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A MÉDÉE BRUN

Né à Jacmel le 5 avril 1868. Fit ses études classiques au Collège Saint Martial; perfectionna son éducation littéraire par un séjour de quatre ans en France ( 1888-1892) revint au pays pourvu du grade de licencié en droit. Professeur à l'Ecole nationale de droit ( novembre 1892 ); Substitut du Commissaire du Gouvernement près du Tribunal Civil de Port-au-Prince ( août 1893); de nouveau professeur à l'Ecole de droit (décembre 1894-septembre 1896 ). Ses premiers vers, publiés dans le journal le Peuple, datent de 1885. Ses premières nouvelles, publiées dans la Fraternite, sont de 1892. Il a fait paraître à Paris 1895) un recueil de nouvelles, Pages retrouvées ; et à Port-auPrince, la même année, un roman, Deux amours. Il préparait l'impression d'un second recueil, Contes des tropiques, d'un Album de poésie et de musique, et d'un roman resté inachevé, Sans pardon, quand la mort vint l'interrompre en pleine fièvre de production (1 septembre 1896.)

Outre les contes et les nouvelles qui ont paru de lui dans le Peuple, l'Echo d'Haïti, la Revue générale, Amédée Brun donna des conférences très-applaudies sur Christophe Colomb, l'Art dramatique, la Femme haïtienne. M. Georges Sylvain a fait revivre en une récente conférence la physionomie inoubliable du poète romancier, prématurément enlevé aux lettres nationales.

L'ETANG.

L'étang désert sommeille au fond de la clairière,
Calme aux pieds du talus qui le dérobe aux yeux,
Et les jones murmurants lui font une litière
Que lèche avec lenteur son flot capricieux.

Avec son vert rempart de feuilles, la bruyère
En interdit l'accès, et comme soucieux

De refléter en son miroir la cime altière

Des grands arbres, l'étang s'endort silencieux.

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Un oiseau, par moment, - hirondelle ou fauvette, Troublant de son essor rapide la muette

Solitude, s'en vient avec de légers cris

Et bat d'un furtif coup d'ailes les eaux profondes ;
L'étang se trouble alors, plein de petites ondes,
Qui, toutes, vont mourir dans les jones attendris.

MARINE.

Toi qui chantes là-bas, douce aïeule, endormeuse

Des désespoirs cruels où se consume l'âme,

J'ai voulu, vaste mer à la rive écumeuse,
Bercer mon cœur qui saigne aux remous de ta lame.

Je suis venu, poète en qui survit l'enfant,
Vers ta tristesse immense aux infinis sanglots,
Pour que meure mon rêve en ces rocs, que défend
Le moutonnement blanc de tes sauvages flots.

Pélerin fatigué de très lointains voyages,
Je vivrai sur ta grève aux rumeurs endormies,
Ecoutant près de moi les pâles coquillages,
Où se plaignent tout bas de chères voix amies.

Auprès de la falaise où court un vague émoi,
Tandis qu'un vent du ciel sèchera sur mon front
La goutte d'agonie et le mortel effroi,
Le soir lent s'épandra sur l'abime profond.

Ta cantilene alors, pour toutes mes alarmes,
Mer maternelle où va l'aile errante des voiles,
Chantera d'une voix où trembleront des larmes,
Sous la vague douceur des premières étoiles.

Oh! tes marins perdus au large sous le vent !
Oh! tous les màts penchés sous l'éclair laboureur !
Et la rafale, au loin, sur le gouffre mouvant,
Salant les yeux où nage une suprême horreur ! . . .

Tu me diras longtemps que ma peine est folic,
Que ma tête se perd, qu'il faut songer aux âmes
Qui pleurent, quand l'orage où la chaloupe plie
L'enfonce par degrés dans la fuite des lames.

Et docile à ton chant qui charme et qui défend,
J'endormirai mon cœur sur le rivage lent,
Parmi les goémons, mon pauvre cœur d'enfant,
Lavé de son amour par ton baiser dolent.

PATRIE.

Pour Ed. Saintonge.

Or, la croix se dressait, noire, sur la hauteur
Où pleurait l'agonie horrible d'une femme.
Le mont de prodige, où, muet contemplateur
Je m'étais attardé, sous le grand ciel en flamme,

Immobile, gardait un silence indigné.

Et la plainte tombait, lointaine et continue;
Et le bois du gibet de pleurs était baigné.

Le vent des profondeurs se taisait dans la nue.

J'avais gravi la pente, et, sans voix, à genoux,
Serrant l'écorce rude en mes mains désolées,
Je regardais, auprès des pieds troués de clous,
Mourir dans le soleil ses chairs écartelées.

Des sauvages, enfuis dans la vallée, en bas,
Avaient criblé son corps divin et noir de flèches ;
Et sur mes habits blancs comme sur mon front las,
Un sang vermcil et vif tombait en gouttes fraîches.

Et sous le tournoiement des oiseaux éperdus,
Venus de l'horizon à cet instant suprème,
Le bec rouge et fouillant les tissus distendus,
Ses entrailles saignaient d'une souffrance extrême.

« Femme de douleur, ô toi dont les jeunes seins «Allaitent là-haut des vautours inexorables,

« Quels hommes, méditant de ténébreux desseins, <«< T'ont vouée aux supplices affreux des misérables?

« Parle, découvre-moi ton farouche destin.
Et je tâchais de lire en son regard de reine,
Où seul resplendissait l'éclat doux du matin,
Lorsque l'aube naissante à l'horizon se traîne.

Rien ne me répondit. Et voici bien longtemps
Que je suis là, priant la mourante inconnue :
Un charme me retient en ces lieux attristants,
Où le cadavre noir se dresse dans la nue.

Depuis longtemps je vis, le front sur les clous froids, Sentant dans mes cheveux choir des gouttes horribles : Et, croisant sur ses pieds meurtris et mous mes doigts Tremblants, j'attends le mot de ses affres terribles.

« Mon cœur est traversé du glaive dont tu meurs :
« Parleras-tu donc, sphinx à la lèvre flétrie ? »
Et tandis que la nuit aux philtres endormeurs
Tombait, elle me dit : « Fils, je suis ta Patrie ! »....

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Frères, vous qui l'aimez, écoutez cette voix !
Venez sur la montagne où dure l'agonie ;

Et nous prierons, aux pieds de la sanglante croix,
Sous les astres émus de sa plainte infinie!

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