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Dans ces derniers temps, des industriels ont imaginé de créer des journaux dans lesquels ils publient, sous des signatures mensongères, des articles en contradiction avec le talent, les idées, les opinions de leurs auteurs supposés (1). De pareils procédés sont justiciables de nos articles.

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214. Fonctionnaires publics. Citoyens chargés d'un service public. Lorsqu'il s'agit des actes de dépositaires ou agents de l'autorité publique, de personnes ayant agi dans un caractère public, le droit de discussion des journaux est entier quant à ces personnes publiques (2).

mages-intérêts de l'art. 1382, ladite qualification étant de nature à lui nuire dans ses intérêts commerciaux. Trib. de la Seine (2e chambre), 25 février 1893. Paris, 26 janvier 1894.

D'un autre côté, jugé que ne peuvent engager la responsabilité d'un journal des articles financiers qui, sans relater des faits mensongers et sans publier de pièces altérées, contiennent seulement, relativement aux valeurs recommandées, l'indication d'espérances plus ou moins certaines, d'appréciations plus ou moins discutables, qu'il est loisible au lecteur de repousser ou d'adopter. Paris (1ro ch.), 17 novembre 1892.

(1) Tantôt ce sont des vers burlesques attribués à un poète, une plaidoirie quelque peu grotesque mise sur le compte d'un avocat de mérite. Ou bien on prête à un homme politique ou à un candidat des déclarations et des correspondances singulières, ridiculisant leurs programmes, etc., etc. Un auteur dramatique voit éditer une pièce dont la paternité, peu enviable, lui est audacieusement conférée.

On ne peut pas, dans la généralité des cas, considérer que la publication ou la reproduction constitue une diffamation. Il arrive sans doute parfois que l'écrit, par son caractère, est diffamatoire ou injurieux; mais, le plus souvent aussi, il ne pourra pas être entrepris sous ce rapport.

Tel est l'avis de M. Chassan (t. I. p. 437): « Cette question a été résolue négativement, en Angleterre, par la cour du bane du roi »,

De Grattier, t. I, p. 185.

M. Grellet-Dumazeau (t. I. no 114) est d'un avis contraire : « ¡En principe, la supposition d'un ouvrage quelconque, sous le nom d'autrui, peut constituer un fait diffamatoire, sauf au juge à apprécier d'une part, l'intention de l'inculpé comme élément substantiel du délit, et d'autre part, les circonstances de la cause comme moyen d'atténuation »>.

Mais quoi qu'il en soit, il existe toujours un délit civil ou un quasi-délit. Quid d'un auteur, qui d'ailleurs, conservant son nom intact dans la vie privée publie son journal ou ses ouvrages sous un pseudonyme qui se trouve être le nom véritable d'une personne, ou sous le nom d'une personne ? Celle-ci peut avoir intérêt à ce que les doctrines émises sous un nom pareil au sien ne lui soient pas attribuées et imputées. Elle est autorisée à demander et à obtenir des mesures pour prévenir toute confusion, notamment la défense d'employer le pseudonyme susceptible d'engendrer une méprise. Cpr. no 168.

V, Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1869, p. 143. Note de M. Labbé, Palais, 1884, p. 428 et ss. in fine. Trib. de la Seine, 30 mars 1882.

(2) Ne saurait constituer un acte abusif ou illicite pouvant donner ouverture à une

Elles ne sont protégées par la loi, en ce qui touche leur vie publique, que contre les seules erreurs de fait, dont elles peuvent demander la rectification (1) et contre la diffamation et l'injure, mais la preuve de la vérité des faits diffamatoires affranchit l'écrivain de toute responsabiJité civile ou pénale.

Toutefois, lorsque les faits imputés ne constituent ni diffamation, ni injure publique, l'action civile séparée, ordinaire, est ouverte. De plus les fonctionnaires, dépositaires de l'autorité publique, etc., sont, pour leur vie privée, assimilés aux autres citoyens. Ils peuvent donc agir, sous cet aspect, au moyen des articles 1382, 1383 (2).

215.Grèves et coalitions. Syndicats ouvriers. Immixtion des tiers. a) Occupons-nous, d'abord, des actes des ouvriers eux-mêmes. Ils ont, depuis l'abrogation de l'article 416 du Code pénal, la liberté d'organiser la coalition qui sert à appuyer la liberté de la grève. Ainsi, ils peuvent constituer un comité directeur, nommer des délégués, créer un fonds de secours, une caisse de chômage, l'alimenter pendant toute la durée de la coalition par dons, souscriptions (3).

Il leur est licite aussi, de préconiser la grève, de la soutenir par la propagande, soit dans des conférences, soit dans les journaux, etc.

Mais si les menaces de grève adressées, sans violences ni manœuvres frauduleuses, par des ouvriers à leur patron, en suite d'un plan concerté, sont licites lorsqu'elles ont pour objet la défense d'intérêts professionnels, néanmoins, elles peuvent constituer une faute (obligeant ceux qui l'ont commise à la réparer), quand, inspirées par un pur

action en dommages-intérêts, le fait par un évêque de publier, dans le journal La Semaine religieuse du diocèse, la sentence prononcée contre un prêtre qui n'a tenu aucun compte de la peine canonique qui l'a frappé, peine qu'il a été, dès lors nécessaire, pour la rendre efficace, de porter à la connaissance des prêtres du diocèse.

Le gérant du journal qui, agissant comme préposé de l'évêque, publie la note qui lui est remise par celui-ci sans l'accompagner d'aucun commentaire constituant une œuvre personnelle et spontanée, n'encourt de ce chef aucune responsabilité.

Nancy, 9 novembre 1894.

(1) V. 181 et ss.

(2) V. nos 305 à 310 et les renvois.

(3) V. n 373.

Viole la loi l'arrêt qui, pour repousser, une telle demande, s'appuie sur ce seul motif que l'instigateur des menaces n'a fait qu'user d'un droit absolu sans rechercher si celui-ci n'a poursuivi qu'un intérêt professionnel ou au contraire n'a obéi, qu'à un sentiment de malveillance injustifiée. Civ. C., 9 juin 1896.

La Cour de Lyon (2 chambre) a décidé, le 2 août 1895, que le fait par des employés d'usine, de prêter la main à la grève des ouvriers justifie leur renvoi

TQME II

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esprit de malveillance, elles ont eu pour but et pour effet d'imposer au patron un renvoi qu'aucun grief sérieux ne pouvait motiver. Dès lors, l'ouvrier ainsi congédié peut demander à l'instigateur des menaces de grève, réparation du préjudice qu'il a éprouvé (1).

b) Passons aux syndicats ouvriers.

Nous savons qu'ils ont leur charte légale et libérale dans la loi du 28 mars 1884 (2).

Seulement, il ne faut pas s'imaginer que le législateur de 1884, en affranchissant de certaines entraves, la formation de certains syndicats ayant pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux, agricoles, se soit proposé purement et simplement d'encourager les grèves: ce serait lui faire injure. Une grève, en soi, n'est pas chose souhaitable, car elle signale un désaccord entre les ouvriers et les patrons, elle suspend l'activité industrielle du pays. Certes elle peut être légitime, par exemple quand elle est motivée par une réelle insuffisance des salaires. Mais elle peut aussi ne pas l'être, par exemple si les grévistes se proposaient de semer une agitation stérile, révolutionnaire ou de nuire à autrui.

Dans ce dernier cas, on ne peut, sans violer le droit commun, dénier à la personne lésée la faculté de se plaindre. On ne peut pas éliminer par une fin de non-recevoir, le droit élémentaire pour des citoyens français de réclamer devant la justice de leur pays, la réparation d'un fait dommageable, fùt-il commis par un syndicat ouvrier (3).

et la résiliation, à leurs torts et griefs, des conventions qui les liaient à l'entreprise. De plus, ils doivent être condamnés à des dommages intérêts à raison du préjudice que la part qu'ils ont prise au soutien de la grève, a pu causer à l'entreprise.

(1) En effet, des actes peuvent, même licites au point de vue pénal, donner lieu à une action en dommages-intérêts en vertu de l'article 1382 du Code civil, s'ils constituent une faute ou une action portant atteinte aux droits d'autrui.

Il importe donc peu que les faits ne rentrent pas dans les prohibitions des articles 414, 415 du Code pénal.

(2) V. le texte de cette loi, no 45 et ses principes V. aussi, no 373.

C'est sous ce numéro que nous étudierons la coalition qui s'exerce par des moyens délictueux au point de vue pénal (articles 414, 415). Nous nous y occuperons des questions nouvelles soulevées par le projet de loi qui dispose que les grèves seraient décidées à la majorité des voix.

(3) « Tout membre d'un syndicat professionnel, dit l'article 7, peut se retirer à tout instant de l'association, nonobstant toute clause contraire, mais sans préjudice du droit pour le syndicat de réclamer la cotisation de l'année courante ». Et pour que rien ne vienne entraver ce droit, le même article ajoute que l'ouvrier « qui se retire du syndicat conserve néanmoins le droit d'être membre des socié tés de secours mutuels et des pensions de retraite pour la vieillesse, à l'actif desquelles il a contribué par les cotisations qu'il a versées, pendant qu'il faisait partie de l'association »>.

Si, en 1884, la loi a donné aux syndicats de puissants moyens d'action, elle s'est attachée aussi à protéger l'ouvrier, considéré individuellement, contre la tyrannie de la majorité, contre l'oppression de la masse. Le patron est protégé aussi, en ce qui le concerne, par le droit commun de nos lois pénales et civiles (1).

Il ne faut pas se dissimuler que beaucoup de syndicats n'ont eu d'autre souci que de s'attaquer au patronat.

La loi du 28 mars 1884 n'a pas donné tous les résultats qu'on en attendait. Elle a cependant « marqué une première étape dans l'application aux groupements professionnels de la liberté d'association ». D'ailleurs l'expérience est venu assagir les syndicats.

Le 14 novembre 1899, le gouvernement a pris l'initiative d'une proposition renvoyée à la commission du travail, aux termes de laquelle une double réforme devrait être introduite dans l'organisation des syndicats professionnels: 10 extension de la capacité des syndicats; 2o sanctions légitimes et nécessaires.

D'après l'article 2 de la loi de 1884, les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux, et agricoles; ils peuvent employer les sommes provenant des cotisations, mais ils ne peuvent acquérir d'autres immeubles que ceux jugés nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliothèques et à des cours d'instruction professionnelle. A la capacité ainsi restreinte des syndicats, le projet de loi substitue une capacité illimitée. Il leur accorde la personnalité civile, leur reconnaît le droit d'acquérir, sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux, des biens meubles et immeubles, de faire des actes de commerce en se conformant à certaines dispositions spéciales (2).

(1) De ce nombre sont, d'abord, nos articles 1382, 1383 du Code civil, et ensuite les articles 414, 415 Code pénal. V. no 373. V. suprà, note 3, p. 214.

(2) Résumons ce projet : « D'une façon générale, la propriété des biens ne repose pas sur la tête de chacun des membres du syndicat, mais sur celle du syndi cat envisagé comme une personne morale. Il en sera autrement, quand le syndicat fera des actes de commerce, parce qu'alors une société se juxtapose au syndicat comme pour les caisses de secours mutuels et de retraite que le syndicat aurait constituées; dans ce cas, chaque intéressé a droit à sa part d'actif et de bénéfice.

«Le projet facilite la constitution de sociétés commerciales syndicales à responsabilité limitée; les lois du 24 juillet 1867 et du 1er août 1893 ont déjà favorisé à un haut degré la formation des associations ouvrières: la première, en n'exigeant que la réunion de sept personnes ayant souscrit chacune une action de 50 francs et en ayant versé le dixième; la deuxième, en autorisant les actions de 25 franes >>.

Le projet de loi va plus loin, il y ajoute les dispositions suivantes : « le syndicat, personne civile, pourra être propriétaire de la totalité des actions; dans

Mais, quel que soit le développement réservé aux syndicats, ceux-ci ne peuvent pas, ne pourront pas se livrer à des agissements illicites. Il est vrai qu'ils ne pourront qu'être excités par la série de circulaires et de décrets qui, par des mesures habilement combinées leur assurent une véritable omnipotence (1). Mais, le législateur n'a eu en vue, lui, que l'exercice légitime d'un droit et non d'un abus.

ce cas, des syndiqués auront le droit d'être administrateurs sans être individuellement porteurs de parts ou actionnaires, et l'assemblée générale sera formée de mandataires désignés par le syndicat, chaque mandataire possédant une voix et tous étant considérés comme représentant chacun une part égale dans le capital social.

« Si une société est formée par deux ou plusieurs syndicats, les statuts de cette société détermineront le nombre des mandataires délégués par chacun des syndicats actionnaires, tout délégué ayant une voix: Quelle que soit l'importance du capital social, il pourra être divisé en actions ou coupures d'actions de 25 francs, avec versements obligatoires du quart des actions ou coupures d'actions souscrites par chaque syndicat actionnaire, lorsqu'elles n'excèdent pas 25 francs, ou simplement du dixième si la société est à capital variable. »>

L'exposé des motifs examine une objection qui pourrait être faite à l'extension de la capacité des syndicats : « Un syndicat, dont le patrimoine sera accru, pourra être, il est vrai, tenté de fermer sa porte aux adhésions nouvelles en exigeant un prix trop élevé pour les admissions. Ce fait ne constituera-t-il pas une entrave au libre exercice de l'industrie et du travail ? » C'est, en effet, ce qui s'est passé en Angleterre pour les « Trades unions ». Mais le remède au mal se trouve dans la liberté d'association qui permet la création de nouveaux syndicats, ceux-ci pouvant comprendre finalement, s'ils le voulaient, la totalité des ouvriers d'une même profession.

«L'union des syndicats possède, elle aussi, le droits d'ester en justice et celui de posséder les immeubles nécessaires à son fonctionnement. Il n'y a aucun motif plausible, font remarquer MM. Waldeck-Rousseau et Millerand, pour obliger les syndicats à recourir à un artifice légal lorsqu'ils veulent posséder en commun les locaux de leurs assemblées générales, leur bibliothèque, leurs collections de modèles ou d'instruments, etc. >>

Les auteurs du projet de loi considèrent même comme rentrant dans l'œuvre d'une union de syndicats, la création d'asiles ou refuges pour les ouvriers vieux ou infirmes.

(1) C'est ce que M. Barthou affirme, dans un discours du 22 octobre 1900 que nous croyons devoir résumer.

M. Barthou a analysé successivement la circulaire du 19 janvier 1900 qui a pour effet, dit-il, selon les expressions mêmes d'un des socialistes les plus avancés, de placer les inspecteurs du travail « sous le contrôle et à la disposition » des organisations syndicales et «loge ainsi des plants socialistes en terre capitaliste », — et le récent décret sur les conseils du travail qui, en excluant de la représentation les ouvriers non syndiqués, c'est-à-dire la très grande majorité des ouvriers français, n'est qu'un moyen indirect et avoué de rendre le syndicat obligatoire. « Si graves que soient ces décisions, ajoute M. Barthou, — d'autant plus graves qu'elles vicient des instructions ou des institutions excellentes en elles-mêmes — il faut convenir qu'elles sont peu de chose à côté des projets annoncés par le discours de Lens sur l'organisation de la grève et sur l'arbitrage obligatoire.

« Syndicat obligatoire, grève obligatoire, arbitrage obligatoire, tels sont les traits essentiels de la nouvelle législation ouvrière. Et il est curieux qu'un siècle dont tout l'effort social a consisté, de la manière la plus heureuse d'ailleurs, à sup

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