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CHAPITRE TROISIÈME

DE L'INJURE ET DE SES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS

L'article 29, § 2, définit ainsi l'injure:

« Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait, est une injure

292. La loi du 29 juillet 1881 a supprimé, en fait d'injures, toutes distinctions entre l'injure qui renferme l'imputation d'un vice déterminé, ce qui en faisait un délit d'après la loi de 1819 et celle qui ne la renferme pas, ce qui, d'après la mème loi, lui donnait le caractère d'une infraction de simple police. La seule différence établie en fait d'injure, c'est celle résultant de la PUBLICITÉ. L'injure non publique n'est punie que des peines de simple police prévues par l'article 471, no 11, du Code pénal (1).

(1) La loi de 1881 ne fait pas non plus de distinction entre l'injure verbale et l'injure.écrite. C'est aux magistrats, dans l'application de la peine à tenir compte de la différence en gravité de ces deux injures. L'article 605 n° 7 du Code du 3 brumaire an IV avait fait de l'injure verbale une simple contravention.

Le Code pénal luxembourgeois de 1879 a distingué l'injure d'après les circonstances extrinsèques et admis qu'il fallait toujours la publicité L'injure grave ou simple, entraîne des peines correctionnelles, lorsqu'elle a eu lieu par faits ou par écrits et des peines de simple police, si elle est verbale. Toutefois l'injure verbale qui aurait occasionné une provocation en duel est punie plus sévèrement que l'injure par faits ou par écrits.

On conçoit, difficilement, cette dernière distinction puisqu'il s'agira du plus ou moins de susceptibilité de la personne visée et que d'ailleurs ce Code Pénal punit la provocation en duel.

Un magistrat belge, M. Limelette, consulté par le gouvernement grand-ducal, a écrit très justement: « Il est absolument dangereux à l'ordre social de ne punir que l'injure-délit, réunissant les conditions de publicité. L'injure devient-elle done anodine, sans danger partant, parce qu'elle n'aurait pas de publicité ou du moins n'aura rencontré qu'une publicité limitée insuffisante? Et parce qu'elle ne sera pas assez publique pour constituer un délit grave, elle sera innocentée et ne sera même plus passible de peines de police ? Il suffira done de calculer sa publicité, le nombre des témoins, pour pouvoir impunément outrager ses voisins, ceux à

Les éléments constitutifs de l'injure (1) sont au nombre de cinq: 1o Une expression outrageante, terme de mépris ou invective. L'absence de précision, dans des imputations de nature à nuire à l'honneur ou à la considération, les fait dégénérer en injures. C'est là le trait caractéristique qui différencie l'injure de la diffamation (2). Aussi, la preuve de la vérité des injures n'est-elle jamais admise, même vis-à-vis des personnes publiques. En effet, que prouverait-on ? 2o S'adressant à une personne ou un corps;

3o Commise par l'un des moyens de publicité des articles 23 et 28; 4o Avec intention de nuire;

5o Pouvant causer un préjudice.

Mais quand il s'agit de simples particuliers, l'injure peut ne pas engendrer une action efficace, lorsqu'elle a été déterminée par provocation (article 33, § 2).

qui l'on en veut ? Singulière prime, donnée à la méchanceté astucieuse et que le législateur ne peut permettre. Pareils faits ne sont-ils pas bien plus préjudiciables, plus dangereux pour les victimes qu'un maraudage, un passage sur récoltes, la destruction d'un animal domestique ».

Le législateur de 1881 a bien fait de supprimer la distinction de la loi de 1819, car la solution du point de savoir s'il y avait ou non imputation d'un vice déterminé, ne laissait pas que d'être embarrassante. Elle donnait matière à des solutions fréquemment contradictoires.

(1) « Parler et offenser, pour de certaines gens, est précisément la même chose : ils sont piquants et amers; leur style est mêlé de fiel et d'absinthe; la raillerie, l'injure, l'insulte leur découlent des lèvres comme leur salive.

<< Ils ne se contentent pas toujours de répliquer avec aigreur, ils frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue, sur les présents, sur les absents; ils heurtent de front et de côté comme des béliers. Demande-t-on à des béliers qu'ils n'aient point de cornes? De même n'espère-t-on pas de réformer par cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indociles... » LA BRUYÈRE.

Si quelque compilateur s'avise de faire le sottisier de ces deux dernières années, ce livre dépassera les « sottisiers » qu'on connait déjà.

On a dit qu'un des effets de l'injure est d'assouvir, a peu de frais, l'indignation du lecteur? « C'est le sifilement assourdissant de la vapeur qui fuse au ciel, mais en diminuant la tension de la chaudière ». Cela n'est pas très vrai.

(2) Bien que, dans un écrit rendu public, certains termes puissent être considérés comme outrageants, ils peuvent ne pas constituer une injure, lorsqu'ils ne sont autres que ceux-mêmes au moyen desquels les allégations diffamatoires sont formulées et précisées. Néanmoins il importe peu, au point de vue de l'application de la peine, que le délit d'injures soit écarté, si la peine est justifiée par le délit de diffamation. Toutefois, la condamnation aux dommages-intérêts doit être annulée lorsque ceux-ci sont prononcés tant pour la diffamation que pour l'injure et que ce dernier délit est écarté. C., 7 avril 1900.

Viole l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, et par suite encourt la cassation, la décision correctionnelle ainsi motivée : « Attendu que les faits de la prévention ne sont pas suffisamment établis. »

Ce motif vague et équivoque ne permet pas, en effet, à la Cour de cassation de reconnaître et d'apprécier si le juge se fonde sur un motif de droit ou sur la non-existence des injures incriminées, C., 10 mai 1889.

Lorsque l'injure adressée aux fonctionnaires, agents de l'autorité, citoyens chargés d'un service ou d'un mandat publics, n'est pas relative à leurs fonctions ou à leurs qualités, l'injure est réputée faite au simple particulier.

§ 1. Il faut une expression outrageante, terme de mépris ou invective,

293. — La définition de l'article 29, § 2, est empruntée au Code pénal (art. 375 et 376 abrogés).

En général, l'expression outrageante offense la personne en ellemême, la blesse et l'atteint à ses propres yeux; le terme de mépris est plutôt offensant, par rapport à autrui, à ceux qui nous entourent. ` L'invective est, à la fois, méprisante et outrageante. L'insulte, le sarcasme, la raillerie, la grossièreté sont autant de modes de l'injure. Le sens donné par l'usage, dans chaque localité, aux expressions qui ont été employées, constitue l'injure, plutôt que le sens propre et naturel de ces expressions.

On peut trouver l'injure dans une réticence, une ironie, une allusion, une insinuation, un apologue.

Il n'est pas nécessaire qu'il existe des expressions outrageantes ou termes de mépris proprement dits Le fond de la pensée est à considérer de préférence à la forme littérale.

Un mot tout à fait inoffensif, ou indifférent en soi, peut, suivant l'intention de l'auteur, le public auquel il s'adresse et les idées que ce public y attache, constituer une véritable injure (1).

Une injure ne cesse pas d'être punissable pour être conditionnelle,

(1) Grellet-Dumazeau, t. I, no 278. De Grattier, t. II, p. 84. Chassan, t. I, p. 410 n° 4. Il y a de très nombreux exemples d'injures dans les expressions citées au n° 279 comme n'étant pas des diffamations.

L'injure se rencontre dans le fait de donner à un chien le nom d'un individu, de dire d'un homme qu'il a troqué sa conscience contre un emploi ; de représenter quelqu'un comme capable d'envoyer ses concitoyens à Cayenne (ceci s'adressait à un membre des commissions mixtes); Bourges. 30 novembre 1883. De dire d'un employé qu'il est un àne.

Dans la qualification de poisson, poisson bleu, candidat de la marée. Trib. corr. de la Seine, 9 novembre 1898. De Dreyfusard, rénégat de la franc-maçonnerie, à bas le masque. Trib. corr, de la Seine, 18 mai 1898; de juif prussien, de voleur. Orléans, 6 février 1894; Voleur de familles, C.. 29 juillet 1899.

Ecumeur de la politique de l'industrie. Trib. de Laon, 30 décembre 1893.

Les mots détrousseurs de familles, mangeur de grenouilles régimentaires,

l'adversaire ne fera pas

c'est-à-dire subordonnée à cela que contraire des faits allégués contre lui.

la preuve

La loi n'ayant pas déterminé les expressions ou propos qu'il faut regarder comme outrageants, méprisants, etc., en a confié et laissé par là même, l'appréciation aux tribunaux qui, sous ce rapport, sont souverains dans la constatation de l'intention qu'ils donnent aux expressions, discours, écrits, etc. (1).

Mais la Cour de cassation a le pouvoir d'apprécier les termes des écrits incriminés et de décider s'ils constituent une diffamation ou une injure (2).

coquin du baccara. Lyon, 24 juin 1897. Pourquoi X., n'est-il pas inscrit sur la liste électorale.

Scélérat, polisson, bandit, grand fainéant, hirondelle de potence, teigneux, bàtard, galopin, chenapan, faux monnayeur, escroc, brigand, drôle, grand fat (C., 14 janvier 1875), taré (Rennes, 30 mai 1877, oiseaux galeux (Colmar, 12 juin 1866), misérable (Orléans, 5 août 1868 s/ Cassation, 22 avril 1869, sont desinjures. De Grattier, t. I, p. 199 et 200.

Il faut en décider de même à l'égard de certains préjugés de l'opinion publique. Ainsi, il y a injure dans l'accusation de sorcellerie. C., 15 mars 1811.

Contient une injure, l'article de journal qui, ne se contentant pas de qualifier le plaignant de judaïsant, ajoute que les judaïsants ne sont pas de bonne foi. Constitue également une injure le fait de dire que, lorsqu'on s'appelle X, on n'a d'autre droit que celui de se taire. C., 9 mars 1900.

La Cour de Douai a, par arrêt du 10 février 1890, jugé qu'il en est de même de l'imputation faussement adressée à une société française, d'être une Société prusienne dont les usines appartiennent à des Prussiens. Cette allégation, dit la Cour est de nature à déconsidérer la Société dont s'agit, aux yeux du public français en raison de l'état de l'opinion publique en France, à l'égard de la nation prussienne. On peut consulter encore: Trib. corr. Seine, 9 mars 1889. Angers, 12 mars 1896.

Doit être considéré comme une grave injure le fait, par celui qui a constitué des témoins en vue d'une rencontre avec un adversaire, de leur écrire dans une lettre rendue publique, que cet adversaire « se dérobe lâchement aux responsabilités, en refusant une réparation par les armes, et qu'il est un « pleutre ». Il en est de même encore du fait d'écrire que l'adversaire « a manqué de courage en refusant de se battre... et qu'il a accepté sans réplique les qualificatifs qui lui ont été donnés ». Lyon, 19 juillet 1894.

Appeler un mari cocu ou cornard, c'est l'injurier directement et injurier indirectement sa femme.

De même dire qu'un individu est « le fils d'une p..., d'une poissarde qui a couru les rues » est une qualification offensante et injurieuse. Chambéry, 6 novembre

1886.

Čes mêmes paroles, au regard de la mère de cet individu, ne renferment pas l'imputation d'un acte précis, c'est-à-dire une diffamation.

(1) C., 30 octobre 1809, 11 avril 1822, 10 février 1845. De Grattier, t. I, p. 199. Une expression peut puiser le caractère d'injure dans la violence avec laquelle elle est émise. Trib. correctionnel de Chambéry, 6 novembre 1886.

(2) C., 25 avril 1885, 14 mai 1887.

Constitue une diffamation contenant l'imputation d'un fait déterminé, et non pas une injure, l'accusation portée contre un avocat de « mentir dans ses plai

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295. Il faut alors se bien pénétrer de ceci, c'est qu'une diffamation, excusée à raison de la bonne foi, ne peut être considérée comme dégénéranten injure, de façon à tomber ainsi, à titre subsidiaire, sous le coup de loi pénale (2).

<< Pour qu'il y ait une véritable injure, dit Henrion de Pansey, il faut dans l'auteur des paroles, l'intention d'offenser celui qui en est l'objet, et pour juger si les paroles ont été prononcées dans l'intention d'offenser, ou si elles ne sont que l'effet de l'indiscrétion ou de la légèreté, il faut beaucoup d'attention et de sagacité. En effet, les discours sont si

doiries, de déshonorer, par les mensonges dont il émaille ses plaidoiries, le barreau auquel il appartient ». V. C. 14 mai 1887.

Le tribunal correctionnel, statuant sur les délits de diffamation et injures publiques, doit, à peine de nullité du jugement, spécifier à la fois les imputations diffamatoires et les expressions outrageantes.

Il doit, sous la même sanction, en condamnant un des prévenus déterminer son genre de culpabilité, soit qu'il l'ait considéré comme auteur principal, soit qu'il l'ait considéré complice, et alors mentionner s'il a agi sciemment et lui appliquer selon les cas l'art. 43 de la loi du 29 juillet 1881, ou les art. 59 et 60 du Code pénal. Lyon, 19 avril 1888.

(1) V. n° 280.

Constitue soit le délit d'injures publiques envers un corps constitué, soit le délit d'injures publiques envers des citoyens chargés d'un mandat public temporaire, le fait de dire que le conseil municipal d'une localité « n'est composé que de crétins, de canailles, de voleurs, de filous » et que les électeurs qui ont voté pour les membres de ce conseil sont des imbéciles et des j... f... Trib. d'Abbeville, 4 août 1892.

(2) C., 25 avril 1885.

Ne constitue pas une diffamation, ni même une injure. la simple expression de « frane maçon » adressée à un candidat. Mais elle peut être considérée comme injure publique, telle qu'elle est prévue par les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, quand elle est accompagnée d'explications et de qualifications qui la rendent outrageante. Il y a lieu, dans ce dernier cas, de tenir compte, quant à Fapplication de la loi pénale et à l'appréciation des dommages-intérêts, de certaines circonstances qui atténuent la culpabilité de l'auteur de Finjure, notamment de Fexistence d'une polémique électorale Trib. civ. Thonon, 29 juillet

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