ils soient utiles

par la volonté d'un pouvoir qui ne change point; qu'ils viennent de cette autorité qui, seule, est restée debout au milieu des ruines; de cette autorité dont la seule présence nous rassure contre les révolutions.

Après une révolution comme la nôtre, nous ne saurions trop montrer aux peuples la royauté comme une puissance immuable contre laquelle toutes les passions viennent se briser. Nous ne saurions trop représenter les rois comme les gardiens des libertés publiques; nous ne saurions trop, enfin, les montrer comme un asile toujours ouvert contre l'oppression et l'injustice, et, s'il m'est permis d'employer une expression des livres saints, comme un abri qui met à couvert de la tempête, comme la roche avancée sous laquelle on est à l'ombre dans un climat dévorant.

Je vous prie, Messieurs, de m'accorder ici toute votre attention, et de remonter un moment avec moi à l'origine du renouvellement par fraction dans notre représentation nationale.

L'Assemblée constituante, succombant sous les ruines qu'elle avait entassées, fatiguait la nation. Elle fut obligée de se renouveler, et l'opinion, qui s'élevait de toutes parts contre elle, la força de décréter qu'aucun de ses membres ne pourrait être réélu pour l'Assemblée qui devait la suivre. Dès lors on jugea qu'elle avait fait une faute; et lorsque la Constitution de 1792 fut renversée, on attribua généralement sa chute à ce qu'aucun de ceux qui l'avaient faite ne se trouvait admis à la défendre. Cette opinion, vraie ou fausse, décida le gouvernement à prendre une autre marche, et, pour ne pas laisser la République, dont elle avait conçu la monstrueuse pensée, entre les mains d'une Assemblée nouvelle, elle résolut de ne se dissoudre que par tiers. La nation tout entière s'éleva contre cette résolution, mais la volonté de la Convention fut proclamée par le canon de vendémiaire, et devint une loi de la République. Cette loi, dictée par le génie de la Révolution, enfanta bientôt des révolutions nouvelles. Les nouveaux tiers admis dans les conseils, avec les débris de la Convention, firent trembler le Directoire, qui, le premier, opposa les soldats aux citoyens, et fit la journée du 18 fructidor. D'innombrables victimes déplorèrent dans les prisons, sur l'échafaud, dans l'exil, les funestes effets du renouvellement par tiers. Voilà pourtant la loi qu'on nous représente aujourd'hui comme la sauvegarde du gouvernement légitime. Il est vrai de dire que le monstrueux édifice de la République fut à la fin renversé par suite du renouvellement successif; mais ne craignez-vous pas qu'on se serve contre la monarchie des moyens qui ont servi à renverser la République ?

C'est ici, Messieurs, que nous devons déplorer le fatal aveuglement de notre âge, de cet âge à qui le malheur n'a rien appris, et qui se laisse toujours entraîner aux mêmes erreurs. On nous a souvent recommandé, à cette tribune, d'oublier le passé; mais pourquoi les lois que nous discutons nous rappellent-elles sans cesse ces époques désastreuses qui doivent être bannies de notre mémoire! Ah oui, sans doute, il faut oublier le passé, puisque nos souvenirs n'ajoutent rien à notre expérience, puisque nous sommes toujours prêts à consacrer, dans nos lois, tout ce que nous avons vu de funeste et d'injuste! Ah! oui, sans doute, il faut oublier le passé, puisque toute notre sagesse se borne à demander à nos modernes républicains comment on doit reconstruire une monarchie, et que, pour établir une législation sur des bases durables, nous ne savons trouver d'au

tres modèles que les hommes qui ont tout renversé et tout détruit.

Ce que je viens de vous raconter nous prouve deux choses: la première, c'est qu'il y a toujours danger à réunir trop souvent les assemblées électorales; la seconde, c'est qu'on ne peut conserver la constitution et les lois d'un Etat, quel qu'il soit, avec une Assemblée dont les membres ne sont pas tous animés du même esprit. Ceux qui combattent le projet de la commission nous font redouter les effets de la discorde dans la Chambre des députés; et, pour nous rassurer, ils ne craignent pas de nous dire que l'union et la paix doivent surtout s'établir et se conserver dans une Assemblée qu'on renouvellera tous les ans, dans une Assemblée formée chaque jour d'éléments nouveaux et souvent de partis contraires. Etrange politique, qui veut nous faire voir le remède dans l'excès du mal, qui nous montre l'espoir de la sécurité dans le sujet de nos alarmes, et trouve dans la source de nos discordes passées le principe de l'harmonie.

Les mêmes orateurs ne sont guère plus conséquents, lorsqu'ils s'efforçent de nous faire redouter les élections du peuple, et qu'ils nous proposent de faire des élections tous les ans, tandis que dans le système de la commission, les assemblées électorales ne sont convoquées que tous les cinq ans; ils nous représentent surtout le renouvellement intégral fait par la loi elle-même, comme une occasion d'agitation et de trouble; et, par une véritable contradiction, ils ne redoutent point ce renouvellement intégral, lorsque, dans les dangers de la patrie, il sera fait par la volonté du Roi. Ce qui ne les effraye point pour un moment de crise, les effraye pour un moment de tranquillité; ce qui fait leur effroi dans un temps ordinaire, ils ne le craignent point aux jours du péril.

Cependant, Messieurs, je dois le dire; au milieu des erreurs et des crimes de la Révolution, il est une vérité consolante qu'il ne faut jamais perdre de vue. Une fraction du peuple peut s'égarer, mais la nation entière ne se trompe point. Les bourreaux de Louis XVI le savaient, puisqu'ils ne s'adressaient jamais à tout le peuple à la fois; Bonaparte le savait, puisque toute sa politique consistait à se servir d'une partie du peuple pour subjuguer et faire trembler tout le reste. Comme les bourreaux de Louis XVI, comme tous les révolutionnaires, comme Bonaparte, tous ceux qui veulent consacrer l'erreur, qui veulent établir la tyrannie, s'adressent à un petit nombre d'hommes dont ils espèrent faire leurs instruments et leurs complices; mais ceux qui cherchent la vérité et la justice, s'adressent à tous les hommes réunis, parce que tous les hommes réunis désirent la justice et la vérité. Nous ne devons pas oublier, Messieurs, qu'une minorité séditieuse a repoussé la dynastie légitime, et que la majorité de la nation, ou plutôt que la nation tout entière a rappelé sur le sol français les fils d'Henri IV et de saint Louis.

Après les événements qui se sont passés sous nos yeux; aujourd'hui, Messieurs, que les esprits sont encore agités, que le monde politique comme le monde physique a ses orages de mars, est-il bien sage de tenter des élections partielles, et de s'adresser à des fractions du peuple, au lieu de s'adresser à la nation tout entière ? L'esprit d'intrigue, l'esprit de faction, un bruit adroitement répandu par la malveillance peuvent avoir une influence malheureuse sur le choix de quelques assemblées électorales; mais toutes les assemblées réunies à la fois sous les yeux de la nation,

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