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TITRE QUATRIÈME

DES ASSOCIATIONS LICITES ET ILLICITES

PRÉVUES PAR LE CODE PÉNAL ET LES LOIS SPÉCIALES

Remaniements de Législation projetés

Après les attroupements et les réunions, le législateur a dû se préoccuper surtout des associations.

Les attroupements, les réunions ne sont que des faits accidentels. Les associations supposent, au contraire, un concert et une entente durables (1).

Nos lois ont disposé à l'égard des associations par plusieurs prescriptions dont nous allons plus bas (n° 395) donner le texte.

Nous avons dit déjà que le législateur admettait certaines associations. Nous nous référons à nos développements et à ce que nous avons signalé, notamment, pour les syndicats professionnels (2).

Actuellement la liberté d'association n'existe pas encore en France. Le ministère Waldeck-Rousseau a déposé à la Chambre des députés, un projet de loi qui a été longuement discuté de janvier à avril 1901. Voici ce projet de loi tel qu'il est sorti des délibérations de la Commission (présidée par M. Sarrien d'une façon très remarquable) et de la discussion à la Chambre.

(1) V. suprà, no 35, la différence entre les réunions et les associations. Ainsi les réunions dans un cabaret où plus de 20 personnes se trouvent pour boire et chanter, soit habituellement, soit accidentellement et que l'administration à le droit et le devoir de surveiller, aux termes de la police municipale, ne présentent point les caractères d'une association. Paris, 14 février 1835.

L'arrêté par lequel un maire interdit les réunions de plus de 20 personnes dans des maisons particulières et pour des bals particuliers excède les limites de ses attributions et n'est point obligatoire. C., 16 août 1834. V. pour les réunions religieuses accidentelles. C., 12 avril 1838, 7 janvier 1848. Il s'agit là de faits, accidentels ou imprévus, ou instantanés ou temporaires. Chauveau et Hélie, t. V, p. 118.

(2) V. no 42 à 45 et 373.

CHAPITRE PREMIER

PROJET DE LOI SUR LES ASSOCIATIONS (CHAMBRE DES DÉPUTÉS) (Janvier-Avril 1901)

391 bis. Nous avons dans le premier volume esquissé à grands traits les principes de la liberté d'association.

La liberté d'association ne peut pas être réclamée comme le privilège d'un parti. Dans un pays centralisé tel que le nôtre, il est la seule ressource du citoyen isolé, la seule force qui lui permet de ne pas succomber sous le poids du pouvoir central. Aussi tous les libéraux, sans exception, la réclament-ils comme la condition même de toutes les libertés. Quand on écrira l'histoire politique de ce siècle, on verra que l'effort constant des minorités a été de se défendre contre l'oppression des majorités ou du pouvoir central (1). L'accord sur le principe même de la liberté d'association semble s'être fait entre tous les esprits élevés. Tous sont d'accord pour convenir que, si quelque chose manque à notre pays, si richement doué sous tant de rapports, c'est l'esprit d'initiative, d'entente, d'effort commun

par l'association

(1) Tous partagent l'opinion de M. Taine qui, dans des pages trop peu connues destinées à servir de conclusion à son admirable ouvrage sur les Origines de la France contemporaine, s'élevait, avec une égale sévérité, contre la législation révolutionnaire et contre la législation impériale en matière d'association et disait avec éloquence: « Le plus proche parent de l'esprit napoléonien est l'esprit jacobin. » Tous, enfin, reconnaissent que la liberté d'association est pour la France une liberté nécessaire. Il y a cent dix ans une pensée dominante emportait les législateurs, pénétrés des doctrines du Contrat social plus de corps, plus de société particulière, plus de corporation, plus de groupement, même de ceux que forment la géographie, le climat, l'histoire, la profession, le métier; plus rien que les individus en face de l'Etat, collectivité unique, immense, en qui s'absorbent les individus.

« Les sociétés particulières, disait Mirabeau, placées dans la société générale, rompent l'unité de ses principes et l'équilibre des forces ». D'un bout à l'autre de l'histoire révolutionnaire cette parole est répétée, commentée, développée, poussée à ses extrêmes conséquences. Tout y passe : les provinces, les corps de métier, le clergé, les congrégations, les biens communaux, les sociétés littéraires, les accadémies elles-mêmes.

entre les citoyens, et que s'il pèche par quelque endroit, c'est par l'habitude de s'en rapporter à l'Etat, du soin de tout faire et de tout prévoir. Tous sont d'accord également, pour dire que ces habitudes fâcheuses sont nées d'une législation mauvaise qui, en proscrivant l'association, a condamné l'individu à l'isolement.

Au contraire de la Révolution, regardons aujourd'hui autour de nous. L'association, le corps organisé, le groupe spontané envahissent tous les domaines de l'activité nationale; rien ne se fait de grand, de profitable, d'efficace, sans qu'on y ait recours, et cela est bien heureux, car si cette puissance, si cette force d'initiative venaient à manquer au pays, qui pourrait les remplacer ? Ce n'est pas l'Etat, qui est arrivé à la limite extrême de ses efforts.

L'association devient de plus en plus le grand levier, le moteur indispensable de toute action féconde. Chaque jour, les pouvoirs publics apportent à cette inévitable nécessité la consécration des lois. Chaque jour la jurisprudence fait aussi son œuvre au sujet de cette évolution progressive (1). ·

Ce développement de l'esprit d'association a donné naissance à des

(1) Les sociétés, les entreprises collectives vont chaque jour se développant davantage : c'est la grande évolution économique de ce siècle, et il est probable que nous n'en voyons que les premiers mouvements! Toute l'activité industrielle et commerciale tend à prendre cette forme: toutes les œuvres sociales, humanitaires, philanthropiques, s'abritent de plus en plus dans des sociétés. L'association résoudra la question sociale.

Les sociétés commerciales ont depuis longtemps pris leur essor (V. Lois de 1867 et de 1893). Exception faite des sociétés en participation, elles jouissent de la personnalité civile, elles sont des êtres moraux distincts de la personne des associés, elles ont un patrimoine indépendant. V. Aubry et Rau, tome 1, § 54 et les autorités citées.

Quant aux sociétés civiles, régies par les articles 1832 et ss. du Code civil, elles peuvent emprunter la forme commerciale (article 6 de la loi du 1er août 1893) et alors elles sont soumises aux dispositions de la loi commerciale.

Sans doute, les sociétés civiles qui n'ont pas la forme commerciale ne possèdent pas la personnalité civile, mais elles n'en ont pas moins, d'après la jurisprudence, une individualité véritable. Elles peuvent agir en justice. C., 2 janvier 1894, Cpr., C. 25 mars 1887, Besançon, 29 mai 1899. V. Lyon-Caen et Renault, no 136. Consulter Dijon, 30 octobre 1889. Paris, 12 novembre 1889. Limoges, 23 décembre 1895. Rapport de M. Cotelle, D. 1894. 4. 82. La seule différence, en somme. qui sépare cette individualité, de la personnalité proprement dite, c'est l'impossibilité de recueillir à titre gratuit différence considérable, il est vrai. Cpr. C., 23 février 1891, 2 mars 1892, S., 92. 1. 497. V. article 6 du projet de loi infrà. La loi du 1er mars 1884 a consacré le droit de syndicats professionnels. La loi du 5 novembre 1894 (article 4) déclare sociétés commerciales, les sociétés de crédit agricole. La loi du 1er avril 1898 règle les associations de secours mutuels etc, etc.

Nous ne parlerons pas des associations coopératives de tout genre,

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entreprises puissantes et il serait puéril de nier qu'il peut s'établir ainsi une sorte de mainmorte financière et industrielle (1).

Sans doute les sociétés ordinaires, malgré tout, n'ont jamais un caractère de pérennité redoutable. La mort fait son œuvre. Mais quoi qu'on en puisse penser, le jeu légal de certaines clauses, les artifices de certaines autres, sont susceptibles d'établir une sorte de mainmorte (2). Nous insisterons davantage plus loin sur ces points.

392. Le projet de loi, tel qu'il a été voté par la Chambre des Députés, après declaration d'urgence et de longs, de brillants débats commencés en janvier 1901 est ainsi conçu:

TITRE [er

Art. 1er. « L'association est la convention par laquelle deux ou plus sieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et aux obligations.

Art. 2.

<« Les associations de personnes autres que les associations religieuses pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable; mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 5.

(1) M. Léon Say écrivait, il y a dix ans déjà dans le Journal des économistes: La mainmorte cléricale deviendra peu de chose peut-être en comparaison de la mainmorte laïque et sociale... » Il citait les prévoyants de l'avenir qu'il appelait une grande mainmorte ouvrière. Il montrait la nécessité de la mainmorte pour perfectionner, développer l'outillage social et il ajoutait : N'entrevoyez-vous pas le nombre d'établissements d'utilité publique que l'initiative individuelle pourrait faire sortir d'une législation pratique et libéralement conçue ? »

Voilà ce que disait avec son habituelle clairvoyance M. Léon Say, et, de fait, n'est-ce pas la grande, la décisive évolution économique de ce siècle, plus forte que toutes les résistances d'école et d'un caractère si spontané, par là même si profondément suggestif, par le désaveu qu'elle inflige à l'individualisme du siècle précédent, au parti pris de destruction de tous les corps organisés ?

(2) C'est ce que reconnait M. Brisson (discours à la Chambre) :

« Je ne veux retenir au milieu des nombreux exemples que je pourrais citer, que ces sociétés civiles reposant, d'une part sur la clause d'accroissement ou de reversion à laquelle s'ajoutait autrefois la clause d'adjonctions de nouveaux membres; on y a substitué parait-il — j'ai tort de dire paraît-il, cela est certain, l'enregistrement le sait bien - on y a substitué, depuis les lois de 1880 et 1884, les cessions de parts en blanc signées d'avance, afin de pouvoir en faire l'attribution, après la mort d'un congréganiste, à tel ou tel des anciens ou des nouveaux sociétaires.

« A ces clauses s'ajoute celle que par une rare hypocrisie on appelle la retraite tantôt volontaire, tantôt obligée du religieux. J'en ai beaucoup d'exemples.

<< Il est dit dans une première forme d'acte à laquelle alors il n'y aurait rien à

Art. 3. « Toute association, fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet.

Art. 4. — « Tout membre d'une association qui n'est pas formée pour un temps déterminé peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire. Art. 5. <«< Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs.

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<«<La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social.

<«< Elle fera connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou de sa direction.

« Deux exemplaires des statuts seront joints à la déclaration.

« Les associations seront tenues de faire connaitre dans les trois mois tous les changements survenus dans leur administration ou direction, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts. Ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du jour où ils auront été déclarés.

« Les modifications et changements seront, en outre, consignés sur un registre spécial qui devra être présenté aux autorités administratives ou judiciaires, chaque fois qu'elles en feront la demande.

Art. 6. <«< Toute association légalement constituée peut sans aucune autorisation spéciale ester en justice et posséder et administrer en dehors des subventions de l'Etat, des départements et des communes :

reprocher, que la part de celui qui mourra ou sera exciu, sera établie par les actes antérieurs et conformément à ce qui pourra tenir lieu d'inventaire.

«Mais ce n'est là qu'une première forme qui se rencontre bien rarement.La plus fréquente est celle qui, quel que soit l'apport considérable fait par un sociétaire et quel que soit le patrimoine de la congrégation, attribue une part fixe, par exemple de 1.000 ou de 2.000 fr. aux héritiers du congréganiste qui décèdera ou à celui qui se retirera de la société ou que celle-ci expulsera.

<< Mais ce n'est point assez d'autres contrats introduisent dans les rapports entre les associés l'exclusion complète, sans aucune attribution. »

Ces exemples, M. Brisson les a cités au sujet des congrégations, mais ils s'appliquent aux sociétés civiles et à moins de fraude démontrée, des clauses semblables sont licites. L'article 1833 du Code civil qui déclare, à peine de nullité, que la société civile doit avoir un objet licite ne saurait infirmer de telles clau

ses.

Les règlements des sociétés civiles sont la loi des parties et les tribunaux civils ont à examiner seulement s'ils ont été violés.

On ne saurait a priori confondre les sociétés civiles avec des congrégations. M. le comte Albert de Mun. « Que nos collègues viennent donc faire inscrire dans la loi un article qui nous défende de fonder des sociétés anonymes pour posséder certains immeubles ou des collèges! (Cpr. cepend. art. 15-20).

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