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MES PAPILLONS

Adolescence aimée, aux douces remembrances,
Comme vous êtes loin! comme vous avez fui,
Heures veuves de peine et de lentes souffrances,
Où demain apparaît aussi pur qu'aujourd'hui !
Les rimes, sous vos doigts, éclosent caressantes,
Sans soucis d'avenir et sans rèves troublants.

Papillons du printemps aux ailes innocentes,
Comme vous êtes blancs!

Vient l'âge de l'amour, et l'on se sent la force
D'embrasser d'un seul coup tout l'idéal azur ;
Et la sève de vie, ainsi que de l'écorce,
Déborde de votre âme et jaillit en sang pur.
On est aimé, l'on aime; il semble qu'on renaisse.
- Le voyez-vous passer, le poète orgueilleux ?.....

Papillons de l'été, quand fleurit la jeunesse,
Comme vous êtes bleus !

Et, plus tard, on connait la décevance amère,
Les serments oubliés, le cruel abandon.
En voyant qu'ici-bas tout est leurre et chimère,
A son bonheur passé l'on demande pardon.
Le visage dément cependant les souffrances :
L'allégresse apparaît sous les traits amaigris.

Papillons de l'automne, à ces heures de transes,
Comme vous êtes gris ! ...

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Les misères, les deuils, ont leur échelle sombre ; Pour arriver au but le chemin n'est pas long. Chaque jour, plus avant on s'enfonce dans l'ombre; Chaque matin, le pied descend un échelon.

Et voilà qu'on atteint la limite suprême

Où l'on voit s'envoler jusqu'aux derniers espoirs... Papillons de l'hiver, envoyés de Dieu même, Comme vous êtes noirs!

LES FORTS.

FRAGMENT

I

Comme ennuyé de son impeccable beauté,
De la perfection de son stype, un palmiste,
Droit, dans la solitude immense, jaune et triste,
Secouait ses cheveux vert sombre, en la clarté
Du jour. Sa flèche d'or trouait les hauteurs vides.
Emergeant de la spathe uniflore, un bouquet
Doré, sentant le musc, conviait au banquet
Les essaims vrombissants des abeilles avides.
Et le pollen nacré fuyait comme un adieu...
Les gouttes de cristal, sur son front déposées,
Descendaient lentement,— pleurs de l'aube ou rosées, -
Les cercles espacés marquant l'âge du dieu.

Et la brise chantait un hymne du Psalmiste
Dans ses longs cheveux verts de Vénus-Astarté ;
Et, comme ennuyé de sa magique beauté,
Droit, dans la solitude, on voyait le palmiste.

II

L'aquilon peut souffler, brisant en peu d'instants
Les grands chênes noueux, aux multiples ramures,
C'est mettre un sforzando sur les tendres murmures
Du palmiste vaillant qui se rit des autans.
Si la foudre, crevant les nuages pleins d'ombre,
A l'appel de sa flèche, accourt et le combat,
Alors le beau palmier, l'arbre que rien n'abat,
Sans son aiguille d'or et son panache sombre,
Comme ennuyé de son impeccable beauté,
Sera toujours debout dans sa sérénité !

III

La nature est avare en hommes héroïques,
Et le siècle n'est plus des antiques géants...
Où sont les vieux martyrs, les lapidés stoïques,
Les colosses debout au bord des Océans ?

Il fut grand, lui, le noir ! Quand, surpris par le traître, Dans l'humide cachot il fut enseveli,

Sur ses traits amaigris, on ne vit rien paraître ;

Ses yeux restèrent secs, son front n'eut pas un pli.

Comme ce haut palmier qui devint le symbole
De notre liberté ; · fier quoique foudroyé,
Répondant comme Christ par quelque parabole,
N'ayant jamais cédé, n'ayant jamais ployé,

Toussaint, qui semblait né d'une femme de Sparte, Malgré la faim, le froid et la captivité,

- Sphinx que n'a jamais pu déchiffrer Bonaparte, Resta toujours debout dans sa sérénité !

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SATIRE

Entre les êtres vils qui rampent sur la terre,
Le louche escroc, rôdeur qui s'en va, solitaire,
Epiant et guettant dans l'ombre; le forban,
L'assassin, le forçat en rupture de ban,
Le plat galérien, le renégat, le traître,

Qui mentent au devoir, à la patrie, au maître ;
Depuis l'obscur filou jusques à l'apostat ;
Tous ceux qui sont abjects par goût et par état;
Entre eux, au dessus d'eux, et plus vil qu'eux,

Il en est un, qu'on voit, riant d'un rire immonde,
Profaner l'amitié, se jouer de l'honneur,
Briser en un instant le plus discret bonheur,
Comme l'on brise un verre à la fin d'une orgie ;
Eteindre le repos, ainsi qu'une bougie ;
Et, d'un mot, coupant l'aile à l'aigle-liberté,
Remplacer par le deuil toute félicité!

au monde

Cet être est mou, flexible, et, comme la couleuvre,
Il rampe vers son but, faisant, la nuit, son œuvre.
Rien ne peut l'arrêter, ni les cris de l'enfant,
Ni les pleurs de la femme; à son front triomphant,
Pas de pli, pas de ride; il a l'âme tranquille ;

Et, fier du mal qu'il fait, se croit un homme utile.
Le monde le méprise et, cependant, il craint
Cette pieuvre à deux bras, tuant ceux qu'elle étreint.

Maintenant que je l'ai fait sortir de son bouge,
Que je l'ai revêtu de la casaque rouge,

Si le vers qui le peint est rude et non menteur,
Lisez tout haut son nom : espion-délateur !

Et, planant au-dessus de ce sale sosie,
Ayant le cœur plus vil, l'âme plus endurcie,
Plus coupable cent fois, comme le recéleur
Est encor plus abject que le hideux voleur,
Il en est un qui paie et protège ce crime ;
Qui, se trouvant en haut, tend la main à l'abîme ;
Qui, sur ces fronts de boue et de fange salis,
Veut mettre l'auréole, et profanant les lis,
Accoupler leur blancheur à la noirceur du vice;
Qui vêt le dégradé du lin pur du novice;
Qui fait que l'être infâme, en qui le droit s'est tu,
Marche au soleil, couvert d'un semblant de vertu ;
Qui le fait coudoyer, protégé par son masque,

Comme les preux anciens par l'armure et le casque,
Les confiants, les bons, les honnêtes, les francs ;
Qui donne à ce valet l'or et le ton des grands ;
Qui, parce qu'il est, lui, partie, arbitre et juge,
Veut que ce misérable cn lui trouve un refuge ;

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