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Il faut 1° Qu'il y ait une véritable proposition ayant un objet précis, formel, direct. Il ne saurait suffire de propos vagues, d'une espérance, d'un désir, de l'explosion d'un mouvement de colère, d'une boutade de l'animosité et de la haîne, etc. La proposition suppose un plan, un projet arrêtés à l'avance; 2o Que la proposition n'ait pas été agréée; 3o Qu'il s'agisse des crimes mentionnés dans l'article 87 (1).

La peine est une peine correctionnelle. Le tribunal correctionnel a la faculté d'appliquer l'article 42 du Code pénal (2).

La provocation non agréée de l'article 89 § 4 doit être distinguée de la provocation par certains modes de publicité que nous avons examinée dans les articles 23 à 25 de la loi du 29 juillet 1881.

(1) L'article 86, auquel renvoie l'article 89 est abrogé. Il en est de même lorsque la proposition tend à détruire ou à changer l'ordre de successibilité au trône, puisque l'article 87 qui prévoyait ce crime est abrogé. Garraud, t. II, n° 340.

(2) V. cet article 42, no 386 en note.

TITRE DEUXIÈME

CHAPITRE PREMIER

DES ATTENTATS EN GÉNÉRAL

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Définition des attentats. Distinction avec les délits de presse.

405. <«< L'attentat, dit M. Ortolan, n'est pas un but en soi, mais il tend à un but. C'est un acte ou une série d'actes, une entreprise, non pas seulement projetée, résolue ou complotée, mais une entreprise commencée et dirigée vers une fin, et c'est la criminalité de cette fin, qui constitue la criminalité de l'attentat » (1).

L'attentat s'accompagne toujours et forcément de violences; mème dans le cas où un gouvernement nouveau prend simplement la place d'un gouvernement qui disparaît, qui s'enfuit sans se défendre, l'attentat constitue inévitablement, en droit du moins, une opération violente, brutale, par suite patente et indiscutable (2).

Il en est de même de la tentative d'attentat. Il n'y a point d'attentat s'il n'y a points d'actes matériels (3).

(1) T. I, no 1039. V. rapport de M. de la Guéronnière, sur la loi du 10 juin 1853. (2) L'intention criminelle est nécessaire. Il suffit de poser au jury la question : L'accusé a-t-il participé à l'attentat? C., 13 octobre 1832. Cpr. en sens divers Chauveau, F. Hélie et Villey. t. II, no 468. Blanche, no 185.

(3) C., 13 octobre 1832. La nouvelle rédaction de l'article 88 a placé la tentative dans le droit commun (article 2 du Code pénal). Lorsqu'après un commencement d'exécution, il y a désistement volontaire de l'entreprise, l'attentat n'existe pas. Mais nous avons vu que le complot peut, selon les circonstances, être constitué. Blanche, t. II, no 475. Chauveau, F. Hélie et Villey, no 467.

Lorsque les conjurés se mettent en marche pour commencer une attaque, ils commettent un acte d'exécution; il y a crime d'attentat tenté, si leur entreprise ne manque son effet que par des circonstances indépendantes de leur volonté.

Le rapporteur de la loi de 1834, sur les « mouvements insurrectionnels », a fait ressortir ce qu'est l'attentat, en examinant la nécessité de punir les faits d'insurrection qui isolés d'un attentat appelaient cependant une répressión nécessaire :

<< La législation caractérise l'attentat par le but auquel il veut atteindre, destruction ou changement de gouvernement, excitation à la révolte contre l'autorité républicaine ou à la guerre civile. C'est dans les limites de cette définition légale que les accusations relatives à des attentats doivent être ramenées. Les actes les plus flagrants d'insurrection sont impunis, s'ils ne contiennent pas un attentat; descendre en armes dans les rues et sur les places publiques au milieu d'un mouvement insurrectionnel, s'y retrancher et se préparer à soutenir un siège contre la force publique, ce n'est rien encore si l'accusation ne prouve pas que cette prise d'armes, ces retranchements étaient l'exécution ou la tentative d'un attentat (1) ».

C'est à cette lacune qu'a obvié, nous le verrons, la loi de 1834.

406. Dès l'instant qu'il faut pour l'attentat un acte matériel, des articles de journaux, répétons-le, ne sauraient suffire. Il a fallu la loi du 9 novembre 1835 (abrogée) pour ériger en attentats, certaines attaques de presse.

Mais, si aujourd'hui, la révision de la Constitution est un droit, si la loi du 29 juillet 1881 ne réprime pas les attaques de presse, dirigées contre le principe ou la forme du gouvernement, contre l'obéissance due aux lois, etc., il ne s'ensuit pas que la provocation directe par la voie de la presse à un attentat, à un complot, ne puisse ètre, dans certains cas, qualifiée de complicité, au lieu d'être considérée comme un délit de presse (2).

Sans doute ces cas seront fort rares. Mais pourtant c'est par le côté psychologique qui fait le fond de l'article 60 du Code pénal, que le fait doit uniquement s'apprécier et se qualifier. La loi de presse n'est qu'une loi de supplément, à laquelle il ne convient de recourir que lorsque les règles du droit commun sont insuffisantes. Le droit commun doit donc prévaloir toutes les fois que la spécialité de la situa

(1) Rapport sur la loi de 1834.

(2) C., 26 avril 1817. Paris, 9 février 1883. V. Introduction, p. 156 et note 2.

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tion ne range pas l'infraction, d'une manière absolue, sous les coups de la loi spéciale (1).

Si au contraire on qualifie comme délit de presse, on ne pourra, même au cas où la provocation directe aurait été suivie d'effet, que suivre les règles de la loi de presse. Nous nous sommes expliqués sur ce point en étudiant les articles 24, 23 de la loi du 29 juillet 1881.

407.- Une question s'est posée devant la Haute Cour, dans le procès Déroulède et autres.

Déroulède avait commis un acte matériel d'attentat, le 23 février 1899, en prenant par la bride le cheval du général Roget en vue d'entraîner ce général et ses troupes à marcher sur l'Elysée. Le ministère public, au lieu de relever l'attentat ou la tentative, préféra, ainsi qu'il en avait le droit, poursuivre pour provocation par la voie de la parole, en vertu de la loi du 29 juillet 1881.

Malgré les conclusions d'incompétence déposées par Déroulède, la Chambre des mises en accusation maintint la qualification. Déroulède fut acquitté par le jury.

Mais, plus tard, on voulut le reprendre pour attentat. La Commission d instruction de la Haute-Cour déclara avec raison qu'il y avait chose jugée (2).

(1) V. no 76. La question s'est posée par deux fois, en 1834 et 1841, devant la Cour des Pairs, dans les célèbres procès contre MM. Marrast et Dupoty, poursuivis comme complices de complots et d'attentat.

Le procureur général Hébert, dans son réquisitoire, faisait bien ressortir cette différence. Les articles de journaux incriminés n'étaient pas considérés comme simples délits de la presse. La provocation directe par la voie du journal à un complot qui s'était formé s'était manifestée par un attentat : « Nous disons que si nous trouvons l'accusé Dupoty avec l'adresse, la prudence qui le caractérisent, enseignant à tous ceux qui sont disposés à conspirer, à ceux-là même qui ont à vous rendre compte de leur conduite, leur enseignant à se rallier, à s'unir, les exaltant par des banquets, si nous le trouvons égarant leur esprit, l'excitant tous les jours par des provocations.... que dans cette entreprise persévérante il ne s'occupe que d'une chose, le soin de ne pas se compromettre personnellement ; alors, messieurs les pairs, il y a complicité par des moyens que la loi commune, LA LOI COMMUNE, entendez-vous, qualifie et caractérise ». V. nos 72, 85.

(2) Voici ce qu'a dit M. Bérenger dans son rapport : « Il suffit de mettre en présence la question posée le 31 mai au jury et la qualification aujourd'hui relevée par le ministère public, pour s'en convaincre.

« Question posée au jury.— Déroulède est-il coupable d'avoir, le 23 février 1899, à Paris, sans que ladite provocation ait été suivie d'effet, provoqué directement à un attentat dans le but de détruire ou de changer le gouvernement en proférant dans les rues ou sur les places avoisinant la caserne de Reuilly, lieux publics, les cris et discours spécifiés : « A l'Élysée, mon général... etc ».

« Qualification proposée par le réquisitoire. Paris, commis un attentat dont le but était soit

Avoir le 23 février 1899, à de détruire ou de changer le

C'est à tort aussi que le ministère public soutenait que, si au regard de Déroulède, la poursuite pour attentat était écartée, il n'en pouvait ètre de même en ce qui touchait les inculpés non compris dans les poursuites précédentes, savoir : Guérin, Ballière et Barillier d'une part, et de l'autre, Buffet, Godefroy, de Chevilly et autres, visés par le réquisitoire, comme auteurs principaux et les autres comme complices d'attentat. La Commission d'instruction a justement rejeté cette thèse (1).

gouvernement, soit d'exciter les habitants à s'armer contre l'autorité constitution

nelle.

« L'unique différence est en ceci que la question posée au jury relève une provocation à un attentat non suivi d'effet, tandis que le réquisitoire relate une tentative d'attentat.

« Mais que devient cette différence, lorsque, allant au fond des choses, il faut reconnaitre que cette tentative consiste uniquement dans la provocation susindiquée ?

« Il y a donc non seulement identité, mais confusion complète entre les deux chefs. Il s'agirait, en outre, par une innovation dont la jurisprudence ne parait pas offrir de précédent, de poursuivre pour un fait de gravité plus grande, après avoir échoué sur une inculpation moindre.

« Enfin, il est une considération qui domine toutes les autres. Il y a sous cette question de procédure une question de liberté dont des hommes publies ne sauraient se désintéresser. Que deviendrait, dans des matières aussi délicates, aussi livrées aux excès des passions, la sécurité des citoyens, si, après qu'un gouvernement agissant en pleine connaissance de cause et en toute liberté, a échoué dans une poursuite, il était permis à celui qui lui succède de faire revivre la même affaire sous quelque autre inculpation, et notamment sous une inculpation aggravée.

«Est-il un cas où il soit plus opportun de suivre le précepte formulé par la sagesse romaine: Una via electa, non datur recursus ad alteram..

« Nous ne jugeons donc pas possible d'accepter les réquisitions du ministère public en ce qui touche l'accusation d'attentat ».

(1) Voici ce qu'a précisé M. Béranger :

« Sans doute la règle d'identité de personnes, comme le fait remarquer M. le procureur général, ne se rencontre pas ici. Mais, prescrite expressément en matière civile par l'article 1351 du Code civil, est-elle applicable avec la même rigueur au criminel? Il y a lieu d'en douter, malgré les autorités, d'ailleurs peu précises citées dans la note jointe au réquisitoire. La doctrine est à cet égard indécise. (Voir d'une part Ortolan et de l'autre Faustin Hélie), et la jurisprudence quoique tendant à reconnaitre que la chose jugée au criminel peut être invoquée au civil pour ou contre les tiers n'ayant point été parties au procès (C., 14 février 1860), n'a point été encore appelée à se prononcer dans les matières exclusivement pénales. Le doute nait de ce que la règle si précise du Code civil n'a point été réproduite par l'article 360 du Code d'instruction criminelle qui cinq ans après a fixé les conditions de la chose jugée au criminel, et de l'inévitable contrariété des jugements qui pourrait en résulter dans une matière qui est aussi essentiellement d'ordre public.

« Cette contrariété serait, dans les circonstances actuelles, particulièrement grave. Trois co-auteurs et de nombreux complices seraient poursuivis pour crimes, alors que les auteurs principaux n'auraient été poursuivis que pour un délit de parole.

« Une pareille conséquence ne serait pas plus acceptable en droit, en logique qu'en équité.

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