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guerre peut être allumée ou que des représailles peuvent se produire. Sans doute, il est probable que l'Etat offensé demandera, au préalable, des explications et que des poursuites exercées pourront lui suffire. Mais dans bien des cas il en peut aller autrement (1).

Il n'est pas nécessaire que le coupable en commettant son acte ait eu l'idée, la pensée, qu'il serait de nature à entraîner la guerre ou des représailles. Il suffit que les juges estiment que cet acte, en lui-même, pourrait avoir l'une ou l'autre influence.

Le caractère des infractions prévues par les articles 84, 85 (à la différence des actes de trahison visés par les articles 75 à 83 lesquels supposent, chez leurs auteurs, une intention criminelle) est qu'elles sont envisagées à raison seulement de leurs conséquences et qu'elles sont punies, sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'en les commettant, ils avaient l'intention, la pensée d'exposer l'Etat à la guerre, ou les citoyens à des représailles. Ce que l'on punit c'est l'imprudence, la légèreté. Il s'agit de véritables crimes contraventionnels.

Aussi désapprouvons-nous en droit un arrêt de la Cour de Douai, qui, à défaut de cette pensée, a innocenté le prévenu (2).

Les articles 84 et 85 prévoient donc des actions ou actes qui bien que commis souvent avec préméditation, ne proviennent pas d'une trahi

(1) Qui n'a présentes à l'esprit les affaires d'Aigues-Mortes, les troubles de Lyon après l'assassinat du président Carnot, les incidents de Marseille. Des Italiens ont été outragés, violentés, tués. A Lyon, le consulat général italien a dû être gardé par les troupes. En dépit des indemnités accordées, le verdict négatif des jurés de la Charente, dans l'affaire d'Aigues-Mortes, est venu envenimer davantage des rapports internationaux trop tendus déjà à cette époque.

Dans la nuit du 19 octobre 1888 l'écusson du Consulat d'Allemagne au Havre a été arraché et souillé d'ordures. A la suite de l'expression de regrets formés à ce sujet par le gouvernement français l'affaire a été réglée diplomatiquement. Le 3 novembre 1888 dans l'après-midi l'écusson remis à neuf par les soins de l'administration française a été replacé en présence du directeur des services administratifs au ministère de l'Intérieur par les soins du commissaire central en uniforme assisté de ses agents.

Le cérémonial de cette réparation publique a paru suffisant car il n'y avait rien à reprocher aux autorités locales et l'enquête tendait à démontrer que cette voie de fait provenait d'ivrognes qui étaient restés inconnus.

A la suite du conflit entre l'Espagne et l'Allemagne à propos de l'occupation d'une des îles Carolines, des patriotes s'étant portés devant la légation allemande, l'un d'eux escalada le balcon extérieur, arracha l'écu et la hampe du drapeau allemand et le jeta au ruisseau. Il a été condamné par la chambre criminelle de Madrid le 8 mai 1886 à un an de prison pour violation de domicile.

(2) V. en sens contraire et dans notre opinion, C. 18 juin 1824, 28 novembre 1824, 28 novembre 1834. Boitard, t. I, n° 171. Garraud, t. 3, no 636. Chauveau. Hélie et Villey, t. II, no 438. Contrà, Douai, 15 mai 1873.

son et ne peuvent, dès lors, en être réputés les moyens préparatoires (1).

Cependant, s'il était établi qu'ils fussent le résultat de machinations, d'intelligences avec les puissances étrangères, ce seraient les articles 76. 77.2).

Les articles 84 et 85 sont généraux et applicables à tous : simple particulier, agent d'un gouvernement étranger, etc.

1° Comme premier élément, les articles 84 et 85 exigent ou des actions hostiles ou des actes. Il s'agit, selon nous, d'actes quelconques (3).

Ces actes sont punissables, quel que soit l'endroit où ils ont été commis, c'est-à-dire non seulement en France, mais encore à l'étranger (4).

Ainsi la loi ne définit rien, car tout dépend beaucoup des circonstances. C'est qu'il s'agit d'actions ou d'actes dont le caractère doit être envisagé, non seulement par leur nature propre, mais aussi par la nature des relations qui existent entre les deux nations.

Mais il importe peu, que dans nos articles on n'ait pas taxativement

(1) P. 74. 712. Voir conforme. Garraud, t. II, p. 496, note 10. C. 18 juin 1824. Mais comme le dit Blanche, l'acte de l'article 85 n'a pas besoin d'être hostile : il suffit qu'il soit sérieux.

(2) V. n° 419 et ss. C. 18 jnin 1824.

(3) Certains criminalistes (René Garraud, t. II, p. 497) enseignent qu'il s'agit de faits materiels. M. Rauter (t. I, no 286, exige pour l'article 85 des attaques réelles contre les personnes et les propriétés, c'est-à-dire de véritables voies de fait. V. dans ce sens M. Clunet.

Nous ne saurions partager cette doctrine. La Loi n'a pas défini les actions hoss files et les actes dont s'agit.

Les actions, les actes s'entendent ici, aussi bien d'opérations intellectuelles que de faits proprement dits. Or ici nous ne sommes pas en matière d'attentat au sens pratique de ce mot, impliquant des faits réels d'exécution.

Le fait le plus grave, le plus important passera inaperçu et n'amènera aucun conflit, sila nation au préjudice de laquelle il a eu lieu est liée par des rapports d'intimité avec la France ou si elle n'est pas en état de soutenir la guerre. Tandis que le fait le plus insignifiant. l'offense la plus légère, amèneront une conflagration si cette nation n'attend qu'un prétexte pour la faire eclater. C'est done avec sagesse que la loi a refusé de définir les actes hostiles dont il s'agit, se bornant à incriminer leur résultat à savoir d'exposer l'Etat à une déclaration de guerre. Voir Dalloz, Crimes contre la sûreté de l'Etat.

M. Blanche (Etudes pratiques sur le Code pénal, t. II, no 454) va jusqu'à admettre que la Cour de cassation peut vérifier si c'est à tort que les chambres de mises en accusation ont accordé ou refuse le caractère d'action hostile, exposant l'Etat à une déclaration de guerre. Il s'appuie pour cela sur un arrêt de Cassation du 28 novembre 1834; mais nous préférons l'opinion de M. Dupin d'après lequel : « C'est une appréciation de fait qui doit être laissée aux juges ». Contra Garraud. Blanche, t. II. no 454. Cpr. C. 28 novembre 1834,

(4) C. 18 juin 1824. Grenoble, 25 avril 1831. Cpr. article 5 du Code d'Instruction.

prévu des cas déterminés. Leurs termes si compréhensifs permettent d'embrasser toutes les attaques excessives, tous les outrages, com. plots, etc

La loi n'a pas déterminé la nature des actes non approuvés par le gouvernement. Le crime de l'article 85 est un diminutif, en quelque sorte, de celui de l'article 84.

Divers jurisconsultes, tout en concédant que l'article 85 s'applique aux outrages, se refusent à l'étendre aux simples injures. C'est, à notre avis, moins une question juridique (1) qu'un point d'appréciation de pur fait. L'injure n'aura la plupart du temps qu'une gravité peu sérieuse qui déterminera à n'en point tenir compte ;

2o Le deuxième élément c'est d'exposer l'Etat à une déclaration de guerre (article 84) ou d'exposer les Français à éprouver des représailles.

La jurisprudence a eu à appliquer les articles 84 et 85 :

Le fait, par un journal, de publier des articles annonçant et préconisant une souscription ouverte dans ses bureaux, en faveur de la prise d'armes des carlistes d'Espagne peut constituer le crime de l'article 85 (2).

(1) Par cela seul que l'article 85 parle de représailles possibles, il n'en faut pas conclure que les injures simples n'entrent pas dans les prévisions de la loi. D'abord il est certain pour nous que les répressions n'ont pas besoin d'être ordonnées ou suggérées par le gouvernement étranger. Elles peuvent être l'œuvre exclusive des citoyens de ce gouvernement. Ensuite le terme de représailles n'implique pas une réplique absolument pareille. Des injures peuvent attirer non seulement d'autres injures, qui seraient déjà des représailles identiques, mais encore des représailles plus fortes. Contrà: Garraud, t. III, no 837. Morin, Lois de la guerre, t. II, p. 9. Rauter, t. II. no 286. Selon ces auteurs l'offense écrite ou proférée ne rentrerait pas dans nos articles.

(2) Cpr. Douai, 15 mai 1873.

En 1887 le directeur du journal « La Revanche » de Paris a été traduit en Cour d'assises (mais acquitte) en vertu de l'article 84 pour avoir, à l'occasion des élections d'Alsace-Lorraine arboré au balcon de ses bureaux les drapeaux français et russes disposés autour d'un écusson portant le résultat des élections avec ces mots : « Vive la France ».

Lord Rosebery a fait, le 30 novembre 1899, à Edimbourg, un discours important où il répondait à celui que M. Chamberlain avait prononcé à Leicester :

Aucun sujet anglais, a-t-il dit, ne saurait prétendre que les attaques d'une certaine presse étrangère puissent atteindre la personne de Sa Majesté les insultes contre la reine retombent sur les journalistes qui les ont proférées,et ne doivent pas vous troubler.

L'orateur a regretté : « que M. Chamberlain ait attaché trop d'importance aux attaques des journalistes français qui cherchent la brouille avec l'Angleterre. D'un autre côté, lord Rosebery regrette la façon par trop cavalière dont les Anglais traitent les autres nations. Trop pleins, dit-il, de nos propres vertus, nous oublions que ce qui, chez les autres, peut nous déplaire, peut, chez nous, être désagréable aux autres. C'est un fait que, dans ces dernières années, nous avons censuré

Il est manifeste que la lacération de drapeaux étrangers, les manifestations injurieuses devant les hôtels d'ambassade, relèvent aussi de nos textes (1).

3o Enfin, comme troisième élément, il faut que les actions hostiles ou les actes ne soient pas approuvés par le gouvernement.

En effet, en les approuvant le gouvernement se les approprie. A fortiori, il n'y aurait pas délit s'il les avait autorisés.

La Cour d'assises est compétente, mais la Haute-Cour de justice

quelques-unes des nations européennes d'une façon qui a dû leur donner à réfléchir et leur inspirer peu d'enthousiasme et d'amitié pour nous ».

Et il a rappelé le ton agressif de ses compatriotes depuis quelques années. « Nous avons appelé une des plus anciennes nations du monde une nation malade.

« Nous avons comparé un grand empire au Diable (discours de M. Chamberlain, à Birmingham, au sujet de la Russie).

« Nous avons donné à entendre qu'un autre grand empire du monde est moins étendu que nos colonies.

<< Maintenant nous croyons de notre devoir de dire à une nation de prendre des manières plus polies.

« Je ne dis pas que ces sentiments ne sont pas justifiés ; mais, ce qui est nouveau, c'est de les voir exprimés par des hommes responsables.

« J'espère, ajoutait lord Rosebery, que nous ne continuerons pas ces procédés qui n'ont rien de diplomatique, car les paroles prononcées dans la précipitation du moment peuvent, longtemps après qu'elles ont été oubliées, être retournées contre nous par les nations qui ont été offensées.

« J'espère que ceux qui parlent au nom de la nation se rappelleront qu'ils ne doivent pas parler sous l'influence d'une irritation passagère; les hommes d'Etat ont le devoir de ne pas oublier qu'ils sont responsables des intérêts de la nation. C'est sous leur propre inspiration et non sous l'inspiration des autres qu'ils doivent parler de la Grande-Bretagne ».

(1) On a poursuivi ainsi :

L'association de malfaiteurs formée en France contre les personnes et propriétés espagnoles. C., 10 août 1838.

Les violences contre un poste de douane étrangère, afin d'enlever les objets de contrebande saisis par les préposés. Grenoble, 25 avril 1831.

La capture d'un navire étranger en temps de paix. C., 8 juin 1824.

Les excitations vis-à-vis de réfugiés, les fournitures d'armes et d'équipements à des insurgés, faites en connaissance de cause seraient aussi justiciables de nos articles. Il n'y aurait à excepter que le cas où il s'agirait de purs actes de commerce absolument exclusifs de toute participation.

Le crime existe quoiqu'il n'y ait eu aucune déclaration de guerre ou représaille. Mais il est plus grave naturellement lorsqu'il y a eu effet produit. Les peines sont d'ordre politique.

L'article 5 du Code d'Instruction criminelle permet de poursuivre en France le Français qui, hors du territoire, s'est rendu coupable d'un crime.

Indépendamment de la culpabilité comme auteur, on peut encore rencontrer la double complicité, soit de l'article 60 du Code pénal, soit des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881.

V. nos 72 et ss. 85.

c'est-à-dire le Sénat peut être saisie (1) (Articles 9 de la loi du 2 février 1875 et 12 de la loi du 16 juillet 1875).

La peine de l'article 84 est la déportation simple ou le bannissement selon les cas.

(1) Et, cependant, le mot attentat, pour ces sortes de crimes, ne se rencontre pas une seule fois; le mot attentat ne se rencontre qu'une seule fois, dans la section qui nous occupe, et cela dans l'article 87. V. n° 89.

FIN DE L'OUVRAGE

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