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CHARLES SÉGUY VILLEVALEIX.

Né à Port-au-Prince en 1835, d'une famille où la haute culture de l'intelligence était traditionnelle. Son père, Eugène Séguy Villevaleix, docteur ès-lettres, un des hommes les plus instruits qu'ait connus notre pays, dirigea avec distinction le Lycée de Port-au-Prince. Son cousin, Louis Séguy Villevaleix, fit pendant un temps de l'Ecole Polymatique notre plus brillante institution d'enseignement classique. C'est là que M. Charles Villevaleix, après des études très-sérieuses achevées en France, professa plusieurs années. Le gouvernement du Président Nissage Saget le nomma secrétaire de la Légation de Londres. Il exerça ensuite les fonctions de Ministre d'Haiti à Paris et à Londres, fonctions dont il démissionna à l'occasion des évènements de septembre 1883. Depuis lors, il vit à Paris dans une retraite studieuse, ouverte à quelques amis. En 1866, M. Charles Villevaleix avait publié ( Imprimerie Jouaus) un volume de poésies «les Primevères». Philarète Charles, dans son cours du Collège de France, fit, le 16 mai 1870, un grand éloge des Primevères. La leçon, comme les deux précédentes, était consacrée aux « aptitudes de la race noire et de la race créole. » Une des pièces du recueil, « le Bain », lue par le savant professeur, provoqua des applaudissements unanimes. En 1865, le Théatre Frédéric avait, à Port-au-Prince, représenté avec succès une comédie de M. Villevaleix, «la Chasse aux émotions », qui parut ensuite dans le Bien Public, où l'auteur donnait habituellement des chroniques et des articles de critique. D'autres pièces dramatiques et d'autres séries de vers sont restées inédites.

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LES ANGES AU SEPULCRE.

Quand Jésus, expirant au milieu des ténèbres,
Eut, par trois fois, au ciel jeté ces cris funèbres
Dont tressaillit le Golgotha ;

Quand les femmes longtemps de pleurs et d'aromate
Eurent baigné ses pieds, vint Joseph l'Arimathe,
Qui prit le corps et l'emporta.

CHARLES SÉGUY VILLEVALEIX

Alors, dans un sépulcre,

ô spectacle qui navre ! Tout sanglant et meurtri l'on coucha le cadavre

Enveloppé d'un blanc linceul.

Chacun vint à son tour lui baiser la paupière ;
Et puis l'on entendit retomber une pierre ;
Puis il fallut le laisser seul.

Mais le sabbat passé, quand la troisième aurore
Eut paru, désirant de le revoir encore,

Marthe, Marie et Salomé,

D'un flambeau filial guidant leurs pas dans l'ombre,
Toutes trois s'avançaient vers le sépulcre sombre
Où dormait Jésus embaumé.

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Or, voici que soudain, détaché de la tombe
Qu'il scellait, le bloc glisse et devant elles tombe
Avec un long gémissement :

Aux froids degrés assis et le front ceint d'étoiles
Deux anges ont brillé, si muets sous leurs voiles
Qu'ils semblent en ravissement.

Les trois femmes tremblaient d'avancer sous le porche,
En voyant dans leurs mains la lueur de la torche
Pâlir devant tant de clarté.

L'un des anges alors, se voilant de ses ailes :
«Ne craignez rien, dit-il, vous, ses filles fidèles :
« Sachez qu'il est ressuscité. »

Et son doigt leur montrait l'Orient plein de flammes. L'autre ange, tout en pleurs, se taisait. Les trois femmes Songèrent à s'en revenir :

Car leur cœur n'avait plus qu'une douce souffrance. De ces deux visions l'une était l'Espérance,

Mais l'autre avait nom Souvenir.

FLEURS ET PLEURS.

(manibus date lilia plenis. )

VIRGILE.

Père, voici quatre ans que tu dors dans la couche
Que la commune aïeule offre à tous ses enfants,
Et depuis quatre ans, père, en vain j'ouvre ma bouche;
Car mon âme toujours, en sa douleur farouche,
Pour te pleurer me refusait des chants.

Comme jadis, avril de sa molle verdure
Encadre les étangs qui dorment sous les bois,
L'azur du ciel sourit, et toute la nature
Aux rayons, aux parfums mêle le doux murmure
Des souvenirs si charmants d'autrefois.

Je me vois, jeune enfant, dans ma gaîté profonde,
Courir la joue en feu sous les marronniers verts,
Tandis que tout pensif tu regardais dans l'onde,
Au liquide cristal qui réfléchit leur ronde,

S'entre-croiser les ailes des piverts.

A l'âge où dans les yeux la passion s'allume,
J'allais, t'en souvient-il ? cueillant les fleurs des prés,
Vers le bonheur ravi, comme dans l'air la plume;

Mon cœur naïf encore ignorait que la brume

Ote au soleil ses reflets empourprés.

CHARLES SÉGUY VILLEVALEIX

Maintenant sur mon front se prolongent les ombres;
Mes jours, maigre filet, rampent sur les cailloux,
Et l'astre du passé n'a que des lueurs sombres,
Qui tombent tristement sur le temple en décombres
Où je pliais jadis les deux genoux.

O confiance, amour, anges du sanctuaire,
Vous êtes remontés près du trône de Dieu !
Jeunes illusions, dans l'affreux ossuaire
Dormez, les bras croisés, sous les plis du suaire :
La cendre est tout ce que laisse le feu !

Vous, mes strophes, de pleurs encor toutes mouillées,
Aux rivages français déployez votre vol !

C'est là que vous verrez, sous les jeunes feuillées,
Une pierre... A genoux et les ailes ployées,

Versez des pleurs et des lis sur le sol !

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C'était l'heure où midi de l'agâme qui rôde
Fait reluire au soleil l'écaille d'émeraude ;
Où le ramier plaintif, fuyant les feux du jour,
Cherche un réduit secret aux bords riants de l'onde
Et dans les bois touffus, où la fraîcheur abonde,
Fait entendre son chant d'amour.

Dora prit le sentier que la liane encombre,

Et, rêveuse, elle vient des manguiers chercher l'ombre.
Le gazon à la vierge offrait son lit de fleurs;
Sur les cailloux d'argent, avec une voix douce,
La source bouillonnait sous le dôme de mousse,
Sous le dôme où coulent ses pleurs.

La créole enfin peut, sans crainte qu'on la voie,
Laisser pendre au buisson ses longs habits de soie
Aux reflets chatoyants... moins que ceux du bassin,
Où les rayons brisés s'égrènent en étoiles !
La voilà, sous le ciel, qui frissonne sans voiles,
Les doigts ramenés vers son sein.

Craintive, elle a déjà, dans l'onde qui se moire,
Presqu'à demi trempé ses petits pieds d'ivoire.
Mais soudain, reflétée au pur cristal de l'eau,
Elle voit s'allonger sa hanche qui se cambre,
Et, rouge, d'un seul bond, la fille aux cheveux d'ambre
Efface le riant tableau.

Longtemps, sous le rideau qu'a tissé la liane,
La vierge folâtra, comme autrefois Diane,
Sans songer qu'Actéon pouvait l'apercevoir...
Elle sortit du bain, et chaque gouttelette
Qui constelle, en glissant, sa gorge violette,
Paraît un diamant du soir.

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