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En 1893, on demanda aux mudirs (administrateurs) de faire des rapports sur la situation de la police et on exigea l'envoi direct de ces rapports à l'adjoint au ministre, qui est un agent anglais, et non au ministre lui-même. Cet acte déplut au jeune Khédive et il pria MoustafaFehmi-Pacha, président du conseil, dévoué à la cause anglaise, de donner sa démission. Celui-ci répondit qu'il consulterait, avant de répondre, lord Cromer. L'arrogance du ministre exaspéra le Khédive, qui renvoya le ministère. Il voulut appeler au pouvoir Tigrane-Pacha, un des membres influents du parti de la jeune Égypte, qui avait pour devise : « L'Égypte aux Égyptiens.

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Lord Cromer fit savoir au Khédive que son gouvernement ne pouvait pas accepter Tigrane-Pacha, qui était chrétien, comme successeur à Moustafa-Fehmi-Pacha, et que s'il résistait il jouait son pouvoir et sa personne1.

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Le Khédive dut s'incliner devant la force. Mais ne voulant à tout prix rappeler Moustafa-Fehmi, il pria Fakri-Pacha de former un ministère. Ce nouveau choix déplut également au gouvernement anglais, non parce que Fakri n'était pas un docile serviteur de lord Cromer, mais parce qu'il était désigné par le Khédive.

« Vous devez informer le Khédive, écrivait lord Rosebery à lord Cromer, que, dans le cas où il refuserait de se conformer à nos conseils, S. A. devrait se préparer à subir les graves conséquences de son acte. »

Dépêche du 14 janvier 1893, Livre Jaune, p. 522.

17 janvier 1893, Archives diplomatiques 1893, I, p. 254.

On lui demanda en même temps de signer cet engagement dicté par le gouvernement anglais : < Mon plus sincère désir est de travailler en parfaite harmonie avec le gouvernement britannique et de maintenir les relations. les plus amicales avec ce gouvernement; tant que durera l'occupation anglaise, je suivrai volontiers les conseils. du gouvernement de S. M. dans toutes les questions importantes'. »

Le gouvernement anglais n'exigea pas le rappel au pouvoir de Fehmi-Pacha, mais il n'accepta pas non plus Fakri. Riaz-Pacha fut nominé premier ministre.

Des manifestations de sympathie nationale suivirent cet incident. On acclamait partout Abbas-Pacha : dans les mosquées, à l'Opéra, dans les rues du Caire et d'Alexandrie.

Quand le Khédive actuel rentra de son premier voyage en Europe, le peuple dressa deux magnifiques arcs de triomphe sous lesquels devait passer ce prince. Le peuple exprimait ainsi sa sympathie pour Abbas et son antipathie pour Cromer et ses acolytes.

Un dernier incident brisa complètement le courage du Khédive.

Dans son voyage à Ouadi-Alfa, le Khédive passa en revue l'armée égyptienne, dirigée par les officiers anglais sous le haut commandement de lord Kitchener. Les troupes ayant mal manœuvré, Abbas-Pacha fit savoir qu'il n'était pas satisfait de l'organisation militaire.

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19 janvier 1893, Archives diplomatiques 1894, I, p. 315.

Le gouvernement anglais prit cet acte du Khédive comme une insulte et exigea une réparation. Le Khédive dut de nouveau se soumettre et signer un ordre du jour dans lequel il exprimait sa complète satisfaction à tous les officiers tant indigènes qu'anglais.

L'incident provoqué par le renvoi de Fehmi-Pacha était de nature à inquiéter le gouvernement français. Le 18 janvier 1893, le ministre des affaires étrangères donnait à M. Waddington des instructions pour demander compte au gouvernement anglais de l'attitude comminatoire de lord Cromer à l'égard d'Abbas, des prétentions que cette attitude révélait'.

La conduite du nouveau Khédive avait effrayé l'Angleterre; au lieu de réduire ses troupes d'occupation, elle en avait singulièrement augmenté le nombre. « Le gouvernement de S. M. avait résolu d'augmenter légèrement le nombre des troupes britanniques stationnées en Égypte, en conséquence de récents événements menaçants pour la sécurité publique dans le pays. » Le ForeingOffice ajoutait que cela n'impliquait aucune modification aux assurances données par le gouvernement de S. M. au sujet de l'Égypte, ni aucun changement de politique. M. Waddington, dans sa dépêche du 1er février, prenait acte de cette déclaration et disait :

Il est à craindre que le projet du gouvernement de S. M. d'augmenter la garnison anglaise en Égypte ne soit interprété dans un sens directement opposé à ses sentiments.

Archives diplomatiques 1894, I, p. 314.

<< Aussi, suis-je chargé de demander à Votre Seigneurie de bien vouloir préciser les incidents qui auraient motivé cette mesure. Après la communication que lord Dufferin vient de faire à M. Develle, le gouvernement de S. M. comprendra que si, contre toute attente, des troubles venaient à se produire en Égypte, le gouvernement de la République se réserverait d'examiner, d'accord avec les Puissances et avec S. M. le Sultan, les mesures qu'il y aura à prendre pour sauvegarder les intérêts qui nous sont communs avec toutes les Puissances garantes de l'intégrité de l'Empire Ottoman. »

Et les négociations en restèrent là.

SECTION IV

CARACTÈRE DE L'OCCUPATION ANGLAISE

Au moment où l'on croyait le moins à une action effective à cause de la divergence des vues entre la France et l'Angleterre, à la grande surprise de toutes les Puissances, le gouvernement anglais, bombardait impitoyablement Alexandrie et se rendait maître de l'Égypte.

Quel était le but de l'Angleterre d'agir ainsi brusquement, au moment même où à Constantinople son délégué, avec ceux des autres Puissances, décidaient l'envoi des troupes turques en Égypte pour y rétablir l'ordre. On ne peut le présenter d'une façon précise, on serait forcé de raisonner par des sentiments, ce qui, dans une étude

juridique, serait arbitraire. Nous baserons donc notre raisonnement uniquement sur les actes diplomatiques et sur les déclarations des hommes politiques.

L'idée générale qui se dégage de l'examen de ces actes. et de ces déclarations, ainsi que de l'opinion des publicistes anglais, est que le gouvernement anglais est allé en Égypte malgré lui; il fut obligé, par la force même des choses, d'occuper le pays pour y rétablir l'ordre et sauvegarder la sécurité des Européens, menacée par les mouvements insurrectionnels. Mais en Égypte il s'est trouvé devant une administration trop défectueuse d'où viennent tous les malheurs du pays. Dès lors, le gouvernement anglais a entrepris la tâche de rétablir l'ordre. dans l'administration égyptienne. Il agit en Égypte comme mandataire des Puissances. Il est donc responsable devant ces dernières. Si, malgré les promesses réitérées d'évacuation, il maintient en Égypte son armée et son système d'occupation, c'est que le pays est loin d'être à même de se gouverner sans l'appui et les conseils. du gouvernement anglais. Quand le pays pourra se gouverner seul, l'Angleterre quittera l'Égypte. L'occupation a un caractère provisoire.

En effet, le jour même où l'armée anglaise débarquait en Égypte, l'amiral Seymour déclarait au Khédive :

«Moi, amiral, commandant la flotte britannique, je crois opportun de confirmer sans retard à Votre Altesse que le gouvernement de la Grande-Bretagne n'a nullement l'intention de faire la conquête de l'Égypte, non plus que de porter atteinte en aucune façon à la religion et aux libertés des Égyptiens. Il

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