Page images
PDF
EPUB

... Grâce à cette manière de faire parler les choses, le préjugé d'une antinomie entre la raison et la foi s'établit avec le crédit d'une découverte et la dignité d'un postulat scientifique.

Mais il ne resta pas enfermé dans les revues savantes, il se répandit comme un article de propagande populaire; et rien n'est plus facile que de surprendre le glissement qui l'entraîne dans le domaine public.

Quand, dans un manuel de Morale à l'école (1), on représente nos premiers ancêtres comme des êtres sans intelligence, et je cite, Messieurs, « au crâne très bas », « brutaux », « stupides », « d'une cruauté terrible », << grossiers et malpropres comme des bêtes », « à peine vêtus », et que l'on conclut : « oui, enfants, voilà de quels ancêtres nous sommes partis », bien entendu toute la description est faite pour suggérer l'idée que l'homme n'est qu'un animal perfectionné par les acquêts des milliers d'années qu'on lui octroie. Et le voilà, le tableau qui contredit dans l'âme populaire celui que la foi lui présente, d'un être noble dès son origine, parce que Dieu souffla sur lui en disant « faisons l'homme à notre image ». Mais d'où vient-il ce tableau populaire, qui accuse d'infidélité celui de la tradition religieuse? Vous le trouveriez tel quel dans l'ouvrage de Gabriel de Mortillet sur La Formation de la nation française, qui a excité la fine ironie du regretté de Lapparent.

Et quand on exorcise le miracle de nos livres élémentaires d'Histoire, que Jeanne d'Arc « croit entendre » dans la deuxième édition les voix divines qu'elle « entendait » effectivement dans la première; que Clovis se fait baptiser par politique, pour se concilier les évêques, réflexion faite, au lieu de se rendre à l'évidence d'un miracle, comme il faisait autrefois; que Jésus-Christ, pris entre deux histoires, celle de l'antiquité, et celle des temps modernes, disparait à peu près dans l'interstice des deux, comme un objet non classé; qu'enfin un homme du peuple peut lire toute l'histoire du monde qu'on lui a mise entre les main's, sans réussir à y voir un de ces faits surnaturels que l'enseignement qu'il reçoit à l'église prétend pris et visibles dans la trame des événements, comment, encore ici, s'est formée à l'usage de tous cette image où la contradiction s'affirme de nouveau ? Eh! Messieurs, c'est que du Sinaï d'où nous avons reçu la loi, sans.oser seulement lever les yeux, il nous est venu que « il est clair, non pas par des raison a priori, etc..., qu'il n'y a jamais eu de fait surnaturel ».

M. René Bazin, parlant de sa génération, disait cette année même à des étudiants: « Nous avons été victimes, d'abord, d'une histoire falsifiée... Henri Martin, Michelet, Louis Blanc, Vaulabelle étaient les historiens classiques, les fournisseurs de l'enseignement français... Eux et quelques autres, ils se partageaient le monopole de l'histoire... Sans doute, il n'était pas impossible de trouver des jugements plus équitables; mais il fallait être avisé que les oracles officiels ne disaient pas la vérité. Combien de

(1) J. PAYOT : La Morale à l'école, p. 2 sq.

(2) Allocution au banquet de l'Association des anciens étudiants de l'Institut catholique de Paris, 18 février 1913.

Français ont vécu et sont morts sans même s'en douter, ayant eu au cœur les haines ou les préventions les plus injustes!» (2)...

... Ne remarquez-vous pas, Messieurs, que si le sentiment religieux renaît aujourd'hui parmi nous, c'est peut-être surtout dans les classes cultivées, c'est-à-dire celles où cette interprétation abusive du monde perd son crédit; où l'image matérialiste, fatale et dure, prise pour portrait authentique des choses, semble une longue mystification; où l'on voit réapparaître dans l'histoire, dans la nature, et dans l'âme, la loi d'amour et le regard de paternité. Le cœur se reprend à tressaillir parce que l'esprit est désabusé. Oh! je ne veux pas sonder les miséricordes ineffables de Dieu ; et ce n'est pas à moi de dire les voies par lesquelles, au printemps, il amène les pleurs de la sève sur une nature qui paraissait morte. Mais cependant, si tant d'âmes partout sentent de nouveau pleurer en elles l'instinct filial, ne puis-je pas remarquer que c'est au moment où l'atmosphère devient pour l'esprit plus lumineuse et plus pure?

Mais alors, Messieurs, si l'expérience nous montre tout le travail de l'esprit lié au salut des âmes, il s'ensuit que l'Eglise ne peut aucunement s'en désintéresser, mais qu'elle doit pénétrer dans tous les domaines de la recherche.

Trop souvent il nous est arrivé, au nom de la linguistique, de l'exégèse, de l'histoire, de l'anthropologie, des messages qui ont jeté le désarroi dans les consciences, et qui étaient faux. Qu'aurait-il fallu pour épargner aux consciences ce trouble et ce détriment? Uniquement découvrir l'erreur, où elle était. Mais nous n'avons pas toujours su le faire, n'entendant pas nous-mêmes le langage de ces sciences, et livrés à la discrétion de ceux qui avaient autorité d'interprètes officiels.

-

Or, la bouche bée dans l'attente de l'oracle d'un maître, dont savonsnous s'il n'est pas à la merci d'un préjugé, ou d'un système?· ce ne doit être en aucun cas notre attitude. Et c'est pour nous, en ce sens, qu'a été écrit le mot de fierté du poète :

Nullius addictus jurare in verba magistri1.

Il faut à l'Eglise son autonomie intellectuelle.

Et cela ne signifie pas, certes, qu'elle soit seule à détenir le savoir; si cela fut, cela n'est plus. Mais une nation autonome n'a aucune prétention à exister seule, mais simplement à étre la maitresse de ses frontières.

Le catholicisme est une doctrine, et cette doctrine a contact avec tout le domaine de la pensée; car ceux qui prétendent qu'il y a solution de continuité entre leur pensée et leur foi, ceux-là ne sont pas des chrétiens sincères. Il ne faut donc pas que ces frontières soient découvertes aux attaques qui pourraient surgir de partout, et dont des âmes seraient les victimes.

Je sais que tout esprit sincère, en travaillant pour la vérité, travaille, même sans le vouloir, pour l'Eglise. C'est incontestable. L'Eglise trouve des auxiliaires partout, même très loin d'elle.

[blocks in formation]

Mais elle n'a pas voulu qu'une chose si importante pour sa vie dépendît des auxiliaires qu'elle trouve ou ne trouve pas, que ce service fût assuré par des contributions plus ou moins aléatoires. Elle a cru qu'elle devait compter d'abord sur elle, et organiser elle-même ce service de la science. Et elle l'a toujours fait, par ses Universités dès le moyen âge, par ses grands. Ordres savants; et elle l'a si bien toujours fait, que longtemps elle fut toute seule à le faire.

Un pays dont la sécurité est garantie par la bonne volonté de ses voisins n'est pas un pays libre complètement, ni sûr de son avenir. Sans doute il fait l'économie d'une armée, mais il n'est pas le maître absolu de ses destinées.

Regardez, Messieurs, ce qui se passe chez les grandes nations européennes. Depuis plus de quarante ans, elles n'ont pas eu de guerre qui les mette aux prises. Elles affirment toutes qu'elles n'en veulent pas. Comptez néanmoins les dépenses qu'elles font, uniquement en vue de l'échéance possible du jour où elles se verraient disputer fùt-ce un pouce de leur territoire, que toutes elles proclament sacré. Or, y a-t-il un citoyen digne de ce nom, qui proteste contre ces dépenses, folles à se placer au point de vue du boire et du manger, et du bien-être individuel? Dès lors qu'une population n'est plus à l'état de peuplade, mais de nation, tous les citoyens ont un sens aigu de la solidarité qui les unit dans le service de la nation, contradictoire parfois de leurs avantages immédiats, mais qu'ils sentent plus haut que leurs intérêts.

Et moi, voyant dans nos Universités catholiques l'organisation par les évêques de France de ce service de la science sacrée et profane, et combien leur prospérité est liée à la vie, à la dignité, à l'avenir de la patrie de nos âmes et de nos esprits, je m'étonne que le sens patriotique ne nous révèle pas mieux notre devoir.

A la rentrée de 1892, à l'Institut catholique de Paris, un évêque rapporta à Mgr d'Hulst pauvre Mgr d'Hulst! que dans certaines régions les curés osaient à peine annoncer la quête je cite << tant l'indication de son objet serait peu comprise et mal accueillie' ». Et je crois, remarquez, que les curés traduisaient bien, et sans aucun doute en les déplorant, les dispositions et les propos de leurs gens. Mais, au point de vue catholique, il me semble que ce sont dispositions de peuplades, et propos d'hommes des bois.

Et quand vingt ans après 1892, les marguilliers de la paroisse s'avisent, en faisant la quête prescrite par l'évêque, d'en changer seulement le but et de substituer à l'Université catholique le charbon du calorifère, vous croyez peut être, Messieurs, que je ne les comprends pas? Mais au contraire, j'évoque un village encerclé de neige et les paroissiens givrés arrivant à l'appel des cloches. Et je comprends très bien qu'il n'y a pas, en un sens, de comparaison à établir entre le bienfait qui revient aux fidèles de la douce chaleur de la nef, et celui de la démonstration faite que la deuxième

1. Mgr BAUDRILLART: Vie de Mgr d'Hulst, p. 522..

[ocr errors]

aux Thessaloniciens est authentique, et que M. Holtzmann a donc tort. Oui, Messieurs, je le comprends d'abondance; mais je le déplore.

Et quand un père de famille catholique choisit pour son fils une Université qui n'est pas catholique, parce qu'il attend de cette démarche tel bénéfice, vous croyez que je ne le comprends pas, encore une fois ? Mais au contraire, c'est si simple, c'est tout bonnement ce qu'on appelle l'égoïsme, cela court les rues. Mais ce n'est pas avec cela qu'on fait les grandes choses.

Quand les évêques de Belgique ont restauré l'Université catholique de Louvain, il y a trois quarts de siècle, vous savez que les actions de la Société furent émises à un franc, pour bien marquer que cette œuvre de haute science était conçue comme une œuvre populaire, comme une entreprise nationale. Et pour l'avoir ainsi comprise, les catholiques de Belgique y ont gagné la nation même ; et c'est justice.

Voilà la vérité pour nous aussi. Nos Universités catholiques sont une œuvre nationale, une œuvre populaire. Qu'on ne dise pas, pour se défendre de nous connaître, «< nous avons nos écoles libres >>. Non, qu'on n'oppose pas l'un à l'autre, de grâce! Comment ne voit-on pas que, maîtres des trois degrés de l'enseignement catholique, nous sommes travailleurs du même champ! Quand vous, curé de campagne, trouverez dans le manuel de vos petits enfants une erreur de fait capable d'ébranler leur foi, est-ce vous, ou bien est-ce votre instituteur libre qui porterez votre contrôle jusqu'à la source? Vous est-il indifférent que cette erreur apparaisse au regard du peuple avec la majesté empruntée de la science, ou avec le bonnet d'âne de l'ignorance?

Qu'on ne dise pas « ceci est trop haut pour nous qui habitons modestement le pays plat ». Ceux qui s'abreuvent au fleuve sont-ils désintéressés de la pureté de la source?

Qu'on ne dise pas : le pain d'abord, le luxe ensuite; car est-ce un luxe, l'œuvre de la vérité ? Mais il me semble au contraire que c'est le pain dont nous vivons tous.

Je voudrais qu'il n'y eût catholique en France qui ne se sentît solidaire de l'œuvre des Universités catholiques ; et je voudrais simplement qu'on entråt dans le mouvement de pensée qui aboutit à la loi de 1875. La question de la liberté de l'Enseignement supérieur fut posée pendant tout le cours du xixe siècle ; ce qui la fit aboutir, c'est la pression des évènements tragiques extérieurs et intérieurs, quand, sans abandonner l'espoir que l'on plaçait dans les constitutions politiques, on se rendit compte que ce dont la France avait le plus besoin, c'était d'une nouvelle constitution des esprits, que cette restauration, la plus difficile de toutes, devait être aussi la plus efficace. Et les Universités catholiques, dans la pensée de leurs fondateurs, ont été les instruments opportuns pour ramener au christianisme l'esprit public.

Et au fait, Messieurs, quand on pense aux âmes qui s'éloignent du christianisme, uniquement parce qu'elles ne le connaissent pas dans sa

vérité, et parce que l'image qu'elles en ont vue est infidèle ; à tant d'affirmations téméraires qui ont pesé sur les esprits comme un cauchemar et se sont évanouies ensuite à la lumière, mais après des heures douloureuses et fatales; que nous avons la vérité, que nous en sommes sûrs, que toute science doit lui rendre témoignage et qu'il suffirait seulement de faire sortir ce témoignage à la lumière, on se sent pris d'une ardeur violente de travail, et d'un immense espoir, comme aussi d'une grande confiance dans notre œuvre, pour ce qu'elle a fait déjà, pour ce qu'elle pourrait faire surtout, n'étant encore, faute d'être comprise, que l'ébauche de quelque chose de grand... >>

CONFÉRENCES ET COURS PUBLICS

DU MOIS DE FÉVRIER 1914

Le lundi, à 3 h. 1/4

CONFÉRENCES JULES LAIR

Les Institutions et la société au temps de Louis XIV, par M. Léon LECESTRE 2 et 9 février. Le surintendant Foucquet.

16 février.

2 février. 9 février. 16 février. 23 février.

3 février. Charles Ier.

[blocks in formation]

La Réforme et le Catholicisme en Angleterre sous les Stuarts,
Charles Ier (1625-1649), par M. l'abbé CONSTANT

Situation de l'Anglicanisme et du Catholicisme à l'avènement de

17 février. Le roi. tiques et religieux.

[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »