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dans la paix, tandis que le monde se débat dans la sombre et sanglante tempête que vous aviez voulu conjurer. Priez pour nous qui combattons encore, forts du souvenir de ce que vous avez été, de ce que vous avez fait. Vous vivrez aussi dans la mémoire de l'Église et de l'humanité, grand de la grandeur des hommes droits et saints, grandeur qui, de toutes, est la plus impérissable et la plus vraie.

ALFRED BAUDRILLART.

Benoît XV

Le jeudi 3 septembre 1914, le Sacré Collège a élu pape le cardinal Giacomo della Chiesa, archevêque de Bologne. Les circonstances que nous vivons donnaient à ce Conclave une grandeur tragique. Le pontificat du nouvel élu commence en effet à un moment décisif de l'histoire du monde. « Les soixante vieillards enfermés au Vatican, écrivait-on, n'ont pas à se préoccuper seulement du sort de l'Eglise; ils ont à pourvoir aussi aux infinies conséquences que la crise actuelle doit produire dans l'ordre des choses politiques et internationales... Le futur Pontife aura un rôle immense à jouer puisque, à l'heure de la paix, il parlera au nom de la Paix. Les lentes et pénibles conférences qui au xvIIe siècle aboutirent aux traités de Westphalie furent présidées par les légats du Saint-Siège, et l'Europe, sous cette haute égide, se rassit sur elle-même pour de longues années... Les intérêts de l'Idéal ne peuvent pas être exclus de ces graves délibérations. N'est-il pas permis de penser qu'il pourrait en être de même au moment où les armes tomberont des mains, après une guerre où tous les genres de violence précipiteront rapidement les inexprimables épuisements? Alors une parole pourra s'élever et réfréner le tumulte des armes. Si cette parole doit être européenne, pourquoi ne serait-elle pas en même temps pontificale? Le choix du futur pape peut avoir cette portée. Ces graves pensées que nous empruntons à M. Hanotaux, ancien ministre des Affaires étrangères, étaient dans tous les esprits quand s'ouvrit le Conclave de 1914.

On cherchait dans l'auguste sénat de l'Église celui qui serait à la hauteur d'une pareille tâche. On indiquait des noms, on énumérait les titres, on pesait les chances... Timidement quelques-uns glissaient le nom du cardinal della Chiesa. Mais il est trop jeune cardinal; depuis trois mois seulement il fait partie du Sacré Collège. Les cardinaux ne s'arrêtèrent point à cette minime difficulté, et dès le troisième jour du Conclave ils élurent le cardinal della Chiesa qui, en souvenir de Benoit XIV, son prédécesseur sur le siège de Bologne, prit le nom de Benoit XV.

Ce fut dans l'univers catholique une surprise joyeuse et une approbation unanime. Le passé du nouveau pape est si bien fait pour donner confiance

à tous! et quand on connut les étapes et les détails de sa belle vie, on vit bien que Dieu le préparait à la grande tâche.

Il avait quitté depuis cinq ans l'Académie pontificale des nobles ecclésiastiques quand le futur cardinal Rampolla l'appela auprès de lui à la nonciature de Madrid. Mais bientôt le nonce d'Espagne devenu cardinal fut mis par Léon XIII à la tête de la secrétairerie d'État. Dans ces hautes et délicates fonctions il ne voulut pas se séparer du jeune secrétaire dont il avait pu mesurer toute l'activité et apprécier la finesse et le tact, et Me della Chiesa le suivit donc au Vatican. Étroitement associé aux travaux, aux projets, à la vie du grand cardinal qui fut à la fois un politique et un saint, dans cette école de diplomatie et de haute politique, mais aussi et plus encore peut-être d'abnégation, de vertu, de vie sacerdotale parfaite, le jeune secrétaire se préparait sans le savoir à ses hautes desti

nées.

« Ces vingt années à la secrétairerie d'État, écrivait dernièrement un publiciste, furent pour Ma della Chiesa une vie de large observation et du plus intense labeur. Ceux qui n'ont pas vécu à Rome entre 1890 et 1903 ne peuvent que difficilement se faire une idée de ce qu'était alors le Vatican. Toutes les nations, tous les gouvernements du monde avaient les yeux fixés sur Rome et sur Léon XIII: nulle grande affaire où le pape ne fût mêlé, dont il ne voulût être minutieusement et quotidiennement informé. Souverains et chefs d'État entretenaient avec le chef de l'Église des relations continuelles et de fréquentes correspondances. Par un miracle de son intelligence lumineuse et de sa tenace volonté, Léon XIII avait fait encore une fois du Vatican le centre de l'univers politique; et le centre même du Vatican, c'était l'office pontifical des affaires extérieures, la secrétairerie d'Etat.

« Lorsque des publications, comme celle que prépare le comte Soderini, auront fait connaître au public tous les détails de la vie et du règne de Léon XIII, on comprendra mieux ce que fut, durant quinze années d'un ministère ininterrompu, la tàche de Rampolla et de ses collaborateurs. Léon XIII, dont la rapidité de conception, ou plutôt de vision, tenait du merveilleux, ne se décidait point promptement. Génie de synthèse et d'action, plus frappé de l'ensemble qu'attentif au détail, il avait pour méthode d'« essayer » sur ses confidents chacun des « états » successifs de sa propre pensée, en le leur proposant chaque fois comme définitif. Le secrétaire d'Etat quittait l'appartement du pape, emportant le projet qu'il s'agissait de développer et de mettre en œuvre. Lorsqu'il venait soumettre à Léon XIII le résultat de ce travail, il s'apercevait que le pape n'était déjà plus dans l'état d'esprit où il l'avait laissé. De nou'velles réflexions avaient fait surgir un projet nouveau et tout était à recommencer. A ce jeu, Léon XIII usa rapidement plusieurs ministres : il ne parvint ni à user, ni même à rebuter Rampolla, que soutenaient, en même temps que sa puissance de travail et l'énergie de sa pensée, un dévouement passionné à la personne de son maître et une soumission religieuse, presque mystique, à l'autorité du vicaire de Jésus-Christ. Sans

impatience ni découragement, Rampolla montait et redescendait plusieurs fois par jour l'escalier qui mène de la secrétairerie d'État à l'appartement pontifical. Et souvent chacun de ces voyages était le point de départ d'un travail entièrement nouveau : travail énorme, qui devait être fourni dans un délai de quelques heures. M« della Chiesa devinait en peu de paroles la pensée de son chef. Grâce à la méthode qu'il avait apprise de lui, le matériel était aussitôt rassemblé, les points importants dégagés et mis en relief, les arguments découverts et exprimés conformément à la dernière solution que le pape avait choisie. Rampolla ne pouvait plus travailler sans avoir à son côté M della Chiesa et, en 1901, il l'avait fait nommer substitut du secrétaire d'Etat. On devine quelle expérience étendue et profonde fut le résultat de cette étroite et laborieuse coopération. >>

Mais il fallait à celui qui devait être un jour le pasteur suprême, l'Évêque des évêques, un contact plus immédiat avec tout le détail du ministère pastoral et avec les âmes elles-mêmes.

En 1907, le cardinal Svampa étant mort, Pie X nomma le substitut archevêque de Bologne et voulut le sacrer lui-même dans la chapelle Sixtine. L'héritage était lourd à recueillir. Bologne, foyer de modernisme, passait pour le centre le plus important de ce mouvement démocratique-chrétien que le Saint-Siège, depuis l'avènement de Pie X, avait énergiquement combattu. Depuis lors, les progrès menaçants du socialisme syndicaliste et anticlérical, à Bologne et dans toute l'Emilie, dus à de multiples causes que nous ne pouvons analyser ici, aggravaient les difficultés.

«En face de ces conjonctures délicates, l'attitude du nouvel archevêque fut irréprochable. Ainsi que le cardinal Rampolla, M della Chiesa ne savait transiger, ni avec les principes, ni avec les ordres; son tempérament d'aristocrate lui inspirait d'ailleurs une certaine méfiance à l'égard des nouveautés sociales et politiques. Il s'efforça de la tempérer par une bienveillance toujours égale envers les personnes et un équitable souci de tous les intérêts, matériels et moraux, qui étaient confiés à sa garde. Il réussit à ne blesser personne et à ne rien compromettre. Il y a peu de mois encore, j'entendais louer dans un salon romain la sage administration de l'archevêque de Bologne par une voix singulièrement autorisée, celle de l'excellent marquis Tanari, qui fut longtemps maire de la capitale de l'Emilie, et dont les socialistes, venus depuis au pouvoir, ne feront pas oublier de sitôt le libéral et fécond gouvernement. L'ancien maire de Bologne rendait hommage aux qualités actives et pratiques de l'archevêque, et s'étonnait qu'un homme absorbé si longtemps par les travaux et les soucis de la grande politique eût remporté d'emblée, dans un milieu difficile, un égal succès comme administrateur et comme pasteur d'âmes. » Rompu à tous les secrets de la politique contemporaine, pasteur ferme mais avisé, jeune encore pour un pape - il n'a que soixante ans, sous des apparences frêles et délicates d'une santé qui ne redoute ni les labeurs ni les veilles, doué d'une mémoire qui ne sait pas oublier, et par-dessus tout admirablement pieux, le cardinal della Chiesa apparut à ses collègues comme l'homme de la Providence.

Une fois de plus les politiques diront « que le Conclave n'a jamais manqué à la haute règle de sagesse et d'opportunité qui fait se succéder, sur le Saint-Siège, les aptitudes personnelles qui conviennent le mieux aux circonstances » et les fidèles béniront le Christ qui a promis d'être avec eux jusqu'à la consommation des siècles dans la personne du Pontife suprême. J. VERDIER.

DISTRIBUTIONS DE PRIX

Au mois de juillet Nosseigneurs les évêques de Séez et de Coutances avaient fait à Mgr le Recteur l'honneur de lui demander de présider plusieurs de leurs distributions de prix: celles de l'école Saint-François de Sales et de l'école Notre-Dame à Alençon, de l'Immaculée-Conception à Flers, de l'école Saint-Paul à Cherbourg, où Mgr Baudrillart a également présidé la séance solennelle des Conférences de Saint-Vincent de Paul. Mgr Baudrillart a été profondément touché de l'accueil que lui ont fait le corps enseignant, le clergé, les élèves et leurs familles, dans ces diocèses et ces maisons si fidèles à l'Institut catholique.

A Paris, ou aux environs, Mgr le Recteur a en outre présidé les distributions de prix du catéchisme de persévérance des garçons à Saint-Sulpice, du Cours de jeunes filles de Mesdemoiselles Valton, de l'Institution moderne à Enghien, et enfin du Collège Stanislas.

LA

RENTRÉE SCOLAIRE ET LE DEVOIR DES CATHOLIQUES

De toutes parts, on annonce la réouverture de nos établissements d'enseignement de tous ordres, écoles primaires, collèges, Universités catholiques. Ceux qui les rouvrent font un acte de courage, puisque, dans les circonstances présentes, il est de toute évidence qu'ils courent purement et simplement au-devant de sacrifices fort lourds qui s'ajouteront à tous les autres. Au courage des protecteurs et des maîtres de ces établissements doit correspondre le courage des familles. Je ne parle pas des enfants et des jeunes gens; il y a chez eux tous une juvénile ardeur et chez les moins âgés une insouciance qui les met, grâce à Dieu, au-dessus de toutes les peurs. Ils comprendront que, puisqu'ils ne peuvent pas servir la patrie aujourd'hui de la même manière que leurs aînés, ils n'ont qu'une (1) Publié dans la Croix du 10 octobre.

chose à faire; se préparer de leur mieux, dans l'obscurité de leur école, à la bien servir un peu plus tard. Mais les familles peuvent se laisser prendre à des craintes et à des sòphismes, je parle surto ut, soit dit sans les offenser, de ces familles bourgeoises qui ont toujours éminemment pratiqué chez nous la vertu de prudence. Oh! je sais qu'elles donnent de bon cœur leurs fils aux armées, et certes et Dieu en soit béni! il n'y a pas, à ce point de vue, de distinction entre les Français. Mais leurs autres enfants? Faut-il les exposer aux aléas, aux vicissitudes que comporte la guerre? Gardons-les chez nous! Couvons-les! Couv ons-les! Les couver pour en faire des hommes? Allons done! Rendez-vous carrément où vous devez vous rendre, même si la ville ou la région ne sont pas à l'abri d'une hypothétique incursion. Etre là où on a son devoir d'état, ses occupations, c'est une des plus belles formes du courage, et moins bruyante, et moins encombrante que celle de beaucoup des dévoués et des sacrifiés d'aujourd'hui, dévoués et sacrifiés à des tâches de surérogation souvent d'une utilité douteuse. Je parle pour le père, pour la mère, pour l'enfant, puisque tous ont un devoir.

Autre tentation: se laisser aller aux charmes enchanteurs de la présente trêve des partis et profiter sans scrupule des avantages que l'école publique assure à ses clients. On ne leur fera pas de mal à nos petits tant que durera la guerre! C'est possible et je le veux croire.

Mais j'ose prier nos frères catholiques d'élever un peu plus haut leurs conceptions. A quoi pensent-ils qu'est dù le renouveau religieux dont nost cœurs se réjouissent, ce retour à la foi et à la pratique de tant de nos soldats, par exemple? A la crainte de la mort, disent quantité de gens qui, pour leur part, ne s'y exposent guère. A la crainte? sottes et malveillantes personnes! Non! Au spectacle présent de cette terrible réalité à laquelle d'ordinaire on pense peu, surtout à vingt ans, oui; et cela, ce n'est pas de la peur, c'est de la raison. On le disait récemment: il y a deux dettes à payer, la dette à la patric, ici-bas, la dette à Dieu, de l'autre côté: l'échéance est imminente, on y,pense.

Pourquoi cependant ceux qui pensent à l'autre dette en face de la mort le font-ils si facilement et si simplement en catholiques? Parce qu'ils vivent dans une atmosphère catholique. Or, qui a fait l'atmosphère catholique? L'enseignement chrétien, celui de l'Eglise, celui de l'école, celui du patronage. Qu'est-ce qui entretient cette atmosphère autour de nos soldats? Les vrais chrétiens, les vrais catholiques, avec les prêtres, bien entendu, qui sont dans leurs rangs. Et d'où viennent la plupart de ces vrais chrétiens? Des écoles libres à tous degrés. De leurs lèvres sortent et les paroles de foi et les prières rappelées et les bons conseils donnés.

O maîtres chrétiens, en dépit des reproches qu'on vous a parfois adressés si injustement, vous n'avez pas perdu votre temps! C'est vous, c'est vous qui avez préparé le retour à Jésus-Christ de la génération présente. C'est vous qui avez mis dans chaque coin de notre terre de France le sel qui l'a conservé, le ferment qui l'a fait lever. Continuez, votre tâche est belle et elle aura un très grand lendemain.

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