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Et semble avec regret quitter ses bords fleuris :
Elle est dans les enfers une tempête sombre,
Tourbillon insensible où tout roule, où tout sombre,
Où le naufrage obscur se fait dans les esprits ! . . .

Qui de nous, affrontant, sans honte, la lumière,
Comme un monstre hurlant sorti de sa tanière,
Peut aux regards de tous se montrer tel qu'il est ?
O l'ogre dégoûtant, ô le satyre immonde

Qui se tapit en nous, que nous cachons au monde !
Que l'homme intérieur est horriblement laid !

Notre propre hideur se cache à notre vue..
Qui donc, s'il pouvait voir une âme toute nue
Ne s'enfuirait épouvanté?...

Ce n'est rien qu'aux enfers tout soit vaine apparence,
Hallucination . . . la suprême souffrance,

C'est d'y voir l'être intime au dehors reflété !

(HOMO, livre II. Chant 2)

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Né à Port-au-Prince le 10 février 1873. Après de brillantes études au Lycée Pétion, il se fit inscrire à l'Ecole de Droit, où il obtint, le 6 juillet 1895, son diplôme de licencié. Il fut, peu de temps après, commissionné avocat du barreau de Port-au-Prince.

M. Lhérisson milite dans l'enseignement depuis 1890. Il a professé à l'Ecole Polymathique et à l'Institution Plêsance. Il occupe actuellement au Lycée de Port-au-Prince la chaire d'Histoire d'Haïti. Il est entré très jeune dans le journalisme et a collaboré à divers journaux et revues : la Revue-Express, Haïti Illustrée, le Matin, la Ronde. Il a dirigé la Jeune Haiti, revue littéraire dont l'influence a été heureuse, et rédige, depuis six ans, le journal quotidien Le Soir.

M. Lhérisson est, avec M. Nicolas Geffrard pour la musique, l'auteur de la Dessalinienne, hymne qui a été chanté dans toutes les grandes fêtes commémoratives du Centenaire.

Œuvres Les Chants de l'Aurore ( 1893 ); — Passe-Temps (1895); — Portraitins, 1e série; Sonnets rouges inédits, une Histoire d'Haiti également inédite, écrite en collaboration avec M. W. Bellegarde,

LES BOEUFS.

Dans la vaste savane aux herbes jaunissantes,
Rêvent de fiers taureaux aux mufles vigoureux,
Les jarrets détendus -; et leurs voix mugissantes
Emplissent par instants les lointains vaporeux.

Ils aiment le grand air, les horizons immenses
Où leur œil plein de nuit s'attache éperdûment.
Ils se sentent heureux sur les monts, près des anses,
En savourant l'écho de leur long meuglement.

En les pâtis herbeux, sous le joug qui les blesse,
Ces bêtes du devoir, sans orgueil, sans faiblesse,
Caressent, malgré tout, leurs rêves généreux...

Hommes qui murmurez contre la Destinée, Vraiment je comprends mal votre plainte obstinée. Auriez-vous moins de cœur que ces bœufs vigoureux ?

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C'est le soir. Revenus des jardins et des bois,
Autour d'un grand boucan s'assemblent les esclaves.
Le silence des cieux plane sur leurs fronts hâves,
Et pensifs, on dirait qu'ils écoutent des voix...

Leur esprit s'est enfui loin des fers et des maîtres,
Et plus léger que l'air, plus libre que leurs pas,
Il revoit et bénit la terre des Ancêtres,
Par delà les flots bleus, les monts et les pampas.

Il rapporte toujours de ce pélerinage
Pour les maux endurés un baume qui soulage,
Des contes ingénus, des récits merveilleux,

Des légendes, des chants doux et mélancoliques, Dont les rythmes berceurs en ces cœurs nostalgiques, Font bruire un essaim de souvenirs brumeux...

APPARITIONS NOCTURNES.

( SUPERSTITION HAÏTIENNE )

Minuit.

Sous les rayons d'une lune blafarde,

Erre, par les sentiers longs et mystérieux,

Des défunts sans tombeau la fantastique harde,

Et d'effroi, brusquement, se dressent ses cheveux.

Son œil au loin s'égare et vainement regarde
Ces êtres que la nuit rêvet d'illusions.

Une étrange lueur rend leur face hagarde,

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Et dans son cœur il plaint ces tristes visions.

Tout à coup, l'air s'emplit d'une clameur sinistre,
Et de funèbres sons, pareils à ceux du sistre,
Font frémir et le vent et les bois et les eaux . . .

Demain il offrira pour ces âmes en peine

Au Maître des Chemins poulets, boucs et chevreaux:

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- Il est temps que ces Morts cessent leur course vaine! .

LES FLIBUSTIERS.

à Fernand Hibbert.

Fils des rudes Northmans aux exploits émouvants, Les « Frères de la côte » écumaient le Tropique. Sur de frêles esquifs qui craquaient sous les vents, Ils s'en allaient, cherchant l'aventure héroïque.

Méprisant les périls présagés ou certains,

Ils ne connurent point la panique des lâches.
A la mort ils marchaient, farouches et hautains,
Convaincus d'illustrer leurs fusils ou leurs haches.

Quand les Armadillas sortaient des lointains bleus,
Lourdes du poids de l'or, tribut de l'esclavage,
Les corsaires poussaient des hurrahs belliqueux.

Fous d'audace, ils volaient au fatal abordage,
Où leurs coups imprévus étonnaient le Destin :
Toute la flotte en sang devenait leur butin.

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