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jury, cette preuve peut être offerte ou tentée, ou faite devant la juridic tion civile; là, au contraire, où les faits diffamatoires visent l'homme privé, elle ne peut être valablement offerte - pas plus qu'elle n'aurait pu l'être devant la juridiction correctionnelle tout au moins pour démontrer la vérité de ces faits. Mais le tribunal peut avoir à examiner s'il n'y a pas lieu, mème dans ce cas, d'autoriser le défendeur à établir par témoins aussi bien que par titres des faits de nature à diminuer sa responsabilité, au point de vue de la réparation du dommage sollicité par le demandeur. Ceci est toujours permis.

Dans les cas où la preuve des faits est autorisée par la loi, si cette preuve était rapportée, les juges civils ne peuvent pas plus accorder de dommages-intérêts que n'auraient pu en accorder les juges répressifs

Quant à la forme qu'affectera l'audition des témoins, elles est absolument subordonnée à la demande de dommages-intérêts elle-même.

Si elle doit être considérée comme une demande rentrant, aux termes du Code de procédure civile, dans la catégorie des « matières ordinaires» (si elle dépasse quinze cents francs), la preuve ne peut être faite à l'aide de témoins (indépendamment des « titres » que peut produire le défendeur), que par la voie de l'enquête ordinaire, c'est-àdire devant un juge commis par le tribunal, et procédant à huis clos. Mais il est évident que les résultats de cette enquête sont portés à l'audience publique.

Si, au contraire, la demande ne dépasse pas 1.500 francs, la preuve par témoins, comme en matière sommaire, est faite à l'audience mème.

Mais, dans les deux cas, le tribunal doit se trouver en présence d'articulations de faits telles qu'il puisse juger, avant d'ordonner l'enquète ordinaire ou sommaire, si ces faits qu'on demande à prouver sont pertinents et admissibes, c'est-à-dire de nature à justifier le défendeur, en établissant le bien-fondé de ces accusations ou des atténuations de responsabilité qu'il invoque (1).

Revenons maintenant à nos articles 1382, 1383 du Code civil. Ainsi, lorsque le tribunal correctionnel a prononcé l'acquittement de l'auteur d'une infraction quelconque, le juge civil peut, sans violer l'autorité de la chose jugée, rechercher si les faits de la cause ne

(1) Il est aisé de voir, dès lors, quelles hypothèses peuvent se présenter dans les procès en cours.

Dans plusieurs, d'ailleurs, le tribunal aura d'abord à se prononcer sur la question de savoir si, comme l'ont soutenu les juges correctionnels, lo demandeur doit être considéré comme diffamé en tant que fonctionnaire publie ou à raison

justifient pas une demande en dommages-intérêts dérivant d'un quasidélit (1).

L'ancienne action de jactance n'a disparu que pour revivre aujourd'hui sous l'application de l'article 1382 du Code civil (2).

de ses fonctions, puisque c'est cette qualité de fonctionnaire public qui peut seule autoriser la preuve des faits diffamatoires et entrainer, si elle est faite, l'exonération, au bénéfice du défendeur, de toute responsabilité.

Spécialement, pour l'affaire Henry-Reinach, la question qui s'est posée devant la cour d'assises de la Seine se posera aussi devant le tribunal civil.

Cette question est celle-ci, étant donnée la manière dont Mme veuve Henry a engagé son action:

Mine Henry a-t-elle le droit de demander la réparation de la diffamation qu'elle reproche à M. Reinach d'avoir commis à l'égard de la mémoire de son mari? La preuve est-elle admissible? Quel est le texte applicable?

C'est là ce que nous examinerons sous l'article 34, de la loi de 1881. V. infrà,

nos 318 et ss.

Ainsi après un acquittement pour homicide ou blessures par imprudence, le juge civil peut encore prononcer une condamnation fondée sur l'article 1382 du Code civil: « Le Tribunal correctionnel, dit la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 mai 1887, a seulement écarté l'imputation du fait incriminé en tant qu'il eût été constitutif du délit réprimé par l'article 319 du Code pénal; cela n'excluait point nécessairement et certainement le simple quasi-délit prévu par les articles 1383, 1384 du Code civil, et donnant ouverture à une action civile en dommages-intérêts. »

La juridiction civile, saisie d'une demande tendant à la réparation du préjudice causé par une dénonciation, envisagée uniquement comme constituant un quasidélit, n'a pas à surseoir au jugement de l'affaire jusqu'à ce qu'il ait été statué par l'autorité compétente sur le bien fondé de la dénonciation. Un sursis de ce genre n'est imposé par la loi qu'au cas où il s'agit de statuer sur un délit de dénonciation calomnieuse. Riom (2 chambre), 9 août 1894, v. no 358.

Ainsi encore la loi du 10 mars 1891 sur les accidents et collisions en mer édicte un certain nombre de pénalités nouvelles, par exemple contre les capitaines qui enfreignent certaines règles sur les feux à allumer la nuit, sur les signaux à faire en temps de brume, sur la route à suivre ou les manoeuvres à exécuter en cas de rencontre d'un bâtiment. Or, les mêmes faits entrainaient une responsabilité civile avant que la loi de 1891 fût promulguée : à coup sûr, ils l'entraineraient encore si cette loi pénale était abrogée.

A l'inverse, si depuis l'abrogation de l'art. 416 C. pen., les menaces de grève adressées, sans violences ni manoeuvres frauduleuses par un syndicat à un patron, à la suite d'un concert entre ses membres sont licites, quand elles ont pour objet la défense des intérêts professionnels, elles ne le sont pas lorsqu'elles ont pour but d'imposer au patron le renvoi d'un ouvrier, parce qu'il s'est retiré de l'association et qu'il refuse d'y rentrer. Dans ce cas, il y a une atteinte au droit d'autrui, laquelle, si ces menaces sont suivies d'effet, rend le syndicat passible de dommages-intérêts envers l'ouvrier congédié. C (civ.), 9 juin 1892. V. nos 215 et 247.

La responsabilité des communes au cas d'émeute repose sur une présomption de faute, V. no 391.

(1) Il faut, pour échapper à la règle posée au texte, une dérogation expresse, telle que celle qui a été apportée par l'article 38 de la loi de 1881. V. suprà, n° 128. V. aussi la dérogation de l'article 46 de cette loi, no 111.

(2), Si la menace ou jactance par un tiers, de pouvoir exercer contre une per

Répétons, aussi, que le droit civil ne reconnaît pas le droit de s'affranchir par avance des conséquences de ses fautes personnelles même légères (1).

Les faits illicites, dommageables, susceptibles de constituer des délits civils, offrent une variété infinie. A fortiori, les quasi-délits sont bien plus nombreux encore puisqu'il suffit pour leur existence d'une légèreté, d'une imprudence, alors que les délits civils doivent avoir pour base la mauvaise foi, ou l'intention de nuire.

196.

Examen auquel les tribunaux sont assujettis; conditions essentielles à observer.

a) Les tribunaux (civils, commerciaux (2), de paix) ont à rechercher avant tout, si le fait qu'on leur défére, ne constituerait pas, tel qu'il est présenté, soit une diffamation, soit une injure, soit une infraction pénale quelconque.

Ce n'est que s'ils considèrent qu'il s'agit de faits non délictueux, non contraventionnels, et simplement dommageables, que les règles de la responsabilité des articles 1382, 1383, s'appliquent. C'est alors la prescription ordinaire longi temporis qui est admissible. Ils n'ont pas non plus, dès lors, à se préoccuper de l'interdiction de l'action civile séparée, établie au cas où il s'agit de fonctionnaires publics pour cer tains délits d'ordre pénal.

Les tribunaux civils ayant la plénitude de juridiction n'ont pas à

sonne désignée une action de nature à l'atteindre dans sa réputation ou dans ses intérêts, n'est pas suffisante, à elle seule, pour permettre à cette personne de contraindre de tiers à justifier de ses droits ou à prouver ses imputations, dans un délai déterminé par justice, sous peine d'être déclaré à toujours déchu de son action, comme le décidait l'ancienne jurisprudence, cependant notre droit protège suffisamment celui qui est lésé par des prétentions ou des propos assez caractérisés pour l'atteindre actuellement dans son honneur et ses intérêts. Il peut invoquer, selon les circonstances, la loi du 29 juillet 1881 ou l'art. 1382 du Code civ. en établissant, dans ce dernier cas, la faute du tiers contre lequel il agit. Orléans (Chambres réunies), 15 mars 1889.

(1) V. suprà, p. 196, note 1.

Cpr. C., 1er juillet 1885.C. civ. 31 décembre 1900.

(2) L'article 631 du Code de commerce donne compétence aux tribunaux consulaires, lorsqu'il s'agit de débat, entre commerçants ou contre un commerçant à raison d'actes de commerce. Différemment, c'est la juridiction civile. C., 21 juillet 1851, Lyon, 18 août 1881. Lyon-Caen et Renault. Droit commercial, t. I, p. 28. L'attribution de juridiction aux Tribunaux de commerce ne saurait, en matière d'obligation quasi-délictuelle, dépendre uniquement de la qualité des parties en cause, mais avant tout elle dépend du caractère de l'acte qui donne lieu au litige. Et l'on ne saurait considérer, comme un acte de commerce, ou comme procédant d'un acte de cette nature, la publication d'articles qui revêtent manifestement un caractère politique et social. Trib. de commerce de la Seine, 6 mars 1899,

s'inquiéter, sous d'autres rapports que ceux-là, de la qualification du fait. Il en est de même du juge de paix, lorsqu'il est saisi dans les limites de sa compétence.

Mais la question est plus importante, quant aux tribunaux de commerce qui doivent se déclarer toujours incompétents aux cas de diffamation ou d'injure à moins qu'on ne puisse trouver, en dehors, des faits de concurrence déloyale (1).

by Cet examen préalable terminé, les juges ont à vérifier et à déterminer l'existence, les caractères pour les délits civils, de la mauvaise foi, de l'intention de nuire; pour les quasi-délits, de la légèreté ou de l'imprudence.

c) Enfin, ils doivent préciser deux autres conditions, également essentielles : 1° La faute commise (en disant en quoi elle consiste); 2o Le préjudice (lequel doit nécessairement se rattacher à la faute par une relation de cause à effet).

Tels sont les éléments légaux dont le concours est indispensable (2).

(1) Le Tribunal de commerce est incompétent pour statuer sur une demande ayant pour base des articles de dénigrement publiés dans un journal, alors que en fait, il appert que la publication litigieuse ne constitue pas un quasi-délit commis par un commerçant à l'occasion de l'exercice de son commerce, mais bien, le délit de diffamation commis par la voie de la presse dont la connaissance appartient seulement à la juridiction répressive si le caractère diffamatoire de la publication était prouvé. Trib. de la Seine, 17 mars 1894. Cpr. no 206.

Est de la compétence du Tribunal de commerce l'action introduite contre un journal à raison du préjudice causé à un commerçant par les énonciations inexactes contenues dans un fait divers. Car s'il est de principe qu'en exploitant sa propre pensée l'auteur ne fait pas acte de commerce, un simple fait divers ne peut être considéré comme une œuvre de la pensée et un journal tire profit des nouvelles qu'il porte à la connaissance du public, notamment sous la rubrique << faits divers » de même qu'il tire profit de la publicité et des annonces. Trib. de la Seine, 22 juillet 1895.

Le Tribunal de commerce est compétent pour connaître de l'action en dommages dirigée contre le gérant d'un journal à raison des articles réclames qu'il a rédigés et publiés pour le compte d'un commerçant et qui sont constitutifs de la part de celui-ci de concurrence déloyale.

Trib. de commerce de la Seine, 19 avril 1859, Journal des Trib. de commerce, 1859, p. 408, 22 juillet 1895, Annales de droit commercial, Bulletin de février 1896.

C'est au Tribunal de commerce et non au juge de paix de connaître de la demande en dommage pour réparation de diffamation verbale lorsque cette diffamation a été. de la part d'un commerçant, un moyen distinct de faire une concurrence déloyale envers un autre commerçant. Paris, 9 juillet 1867.

Une action en dommages-intérêts qui a pour base de faits de concurrence déloyale quoique pratiquée au moyen de circulaires diffamatoires par un négociant publiant ses prix courants d'une marchandise de même nature que celles vendues par le demandeur doit, en effet, être portée devant les juges consulaires. Orléans, 7 novembre 93.

(2) Les règles juridiques qui gouvernent les délits civils et les quasi-délits étant les

En ce qui concerne le pouvoir d'appréciation, les juges du fond sont souverains dans la détermination, la spécification des faits et dans la fixation du préjudice, comme aussi dans l'admission de la relation de cause à effet.

Mais la Cour suprême a le droit, en prenant les faits tels qu'ils sont posés, de rechercher si, réellement, ils constituent en droit une faute. Ainsi, la Cour de cassation apprécie en droit, les faits, mais elle est obligée de les prendre tels qu'ils sont rapportés par la décision déférée (1).

197. Nous allons reprendre, successivement, chacune des étapes (a b c) que les tribunaux doivent parcourir.

Toutefois nous n'insisterons pas sur la détermination de la mauvaise foi, de l'intention de nuire, de la légèreté, de l'imprudence. Les juges du fait auront à analyser à cet égard la situation de fait, à rechercher les circonstances, le mobile (2). C'est à leur sagacité, à leur conscience de les déclarer. Bien entendu, si les faits par eux relevés emportaient par eux-mêmes mauvaise foi, etc., une déclaration contraire ne pourrait prévaloir contre l'évidence de la situation et la Cour de cassation casserait.

1° Distinction.

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La grosse difficulté de notre matière, c'est de distinguer le délit pénal, des délits ou quasi-délits civils.

En effet, il ne saurait appartenir au demandeur, en faisant abstraction du caractère délictueux des faits relevés, de présenter aux tribunaux comme de simples délits civils ou quasi-délits, des actes qui tomberaient sous la répression de la loi pénale et de les faire échapper ainsi à la courte prescription.

Une jurisprudence constante enseigne, en conséquence, qu'il appartient, toujours, aux tribunaux d'apprécier le caractère légal des faits qui leur sont soumis, de façon à les qualifier selon leur nature et leurs effets. Cela est fort intéressant au cas d'indivisibilité (3).

mêmes en ce qui concerne les constatations de la faute et du préjudice, nous ne ferons plus, dans ce qui va suivre, de différence entre ces deux catégories de faits délictueux et quasi-délictueux.

(1) V. no 56. V. C., 19 mars 1888, 3 avril 1889. Jurisprud. constante.

(2) Si la décision contenait une lacune à cet égard il ne pourrait y être suppléé pour aboutir au rejet du pourvoi, que si de la teneur de la décision de l'exposé des faits, ces éléments ressortaient d'eux-mêmes. V. nos 51, 52.

(3) L'auteur du délit a incontestablement le droit de restituer aux faits incriminés leur véritable caractère pour réclamer le bénéfice de la courte prescription ou de la preuve, ou de l'art. 46. V. sur l'indivisibilité, n° 88.

On ne saurait lui opposer la maxime: Nemo auditur propriam turpitudinem

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