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L'astre cher s'en allait, ayant le vaste orgueil
D'avoir, ainsi qu'un phare allumé sur l'écueil,
Pour l'esquif égaré sur l'infini des vagues,
Dissipé le perfide amas des brumes vagues;

Et le marin, pleurant, à genoux le bénit

D'avoir versé la vie à pleins bords au doux nid
Qui gazouille, à la fleur nouvelle, dont l'haleine
Embaumante et suave emplit la verte plaine;

Et la fleur et le nid le bénissent encor

D'avoir, aux pauvres gens que l'implacable sort
Tient rivés au boulet de la misère affreuse,
Alors que des hivers la bise rigoureuse
S'en vient ankyloser leurs membres alourdis,
Versé l'enivrement des souffles attiédis ;

Et tous les pauvres gens donnent un salut grave A cette majesté que nul affront ne brave, Qui monte en descendant parce qu'elle a bien fait !

Bientôt, dans le ciel vaste où le Roi triomphait,
Brille le groupe d'or des étoiles sans nombre.
Leurs divines splendeurs, c'est l'éclat de son ombre :
Elles le savent bien, que si leur front a lui,
C'est pour continuer la grande œuvre que, lui,
Le Père, inaugura dans sa fière journée;
Et chacune, là-haut, vers la terre inclinée,
Epand sur elle, avec leur paisible clarté,
Les flots mystérieux de leur sérénité.

Les pensers généreux et les chastes idylles

Eclosent par essaims sous leurs regards tranquilles ; Tous ceux en qui fermente un levain de rancœur,

Y viennent apaiser la flamme de leur cœur...

Les étoiles, c'est vous, doux bardes sympathiques,
Qui bercez tendrement, aux charmes magnétiques
De vos rythmes divins, notre rêve muet;
Vous tous qui, sur le soir de ce siècle inquiet,
Epanchez vos rayons! Et ce Soleil immense
Qui, sur le monde ému promenait sa clémence,
Et que les malheureux s'en allaient implorant,
C'est celui qui n'est plus Victor Hugo le grand !

Paris, juillet 1885.

J. F. THALÈS MANIGAT

Né au Cap-Haitien, le 23 décembre 1860. Commença ses études dans sa ville natale et les acheva au Lycée National de Port-au-Prince, où il eut successivement pour directeurs M. Camille Bruno et M. Guillaume Manigat, pour émules et camarades de classe Lara Miot, Tertullien Guilbaud, Emmanuel Edouard, Auguste Bonamy, Luxembourg Cauvin. Ses premières compositions littéraires remontent à l'époque où, sorti récemment du Lycée, il s'exerçait dans des réunions hebdomadaires, en compagnie de quelques-uns de ses anciens condisciples, à la critique et à l'art oratoire. Plus tard, il collabora à plusieurs journaux du pays : « Les Mousquetaires », « Le Vigilant », « Le Ralliement », « Le Peuple L'Avant-Garde ». En 1882, il réunit ses poésies en un recueil, sous le titre d'Antileennes. Depuis, M. Manigat s'est surtout livré à des études et travaux historiques. Citons, en ce genre, sa grande monographie du Roi Henry Christophe, son Histoire des Campagnes de l'Est et ses Vingt années d'histoire contemporaine d'Haïti, de 1859 à 1879, ouvrage annoncé pour paraître prochainement.

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M. Manigat a consacré une grande partie de sa vie à l'enseignement. Il dirigeait en dernier lieu le College Grégoire, au Cap.

LE PAPILLON

O le gracieux papillon,
Jaspé d'or, d'opale et de rose,
Qui voltige dans le sillon
Autour de la pudique rose ;

Et dont l'œil, comme un diamant,

Reluit, chatoie à la lumière

Du matin ! Dis, être charmant,
Quel doigt va briser la carrière ?

Né près des clairs ruisseaux, au calice des fleurs A la corolle satinée,

Puisque tu vis d'éther, de parfums, de couleurs, Auras-tu donc leur destinée ? . . . . .

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« Ainsi dois-je mourir en ma force et beauté, Ivre de senteurs, de verdure,

<«< Au milieu du concert d'amour, de volupté, De cette riante nature.

«Fils du printemps et du sillon,
J'ignore les vains bruits du monde,
Et des douleurs l'âpre aiguillon,
Et des hommes la haine immonde.
Je vis sur l'aile du zéphir;
Je vole d'ivresse en ivresse ;
Tout ce qui t'arrache un soupir
A moi me fait une caresse.

« Je ris de l'avenir, ajoute l'être ailé.
J'ai les espaces, et les grèves,

Et les chansons des bois, et le ciel constellé.

Homme, toi, tu n'as que des rêves ! »

Oui, nous n'avons que visions, Nous autres hommes, qu'amertume; Nos plus chères illusions

Souvent s'écroulent en écume.
Toi qui ne connais pas l'écueil
Des flots et nos soucis moroses,
Meurs dans l'extase; et pour linceul
Prends, prends des pétales de roses!

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