Page images
PDF
EPUB

DAMOCLÈS VIEUX

Né à Port-au-Prince, le 14 novembre 1876. A fait ses études au Lycée Pétion. Prix d'honneur de philosophie; actuellement professeur de lettres au Lycée, après y avoir été répétiteur.

Secrétaire de la Rédaction de la Ronde, où il a publié des vers et des nouvelles, dont les principales sont: Jacques Breffort et Dernière Epreuve.

VAINS SONGES.

Pour Elle.

Comme je m'en allais, calme, à travers la vie,
Drapé d'un fier orgueil, solitaire, mais fort,

Ne sentant plus les maux dont j'eus l'âme meurtrie,
Je crus pendant longtemps que mon cœur était mort.

Mort, le sombre ouvrier des angoisses anciennes,
Dont chaque battement comptait une douleur,
Esclave gémissant sous le poids lourd des chaînes,
Que lui-même forgeait pour son propre malheur !

Et je songeais, heureux : « Viennent les jours d'orages, «Ils me trouveront ferme, en ma sérénité,

« Affrontant leurs rigueurs et bravant leurs outrages, <«< Inébranlable, en mon impassibilité. »

Et je songeais : « J'irai parmi la foule humaine,

Laissant monter vers moi ses cris et ses sanglots, « L'entendant, froidement, pousser des plaintes vaines, «Tel un roc, insensible au grondement des flots.

Et je verrai passer l'essaim fatal des femmes, << Semant sur leur chemin l'Amour, comme un poison, « Et la désespérance amère, dans les âmes, «Sans un espoir, sans un désir, sans un frisson. »

Vains Senges!

Comme les vierges des cathédrales, Dans le rayonnement de l'or de vos cheveux, Vous m'êtes apparue, un jour, mystique et pâle, Et mon cœur a vibré de tous les anciens voeux.

J'ai senti se rouvrir ses vieilles cicatrices,
Renaître, plus cuisants, tous ses chagrins passés,
Et jetant un appel vers vous, - consolatrice!
Il attend, frémissant, – infortuné blessé !

Ah! meurs, cœur insensé ! meurs, cœur insatiable! Songe à la Souveraine austère,

la Douleur,

Qui garde vigilante, éternelle, implacable,

L'Amour, le dieu jaloux qui se nourrit de pleurs.

LES ADOLESCENTS.

On ne porte pas en soi impunément

des coins de ciel.

J. GODEFROY (Esquisse)

Pour le docteur B. Ricot.

Ils allaient, sous le ciel clément du pays bleu,
L'âme haute, le cœur vibrant et l'œil en feu,
Ravis de voir la mer, les mornes, les vallées,
Les arbres verts parant des cités désolées.

Ils s'en allaient du pas léger des conquérants,
Foulant le sol natal, hardis et confiants,
Frémissant aux récits des batailles épiques,
Que protégea, jadis, le soleil des Tropiques.

Ils aimaient les beaux vers au rythme cadencé,
La strophe harmonieuse où le rêve, enchâssé,
Se déroulant au gré du vocable sonore,
S'épanouit, avec la splendeur d'une aurore.

Ils aimaient les parfums, la musique et les fleurs,
Les crépuscules fins et les pâles couleurs ;
Et, souvent, quand la Nuit avait tendu ses voiles,
Ils rêvaient à l'amour, sous les yeux des étoiles.

C'étaient les Chevaliers fervents de l'Idéal,

Qui se croyaient le cœur trempé comme un métal,
Et qui partaient à la conquête de la vie,
Libres du vain souci de voir leur foi trahie.

L'enthousiasme ingénu menait leur chœur heureux ;
Les Songes les grisaient comme un vin généreux ;
La candide Espérance, ainsi qu'une gardienne,
Entretenait en eux leur ardeur quotidienne.

Mais, un jour, on les vit, le front penché, courbés,
Traînant péniblement leurs pauvres corps lassés,
Indifférents, pareils à des vieillards moroses,

Qui n'ont plus de regards pour les hommes, les choses...

Et des passants surpris se demandaient : « Qu'ont-ils ? « D'où vient donc qu'ils ont cet air d'âmes en exil? « Et quel baiser mortel a desséché leurs lèvres ? « Les Temps ne sont-ils plus des espoirs et des fièvres?

« Quel mal secret les ronge, eux, naguère si forts,

« Eux qui marchaient, altiers, sans tache et sans remords, « Comme des Messagers d'une Aube glorieuse, «Venus d'une contrée ardente et lumineuse. »

-Ah! je connais le mal, qui depuis si longtemps
Vous torture le cœur, pâles Adolescents!

Vous avez vu, sous un ciel d'azur et de flammes,
S'éteindre pour toujours des astres dans vos àmes.
Vous avez vu le Rêve, en de divins haillons,
Sombrer dans vos esprits désormais sans rayons,
Et vos Chimères d'or, qui semblaient éternelles,
Disparaître, ainsi que des étoiles mortelles.
Vous avez vu des dieux, en qui vous aviez cru,
Abandonner l'antique autel de la Vertu,
Dédaigner les lauriers d'une noble victoire,
Ternir un long passé de triomphe et de gloire.
Et vous en avez eu vos cœurs froissés, meurtris ;
Vos yeux en sont restés à jamais défleuris.

O vous tous qui mourrez de vos lentes blessures, Vous payez le tribut fatal des âmes pures!

LE PELERIN.

Pour Seymour Pradel.

Pélerin inquiet, cherchant la paix des sages, Depuis plus de vingt ans, je marche avec ferveur ; J'ai parcouru les monts, les vallées et les plages, Implorant ta bonté, ton secours, ô Sauveur !

J'ai parfumé d'encens, de nard et de cinname,
Les dalles, les parvis, les nefs de tes Maisons;
Je t'ai fait humblement l'offrande de mon âme,
Dans des psaumes émus et dans des oraisons.

« PreviousContinue »