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La première phase consiste dans l'insurrection de Méhmed-Ali, gouverneur d'Égypte, contre son souverain.

Cette insurrection n'aurait pas ému outre mesure les Puissances, si Méhmed-Ali n'avait pas franchi les limites de l'Égypte et menacé Constantinople. La Porte, incapable de repousser le danger qui menaçait la dynastie des Osmanlis, avait fait appel à l'assistance de la Russie. Les Puissances ne pouvaient pas tolérer la prépondérance que la Russie allait acquérir à Stamboul. Elles intervinrent collectivement, ce qui donna lieu, comme nous allons le voir, au firman de 1841.

La deuxième phase c'est le règne d'Ismaïl-Pacha. La question d'Égypte change de caractère. Ce n'est plus l'attitude belliqueuse du Gouverneur d'Égypte vis-à-vis de Constantinople qui préoccupe les Puissances. Ce sont les réformes tentées par le Pacha qui heurtent les privilèges des Européens résultant des capitulations, le gaspillage par Ismaïl des sommes provenant des emprunts, la conduite équivoque de ce dernier vis-à-vis de l'Europe, les insurrections militaires contre l'ingérence étrangère. Tous ces événements, que nous allons exposer en détail dans le corps de notre étude, avaient donné lieu à l'immixtion des Puissances dans les affaires intimes de l'Égypte.

La troisième phase de la question est inaugurée par l'occupation anglaise. Ici la question change également de caractère.

Ce n'est pas le danger de la sécurité et des privilèges des Européens qui préoccupe les Puissances, mais

uniquement l'attitude du Gouvernement britannique et l'évacuation de l'Égypte par les troupes anglaises.

En effet, le Gouvernement anglais avait occupé l'Égypte dans le seul but d'y rétablir l'ordre et la tranquillité menacés par les insurrections militaires. Il avait formellement déclaré au moment de l'occupation qu'il évacuerait l'Égypte 'aussitôt que le danger de pareils désordres serait écarté. L'Angleterre avait souvent affirmé cette intention sans jamais la réaliser.

Sous le règne d'Ismaïl, les Puissances, pour sauvegarder les capitulations menacées par les réformes projetées par Nubar-Pacha, l'éminent ministre égyptien, et les intérêts des créanciers européens, lésés par les dépenses fantaisistes d'Ismaïl-Pacha, avaient établi en Égypte des institutions internationales que nous croyons devoir exposer ici.

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Les capitulations accordaient déjà aux Consuls européens un pouvoir juridictionnel en Égypte comme dans tout l'Empire. Les procès entre étrangers étaient jugés par le Consul du défendeur; entre étrangers et indigènes, par le juge local avec l'assistance d'un drogman. En matière criminelle le consul ou le juge local était compétent suivant que le défendeur était étranger ou

indigène. Pour l'exécution des jugements, il était interdit de pénétrer dans le domicile d'un étranger sans l'assis tance d'un agent diplomatique ou consulaire.

Cette juridiction consulaire ne pouvait pas durer dans un pays où le commerce, l'industrie et l'agriculture prenaient un développement toujours grandissant. Ces tribunaux avaient créé une jurisprudence qui protégeait au détriment de la justice, le défendeur. Cela engendrait naturellement des abus et dépassait le but des capitulations. Ces abus sont indiqués dans le rapport que NubarPacha, ministre égyptien, adressa au Khédive en août 1867'.

Nubar-Pacha, après avoir indiqué les conséquences néfastes pour le peuple égyptien des abus de la juridiction consulaire, proposait l'établissement des tribunaux composés d'éléments indigènes et européens

Le projet Nubar-Pacha soumis aux Puissances donna lieu à de vives discussions diplomatiques. Une commission réunie à Constantinople le 11 janvier 1873 le modifia profondément, et la France n'accepta le projet de

1 « La juridiction qui régit les Européens en Égypte, disait NubarPacha, qui détermine leurs relations avec le Gouvernement ainsi qu'avec les habitants du pays, n'a plus pour base les capitulations; de ces capitulations, il n'existe que le nom; elles ont été remplacées par une législation coutumière arbitraire, résultant du caractère de chaque chef d'agence, législation basée sur des antécédents plus ou moins abusifs, que la force des choses, la pression d'un côté, le désir de faciliter l'établissement des étrangers de l'autre, ont introduite en Égypte, et qui laisse actuellement le Gouvernement sans force et la population sans justice régulière dans ses rapports avec les Européens.» (Archives diplomatiques, I, p. do.)

la commission de Constantinople que sous réserves. Enfin un décret khédival instituait, le 28 juin 1875, les tribunaux mixtes à titre d'essai et pour une durée de cinq ans à partir du 1er janvier 1876. Les nouveaux codes furent mis en vigueur à dater du 18 octobre 1875'. Voici en quoi consiste la réforme judiciaire :

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1o Organisation. Il y a trois tribunaux de première instance l'un à Alexandrie, l'autre au Caire et le troisième à Zagazig. Chacun de ces tribunaux est composé de sept juges quatre étrangers dont un est président effectif et trois indigènes.

Une cour d'appel siégeant à Alexandrie et composée de onze juges dont sept étrangers. La présidence appartient à un juge étranger.

Quand il s'agit d'un procès commercial, le tribunal s'adjoint deux commerçants, l'un étranger, l'autre indigène.

Tous les magistrats sont nommés par le Khédive; mais les étrangers ne peuvent être nommés que sur la présentation de leur gouvernement. Ils sont inamovibles. Tous les magistrats de la même catégorie reçoivent les mêmes appointements. Ils ne peuvent recevoir d'avancement que sur le vote de la Cour.

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Pour les détails des discussions et des projets, voyez notamment : Archives dipl., 1870, 1, pp. 17-118; Livre Jaune, Négociations relatives à la réforme judiciaire en Égypte, 1875, p. 221; Archives dipl., 1876-77, I, p. 37; t. III, p. 138.

2 Les présidents des tribunaux et de la Cour sont indigènes; mais ce sont là des présidences honorifiques en réalité, la présidence appartient à un vice-président étranger élu par ses collègues.

Les langues judiciaires sont : l'arabe, le français et l'italien.

2° Compétence. - Il faut distinguer les matières civiles. et commerciales et les matières criminelles.

En matière civile et commerciale, la compétence des tribunaux mixtes s'étend à toutes les contestations entre étrangers et indigènes et entre étrangers de nationalités différentes, en dehors du statut personnel. Ils connaissent aussi de toutes les actions réelles immobilières entre toutes personnes même appartenant à la même nationalité. Cette phrase de l'article 9 du paragraphe premier a soulevé une grande difficulté. Les tribunaux seraient-ils aussi compétents dans une contestation entre deux indigènes en matière réelle immobilière ?

D'après la lettre de l'article 9, il semble que oui; mais cela est évidemment contraire à l'esprit du texte. Aussi la Cour d'appel, après des hésitations, avait adopté la négative. Cette difficulté disparut d'ailleurs du texte

en 1900.

Mais la compétence des tribunaux s'étend à tout, même à l'administration, à la liste civile, au gouvernement, en tant que ces personnes sont en procès avec des étrangers.

En matière criminelle la compétence des tribunaux mixtes a un caractère exceptionnel. Les tribunaux sont compétents pour les contraventions de simple police. commises par les étrangers. Le juge, en ce cas, doit être un magistrat étranger.

Pour les crimes et délits, les tribunaux sont compé

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