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Comme dans notre matière, nous l'avons dit, la prescription est très longue, il serait par trop facile, en qualifiant les faits à sa guise, d'éJuder les compétences ou d'échapper aux courtes prescriptions établies par la loi de presse, le Code pénal, etc. (1).

En effet, la prescription ordinaire, applicable aux faits tombant sous l'application des articles 1382, 1383, ne s'accomplit que par trente années. Les articles 637 du Code d'instruction criminelle (2), 65 de la loi du 29 juillet 1881, sont ici inapplicables.

Etant donné ce long laps de temps, il est presque sans intérêt d'étudier les causes d'interruption et de suspension de la prescription dont il s'agit (3).

Toutefois ceci dit, il convient au reste de ne pas trop généraliser. La Cour de cassation dans une formule qui a pris, en quelque sorte, force de loi, décide que les prescriptions édictées par les lois criminelles ne s'appliquent aux actions exercées civilement, qu'autant que ces

allegans, car il n'entend pas du tout établir un délit qu'il aurait commis, mais démontrer que le demandeur essaie de faire fraude à la loi en dissimulant la véritable nature des faits articulés par lui dans son assignation. Done il appartient au juge, en pareil cas, de rétablir d'office la qualification exacte des faits et d'en tirer les conclusions juridiques.

C., 27 août 1867, 12 mai 1869, 7 mars 1877, 9 janvier 1882, 1er février 1882. 14 mai 1884, 21 décembre 1885, 14 décembre 1898. Paris (3 ch.), 7 avril 1898.

F. Hélie, tome II, no 1114. Aubry et Rau, tome IV, page 751: Boitard, no 876. Le Sellyer, tome II, no 548. Mangin, nos 363, 367. Merlin. V. Prescription, p.268 Sourdat, tome 1, nos 373 à 378, 419 et ss. Demolombe, tome XXXI, nos 704, 706.

Si l'on réclame des dommages-intérêts devant la juridiction civile à raison d'allégations prétendues diffamatoires, on ne peut faire une distinction entre le délit de diffamation et le quasi-délit, et invoquer uniquement celui-ci en le qualifiant de fait dommageable, lorsque dans la demande, on déclare que les allégations incriminées ont porté atteinte à la considération.

(1) C., 9 janvier 1882, 17 mai 1886, 8 juillet 1885, 22 octobre 1890, 11 juillet 1892, 6 mars 1893, 28 avril 1896, S. et P. 96.1.312. Garraud, tome II, p. 118.

V. nos 140 et ss. On sait que cette prescription de 3 mois s'applique même aux diffamations et injures non publiques, simples contraventions.

(2) Il a été maintes fois jugé en ce qui concerne la prescription de l'article 637 du Code d'instruction criminelle, que cette prescription spéciale de 10 ans, 3 ans ou une année ne s'appliquait aux actions civiles en responsabilité d'un dommage qu'autant que ces actions avaient réellement et exclusivement pour cause directe un crime, un délit ou une contravention. Le but du Code d'instruction criminelle en assimilant, quant à la prescription, Faction civile et l'action publique, est de ne plus permettre la constatation judiciaire de l'infraction après le délai de la prescription pénale. C'est aussi le principe de l'article 65 de la loi de 181.

(3) Toute action civile qui puise uniquement son principe dans une disposition de droit civil, dans l'article 1382, par exemple, n'est plus soumise à l'article 637 du Code d'instruction criminelle et rentre dans le droit commun. On ne peut donc lui opposer que la prescription de trente ans.

Quant aux causes d'interruption et de suspension, on n'a qu'à suivre les règles indiquées aux nos 160 et ss. sous l'article 63 de la loi du 29 juillet 1881.

actions ont pour base unique un crime, un délit ou une contravention, mais qu'il en est autrement s'il s'agit d'une action, qui, indépendamment de tout fait délictueux, a son principe dans un contrat antérieur à ce fait ou dans une disposition du droit civil (1).

Au reste, en matière de propos, d'écrits blessants, on se trouve en présence d'une infinité de paroles ou d'instruments, qui ne renfermant ni diffamation, ni injure, tombent sous les applications des articles. 1382, 1383 (2).

Ce sera d'après l'assignation qu'il faudra se guider. Le juge aura égard à la façon dont l'action est engagée, sans se laisser impressionner d'ailleurs, par des erreurs de plume du rédacteur de l'ajournement.

Ainsi, le fait d'avoir qualifié de diffamatoires et d'injurieux, les propos malveillants à l'occasion desquels est introduite devant le Tribunal civil une action en dommages-intérêts, ne peut avoir pour effet de tenir en échec la disposition de l'art. 1382 C. civ., sur lequel les demandeurs se sont uniquement fondés, ni de changer la nature véritable et le caractère légal des expressions qui font grief, en leur imprimant un caractère diffamatoire ou injurieux qu'elles n'auraient pas (3).

(1) Spécialement, lorsqu'un propriétaire, se plaignant du dommage, résultant pour lui de la vaine pâture indument exercée dans ses prés avant la fauchaison, actionne en indemnité le pâtre communal et la commune civilement responsable, cette action, fondée sur une atteinte portée à la propriété, ayant sa base dans les articles 1382 et suivants du Code civil, on ne saurait lui opposer la prescription spéciale d'un mois édictée par la loi des 28 septembre-6 octobre 1791 pour le délit de garde à vue des bestiaux dans les récoltes d'autrui, sous prétexte que le fait, cause du dommage, présenterait le caractère de ce délit,

Civ. C., 27 décembre 1897 et la note très détaillée de M. Le Poittevin. S. 99, 1. 82 avec les autorités citées.

Cpr. C., 7 mars 1877. S. 78, 1, 497 et la note. C., 17 mai 1886. S. 86, 1, 376. V. Aubry et Rau, tome IV, p. 751 et 752. Demolombe: Contrats et obligations, tome VIII. no 696 et ss. Larombière, sur l'article 1382, no 32. Garraud, Droit criminel, 6o édition, no 418. Laborde, idem, no 787 et 790.

(2) V. n° 279, 293.

(3) L'erreur que le demandeur a volontairement ou non commise en qualifiant ces propos d'injurieux et diffamatoires, ne peut ni en changer la nature, ni entrainer le rejet de la demande, lorsqu'il est constant que c'était bien sur l'article 1382 qu'il avait entendu la fonder.

On ne peut créer un délit de diffamation ou d'injure en recherchant des allusions entre les lignes d'un écrit, en supposant des intentions secrètes non exprimées dans l'écrit, et en ajoutant, par un commentaire, aux réticences calculées ou aux lacunes habiles et prudentes de la rédaction.

Limoges, 18 janvier 1886, s/ Cassation, 27 décembre 1886. DP. 87.1.312. Cp. C. 7 mars 1877, 12 mai 1884.

La mauvaise foi, écartée d'un écrit diffamatoire, l'écart de plume apparait comme dénué de tout caractère délictueux et ne peut donner lieu à une action en dommages-intérêts que dans les termes du droit commun. Par suite, l'action fondée, non plus sur la loi de 1881, mais sur l'article 1382 du Code civil n'est pas

De même, l'un des éléments constitutifs et essentiels de la diffamation consistant en ce que le fait imputé porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne diffamée, il n'y a pas diffamation dans l'imputation, formulée contre quelqu'un, de s'être montré brutal et grossier, une telle imputation n'est pas de nature à diminuer, dans ses rapports avec le public, soit l'honneur, soit la considération de la victime. En conséquence, l'action civile en dommages-intérêts qui est ouverte par une telle imputation, insérée dans un journal, n'est pas soumise à la prescription édictée par l'art. 65 de la loi du 29 juillet 1881 (1).

On ne peut opposer à l'action de l'article 1382 une fin de non-recevoir tirée de ce que la victime n'a pas usé du droit qu'elle avait de faire insérer, dans le journal où a paru l'imputation, une réponse à l'article critiqué, le droit de réponse inscrit dans l'art. 13 de la loi du 29 juillet 1881 n'étant qu'une simple faculté dont la personne nommée ou désignée dans un article de journal peut user à son choix, et qui laisse entier le droit de celle-ci, de s'adresser directement aux tribunaux, si elle le juge à propos, pour obtenir réparation.

On a décidé aussi, qu'un fait dommageable, commis par la voie de la presse, tel même qu'un dénigrement systématique, ne constitue pas nécessairement, par lui-même, le délit d'injure ou de diffamation, et la personne lésée peut intenter, en réparation, une action civile ayant pour principe unique l'art. 1382 du Code civil, et pour formule la demande

atteinte par la prescription de trois mois. Trib. civ. Toulouse, 13 mars 1899. V. Paris, 6 décembre 1890. Bordeaux, 17 juin 1891. C., 12 juin 1891.

Ainsi, jugé par la Cour de Paris (1 chambre), le 17 février 1899, que si l'imputation, adressée à une maison de commerce, de travailler à perte, en vue d'une concurrence à combattre, n'est que l'imputation d'un fait licite en lui-même et ne peut être considéré comme diffamatoire, il en est autrement de l'imputation de travailler dans le but effectif de tromper un jury d'expropriation, et de se faire attribuer une indemnité supérieure.

En effet, il ne faut pas confondre l'intention de nuire avec la mauvaise foi. (1) Trib. de Lyon, 11 décembre 1886. J. Pal., 27 février 1887. Parant, Lois de la presse. p. 151; Chassan, t. I, p. 452: De Grattier, t. II, p. 100; Bazille et Constant, no 73; Dutrue, n° 83; Cass. 15 février 1834.

Jugé de même pour la femme Pétomane. La diffamation étant l'imputation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération, l'allegation qu'une personne, qui donne des représentations d'exercices physiques dans un lieu public, use d'un stratagème pour amorcer les spectateurs et leur faire croire qu'elle tire parti de ce qu'elle prétend être « un don de nature », alors qu'elle n'exploiterait qu'un truc, peut prejudicier aux intérêts pécuniaires de la personne en question, mais ne touche en rien a son honneur et à sa considération, et ne saurait constituer, dès lors, le délit de diffamation.

Il ne saurait, en pareille espèce, être question de considération professionnelle s'appliquant a l'exploitation d'une disposition physique anormale, étrangère à la mise en valeur d'un art ou d'un talent personnel. Trib. correctionnel de la Seine (9° chambre) 15 juin 1898. Nancy (1 ch.), 1er février 1899

en réparation du préjudice causé. Dans le cas d'une telle demande introduite devant la juridiction civile, il n'appartient pas à l'auteur de la faute ou du dommage, de qualifier arbitrairement la nature de l'action dirigée contre lui, pour lui attribuer un vice qui entraînerait la déchéance (1).

Enfin la prescription de trois mois, édictée par les art. 46 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, n'est pas applicable à l'action en dommages-intérêts intentée devant le tribunal civil, par une personne attaquée dans un journal, qui s'est désistée d'une plainte en diffamation antérieurement portée devant le tribunal correctionnel; alors que, dans cette seconde instance, elle ne se plaint plus d'une atteinte portée à sa considération, mais d'un préjudice causé à ses intérêts commerciaux et qu'il n'est relevé que des faits sans caractère délictueux (2).

198.20 De la faute.

Le terme « faute » est pris dans son acception la plus large, et comprend toutes les causes d'imputabilité par action ou omission. Il s'entend même des fautes légères (3).

Il peut y avoir responsabilité pour une simple faute in ommittendo,

(1) Paris, 16 novembre 1886, 3 février 1888 (1re chambre).

Les expressions de chef de la réaction d'une localité déterminée, de personne toujours en contact avec la réaction, ne constituent ni la diffamation ni l'injure. Ces propos, consignés dans une délibération d'un conseil municipal dont tous les habitants et contribuables de la commune peuvent prendre communication, sont de nature à causer un préjudice moral et même un préjudice matériel alors surtout que la personne visée par ce propos est attachée à une administration publique. Limoges, 18 janvier 1886.

Le pourvoi formé a été rejeté par arrêt de la Chambre des requêtes du 27 décembre 1886.

Cpr. C., 20 mars 1884.

(2) Trib. de la Seine (2° chambre), 21 février 1893.

Celui qui, dans un journal, dit d'une personne qu'elle a fui devant la poursuite d'un tiers sur la voie publique ne commet pas le délit de diffamation. Angers, 19 mars 1897. V. n° 279 et suiv., les nombreux exemples où il n'y a pas diffamation. Pour l'injure. v° no 293. Sur l'indivisibilité, v. no 88.

(3) Il en était ainsi en droit romain: « et levissima culpa venit ». (V. C., 44, ad legem aquiliam). Et de même Domat (livre II, tit. VIII, sect. 4) enseignait : « Toutes les pertes, tous les dommages qui peuvent arriver par le fait de quelque personne, soit imprudence, légèreté, ignorance de ce qu'on doit savoir. ou autres fautes semblables, si légères quelles puissent être, doivent être réparées par celui dont l'imprudence ou autre faute y a donné lieu. C'est un tort qu'il a fait, quand même il n'aurait pas eu l'intention de nuire ». V. suprà, p. 196.

Sourdat, De la responsabilité, t. I, no 642. Huc, Code civil. t. VIII, no 402. Larombière, sur les articles 1382, 1333, no 3. Aubry et Rau, t. IV. p. 754, § 446. Toullier, t. XI, no 113. Demolombe, t. XXXI, no 451 et suiv. Colmet de Santerre, t. V, no 364, bis IV. Baudry-Lacantinerie, t. II, nos 1346, 1347. V. C. 15 avril 1889. Laurent, no 385, sur l'article 1382. V. Conclusions du procureur général, sous cassation, 28 janvier 1892. V. surtout C. (eiv.), 31 décembre 1900.

quand on était légalement obligé à accomplir le fait dont on s'est abstenu.

Les délits contre la morale, le respect dù aux lois; les attaques contre la propriété, la famille, la religion, tout cela n'est pas pénalement réprimé, mais le principe de l'article 1382 qui demeure nécessairement intact, sert alors de sanction.

Sans doute, les questions politiques, sociales, concernant le fonctionnement des syndicats, le contrat de travail, les caisses de retraite, etc., etc,, peuvent être librement agitées dans la presse. Les grèves, par exemple, sont des faits sociaux de la plus haute importance, des faits notoires, dont les journaux, les députés, peuvent s'occuper. Mais les critiques, les attaques doivent, pour être licites, rester impersonnelles (1).

L'action du journal ne peut pas prendre, vis-à-vis d'individus. un caractère direct, illicite, dommageable Les prétendus droits de la science, les croyances religieuses, politiques, sociales, etc., n'excusent pas le dommage résultant de leur expression, lorsqu'au lieu de prendre un caractère général tel que l'excitation des citoyens les uns contre les autres, elle atteint des personnalités déterminées. C'est que la liberté des uns est limitée par la liberté des autres.

Lorsqu'il s'agit de l'exercice normal d'un droit reconnu, ou l'accomplissement d'un devoir imposé par exemple par la loi le fait n'a pas sans doute un caractère illicite (2). Mais, au contraire, dès l'instant que, même à propos de lexercice d'un droit, des faits illicites sont commis, si ces faits n'étaient pas indispensables à l'exercice du droit, ils s'en détachent en quelque sorte (à moins qu'ils ne se confondent avec lui absolument et soient le résultat inévitable de son exercice et la condit.on de son existence) et constituent, selon leur nature, des délits ou des quasi-délits (3).

(1) Par exemple, un article de journal renfermant une étude d'un caractère général impersonnel, sur une question d'actualité, ne saurait servir de base à une action de la part d'une agence de renseignements à cause d'imputations générales sur les agences de renseignements. Cpr. nos 215, 217.

(2) Consulter à cet égard: Toullier, t. I, nos 119 et suiv. Larombière, Des obligations sur l'article 1382, n° 10. Sourdat, Responsabilité, no 438, 439, 680. Laurent. Principes du Droit civil, t. XX, nos 408 à 411. Conclusions du procureur général Ronjat, sous cassation, 22 juin 1892, P. 93. 1. 11. Cour d'appel de Liège, 9 février 1888. Comparez. C., 19 décembre 1817.

Demolombe semble se prononcer en sens contraire (Contrats et obligations, t. VIII. no 669) mais il importe de remarquer qu'il ne s'occupe que de la propriété immobilière, de ce qu'un propriétaire fait sur son propre fonds, ce qui est bien différent de notre espèce.

(3) La Cour suprême a jugé plusieurs fois que la liberté de l'industrie, l'observation même des règlements et coutumes applicables dans l'exercice d'une indus

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