Page images
PDF
EPUB

sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu entre les expressions qu'elles emploient, que l'on ne peut que difficilement soumettre de simples paroles à des peines. Les paroles ne forment pas un corps de délit, elles ne restent que dans l'idée; la plupart du temps elles ne signifient rien par ellesmèmes, mais par le ton dont on les dit; souvent en redisant les mêmes paroles on ne rend pas le même sens; ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours; il n'y a rien de si équivoque que tout cela » (1).

296.

[blocks in formation]

Les moyens par lesquels l'injure peut être commise sont ceux des articles 23 et 28 (2).

Le renvoi aux moyens de l'article 28 montre que le législateur ad

(1) Heurion de Pansey, De la compétence des juges de paix, chap. XX.

On ne saurait voir une injure dans les mots de spéculateur audacieux. Trib. de Laon, 30 décembre 1893. Vous me faites l'effet d'une pilule.

Il n'y a pas délit d'injures de la part de celui qui, dans un article de journal persifle ou raille une personne ou essaie de ridiculiser ses noms et qualifications. Angers, 19 mars 1897.

Les expressions: abdication de principes, concessions injustifiables, ne sont pas des injures. Lyon, 19 juillet 1894.

V. également, pour une espèce ou l'on avait imputé à un individu, d'avoir la teigne ou la gale, C., 15 janvier 1808 et pour le cas d'un individu qui s'est borné à raconter, sur la demande de plusieurs personnes les injures proférées par lui dans un autre lieu. Metz, 26 février 1821. Idem, à l'égard d'un notaire pour le passage d'un exploit où il est dit que ce notaire doit être déclaré responsable des désordres, des faux et des détournements qu'il a laissé accomplir sous son patronat (par son clerc). Alger, 11 mars 1890. V. aussi Paris, 9 juillet 1890. (2) V., nos 54 à 56.

Le délit d'injures, ainsi que celui de diffamation, ne sauraient exister sans qu'il y ait intention coupable. Cette intention ne se trouve pas dans le cas d'une personne qui fait appel à un agent de la force publique et lui demande protection contre un homme considéré comme dangereux. Trib. corr. de la Seine (11° ch.), 10 janvier 1899. Tribunal d'Orthez, 17 mars 1891.

La question des avoir si les propos ont été tenus avec une intention coupable est une question de fait qui rentre dans les pouvoirs souverains du juge de fond. C., 13 novembre 1875. 12 février 1891.

Ce n'est pas une preuve de bonne foi de la part du gérant d'un journal, de ne publier que des écrits signés par leur auteur qui en accepte la responsabilité. Pour établir sa bonne foi, le gérant d'un journal doit prouver qu'il ne s'est pas rendu compte du caractere injurieux des écrits qui y sont publiés.

Et la bonne foi n'existe pas lorsque le caractère injurieux apparaît avec la plus éclatante évidence à la simple lecture des écrits. Lyon, 49 juillet 1894.

met que l'injure peut avoir lieu par la voie de dessins, gravures ou emblèmes (1).

Pour la publicité, en ce qui concerne les injures par carte postale ou télégramme circulant à découvert, nous nous sommes expliqué (2).

[ocr errors]
[blocks in formation]

297. Nous renvoyons aux développements donnés à la même question à propos de la diffamation (3).

$6.

[ocr errors]

A la condition toutefois, quand il s'agit de simples particuliers, qu'il n'y ait pas eu provocation (art. 33, § 2).

298. Le législateur de 1881 a étendu avec raison aux injures publiques, l'excuse de la provocation admise par l'article 471, no 11, du Code pénal, quant aux injures non publiques.

Mais ce n'est qu'entre particuliers que la provocation peut être une excuse (art. 33, § 2). La jurisprudence, nous l'avons vu, tient compte. également de la provocation en matière de diffamation (4).

La loi de 1881 n'ayant pas distingué entre l'injure écrite et l'injure verbale, la provocation peut être admise dans tous les cas.

Aucune définition de la provocation n'étant donnée, c'est à la sagesse du juge de statuer sur le point de savoir quand elle existe. Une allégation vague ne suffit pas, il faut la preuve (5).

(1) Ainsi, il y aura injure à représenter un ecclésiastique avec le corps d'un pore, un homme de lettres avec une tête d'âne, etc., etc. Il ne faut pas s'arrêter absolument à la définition de l'injure. V. Contra, Dalloz, v Presse-Outrage, no 902.

(2) V. nos 54, 55.

(3) V. n° 290.

(4) Rouen, 29 décembre 1883. P. 85, 809.

C'est l'application de la maxime de l'ancien droit : Injuriæ mutua compensatione tolluntur.

V. Dareau, Traitė des injures, p. 402.

(5) C., 16 mai 1884.

Le juge du fait est souverain pour apprécier les circonstances d'où résulte la provocation. C., 18 août 1864, 4 mai 1889. C., (req.), 25 mai 1898. Douai, 7 mars

18-2.

Cpr. C., 13 août 1842, 26 mai 1853. V. cependant, C,, 28 février 1890.

[ocr errors]

Pour que la provocation constitue l'excuse légale de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, il faut qu'il y ait une relation directe entre cette provocation émanant de l'une des parties et les injures de l'autre partie.

Ainsi, une demande d'arbitrage formée par une partie, ne peut constituer une provocation de nature à motiver et excuser les épithètes de lâche et pleutre, par lesquelles l'autre partie répond à cette demande d'arbitrage. Il en est de même, à plus forte raison, d'une seconde lettre reproduisant les mêmes injures.

En admettant même l'existence d'une provocation, il est inadmissible que celui qui en aurait été l'objet, puisse indéfiniment accabler d'injures son adversaire qui garde le silence (1).

Le législateur de 1881 n'a pas entendu exiger l'absence de provocation comme une condition nécessaire à la constitution du délit d'injure publique envers les particuliers; il a seulement voulu, par assimilation avec les dispositions du Code pénal relatives à l'injure non publique, que la provocation, lorsqu'elle est établie, soit une excuse qui affranchit de toute peine l'auteur du délit. Et de ce que la provo

La provocation peut ressortir de gestes (Carnot, sur l'art. 471, no 11, du Code pénal),

De la dénonciation adressée par le plaignant contre le prévenu, au supérieur de ce dernier; C., 26 mai 1853.

D'une contradiction ou d'un démenti. C, 3 juin 1881.

De même il appartient au juge du fait de décider souverainement que les mots « vous êtes un faux. Vous ne faites que des faux » ne constituent qu'un démenti opposé à une interpellation et ne doivent pas être considérés comme injurieux. C.. 3 juin 1881. Cpr. C., 27 mai 1880.

Elle existe lorsque le plaignant a commencé à injurier lui-même l'inculpé, ou quand il a pris à son égard, dès l'abord, une attitude offensante. Tribunal de Corbeil, 26 octobre 1881.

Les expressions « A bas le masque » et «rénégat de la franc-maçonnerie », adressées (sur des affiches) par un candidat aux élections législatives à l'un de ses concurrents ne peuvent que, dans une mesure relative, excuser celles beaucoup plus graves de « faussaire », de « candidat de l'ile du Diable » et de « dreyfusard», employées par l'autre partie. Trib. corr. de la Seine (9 ch.), 18 mai

1898.

(1) Lyon, 28 juillet 1894.

De même ne peut constituer l'excuse de la provocation, le fait que la personne injuriée, aurait fait jouer sur un théâtre une pièce dans laquelle, suivant l'auteur, de l'injure, on aurait représenté son père dans un rôle odieux. Lyon, 13 août 1888. Toutefois, ceci parait être fort délicat.

La provocation peut être morale et résulter notamment du violent défi jeté à la conscience publique par un homme qui après s'être rendu coupable d'escroqueries envers les habitants d'une localité, s'adresse aux mêmes habitants pour les engager à verser de l'agent dans la caisse d'une société dont il est le délégué général, même si cette société prétend avoir un but philanthropique.Trib.de Château Thierry, 10 décembre 1897.

cation est une excuse, il résulte que c'est au prévenu, qui prétend en bénéficier, à l'invoquer et à en administrer la preuve; le juge ne peut, donc être tenu de se prononcer sur son existence ou son absence, qu'au tant qu'il est mis en demeure de le faire, par des conclusions dudit prévenu, et, en l'absence de ces conclusions, il peut légalement condamner ce dernier, comme coupable d'injures envers la partie civile, sans constater l'absence de provocation (1).

La loi n'ayant pas fixé l'intervalle qu'il devrait y avoir entre une provocation et les injures, pour que celles-ci fussent ou non excusables, il n'est pas nécessaire que l'injure ait suivi immédiatement la provocation (2).

En matière d'injures il appartient à la Cour de cassation de contrôler l'interprétation donnée par un arrêt aux écrits publiés, et d'en déterminer le sens et la portée non seulement dans les rapports avec la qualification légale d'injures, mais encore en ce qui concerne l'excuse tirée de ce que l'injure aurait été précédée de provocation (3).

Lorsque les injures ont été réciproques, sans que le juge puisse reconnaître celle des parties qui, sans provocation, a commencé à proférer des injures contre l'autre, il n'y a aucune peine à prononcer (4).

(1) C., 3 décembre 1897.

Les faits constituant une provocation doivent, d'ailleurs, être appréciés suivant les circonstances : ainsi dans une période d'élection, il n'est pas possible d'interdire aux citoyens d'apprécier les actes politiques des candidats, pourvu qu'on n'emploie pas contre eux d'expression injurieuse, et qu'on n'attaque pas leur vie privée. Lyon, 19 juillet 1894.

(2) C.. 18 août 1836, 4 mai 1889. Contra. Chassan, t. I, p. 376. Grellet-Dumazeau, t. I, no 305.

(3) Lorsque des écrits injurieux ont été publiés, en réponse à une autre publication, la Cour de cassation a le droit de vérifier si cette publication était aussi injurieuse, afin de rechercher le fondement de l'excuse de provocation. C., 28 février 1890, 23 mai 1894.

En principe, si d'une manière générale, les décisions de cour d'appel sur le fait sont souveraines, le contrôle de la Cour de cassation sur le point de droit s'étend, en ce qui touche les délits de publicité par la voie de la presse à l'interprétation des écrits incriminés. Dans cette matière, il faut nécessairement comprendre, sous peine de rester illusoire, le droit d'examiner lesdits écrits, d'en vérifier le sens et la portée et d'apprécier; par suite, sauf la question d'intention et de bonne foi, la Cour de cassation détermine quelle qualification légale leur appartient. C., 16 février 1893. V. no 56.

(4) C., 1er septembre 1826. Faustin-Hélie. Code d'instruction criminelle, t. VII, p. 351. Cpr. Riom, 23 novembre 1852,

SECTION II

De la diffamation et de l'injure vis-à-vis des corps constitués, des administrations et des personnes autres que les simples particuliers.

1

Observations générales.

299. Les articles 30 et 31 de la loi de 1881 visent, le premier, des collectivités, des êtres moraux; le second, des individualités.

A dire vrai, l'article 30 réprime de véritables délits d'opinion. En effet, en principe, les attaques générales, dirigées contre les magistrats ou la magistrature, contre les journalistes ou la presse, contre l'armée, etc., etc., ne constituent pas des diffamations ou injures.

L'armée, par exemple, forme non un corps particulier, mais une classe de citoyens. En 1822, Royer Collard disait : « Les classes n'ont pas besoin d'être défendues, en tant que classes, puisqu'elles n'existent pas ce sont des êtres de raison, de pures abstractions de nos esprits, qui ne tombent pas sous l'action de la loi, et qu'il est aussi impossible de protéger qu'il le serait de les punir »>.

Ce n'est pas qu'à notre avis, l'armée en tant qu'être moral, n'ait droit à la protection. Seulement on doit être circonspect, dans la mise en exercice à son sujet de l'action de l'article 30 (1).

Mais si le législateur de 1881 a eu raison de tenir compte de la différence profonde qui sépare la diffamation de l'injure et de les distinguer, il a eu le tort grave, selon nous, de décider que l'injure envers les hommes publics, fonctionnaires, citoyens chargés d'un service et d'un mandat publics, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, serait justiciable de la Cour d'assises (2).

(1) Cpr. Alger, 24 juillet 1873. C., 9 février 1877. V. no 225.

(2) M. Lisbonne l'avait bientôt compris et le 18 février 1889, une proposition de sa part, modifiant en ce sens l'article 45, avait été votée au Sénat. Cette proposition échoua à la Chambre malgré les efforts de M. Lisbonne.

C'est avec beaucoup de raison, que l'exposé des motifs de cette proposition

TOME II

29

« PreviousContinue »