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En effet, ce qui distingue, en général, la diffamation de la dénonciation calomnieuse, c'est que la première s'adresse au public, et non

« Attendu que d'après les principes constitutionnels du droit politique français, la critique, la censure des actes des fonctionnaires sont licites, et qu'une immunité absolue est acquise à cette critique quand elle fait appel à l'opinion en alléguant des faits vrais ;

« Attendu que l'exercice de ce droit a pour double garantie la juridiction du jury et la faculté de faire, devant cette juridiction, la preuve publique et contradictoire des faits allégués ;

« Attendu qu'aucun artifice de procédure ne peut priver un citoyen de ce droit et des garanties qui le consacrent; que ces garanties sont d'ordre public et ne peuvent recevoir ni directement ni indirectement aucune atteinte;

« Attendu que M. Amagat, député du Cantal, ayant appris que des actes de partialité et de faveur illicites avaient été commis au cours des opérations du conseil de révision de son département, a dénoncé ces actes à l'opinion, dans le numéro de la République Libérale, journal du Cantal, portant la date du 21 mai 1886;

« Attendu que M. Amagat a réitéré et développé son accusation dans les numéros des 4 et 11 juin et 2 juillet 1886, et qu'il s'est toujours déclaré prêt à établir devant le jury du Cantal, dans le pays où les faits se sont passés, la parfaite exactitude de cette accusation ;

« Mais attendu que deux des articles signés par M. Amagat, publiés par la République Libérale et reproduits par un grand nombre de journaux, avaient la forme de lettres à M. le ministre de la guerre ; que, pour remplir un devoir de convenance, M. Amagat a effectivement adressé ces deux lettres au ministre en même temps qu'il les livrait à la publicité;

« Attendu que dans ces lettres et dans les articles qui les ont accompagnées et suivies, M. Amagat a accusé M. le préfet du Cantal et le conseil de révision du département d'avoir injustement exonéré du service militaire le fils d'un député ministériel et d'avoir fait ainsi retomber sur un autre conserit, la charge du service qui incombait à ce jeune homme;

« Attendu qu'à la suite d'incidents multiples dont la presse et la Chambre des députés ont été saisis, le ministère public s'est déterminé à substituer à une poursuite normale devant le jury pour diffamation, — poursuite provoquée avec insistance par M. Amagat lui-même une poursuite devant le tribunal de police correctionnelle de la Seine, pour dénonciation calomnieuse contre M. Brousse, médecin-major au 121 régiment d'infanterie ;

« Attendu que cette évolution de procédure a pour but évident de priver M. Amagat des garanties que la loi assure — notamment de la juridiction du jury du Cantal, et de remplacer la preuve publique devant cette juridiction au lieu où la réalité des faits serait facile à établir de la manière la plus éclatante, par des enquétes administratives occultes, sans publicité ni contradiction ; « Attendu qu'il est impossible de violer d'une manière plus flagrante les dispositions impératives des lois qui autorisent et favorisent la révélation et la critique des abus commis par les fonctionnaires ;

« Attendu que le tribunal correctionnel, saisi de faits que le ministère public qualifie de dénonciation calomnieuse contre M. Brousse, a le droit d'apprécier ces faits pour établir leur qualification véritable et pour statuer sur sa compétence;

« Attendu que la cour d'assises a, en matière d'accusation par la voie de la presse contre des fonctionnaires, plénitude de juridiction, laquelle s'étend à tous actes et publications accessoires tendant au même but, rattachés d'une manière intime les uns aux autres et ayant entre elles une connexité légale aux termes

pas aux officiers de justice ou aux officiers de police administrative ou judiciaire. La diffamation ne suppose pas une plainte transmise ou déposée; elle implique une divulgation publique (1).

La juridiction correctionnelle ne cesserait d'être compétente, qu'au cas ou il y aurait connexité entre la lettre ou l'écrit remis et les articles des journaux (2).

sainement entendus de l'article 227 du Code d'instruction criminelle (Cass., 20 novembre 1846).

<«< Attendu que l'envoi au ministre de la guerre des lettres publiées par M. Amagat se rattache par la connexité la plus étroite au fait de la publication de ces lettres, et que cet envoi, dans l'intention de leur auteur comme dans la réalité des faits, n'est qu'un des incidents accessoires de leur publicité ;

« Attendu que les lettres elles-mêmes ne contiennent aucune dénonciation contre M. Brousse ; qu'il n'est ni nommé, ni désigné dans aucune d'elles; que dans la première, M. Amagat dénonce à «l'opinion publique et au chef de l'armée française » un scandaleux abus commis « au conseil de revision », au profit du fils d'un député du Cantal: que dans la seconde il déclare que « le médecin n'est pas le coupable» et qu'il accuse expressément le préfet;

« Attendu que la qualification de dénonciation calomnieuse contre M. Brousse ne se soutient donc pas ; qu'il y a eu de la part de M. Amagat accusation volontaire, formelle et réfléchie, rendue publique par la voie de la presse, contre le préfet du Cantal et contre le conseil de révision:

« Attendu que ces faits, sainement appréciés dans leur ensemble, constituent une diffamation de la compétence de la cour d'assises, et qu'il n'est pas permis d'en détacher une circonstance accessoire, on en altérant le caractère, pour échapper à un débat contradictoire et public sur l'exactitude des faits dénoncés au lieu même où ils se sont produits;

«Par ces motifs,

« Dire et juger que les lettres et articles publiés par M. Amagat constituent, non une dénonciation contre M. Brousse, mais une diffamation contre des personnages publics, de la compétence de la cour d'assises.

« Dire que l'envoi des lettres des 20 mai et 9 juin 1886 à M. le ministre de la guerre n'est qu'un des incidents de cette diffamation, étroitement connexes avec elle;

« En conséquence se déclarer incompétent ».

(1) Quand une action en dommages a été portée devant un tribunal civil, à rai. son d'imputations qualifiées de diffamatoires, le fait de soutenir, pour la première fois, devant la Cour de cassation, que l'action aurait dû être basée sur une dénonciation calomnieuse, constitue un moyen nouveau qui est irrecevable. C., 17 août 1881.

Quand une action en dénonciation est portée devant un tribunal correctionnel, la publicité donnée à l'écrit ne change rien. Peu importe qu'on puisse qualifier l'écrit publié de diffamation. C., 9 novembre 1860. Trib. corr. de la Seine, 6 septembre 1886. Blanche, n° 419. C., 6 août 1887.

(2) La question deviendra délicate lorsque la dénonciation calomnieuse se renfermant uniquement dans un article de journal, celui-ci sera envoyé, purement et simplement, à l'autorité compétente.

A notre avis mais nous hésitons on ne pourrait détacher la dénonciation calomnieuse, de la diffamation proprement dite. V. en ce sens Péret, Réforme du Code penal, p. 58. M. Garraud, croit au contraire qu'il y a dénonciation. V. tome 5, n° 38.

En tous cas, dans les mœurs de la presse actuelle, et pour éviter toutes diffi

D'un autre côté, le trait le plus distinctif de la diffamation, c'est l'imputation ou l'allégation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération. La dénonciation calomnieuse peut

porter, non seulement sur des accusations de ce genre, mais sur d'autres encore (1).

Il y a cette ressemblance entre la diffamation (lorsqu'il s'agit des corps ou personnes des articles 30 et 31 de la loi de presse), et la dénonciation calomnieuse, qu'il faut constater, d'une manière préalable, la vérité ou la fausseté des faits imputés. On retrouve ce principe dans l'article 727 du Code civil.

L'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ne s'étend pas à la dénonciation calomnieuse, et par suite aux écrits ou mémoires imprimės, distribués, à la fois, à des tiers et dans une instance à laquelle ils

cultés, les journalistes se contentent de publier dans leurs feuilles, des lettres << ouvertes » qui ne sont pas envoyées par eux. C'est, qu'en effet, on a jugé qu'il y aurait dénonciation calomnieuse, si une plainte était publiée dans un journal, et si un numéro de ce journal était adressé à l'autorité compétente. Cpr. C., 16 février 1829; ou s'il lui parvenait par l'effet du dépôt (art. 10 de la loi de la presse).

Le fait d'avoir porté, dans une lettre adressée au procureur général, une dénonciation calomnieuse contre des fonctionnaires publics, pour des faits relatifs à leurs fonctions, constitue un délit de la compétence de la juridiction correctionnelle et non un délit politique de la compétence de la Cour d'assises, encore bien que les faits servant de base à la dénonciation, aient déjà été publiés par la voie de la presse. C., 19 janvier 1848. Cpr. C., 10 février 1888.

(1) Pour qu'une dénonciation puisse être poursuivie comme calomnieuse, il n'est pas nécessaire que le fait dénoncé soit un crime ou un délit. Il suffit qu'il soit susceptible de jeter le discrédit sur celui auquel on l'attribue et de lui occasionner un préjudice moral. Trib. de Château-Thierry, 11 novembre 1898. C., 25 février 1826, 3 juillet 1829, 14 mai 1869. Chassan, t. I, p. 36. Cpr. Nancy, 5 août 1895.

En admettant même, ce que nous repoussons, qu'il soit généralement nécessaire pour constituer le délit, quand il s'agit de particuliers, que la dénonciation calomnieuse ait pour objet de provoquer des poursuites judiciaires, au contraire, en tous cas pour les fonctionnaires ou officiers ministériels, employés d'administration, il suffira qu'elle ait pour but de provoquer des mesures administratives contre un fonctionnaire, telles qu'une révocation, une translation ou un changement de résidence, ou des mesures disciplinaires, lors même que les imputations seraient inefficaces pour entrainer des poursuites criminelles ou correctionnelles. Il suffit qu'elles soient susceptibles d'entrainer une répression administrative ou disciplinaire, ou le plus léger préjudice. V. Rouen, 22 avril 1825, C., 3 juillet 1829, 7 décembre 1833, 22 juin 1838, 8 juin 1844, 13 septembre 1860, 15 juillet 1864, 24 juin 1870. Cpr. C., 29 juin 1838, 13 juillet 1878, 13 novembre 1886, 15 décembre 1893, 3 décembre 1896. Chauveau et Hélie, no 1851. Ainsi, de l'imputation contre un huissier de ne s'être pas présenté au domicile du dénonciateur, ainsi que l'indiquait une mention d'une traite à recevoir. Il y aurait là un fait disciplinaire. C., 24 juin 1870. V. pour un notaire. C., 13 (et non 17) février 1881, 26 décembre 1895.

De même, ne peut être relaxé le dénonciateur qui prétend que les faits ne sont

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étaient étrangers, et enfin remis au chef de l'administration du fonctionnaire inculpé (1).

Il n'y a pas davantage d'immunité, pour la dénonciation calomnieuse contenue dans un acte administratif (2).

On ne saurait qualifier d'acte administratif un acte délictueux (3). Les fonctionnaires ne sont à l'abri des actions publique et civile, pour les avis qu'ils doivent donner, concernant les délits dont ils ont acquis la connaissance, dans l'exercice de leurs fonctions (art. 358 du Code d'instruction criminelle), que dans les cas où leurs dénonciations ne sont pas calomnieuses (4).

D'un autre côté, la dénonciation calomnieuse ne change pas non plus de nature, parce qu'elle a été dirigée contre un magistrat, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, et elle ne doit pas être confondue avec le délit d'outrage (5).

pas de nature à attirer sur le dénoncé l'action du ministère public; par exemple, lorsque, sur l'imputation d'avoir apposé une fausse signature au bas d'une obligation, il est vérifié que les traits apposés au pied du titre n'offraient aux yeux aucune signature. C., 8 juin 1844.

(1) Cpr. no 4.

(2) C., 16 février 1839, 1er mars 1860, 9 novembre 1860. V. no 93.

Ainsi, une pétition adressée au préfet, bien qu'ayant pour but principal de saisir le Conseil de préfecture d'un litige avec un entrepreneur de travaux publics, ne jouit pas de cette immunité pour les imputations calomnieuses qu'elle renferme contre un conducteur des ponts et chaussées. C.. 21 mars 1861. V. aussi, C., 1er mars 1860, 9 novembre 4860. Blanche, t. V. no 421. Cpr. cependant, Caen, 21 novembre 1860.

De même, le droit de pétition au chef de l'Etat, aux Chambres, etc., accordé aux citoyens par les lois constitutionnelles, ne forme pas obstacle à des poursuites en vertu de l'article 373, si les faits calomnieux articulés ont été déclarés faux par l'autorité compétente. C.. juillet 1857, 29 juillet 1857. V. cependant Locrė, Législation civile et criminelle, t. XXVI, p. 375.

Le contribuable qui, dans une pétition à l'autorité supérieure, pour obtenir la restitution de droits d'enregistrement prétendus indûment perçus, impute des faits calomnieux pour le receveur, peut être poursuivi. Tribunal de Saint-Flour, 7 janvier 1860.

Quant aux mémoires et protestations en matière d'élections. Cpr. no 33, 34, 212, 287, 288.

(3) Cpr. C., 10 février 1888. Il s'agit dans cette espèce de la dénonciation d'un fait délictueux à l'autorité judiciaire par un caïd.

(4) Dès lors un président de tribunal civil qui, dans un rapport au garde des sceaux, signale de prétendus abus et nomme leurs auteurs (un juge de paix et un notaire), peut, dans le cas où ces faits sont reconnus mensongers et dictés par la haine, être poursuivi en vertu de l'article 373. C., 10 octobre 1816, 12 mai 1827, 22 décembre 1827, 8 août 1833. Blanche, no 415. V. Le Sellver, t. VI, n° 751. Chassan, t. I, no 156. Faustin Hélie, t. IV, no 1754. Mangin, no 69. Cpr. no 94 à 96, mais voir C., d'Etat, 27 septembre 1827.

(5) Ainsi, celui qui, dans des lettres anonymes, dénonce au procureur général certains faits de nature à entrainer la destitution d'un magistrat, n'outrage pas ce magistrat; il accomplit un acte licite, si les faits dénoncés sont vrais ; et s'ils sont

Lorsque, à la suite d'une première plainte calomnieuse, une dénonciation écrite reproduit les mêmes faits devant le juge d'instruction, cette dénonciation devient une circonstance aggravante de la plainte, et ne peut, dès lors, être considérée comme une simple injure verbale (1)

La dénonciation calomnieuse est un délit complexe, dont les différents caractères doivent être examinés et constatés avec soin. Elle se distingue nettement du chantage (2).

L'excuse de la provocation ne saurait être invoquée comme en matière de diffamation ou d'injure (3).

faux, il n'est punissable qu'autant que leur fausseté a été préalablement déclarée par l'autorité compétente. C., 28 octobre 1886, V. C.. 13 juillet 1878, 13 novembre 1886, 15 décembre 1893, 3 décembre 1896. Amiens, 29 août 1878.

(1) C.. 12 octobre 1816.

(2) V. infrà, no 371. Elle se distingue aussi du faux témoignage, Morin, vo Dẻnonciation calomnieuse, no 7. Chauveau, Faustin-Hélie et Villey, t. IV, no 1836. Mais d'ordinaire la dénonciation calomnieuse est le prélude d'une fausse déposition.

Sur la compétence contre le dénonciateur, V. Pandectes, y Acquittement, no 70 art. 359 du Code d'Instruction au cas de Cour d'assises.

Aucune condamnation ne peut être requise ni prononcée contre un individu qui ne se trouve présent à l'audience qu'en qualité de témoin; et cela même pour une dénonciation calomnieuse révélée pendant le cours des débats, devant la Cour d'assises et à l'égard de laquelle l'accusé acquitté a réclamé des dommages contre ce témoin dénonciateur en vertu des articles 358, 359 du Code d'instruction. Le ministère public n'a pas, au point de vue pénal, le droit qu'a l'accusé pour ses intérêts civils.

(3) La dénonciation dont une personne aurait pu être l'objet de la part d'un fonctionnaire public ne justifie aucunement une dénonciation calomnieuse dont cette personne se rend coupable à l'encontre de ce fonctionnaire. L'exception de légitime défense ne peut être invoquée. Nimes, 27 novembre 1829.

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