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seule différence est que le premier ne fait foi que jusqu'à preuve contraire et le deuxième jusqu'à inscription de faux.

Cette disposition de la loi, lors de la discussion parlementaire, ne passa pas sans protestation. L'honorable M. Jumel, député des Landes, fit remarquer qu'elle était exorbitante: « Que les représentants de la force publique qui sont chargés de faire la police de tous lieux, puissent la faire dans une propriété privée, je le comprends; mais qu'un garde particulier puisse surveiller la propriété particulière du voisin, je suis convaincu que vous trouverez ce droit exorbitant. »

Le ministre de l'agriculture répliqua : « En ce qui concerne la surveillance des forêts, nous avons dans les Maures et l'Estérel des gardes forestiers domaniaux et communaux chargés de la police générale. Nous joignons à ces agents pour seconder leur action, les gardes. particuliers des forêts privées, mais avec cette précaution qu'ils doivent être agréés par le préfet d'abord et par le conservateur des forêts ensuite. Dans ces condi tions, ils peuvent tout aussi bien verbaliser que les gardes forestiers de l'Etat, afin d'empêcher les contraventions à la loi qui vous est soumise en y joignant cette restriction que leurs procès-verbaux font foi seulement jusqu'à preuve contraire » (1).

(1) Discussion parlementaire. Chambre des députés, année 1893, p. 1530. Séance du 29 mai 1893.

CHAPITRE III

LE DÉFRICHEMENT.

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LA

LES CAUSES ÉCONOMIQUES DU DÉFRICHEMENT. HISTORIQUE DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE DU DÉFRICHEMENT. ORDONNANCEs du xvio siècle. CRAINTE DE MANQUER DE BOIS. ORDONNANCE DE 1669. PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE. LA LOI DU 9 FLORÉAL LE CODE FORESTIER de 1827.- L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE AU MILIEU DU XIX SIÈCLE. LA LOI DU 18 JUIN 1859. LES IDÉES ACTUELLES SUR LA QUESTION.

AN XI.

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La seule restriction importante au droit de propriété forestière privée qui ait subsisté dans le Code forestier est relative au défrichement.

Il faut remonter au xvi° siècle pour noter les premiers efforts de la législation, en vue d'interdire le défrichement. Jusque-là le déboisement avait pu paraître au contraire œuvre utile. La civilisation pénètre un pays, la hache en main; elle crée, au détriment de la forêt, ses centres d'habitation et leurs cultures agricoles, jusqu'au jour où l'équilibre étant de nouveau rompu, cette fois au profit de l'agriculture, il semble indispensable à l'intérêt public de maintenir les forêts existantes, le bois étant aussi nécessaire à la vie matérielle d'un peuple que peuvent l'être les céréales.

Mais les produits habituels de la terre se créent en quelques mois; il faut au contraire à l'arbre de longues années pour être une marchandise utile. Si la loi n'intervient, il dépend parfois d'un caprice momentané que la fortune forestière d'un pays disparaisse, sans espoir qu'elle puisse se reconstituer à temps pour parer aux besoins du lendemain.

Défricher, c'est en effet, d'après la définition donnée par Dupin « arracher un bois, troncs et racines, afin d'y faire passer la charrue et de le mettre en cul

ture ».

Le défrichement est qualifié par les lois allemandes <«< la transformation de la culture forestière en une autre culture ».

Nous préférerions dire défricher c'est supprimer d'une façon définitive, et par un moyen quelconque, l'état boisé là où il existait précédemment. Il n'est pas indispensable en effet, pour que le défrichement ait de pernicieux effets, que les racines aient été arrachées ; comme aussi le défrichement se produit souvent sans qu'une autre culture ait été substituée à celle du bois.

La tendance d'un peuple agricole, celle surtout d'un peuple industriel est donc de défricher. Le propriétaire a deux motifs pour procéder, même actuellement, à cette opération.

La première, c'est que la culture agricole est généralement plus rémunératrice que la culture forestière

La deuxième, que dans les premières années qui suivent un défrichement, le sol est spontanément, sans le concours d'engrais dispendieux, d'une grande fertilité due à l'accumulation de l'humus.

D'ailleurs le propriétaire particulier, qui, lui, ne s'ins

pire que de considérations du moment et n'a que rarement des pensées d'avenir éloigné, est d'autant plus porté à réaliser son matériel ligneux que le bois est devenu plus rare, par conséquent plus demandé. La demande dépasse-t-elle l'offre, que, pour les céréales par exemple, le résultat sera une production plus abondante; pour le bois l'effet contraire se produira, l'exploitant ayant un intérêt immédiat à jeter sur le marché une partie de son stock en marchandises bois, beaucoup plus considérable que ne peut l'être le produit annuel de son fonds.

Contre ce prodigue, pour employer l'expression de l'article 513 du Code civil, le législateur trouve-t-il dans l'intérêt public un motif suffisant d'intervenir?

Il a toujours répondu : oui, depuis le xvi° siècle jusqu'à nos jours, sauf pendant une courte période ; mais les causes des restrictions imposées par la loi n'ont pas été constamment les mêmes, comme nous l'avons fait déjà prévoir et comme nous nous proposons de le montrer par le détail, en faisant de la question un court exposé historique.

Pendant quatre cents ans, la préoccupation, d'ailleurs absolument légitime du législateur, a été d'assurer, par le maintien de la propriété forestière existante, l'approvisionnement des marchés locaux.

C'est le seul motif qui ait justifié les ordonnances successives celle de 1518 qui défendait à tous particuliers d'opérer des défrichements; celles de 1520 et 1588 qui avaient le même objet. Une ordonnance de 1561 avait prescrit que, dans tous les bois taillis du royaume, il serait réservé un tiers pour croître en futaie; des ordon

nances de 1563 et 1588 avaient défendu aux particuliers de couper leurs bois avant l'âge de dix ans.

Ces mesures n'allèrent pas sans rencontrer des résistances, ce qui explique le grand nombre des ordonnances prises à ce sujet.

Ces résistances se manifestèrent quand Colbert, dominé par cette pensée que « Le royaume périra faute de bois » élabora avec ses commissaires départis, et pendant huit ans, cette fameuse ordonnance de 1669, le monument législatif forestier le plus important de l'ancien régime, dont s'est si largement inspiré le Code de 1827. Les Parlements qui comptaient trop de membres intéressés à y faire échec, accueillirent l'ordonnance avec une défaveur marquée ; il fallut des lettres de jussion pour l'enregistrement et, à Paris, un lit de justice; la Chambre des comptes ne l'enregistra que par exprès commandement du roi porté en cette Chambre.

L'article 1er du titre XXVI de l'ordonnance défendait aux particuliers de couper leurs taillis avant l'âge de dix ans, avec réserve de seize baliveaux par arpent, et de dix dans les ventes ordinaires de futaie, pour n'en disposer qu'après l'âge de quarante ans dans les taillis et de cent-vingt ans dans la futaie et d'observer pour l'exploi tation de leurs bois ce qui est prescrit pour l'usance des forêts royales, sous les peines de confiscation des bois coupés et d'amendes, dont le montant était d'ailleurs arbitraire (1).

(1) ARTICLE 1er. <«< Enjoignons à tous nos sujets sans exception, ni différence de régler la coupe de leurs bois taillis au moins à dix années, avec réserve de seize baliveaux en chacun arpent; et seront tenus d'en réserver dix aussi ès ventes ordinaires de futaie, pour en disposer néanmoins à leur profit, après l'âge de quarante ans pour

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