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plus que son âme à lui remettre dans l'immolation qui le séparait prématurément de tous ceux qu'il aimait tant.

Messieurs, dans le temps où nous vivons, où la France et l'Eglise ont besoin de fils héroïques, Taudière nous a donné le plus complet exemple d'une vie de Français catholique, fidèlement et magnifiquement égale aux devoirs qui nous sont imposés. Puissions-nous l'admirer assez pour vouloir l'imiter! Puisse le souvenir, que nos affections lui garderont, nous rapprocher de la voie où il a marché lui-même! C'est le seul témoignage vraiment digne de lui que nous devions lui rendre.

M. Edouard CHAILAN

Au moment de mettre sous presse, nous avons appris que la mort vient de faire parmi notre personnel enseignant une nouvelle victime. M. Edouard CHAILAN, professeur de sciences (mécanique et astronomie), a été frappé à son tour le 17 mai à l'âge de cinquante-quatre ans.

Les obsèques ont été célébrées le mardi 19 mai en l'église Saint-Jacquesdu-Haut-Pas,sa paroisse L'absoute fut donnée par Mgr Baudrillart.

Mgr le Recteur, le vice-recteur, les professeurs de sciences et des représentants des autres Facultés, ont accompagné au cimetière Montparnasse la dépouille mortelle de M. Chailan. On remarquait aussi tous ses élèves de cette année, et plusieurs de ses anciens élèves.

Après les dernières prières, M. Branly, doyen de l'Ecole des sciences, a prononcé l'allocution suivante :

Allocution de M. Branly, doyen de l'Ecole des Sciences.

Monseigneur, Messieurs,

Le collègue que nous avons la douleur de perdre si prématurément faisait partie depuis plus de vingt ans du corps enseignant de l'Institut catholique. Il suivait en 1891 les cours de mécanique rationnelle que M. Vicaire, l'ingénieur des Mines bien connu, faisait alors chez nous d'une façon magistrale. M. Vicaire distingua les aptitudes de son élève, le signala à Mgr d'Hulst et l'introduisit comme répétiteur de son cours. Après la retraite de M. Vicaire, M. Chailan fut choisi pour continuer l'œuvre pédagogique de son maître. Son enseignement ne pouvait pas présenter la profondeur de vues qui assurait à M. Vicaire une place toute spéciale parmi les savants de son époque, mais M. Chailan s'attribua sans aucune prétention un rôle plus modeste. Ce rôle répondait d'ailleurs à des besoins immédiats; les collèges libres réclamaient de nombreux professours, M. Chailan se proposa d'abord d'atteindre de la façon la plus pra tique le résultat de leur préparation. Trouver la forme la plus nette et la plus saisissante pour exprimer les principes de la mécanique, la forme la

plus réduite pour développer les calculs mathématiques de l'astronomie, présenter la solution d'un problème sous l'aspect le plus propre à faire pressentir la marche à suivre dans des cas analogues, tel était l'objet constant de ses préoccupations. Plus soucieux du succès de ses élèves que de son renom scientifique personnel, il ne comptait pas sa peine pour réduire au minimum leurs efforts; il les soutenait, les encourageait, et ses auditeurs goûtaient fort sa familière simplicité.

Dans les inspections des collèges libres des diocèses de Bourges et de Besançon où il accompagnait notre ancien vice-recteur, M. l'abbé Bousquet, M. Chailan rendait encore à l'Institut catholique des services très appréciables.

En dehors de ses obligations professionnelles, M. Chailan suivait attentivement tous les progrès; les analyses d'ouvrages scientifiques variés qu'il publiait dans le Polybiblion témoignaient de son érudition très étendue.

M. Chailan était serviable, bon, très charitable. Ses amis et ses collègues sont unanimes à joindre leurs regrets à ceux de sa veuve et de sa famille. Il aimait l'Institut catholique, l'Institut catholique gaidera religieusement son souvenir.

Voyage à Rome de Mgr le Recteur

Comme presque chaque année, le Recteur a profité des vacances de Pâques pour se rendre à Rome, afin de présenter au Saint-Père son rapport sur l'Institut catholique et d'entendre ses avis.

Arrivé le 14 avril au soir, il a été reçu dès le 15 au matin par S. E. le cardinal Merry del Val qui a daigné le retenir près de trois quarts d'heure et lui témoigner une pleine confiance. Reçu le même jour par le nouveau préfet de la Congrégation des Etudes, S. E. le cardinal Lorenzelli, il a eu le bonheur de le trouver animé des sentiments les plus bienveillants pour notre pays, notre grande capitale et notre Institut, dont il a gardé le souvenir le plus exact. Le cardinal, déjà mis, par M. l'abbé Peillaube, doyen de la Faculté de philosophie, au courant de ce que nous avons fait pour en assurer la prospérité, nous a chaudement félicités et nous a donné les conseils les plus précis et les plus utiles pour la direction qu'il convient de donner aux études. Il a résumé sa pensée en ces termes : « L'essentiel pour les Universités catholiques, c'est de former des hommes de doctrine, qui la possèdent à fond et soient capables de la répandre, beaucoup plutôt que de courir après les grades et les succès universitaires; ceux-ci sont utiles, en raison de l'autorité et des droits qu'ils confèrent; mais c'est un but secondaire. >>

S. E. le cardinal Gasparri s'est montré plein d'affection pour ses anciens confrères et pour l'Institut catholique, dont il suit les progrès avec la plus minutieuse attention. S. E. le cardinal Billot a daigné nous accorder lui aussi, ainsi qu'à M. le vice-recteur, son ancien élève, une longue et bienveillante audience. Enfin S. E. le cardinal de Lai, malgré les écrasantes

occupations qui pèsent sur lui, n'a pas craint de consacrer près d'une heure à s'entretenir avec nous de nos affaires.

Le secrétaire de la Congrégation des Etudes, Mgr Dandini, avec sa bonne grâce accoutumée, nous a promis son concours le plus actif pour la solution des questions que nous avons proposées à son examen.

C'est le 22 avril, immédiatement après notre aimable et bon archevêque protecteur, Mgr Chesnelong, que nous avons eu le bonheur d'être reçu par le Saint-Père. Nous l'avons trouvé plein de vie et de santé, d'une vivacité d'allure telle qu'il nous a semblé plus jeune que lors de notre dernière audience, il y a deux ans. Le recteur a été confus et ému des témoignages de paternelle bonté et de confiance que lui a prodigués le Saint-Père, à l'occasion de tous les incidents heureux ou pénibles qui ont marqué ces deux dernières années. Il a remis au Pape un exemplaire de la Vie de Mgr d'Hulst et un exemplaire du remarquable ouvrage de M. l'abbé d'Alès, sur l'édit de Calliste. Déjà mis au courant de nos affaires par S. E. le cardinal secrétaire d'Etat, Pie X nous a surtout interrogé sur l'état d'esprit de nos étudiants. Il s'est fort réjoui du nombre et de la qualité des vocations ecclésiastiques qui se sont produites chez nous, surtout cette année. Le Pape demande à nos étudiants de mener une vie morale exemplaire et de recourir souvent aux sacrements; qu'ils appartiennent à tel parti politique honnête que bon leur semblera, mais qu'avant tout ils soient bons chrétiens, et qu'ils n'oublient jamais, ni nulle part, cette qualité de chrétiens. Nous osons espérer que tous nos étudiants entendront cet appel de leur Père.

Le Pape a daigné revenir sur les raisons qui l'avaient déterminé à nous imposer, pour le bien d'une Université-sœur, le dur sacrifice de trois diocèses bretons. Il l'a fait dans les termes les plus consolants pour nous et s'est enquis minutieusement des ressources que la Providence nous a envoyées depuis lors.

Pie X nous a dit qu'il était content de l'Institut catholique de Paris. Il a tenu à nous donner une preuve de sa satisfaction, en élevant trois des nôtres à la haute dignité de commandeur de Saint Grégoire le Grand : M. Laurent, professeur à la Faculté de droit, M. Digard, professeur à la Faculté des Lettres, M. Lavollée, président de l'Association des Amis de l'Institut catholique.

Il a en outre accordé à M. Baulès, secrétaire-adjoint, la médaille Bene merenti et à M. l'abbé Foucher, directeur de la Maison de famille et conservateur des collections d'histoire naturelle, la médaille pro Ecclesia et Pontifice.

A la fin de l'audience du recteur, M. Lavollée a été introduit et a pu présenter lui-même au Pape les hommages de l'Association des Amis. Avant de quitter Rome, nous avons tenu à présenter à S. E. le cardinal Cassetta, précédemment préfet de la Congrégation des Etudes, l'expression de notre reconnaissance.

Après une dernière audience de S. E. le cardinal Merry del Val, nous avons repris le chemin de Paris, singulièrement encouragé par les multiples témoignages de la bienveillance du Saint-Siège et plus résolu que

jamais à promouvoir de toutes nos forces l'Institut dont nous avons la charge, avec le concours des distingués collaborateurs que le Saint-Père a bénis en même temps que nous.

ANALYSES DE COURS PUBLICS

COURS D'APOLOGÉTIQUE

La Psychologie de la Conversion

PAR M. L'ABBÉ MAINAGE

Première conférence. - La Conversion, phénomène de Psychologie religieuse Utiliser le phénomène psychologique de la conversion comme l'un de ces faits divins (facta divina) qui appuient du dehors, aux regards de la raison, l'existence de la Révélation surnaturelle, tel est le but que l'on se propose d'atteindre au cours de ces conférences. Jusqu'à présent, la conversion rentrait plutôt dans la catégorie des raisons subjectives de croire. On voudrait aller plus loin; transformer en un motif objectif de crédibilité. ce qui paraissait principalement capable de réagir sur le sentiment, par manière d'édification et d'exemple. Il suffira de placer le fait de la conversion en regard de toutes les causes psychologiques susceptibles de l'expliquer humainement. Et s'il se dérobe, s'il révèle une quantité troublante rebelle à l'analyse, on n'aura plus qu'à l'identifier avec la véritable cause, c'est-à-dire, la cause transcendante, divine dont il se réclame.

Mais l'entreprise est-elle réalisable? Pour qu'elle le soit, il faut, d'une part, que les lois de l'activité psychologique nous soient suffisamment connues; il faut, d'autre part, que le phénomène en question soit lui-même accessible à notre connaissance.

A. Sans doute la psychologie expérimentale comporte actuellement bien des lacunes. Les constructions sont provisoires. Les points de vue se renouvellent. Néanmoins les cadres généraux sont assez solidement fixés.

Un phénomène psychologique ne peut être attribué qu'à deux groupes de causes les unes, externes, se rattachent à ce que nous appellerons, sauf à préciser le sens des termes, le milieu, l'ambiance sociale; les autres, internes, sont plus complexes et se diversifient suivant la nature des facultés qui entrent en jeu l'intelligence, ou, d'une manière plus générale encore, les représentations abstraites (idées), ou concrètes (images, sensations) et les facultés motrices (volonté, émotions, passions). Puis, au delà et au-dessous de ces activités conscientes, la région mystérieuse du subconscient. Enfin, représentations et impulsions peuvent être normales ou anormales, saines ou morbides, et ce dernier aspect nous donne lieu d'introduire la catégorie de toutes les altérations qui affectent l'exercice de l'activité psychique. Et c'est déjà beaucoup d'avoir la certitude qu'un phénomène de conscience se mouvra à l'intérieur du cercle dont on vient

de délimiter les segments. Au surplus, l'Apologétique, parcela seul qu'elle est tributaire d'une foule de sciences, ne peut dépasser les conclusions que ces sciences lui fournissent. Et cette dépendance n'est pas une infériorité, puisque, par ailleurs, il existe des motifs de crédibilité indestructibles, ces signa certissima (miracles et prophéties) dont nous parle le saint Concile du Vatican.

B. La conversion est-elle un fait psychologique accessible à notre connaissance? Cette question se démembre en trois parties:

1o Comment discerner, dans la masse des faits similaires, la conversion authentique? Le souci de donner à nos inductions une valeur indiscutable nous impose de procéder avec la plus grande prudence. Une erreur d'information suffit quelquefois à dénaturer la physionomie d'une enquête. Pour éviter de courir ce risque, nous adopterons comme criterium de la vraie conversion: l'intégrité (foi et pratiques religieuses) et la durée.

2o Ce n'est point assez de discerner les vraies conversions des conversions fausses ou douteuses. Il s'agit de savoir si le fait psychologique lui-même se prête aux exigences d'une analyse rigoureusement scientifique; si, entre la conscience réelle du converti et son document révélateur (autobiographies), il y a adéquation réelle; si, de bonne foi, nos confidents ne se trompent pas, s'ils se connaissent bien; si, durant la crise religieuse, ils ont le loisir de s'analyser, et si, après la crise, ils ne cèdent pas à la tentation de projeter sur le passé leurs préoccupations actuelles; si enfin la crainte ne retient pas sur leurs lèvres des aveux qu'il leur répugne de soumettre à la curiosité plus ou moins discrète du public. Tous ces points ont été discutés dans l'Introduction à la Psychologie des Convertis1. En somme, s'il est difficile de démêler, à travers les lignes d'un récit autobiographique, le caractère propre d'un cas de conversion, les obstacles à vaincre sont loin d'être insurmontables.

3o A supposer que la conversion soit objet de connaissance scientifique, quelle méthode convient-il de lui appliquer pour lui donner la valeur d'un argument apologétique?

Il faut avouer que le matériel documentaire dont nous disposons est relativement restreint. Mais, grâce à Dieu, le but que nous poursuivons n'exige pas que nous ayons passé au crible de la critique tous les cas de conversion. Nous nous proposons d'identifier les vraies causes de ce fait psychologique. La marche à suivre nous est donc nettement indiquée : nous devons procéder par élimination, par exclusion. Or en matière de raisonnement négatif, un seul cas bien constaté suffit logiquement à faire crouler l'affirmation contraire. S'il était un jour avéré qu'un seul corps lourd, abandonné à lui-même, agissant en vertu de sa masse et indépendamment de toute influence, n'est pas tombé, la loi de la gravitation universelle serait périmée. Il n'est point de théorie, point de généralisation qui ne cède à la brutalité d'un fait scientifiquement établi, d'une expérience scientifiquement vérifiée. Certes, abondance de faits ne nuit pas. En stricte

1. Paris, Gabalda, 1913, vol. in-12 de vi-129 pages.

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