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LETTRE VI.

RÉPONSE DU MINISTRE FERRY A L'ABBÉ BOSSUET.

MONSIEUR,

Au même temps que monsieur votre père m'eut fait l'honneur de me rendre votre chère lettre, et le mémoire dont il vous a plu l'accompagner, il me remit à vous faire réponse quand il seroit de retour d'un petit voyage de huit ou dix jours, dont il n'est revenu que depuis deux ou trois seulement. Pendant cela je me suis tiré des bains, et ai mis fin à l'usage des remèdes, pour autant de temps qu'il plaira à Dieu. Je n'ai pas laissé d'être entièrement inutile au dessein que vous me recommandiez. J'ai reçu avis de Paris qu'on m'y avoit rendu de mauvais offices, et n'ai pas laissé de convaincre l'auteur, sans l'en accuser, que j'avois raison d'en user comme j'ai fait, et qu'il ne se pouvoit pas mieux autrement. Par là je l'ai rendu susceptible d'un meilleur sentiment. J'espère même d'y faire entrer ceux de ce même rang, en les y attirant sans qu'ils s'aperçoivent que l'on en soit empressé. J'ai dit, comme vous m'avez ordonné, à monsieur votre père, quelques petites remarques de mémoire sur quelques articles de notre histoire, que vous avez pris la peine de mettre par ordre; mais ce sont choses qu'il faut traiter en personne, et pour cela j'attends la vôtre précieuse, le temps approchant auquel vous me l'avez fait espérer, et je souhaite que l'accommodement qu'on vous propose soit digne de votre approbation. Alors, monsieur, nous pourrons nous faire entendre à loisir l'un à l'autre sur les choses déjà traitées, et sur celles qui restent encore à l'être.

Sur le général, vous m'avez tant dit, et tant fait dire, et tant écrit de si bonnes choses, que je commence à mieux espérer, et à me sentir vous être plus obligé que je n'aurois cru, pour l'honneur que vous m'avez fait de me donner la première part à cette communication. Celui qui a eu l'honneur de vous voir, à ma prière, en est si bien persuadé, qu'il n'a pas fait moins d'efforts sur moi pour cela, qu'il en faudroit pour convertir une multitude d'incrédules. Mais, monsieur, les grands biens que vous lui avez dits de moi, où je pense reconnoître votre style, me mettent et me tiennent en une confusion agréable; car ne pouvant douter sans crime de la pureté de votre âme, et ne pouvant pas croire ce qu'il m'en a écrit sans perdre le reste de ma modestie, et sans me mettre en danger d'être pris pour un autre, je vois en cela un malentendu de votre part qui m'est si avantageux, que quand tous les avis seroient éclaircis, je dois dé•Théodore Maimbourg, le même qui a écrit la lettre qui précède celle-ci.

sirer que celui-là ne le soit jamais. Croyez donc, monsieur, s'il vous plaît, que c'est le seul que je prendrai à tâche de faire durer, et que je ferai tout ce qui me sera possible pour vous y entretenir, en continuant d'agir de la manière que j'ai commencé et que vous approuvez, et que je ne m'en cacherai à personne, parce qu'il n'y a rien que de salutaire et que d'honorable.

Je ne sais maintenant comment passer d'un si bel endroit des choses que vous lui avez dites de moi, à ceux de deux ou trois de vos lettres, où monsieur votre incomparable père a pris la peine de me lire deux ou trois fois les favorables témoignages que vous avez eu la bonté de hasarder de moi en de si grands lieux, que je n'ose pas même prononcer après vous, parce que ce n'est pas à moi que vous les avez nommés; et que je ne les lui ai pas osé seulement demander par extrait. Et c'est, monsieur, m'engager avec vous d'une manière bien rare et bien extraordinaire. Vous n'avez pourtant rien obligé qui ne soit à vous, et dont vous ne puissiez toujours répondre. J'ai seulement à pourvoir qu'on ne vous puisse reprocher en ce sujet le défaut des grands hommes, d'avoir volontiers trop bonne opinion de ce qu'ils aiment, parce qu'ils le veulent aimer. C'est aussi sans doute ce que je tâcherai au moins de faire de bonne foi, quelque succès que Dieu veuille donner à l'affaire que vous conduisez si bien, qui me sera toujours glorieuse d'avoir été portée si haut, et de n'y avoir pas été trouvé indigne de votre protection. Cependant, monsieur, pour n'y défaillir point de ma part en ce que je puis faire, je vous envoie, comme vous m'avez ordonné, un gros paquet des choses qui la concernent car j'ai cru ne pouvoir point vous représenter mieux au naturel les termes du règlement que vous désirez, que' par les pièces entières. Vous y verrez, monsieur, celle de M. le lieutenant général, et les deux sur lesquelles il l'a appuyée : la première, qui est un arrêt du 2 de mai 1631, détruite expressément par la bouche sacrée du roi, parlant deux ans après, mise en un autre arrêt contradictoire du 22 septembre 1633, avec ample connoissance de cause; et l'autre qui est l'apostille en réponse à l'article de messieurs de votre clergé, laquelle ne casse point le prétendu intrus, ne nous réduit point au nombre de quatre, ne défend point de prêcher, sinon sans permission, mais seulement de ne pas augmenter notre nombre, ce qu'aussi nous n'avions point fait. Mais, monsieur, ces pièces n'ont servi que de prétexte : car je sais, de la propre bouche de l'original, que le vrai motif a été de me réduire à quitter tout à fait la chaire à mon gendre, comme on croyoit, et qu'il y avoit apparence de croire en l'état où j'étois alors, que je le ferois plutôt que de laisser partir mes enfants d'avec moi; de sorte que, m'étant ré

solu au contraire, il est avenu, contre l'intention de ceux qui m'ont procuré ce déplaisir, que je la remplis toute entière, et prèche deux fois plus que je n'aurois fait.

J'ai encore, monsieur, à vous faire une très-humble. prière, qui est de vous souvenir de cette attache qui m'est de la dernière importance, et qui doit me servir pour le rang, après tout le reste. Pour cela, il me seroit nécessaire de l'avoir par-devers moi par forme de brevet, et même qu'on n'en sût rien à présent; afin qu'il ne semble point à personne que je l'eusse obtenue par quelque engagement, qui seroit un soupçon fort aisé à prendre, et bien contraire à mes intentions. Mais enfin je m'aperçois, monsieur, que c'est faire une trop longue lettre à un homme de votre dignité, de mes affaires particulières, qui ne vaudront jamais la peine que vous avez eue de la lire, et encore moins celle que vous avez prise d'en tant parler, ni la hardiesse que j'ai eue de les mettre entre vos mains, où je vous supplie pourtant me permettre que je les laisse, comme je fais aussi en celles de Dieu, auquel je recommande aussi les vôtres de tout mon cœur, dont il sait toutes les intentions, qui sont assurément celles que je vous ai protesté d'avoir, et entre autres celle de vivre et de mourir votre, etc.

A Metz, ce 15 septembre 1666.

LETTRE VII.

DU MINISTRE FERRY A M. MAIMBOURG.

MONSIEUR,

SUR LE PROJET DE RÉUNION.

Je crois qu'il seroit superflu que je misse beaucoup de temps à vous assurer que votre lettre du 8 m'a bien apporté de consolation. Outre la qualité naturelle que votre style a de plaire, cette dernière est si bonne à vous exprimer sur les choses qui me touchent, et si riche en particularités de l'affaire dont vous parlez, que j'en suis comblé ; et à chaque fois de plusieurs que je l'ai lue, j'y ai toujours trouvé quelque nouvelle bonté et quelque richesse cachée, tellement que ma joie s'en accumule tous les jours. Et quoique je n'aie pas dû différer à vous en rendre toutes les grâces que j'en puis concevoir, je ne pense pas être encore au bout de bien savoir ce que je vous en dois. Je l'ai lue presque toute entière au père de Rhodès, jésuite, et procureur du collége, qui l'a admirée en toutes ses clauses et en tout son contexte c'est celui de la maison avec lequel j'ai lié plus d'amitié. Il a pris grand soin de moi durant mes longues et âpres douleurs, m'a amené un de sa robe, qui se tient au Pont-à-Mousson, et

XIII.

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qui fait la médecine avec grande réputation, et est souvent venu demander des 'nouvelles à ma porte, sans entrer, pour ne donner lieu à aucun soupçon, ni ne me causer le scandale que le génie qui en a écrit par-delà n'a pu éviter, ou qu'il n'a pas été marri de trouver. Je vous dirai ici en passant, puisque j'y suis tombé, que j'aurai bien de la peine à me résoudre de vous écrire une nouvelle lettre sur le gros de l'affaire ; puisque celui qui vous en a parlé ne l'a pas fait à dessein que je le susse, et ne vous a pas considéré assez mon ami, pour croire que vous m'en dussiez rien apprendre; et ni moi le sien, pour vouloir que je fusse informé d'une chose dont il a dû croire que je devois être averti. Il suffira, s'il vous plaît, quand vous le verrez, de lui faire à fond cette histoire, je veux dire celle de la proposition qui m'a été faite, et de la manière que je m'y suis conduit jusqu'à présent.

Après ces parenthèses, et retournant au principal sujet de nos lettres, je vous dirai, monsieur, que j'ai eu une raison particulière de communiquer une partie de votre dernière à ce personnage; c'est qu'il me dit, il y a quelque temps, qu'il avoit écrit de moi au père Annat, et lui avoit répondu de ma sincérité, autant qu'il désiroit qu'il fût assuré de la sienne; et une personne d'honneur, qui a vu sa lettre, m'assura encore hier qu'elle portoit que je suis un homme incorruptible et non intéressé, et lui en donnoit quelques marques que je crois qu'il n'ignoroit pas : de sorte qu'ayant trouvé en la vôtre ce que le père Maimbourg, votre cousin, vous en a dit, j'ai été bien aise de lui donner le contentement qu'il m'a témoigné recevoir de cette preuve que j'avois de la vérité de son dire, et de prendre cette occasion, en le remerciant, de l'assurer que j'en veux toujours être persuadé. C'est le premier qui m'a fait l'ouverture de ce grand dessein, et me la fit d'une manière sérieuse et si franche, et avec une telle avance d'abord, que je crus ne devoir pas, comme vous dites, monsieur, lui fermer la bouche sur une chose que j'ai désirée toute ma vie, et dont j'ai fait plus d'une fois déclaration, et où je n'ai trouvé personne qui m'ait contredit.

J'ai écrit amplement à M. l'abbé Bossuet par le courrier précédent ; c'est une personne d'un vrai honneur, en qui j'ai confiance entière, et qui m'oblige d'une haute manière, et en des lieux où je ne croyois pas que mon nom dût jamais être porté, comme j'ai appris par ce que monsieur son père m'a fait l'honneur de me lire de ses lettres; et s'il réussit, comme il le désire, et comme je l'espère, il aura plus fait seul que tout le monde. Je ne m'explique pas à lui sur le dernier mémoire qu'il m'a envoyé; parce que nous voilà bien près du temps qu'il m'a fait espérer son retour, étant des choses qui ne peuvent être si bien traitées qu'en présence.

Si je vous ai dit le mot d'inutile, j'ai peut-être passé son expression, mais non pas son sens ; car j'ai pris ce mot au regard du saerifice or, il avoue que tout ce qui suit la consécration n'y sert de rien, et par conséquent y est inutile, je veux dire au sacrifice, qui est de quoi nous convenons; tellement que sa pensée doit être, et est aussi en effet, que tout ce que le prêtre a intention de faire est de rendre la victime déjà sacrifiée présente *; et tout ce que JésusChrist y veut faire, présupposé qu'il y soit présent, est, non pas de se sacrifier de nouveau, mais de se montrer et exhiber à Dieu, déjà sacrifié en la croix, et rien davantage. C'est ce que nous appelons son intercession, et ce que nous exprimons en l'une de nos prières publiques, que je lui ai lue, et dont il s'est contenté. Tout le différend qui reste est qu'il croit que cette exhibition se fait à l'autel de leurs temples, et nous en celui du sanctuaire céleste, comme dit l'apôtre; de sorte que tout est réduit à la présence réelle c'est aussi l'explication de ces deux messieurs de la société, lesquels m'ont parlé. Et cela étant réglé de la sorte, tous les arguments que nous avons tant faits, contre la vocation des prêtres à sacrifier, nous deviennent inutiles, et une grande controverse est mise à fin.

Mais assurément, monsieur, ce n'est pas la théologie ancienne de l'Eglise romaine; et quoique Bellarmin et Suarez, que je vous ai nommés, et plusieurs autres qui ont commencé à la raffiner, aient beaucoup attribué, et quelquefois tout le sacrifice, à l'acte de consacrer, néanmoins ils veulent qu'il y entre aussi, de la part du ministre public, un acte d'offrir, bien qu'ils avouent que l'Ecriture n'en dit rien, parce qu'il n'y a point de sacrifice sans oblation, c'està-dire, sans intention actuelle ou habituelle d'offrir et de présenter quelque chose à Dieu. Mais j'ai posé en fait, et nous avons promis de part et d'autre, de ne regarder point à la manière dont personne se seroit exprimé ci-devant, mais d'aller droit au fond; et comme il vous a dit à vous, monsieur, indépendamment d'aucune autorité que de la parole de Dieu. Et plût à Dieu que nous en fussions quittes pour dire qu'ils ne se sont pas assez bien expliqués, et que nous ne les avons pas assez bien entendus, bien que quelqu'un m'ait écrit sur cela d'une manière un peu rude, et avec un dilemme atroce, pour réfuter cette manière de nous rapprocher.

On m'avoit déjà parlé de M. Daillé, et j'ai deux collègues qui l'ont connu, M. Ancillon et M. de Combles, particulièrement ce dernier, qui l'aprécédé ou qui l'a suivi en une même église. Ils m'ont fait une partie de son histoire; mais ils ne nient pas qu'il ne soit savant. J'en ai plus appris de M. de B... Je n'ai rien à vous dire de la manière dont vous *Voyez ci-après, pag. 144, le véritable sentiment de Bossuet sur cette matière.

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