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CHAPITRE III

DE LA SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION

143. Quand il s'agit de suspension, il n'est pas besoin de renouveler l'assignation tant que la suspension dure.

A la vérité, le plus souvent, la suspension aura été précédée d'une interruption; mais ce n'est pas une raison pour les confondre. La question est intéressante, car l'interruption efface tout le temps antérieur, en sorte qu'une nouvelle prescription commence à courir : tandis que la suspension ne produit qu'un temps d'arrêt, l'interruption retarde seulement la course et n'oblige pas à recommencer le chemin (1).

L'arrêt de la Cour de cassation, qui donne au prévenu, acte du désistement de son pourvoi, contre une décision qui a déclaré la juridiction correctionnelle compétente, fait courir la prescription contre la partie civile, sans qu'il soit nécessaire de le lui notifier (2).

(1) En droit criminel la maxime Contra non valentem agere non currit prescriptio est applicable d'une façon absolue.

La prescription est suspendue nécessairement toutes les fois qu'un obstacle de droit met la partie poursuivante dans l'impossibilité d'agir. C., 29 août 1846, 7 mai 1851, 11 décembre 1869. En général les auteurs n'admettent la maxime qu'autant que l'impossibilité d'agir dépend de la loi ou d'un obstacle de droit. Mangin, t. II, nos 334 et 335. Brun 5, Villerel 257 et 264, Le Sellyer t. II, nos 517 et 220.

Il y a aussi suspension: quand le demandeur se trouve en présence d'un cas de force majeure C., 9 décembre 1871, solution implicite; Quand l'affaire a été mise en délibéré; C. 4 décembre 1885,

Au sujet de l'action contre les sénateurs, les députés. V. no 34. Cpr. no 88. La minorité, la demande de l'inculpé n'ont aucun effet suspensif. C., 8 juillet 1858, 1er février 1882.

(2) C.. 27 janvier 1883, Cpr. de Grattier, t. I, p. 537.

Le cours de la prescription de trois mois, en matière de presse, est suspendu, en cas de pourvoi en cassation, pendant toute la durée de l'instance devant la Cour de cassation.

Il en est ainsi alors même que le pourvoi est déclaré non recevable et quelle que soit la cause de la non-recevabilité dont ce pourvoi peut être entaché. C., 8 novembre 1889. Caen 26 mars 1890.

Il faut en dire autant de l'appel C., 28 janvier 1892.

De même, dès que l'obstacle a cessé, par suite du rejet du pourvoi du prévenu sur la question ou de compétence ou tout autre, c'est à partir de la date même de l'arrêt de rejet, que la prescription recommence à courir, sans que la partie civile puisse alléguer qu'elle n'a pu agir, tant que cet arrêt de rejet ne lui a pas été notifié par le prévenu, auquel aucune loi n'impose cette obligation.

On ne peut considérer comme actes interruptifs de la prescription les significations par huissier d'actes successifs dans lesquels la partie civile, précisément pour éviter de laisser écouler les délais de la prescription, déclare conserver son droit d'agir contre le prévenu; en effet, l'art. 65 de la loi du 29 juillet 1881, sur la presse, est formel à cet égard; il exige un acte de poursuite qui, seul, peut interrompre la prescription; or, ces actes innomés, ayant pour but de conserver son droit d'agir, ne sont pas des actes de poursuites.

Ce que, dans de pareilles circonstances, la partie civile doit faire, c'est de donner des assignations successives, à jour fixe, devant le Tribunal correctionnel, dans les délais de la prescription, sans se préoccuper de l'instance en cassation.

C'est ensuite au Tribunal saisi par ces assignations et devant lequel le prévenu justifie de son instance en cassation, de surseoir, successivement, au jugement de l'affaire, jusqu'à ce qu'il lui soit fourni la preuve du rejet du pourvoi en cassation du prévenu (1).

(1) C., 5 novembre 1886.

SECTION III

De l'interdiction d'ouvrir ou d'annoncer des souscriptions pour le paiement de condamnations judiciaires.

144. Après avoir exposé les moyens de recours contre une décision qui le frappe le condamné peut, quelquefois, chercher dans une souscription, le moyen d'être indemnisé des amendes, frais et dommages-intérêts.

Une telle recherche, si elle est revêtue de publicité, est susceptible de causer un véritable scandale.

Le législateur de 1881, comme les législateurs précédents, a voulu par l'article 40, réprimer de tels faits.

ARTICLE 40 DE LA LOI DE 1881.

Il est interdit d'ouvrir ou d'annoncer, publiquement, des souscriptions ayant pour objet d'indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle, sous peine d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de 100 fr. à 1.000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement.

Ce n'est pas le fait d'ouvrir une souscription, ayant pour objet d'indemniser des frais etc., des condamnations encourues en police correctionnelle ou en Cour d'assises, qui peut, par lui-même, constituer une action punissable. Chacun est libre de disposer à son gré de ses sympathies et de son argent. « C'est la publicité donnée à l'ouverture de la souscription ou à l'annonce de cette ouverture que la loi a entendu prohiber et punir. On a craint que ces manifestations ne prissent le caractère

d'une protestation contre les décisions judiciaires, et que leur autorité ne s'en trouvât infirmée » (1).

Le plus souvent la souscription, au lieu d'être ostensible, se dissimule et se déguise. Toute forme ou ruse, employée pour éluder la loi doit être déjouée, et l'annonce est punissable, aussi bien lorsqu'elle est indirecte, que lorsqu'elle est directe (2).

(1) Rapport de M. Lisbonne. V. Celliez et Le Senne, p. 503.

C'est là ce que disait déjà le rapporteur de la loi du 9 septembre 1835, dont l'article 11, reproduit par l'article 5 de la loi du 27 juillet 1849, est devenu l'article 40 de la loi du 29 juillet 1881 :

<< On signalait depuis longtemps le scandale des souscriptions publiques destinées à l'indemnité ou plutôt au triomphe des condamnés politiques. Ainsi la condamnation restait frappée d'impuissance, et le châtiment des lois devenait un titre de gloire. Le projet met un terme à ces ovations anti-sociales. Le législateur ne peut interdire les souscriptions privées.., mais du moins on ne triomphera pas publiquement des lois et des magistrats... Les souscriptions interdites sont celles qui tendent à indemniser de l'effet des condamnations judiciaires. Rien ne doit rester vague dans la définition d'une contravention toute matérielle ». Rapport de M. Sauzet sur la loi de 1835.

M. Clémenceau, à la Chambre, a protesté contre l'article 40. et il a lu une lettre adressée sous la Restauration, par M. le duc de Broglie, à M. Chevalier, journaliste, qui venait d'être condamné : « Souffrez, disait le duc de Broglie, que nous prenions notre quote-part de la peine. Veuillez me faire connaitre à combien se montent l'amende et les frais de justice... Je vous prie de vouloir bien disposer d'une somme égale sur les fonds qui sont entre vos mains »>.

Une pareille lettre sera-t-elle délictueuse, a demandé M. Clémenceau ! Oui, sans doute répondrons-nous, si elle est publiée!

(2) V. circulaire de M. Dufaure du 1er août 1849.

Chassan, t. I. p. 673. De Grattier, t. II, p. 329. Dutruc, no 298. C., 26 août 1836, 1er septembre 1836; 2 août 1862.

Chassan, t. I, no 983 et suiv. De Grattier, t. II, p. 330.

Ainsi on pourra considérer comme une souscription interdite :

L'annonce de la mise en vente d'un numéro exceptionnel, destiné à payer les amendes; Chassan, t. I, p. 678. Cpr. cependant Trib. corr. de la Seine, 1er juin 1870.

La souscription à un ouvrage dont le prix doit servir aux frais C., 26 août 1836.

La déclaration d'un journal qui refuse les souscriptions, mais déclare accepter les offrandes qui lui seront faites pour publier le compte rendu de son procès; Paris, 14 juillet 1836. Chassan, t. I, p. 676.

Le fait par un journal de publier, après sa condamnation, le texte de l'article 40, alors que certaines circonstances dénotent l'intention du rédacteur. Bourges, 23 février 1837. Chassan, t. I. p. 677-678.

De même, le fait de dire dans un journal : « Qu'on assure qu'une souscription a été ouverte parmi les étudiants pour racheter la bibliothèque qu'un écrivain condamné à raison d'un délit de presse, a mis en vente pour payer l'amende et les frais de justice de son procès », est une annonce indirecte. C., 2 août 1862. Il n'est pas nécessaire qu'une souscription soit ouverte. La quête de porte en porte est prohibée par la loi. V. note qui suit.

Les juges du fait apprécient souverainement si l'annonce ou la prescription existent. C,. 26 août 1831. 1er septembre 1836.

Quant aux constatations que doit contenir la décision, V. C., 2 août 1862.

TOME II

3

L'article 40 s'applique à toute ouverture ou annonce publique, soit par voie de la presse, soit autrement, par tout acte patent et notoire.

La publicité de la souscription ou de l'annonce doit être entendue dans un sens plus large que celui qui résulte des articles 23 et 28. Le législateur a voulu proscrire, moins le moyen que la chose (1).

La défense de l'article 40 concerne toutes les condamnations, quel que soit le tribunal qui les ait prononcées.

Mais il ne s'agit, d'après le texte de l'article, que des condamnations infligées par des tribunaux répressifs, et non de celles des tribunaux civils (2).

On doit même considérer que l'article 40 est inapplicable aux condamnations prononcées par les tribunaux de simple police (3).

L'interdiction ne visant que les souscriptions dont le but est d'indemniser de l'effet des condamnations judiciaires n'atteint pas celles dont le but est de fournir au condamné les moyens de faire appel ou de se pourvoir en cassation (4).

L'infraction à l'article 40 est une contravention purement matérielle qui existe par le fait seul de l'ouverture ou de l'annonce de la souscription (5).

Comme dans toutes les contraventions, délits, dont la peine est supérieure à 15 francs d'amende, la complicité est punissable (6).

(1) V. articles 27, 36, 37. Chassan, t. I, p. 674.

Ainsi il faut comprendre dans la prohibition de notre article une quête de maison en maison. lorsque le solliciteur s'est adressé à un grand nombre de personnes. Chassan, t. II, p. 674.

(2) L'art. 40 de la loi du 29 juillet 1881 qui prohibe les souscriptions publiques destinées à indemniser des conséquences des condamnations encourues en Cour d'assises ou en police correctionnelle, s'applique à toutes les infractions de la compétence de la juridiction correctionnelle, et notamment aux amendes prononcées pour exercice illégal de la médecine par application de la loi du 19 ventôse an XI. C., 21 février 1891.

(3) Chambéry. 4 décembre 1890.

(4) Douai, 23 août 1847. Chassan, t. I, no 979. Contrà, de Grattier t. II, p. 330. Paris, 14 juillet 1836.

Il n'en serait autrement que si on cachait sous cette forme une souscription pour indemnité.

(5) Chassan, t. I, no 980.

Mais les tribunaux ne doivent plus (art. 65 § 2) appliquer autant de peines distinctes qu'il y a d'annonces publiées.

V. Contrà sur l'ancienne législation. C,, 1er septembre 1836. Chassan, t. I, nos 257 et 988.

(6) Toulouse, 24 juillet 1862. Cpr. C.. 15 février 1843.

Il s'ensuit qu'indépendamment du gérant du journal qui aura inséré l'annonce on pourra poursuivre tous ceux qui l'ont aïdé, etc., dans la perpétration de la contravention. Chassan, t. I, no 981. Cpr. article 43, § 2. V. nos 73, 85.

Le cafetier qui a placé sur une table de son établissement une liste, affiche, annonce de souscription, est complice de celui qui lui a fait dépôt ou remise de ces documents. C., 25 avril 1835.

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