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nécessité, d'une part, de respecter ce même droit chez autrui et, d'autre part, de réserver à l'intérêt général la prépondérance qu'il doit avoir sur l'intérêt privé.

D'où des restrictions de deux sortes (1):

Les unes, servitudes légales établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre héritage.

Les autres fondées sur des motifs d'intérêt général, ayant pour objet :

1o La sécurité et la salubrité publiques;

2o La conservation et le développement de la richesse nationale;

3o Les intérêts de la défense nationale;

4o Les exigences du Trésor (2).

L'idée que la conservation et le développement de la richesse nationale étaient intéressés à ce que des entraves fussent mises à la libre disposition de la propriété forestière privée, a longtemps influencé la législation forestière de notre pays. Au cours de cette étude, nous aurons l'occasion de démontrer qu'il n'en est plus de même aujourd'hui; une évolution s'est faite en faveur de la liberté à laquelle le législateur forestier a entendu n'assigner des bornes qu'autant que la sécurité, la salubrité publiques ou les intérêts de la défense nationale rendaient nécessaire d'en imposer.

Dans le Code forestier lui-même, ces restrictions sont de trois sortes:

(1) Aubry et Rau, Cours de droit civil français, t. II, p. 188. (2) C'est aux exigences du Trésor que se rattachent les restrictions relatives à la culture du tabac. Aubry et Rau, t. II, p.

191.

1o La restriction relative au défrichement des bois particuliers;

2o Le droit pour le service de la marine de prélever certains arbres de futaie dans les bois, même non soumis au régime forestier;

3o Le droit pour le service des ponts et chaussées de requérir la délivrance des bois destinés à l'endigage et au fascinage sur le Rhin.

Et en dehors du Code forestier:

1o Les mesures prises par le décret du 14 décembre 1810, pour l'ensemencement ou la plantation des dunes mobiles appartenant à des particuliers ;

2o Les mesures prises par les lois des 6 juillet 1870 et 19 août 1893, contre les incendies dans les régions boisées des Maures et de l'Esterel;

3o Les mesures prises par les lois des 28 juillet 1860 et 4 avril 1882, pour le reboisement des terrains en montagne.

Enfin les propriétaires privés sont soumis aux obligations de l'article 145 du Code forestier (occupation temporaire) et, en tant que riverains d'autres bois, à celles de l'article 148 (feu à 200 m. des forêts) et du titre X, section II (construction à distance prohibée).

Ce serait sortir du cadre de ce travail, que de nous arrêter aux considérations relatives au décret du 14 décembre 1810 et à la loi du 4 avril 1882. Si ces textes législatifs ont eu pour effet d'apporter des limitations, dans l'intérêt général, à la jouissance de la propriété privée, ils n'ont pas visé spécialement les terrains boisés ; ils se sont même appliqués le plus habituellement à des terrains nus, que l'Etat estimait devoir être reboisés, dans un but de sécurité publique.

Le décret de 1810 avait pour objet de parer au danger imminent que les dunes présentent pour les populations du littoral incessamment menacées dans leurs propriétés et même dans leur vie (1) et aux inconvénients dus aux encombrements successifs que les dunes forment dans les ports maritimes et à l'embouchure des rivières aboutissant à la mer (2).

Quant à la loi du 4 avril 1882 (qui a abrogé la loi du 28 juillet 1860), elle a, comme l'indique son article 2, exclusivement pour but les « travaux de restauration rendus nécessaires par la dégradation du sol et des dangers nés et actuels ».

Remarquons que les lois de 1860 et de 1882 ont introduit, pour la première fois, dans notre législation forestière le principe de l'expropriation, qui est bien la restriction la plus importante qui puisse être apportée au droit de propriété. Le décret du 14 décembre 1810 n'avait pas été aussi hardi; lorsque le propriétaire particulier se trouve hors d'état d'exécuter les travaux commandés ou s'y refuse, l'administration peut être autorisée à pourvoir à la plantation; dans ce cas elle conserve la jouissance des dunes et recueille les fruits des coupes qui sont susceptibles d'y être faites, jusqu'à ce qu'elle se soit couverte de ses dépenses; après quoi elle remet lesdites dunes au propriétaire initial, à charge d'entretenir convenablement les plantations (3).

(1) Puton, Législation forestière.

(2) Exposé des motifs du décret du 14 décembre 1810.

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(3) Décret du 14 décembre 1810, article 5. Nous avons cité cette disposition, car elle nous paraît l'une des plus originales qui soient dans nos lois. Ajoutons que les opérations entreprises par l'Etat ont été aussi avantageuses au point de vue des intérêts particuliers qu'à celui de l'intérêt général,

Droit exercé dans les forêts particulières par le service de la marine. Le droit pour la marine de prélever certains arbres de futaie propres aux constructions navales dans les forêts particulières et celui qui appartenait à l'administration des ponts et chaussées de réquisitionner les bois nécessaires aux travaux d'endigage et de fascinage sur le Rhin, n'ont plus qu'un intérêt purement historique.

Le privilège de la marine remonte très haut. A une époque où l'art des constructions navales était peu développé, où les transports à distance ne se faisaient qu'au prix des plus extrêmes difficultés, il importait que les agents de la marine royale pussent désigner, dans toutes les forêts, les arbres susceptibles de donner des pièces de bois contournées suivant les formes utiles à la construction navale. Sainctyon, dans son Recueil des Edits et Ordonnances sur les eaux et forêts, rapporte les dispositions de plusieurs ordonnances fort anciennes, telles que celles de Philippe-le-Long, en 1318, de Philippe de Valois, en 1346, de Charles V, en 1376, de Charles VI en 1388 et 1402, de François Ier, en 1515, relatives à cet objet.

La fameuse ordonnance de 1669 réglait compendieusement cette matière. Aux termes de l'article 3 du titre XXVI de l'ordonnance et de plusieurs arrêts rendus pour son application, les particuliers ne pouvaient faire couper leurs bois de haute futaie, situés à dix lieues de la mer et à deux lieues de rivières navigables, qu'ils n'en eussent, six mois avant, donné avis au contrôleur général ou au grand maître du département. La peine était de 3.000 livres d'amende et de la confiscation des bois.

Alors que la période révolutionnaire rendait aux pro

priétaires particuliers, comme nous aurons occasion de le répéter, la libre jouissance de leurs forêts, sans aucune restriction, le privilège de la marine survivait, consacré par le décret du 4 octobre 1793 et successivement par plusieurs autres décrets, arrêtés, lois et ordonnances, jusqu'en 1827 où le Code forestier le faisait sien dans son titre IX.

Comme sous le régime de l'ordonnance de 1669, les propriétaires étaient tenus de faire, six mois d'avance, la déclaration des bois qu'ils avaient l'intention d'abattre, sous peine de dix-huit francs d'amende par mètre de tour, pour chaque arbre susceptible d'être déclaré. La situation de ces bois, quant à leur distance à la mer et aux rivières navigables, n'était plus spécifiée; mais, d'autre part, le choix de la marine ne pouvait porter que sur les chênes dont la circonférence, mesurée à un mètre du sol, était de quinze décimètres au moins.

Si la servitude n'était point, comme en 1669, limitée dans l'espace, elle l'était dans le temps. Les articles 124 et suivants n'étaient applicables que pendant un délai de dix ans qui n'a pas été prorogé et qui, par conséquent, a pris fin en 1837.

<< D'excellents esprits, écrivait Dupin dans son Commentaire du Code forestier, ont pensé que ce droit de martelage accordé à la marine dans les bois particuliers ne lui était réellement pas nécessaire et que le gouvernement, quand il le voudra, se procurera facilement, et peut-être encore à de meilleures conditions, les approvisionnements de la marine par la voie et la concurrence du commerce, que par des moyens coercitifs. »

« L'intérêt particulier, disait le comte Roy (1), en (1) Rapport du comte Roy à la Chambre des Pairs, du 8 mai 1827.

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