Page images
PDF
EPUB

DE

L'INSTITUT CATHOLIQUE
CATHOLIQUE DE PARIS

M. GUIBERT

Avec les fonctions du recteur, il n'en est pas, au sein de nos Universités catholiques, de plus lourdes en responsabilités, de plus importantes et de plus efficaces dans leur action que celles de supérieur du Séminaire universitaire. A celui qui en est chargé incombe en effet la mission de diriger les jeunes ecclésiastiques qui viennent s'initier aux études supérieures et qui répandront ensuite leur science et leur doctrine dans quantité d'établissements d'enseignement, grands ou petits séminaires, universités ou collèges libres. Ils ont à prémunir ces jeunes gens contre l'enivrement de la science et contre la tentation de subordonner toute la vie de leur âme à celle de leur intelligence. La tâche est partout délicate; elle l'est à Paris plus qu'ailleurs, en raison même de l'intensité de la vie intellectuelle qui y règne et de toutes les séductions d'une telle capitale, séductions qui, en ce qu'elles peuvent avoir de mauvais, sont compensées par des avantages qu'on ne trouve nulle part ailleurs, mais contre lesquelles il importe d'être mis en garde par des guides très sûrs, très fermes et très clairvoyants. Chef du séminaire des Carmes, longtemps l'unique, toujours le premier et le plus important de nos séminaires universitaires, M. Guibert a rempli parmi nous, quinze années durant, ces difficiles fonctions et il l'a fait d'une manière excellente.

Recteur de l'Institut catholique, j'ai le devoir, au moment où la mort vient de nous l'enlever, de rendre le témoignage de notre gratitude à celui qui fut pour moi, comme il l'avait été pour mon prédécesseur, le plus actif, le plus éclairé, le plus précieux des collaborateurs. Et je le fais d'autant plus volontiers que je puis déclarer que, pendant les six années scolaires où nous avons ainsi travaillé en commun, M. Guibert et moi, pas un dissentiment ne nous a séparés 1.

Né à Aizenay, en Vendée, le 12 novembre 1857, de parents fermement chrétiens, Jean Guibert avait de bonne heure tourné ses regards vers le

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

sacerdoce. Admis au petit séminaire des Sables en 1871, il n'en sortit que pour entrer au grand séminaire de Luçon, en 1876. Une lettre touchante qu'il écrit à ses parents, le 29 mai 1877, pour leur annoncer qu'il vient de recevoir la tonsure, révèle à la fois son cœur et son esprit ; il y rappelle avec une humilité confiante les grâces qui, depuis sa petite enfance, l'ont conduit jusqu'à ce premier pas dans la sainte carrière; il y énumère aussi avec une remarquable lucidité les raisons qu'il a de préférer le service de Dieu à celui du monde; c'est didactique, comme le seront plus tard ses conférences spirituelles, et c'est d'inspiration très surnaturelle; pas une hésitation, pas un retour en arrière, pas un motif humain; et déjà il exhorte les siens ; il supplie ses parents de se détacher par l'esprit des biens de la terre, quoiqu'ils soient obligés d'y consacrer leurs labeurs. Mêmes pensées surnaturelles dans ses diverses retraites d'ordination, toutes pénétrées d'un amour de plus en plus tendre pour Notre-Seigneur et de cette vue chaque fois plus nette que le chemin du vrai prêtre ici-bas, c'est le chemin de la Croix. N'était-il pas dès lors prédestiné à l'éducation de ceux qui aspirent au sacerdoce et à la sainte compagnie qui en a fait l'objet unique de sa vocation? En effet, après avoir passé cinq ans, comme professeur, à l'institution Richelieu, il entra à Saint-Sulpice, le 3 octobre 1885. Sorti de la Solitude à la fin de 1886, il devint en 1887 professeur de sciences au séminaire d'Issy; il y resta dix ans.

Doué d'une rare autorité, il s'imposa rapidement; sa science ne pouvait pas être très personnelle, mais il s'assimilait à merveille ce qu'il lisait, le retenait sans peine, l'exposait clairement et de haut. Son esprit était toujours en mouvement; on le voyait à l'affût de tout ce qui se disait et s'écrivait; il aimait les esprits vifs et chercheurs ; il les excitait. Il avait le goût de la direction; sans jamais tomber dans les excès d'une sensibilité qu'il jugeait indigne d'un homme et d'un prêtre, il montrait, par les faits et par les services rendus, qu'il avait du cœur ; il savait relever et consoler. Faut-il être surpris qu'il ait eu des disciples ? Nous en avons connu qui volontiers n'eussent juré que par lui. A Issy, il écrivit de petits traités d'histoire naturelle et la première édition d'un livre qui a eu grand succès Les Origines.

Lorsqu'en 1897, dans les changements qui suivirent, à l'Institut catholique, la mort de Mgr d'Hulst, le moment parut venu de donner un successeur au vénérable M. Monier qui, depuis vingt ans, était à la tête du séminaire des Carmes, les supérieurs de Saint-Sulpice pensèrent tout naturellement à M. Guibert et cette désignation fut accueillie avec faveur. Ce n'était pourtant pas chose facile que de prendre la place de M. Monier; celui-ci semblait incarner l'esprit de la maison, dont il avait établi les traditions, après la disparition de l'ancienne Ecole ecclésiastique des Carmes. Esprit large et cœur chaud, en toutes choses sage et modéré, de bon conseil, fin lettré, humaniste comme on l'était jadis, déjà avancé en âge, ferme sans doute mais très paternel, il était aimé et vénéré de tous les anciens, consulté par une grande partie du clergé de Paris.

Avec des qualités très différentes, M. Guibert ne devait pas déchoir d'une

situation aussi haute, ni exercer, soit au dedans, soit au dehors, une influence moins étendue. Il apparut d'abord plus autoritaire, presque cassant; l'incomparable énergie dont il était doué, il semblait qu'il voulût à tout prix la faire passer dans ses subordonnés ; il exigeait de tous un maximum de travail. On maugréait parfois, mais on le suivait: c'était un entraîneur. C'est à partir de ce moment que sa propre activité donna elle-même tous ses fruits.

M. Guibert fut avant tout l'homme de son devoir d'état, et par conséquent d'abord un homme de communauté. La règle, dont il réclamait des autres l'accomplissement exact, il l'observait lui-même avec une attention minutieuse; il fallait qu'il fût bien malade pour manquer à l'oraison, ou à quelque autre exercice. Chaque jour il faisait lui-même la lecture spirituelle et il s'obligeait à y traiter toujours un sujet tiré de son propre fonds sans prendre aucun livre pour point de départ des réflexions qu'il aurait pu y ajouter. De là sont sortis la plupart de ses petits traités, où il mêle à l'exposé des principes tant d'observations fines et judicieuses. Sa parole virile, mordante et prenante s'emparait de l'attention.

Il suivait le travail de ses étudiants et s'imposait la lourde tache de revoir toutes leurs copies, quel que fût l'objet de leurs études. Suivant la spécialité de chacun, il donnait des conseils plus au moins techniques et précis, mais toujours sages et marqués au coin du bon sens.

[ocr errors]

Il se tenait constamment à la disposition des étudiants ecclésiastiques. Il dirigeait la conscience de presque tous et il apportait à ce ministère fermeté, clairvoyance et bonté. Appelé à la tête du Séminaire universitaire en un temps singulièrement périlleux, c'était l'époque de la crise moderniste, on ne saurait dire combien il a raffermi de jeunes esprits, sauvé de vocations sacerdotales. On l'a quelquefois trouvé trop indulgent en face de certaines tendances; il est vrai qu'il entrait autant qu'il le pouvait dans l'esprit de ceux qui lui présentaient leurs difficultés; mais c'était pour les prendre par où on pouvait les prendre et nullement pour leur faire d'imprudentes concessions de principes ou de doctrine; la vérité est qu'il les ramenait peu à peu dans la voie droite, et beaucoup lui en garderont une éter

nelle reconnaissance.

Dans la direction générale de l'Université, M. Guibert était pour le recteur un appui et une lumière. Il assistait à tous les conseils et y apportait, avec la connaissance exacte de ceux qui dépendaient de lui, d'utiles renseignements, de sages conseils et des vues intéressantes. Dans l'Institut catholique, il ne bornait pas son regard au Séminaire des Carmes : il s'intéressait à toute sa vie, se passionnait pour tout ce qui le touchait en bien ou en mal; il se dépensait pour en étendre au loin l'action et s'ingéniait pour lui rendre service. Il fut un des membres les plus dévoués de notre Association des Amis. Bien qu'il ne lui ait pas été donné d'en voir parmi nous la célébration, c'est à lui que reviennent en très grande partie l'initiative et le succès des fêtes du centenaire d'Ozanam.

Son action comme directeur d'âmes et d'intelligences ne se bornait pas à ceux de la maison, ni même aux ecclésiastiques; beaucoup de laïques s'adressaient à lui; il a même dirigé, quoiqu'en petit nombre, quelques femmes et quelques jeunes filles qui avaient des raisons particulières de rechercher un directeur tel que lui; il en a ramené plusieurs, soit de la libre pensée, soit du protestantisme, à la vérité catholique; on ne saurait imaginer les trésors de zèle, de patience, de dévouement qu'il déployait en pareil cas.

On s'étonne quand on constate qu'un homme de qui la porte était toujours ouverte et qu'on ne rencontrait jamais sans quelque visiteur a cependant trouvé le moyen de poursuivre une carrière de labeur intellectuel. Son secret était de ne jamais perdre une minute. Lui laissait-on le moindre instant de répit, il lisait, ou il écrivait; il faisait de même, tandis que les autres dormaient, sans cependant abuser des veilles prolongées. Ajoutons qu'il était doué d'une extrême facilité et que cette faculté d'assimilation que nous avons déjà signalée en lui ne diminua pas avec l'âge. Peut-être allait-elle jusqu'à une impressionnabilité cérébrale un peu excessive, d'où une certaine mobilité dans les jugements spéculatifs qui déconcertait parfois. C'est l'excès d'une qualité précieuse, grâce à laquelle il a pu faire tout ce qu'il a fait.

Il aurait cru ne pas répondre aux exigences de sa fonction si, dans un tel milieu, il n'eût pas lui-même, non seulement entretenu son esprit par l'étude, mais produit quelque chose. Indépendamment de ses manuels scientifiques,il a publié de nombreux volumes: la plupart de ses opuscules, La Bonté, Le Caractère, La Piété, La Pureté, L'Educateur apótre, La Culture des vocations, Les Conseils sur la vocation, Les Devoirs du séminariste, A l'entrée de la vie, La Formation de la volonté, se sont vendus par milliers. Ses brochures sur l'éducation ont obtenu elles aussi un très grand succès. Rien de plus mérité que ce succès, nous avons déjà dit pourquoi. Ses grands ouvrages valent par une information sûre et étendue, une clarté parfaite. un ardent désir de servir la cause de la vérité religieuse; ils sont très variés. Son livre des Origines demeura l'œuvre de toute sa vie, le fils préféré de son esprit; il le remania et le perfectionna sans cesse. Dans le même ordre d'idées, il livra au public un autre volume: Les croyances religieuses et les sciences de la nature, formé des conférences qu'il avait données à l'Institut catholique. Par la Vie de saint Jean-Baptiste de la Salle, très complète, très documentée, il entra dans le domaine de l'histoire, et y montra une supériorité, que l'Académie française se plut à reconnaître. Son livre sur le Réveil du catholicisme en Angleterre appartient à l'apologétique historique. Le Mouvement chrétien, dans l'âme humaine, devant l'incrédulité, devant la science, devant la critique, devant les exigences sociales, - conférences prêchées à Saint-Honoré d'Eylau, - lui permit d'envisager successivement presque tous les points de vue auxquels peut se placer l'apologiste. Son Cours de morale et sa Retraite spirituelle, fruits d'une expérience consommée, révèlent un maître de la science des mœurs et de l'ascétisme chrétien. La Retraite spirituelle surtout, avec ses quatre divisions : me

connaitre, me conquérir, me travailler, me dépenser, outre qu'elle est une mine inépuisable d'observations et de conseils, donne l'image la plus exacte de ce que fut l'homme et le prêtre : M. Guibert y revit tout entier; en le lisant, on croit l'entendre, on croit le voir. Là plus que nulle part ailleurs, il se montre, suivant la signature dont il aimait à se servir dans cette Revue, l'Ami du prêtre.

Avons-nous dit tous les travaux de M. Guibert? Cette liste si longue déjà les contient-elle tous? Non, car il y faudrait ajouter les articles presque innombrables qu'il a donnés à la Revue pratique d'apologétique, à la Revue du Clergé français, au Recrutement sacerdotal.

Et pourtant ce serait se faire l'idée la plus fausse de M. Guibert que de le considérer avant tout comme un intellectuel. Il fut encore plus un homme d'action; la clarté de son intelligence fut dépassée par la force de sa volonté et par un impérieux besoin d'agir.

On remarquait en lui une passion singulière de tout savoir des hommes et des événements, même les plus ordinaires, et, si je puis dire, les plus quotidiens; à cette passion, ses nombreux visiteurs donnaient satisfaction; il est rarement arrivé au recteur de l'Institut de dire au supérieur du séminaire quelque chose qu'il ne connût déjà. Ce n'était pas chez lui, hâtons-nous de le reconnaître, vaine curiosité; mais les hommes et les événements étaient entre ses mains des pions dont il aimaità se servir pour avoir part aux affaires. Combien d'ecclésiastiques de nos jours. sont réduits à s'agiter dans un monde de petites affaires qui, sous l'Ancien Régime, eussent été appelés à en manier de très grandes! M. Guibert a prodigué ses conseils en toutes sortes d'occasions ; il a été mêlé à la fondation et à la conduite de beaucoup d'entreprises.

Il en est deux que l'on peut considérer comme son œuvre presque personnelle, la Revue pratique d'apologétique et l'Alliance des Grands Seminaires, dont, avec le titre de secrétaire général, il fut vraiment la cheville ouvrière. Toutes deux naquirent la même année. La Revue pratique d'apologétique donna une forme et un cadre aux études que, sous la direction du regretté M. de Foville, poursuivaient entre eux depuis un certain temps quelques jeunes gens de Saint-Sulpice; elle se développa rapidement; M. Guibert, heureux de ce succès, fit tout pour que, loin de déchoir ou de demeurer stationnaire, elle se signalât chaque année par quelque nouveau progrès. Sa pensée y circulait partout, tant par les nombreux articles qu'il écrivait lui-même que par ceux dont il était l'inspirateur. Sans nulle exagération, on peut dire que, jusqu'à sa dernière heure, il en est demeuré l'âme. La préface, admirablement nette et précise du dernier Congrès de l'Alliance des Grands Séminaires, celui de juillet 1913, dit ce qu'est cette alliance, ce qu'elle a fait, ce qu'elle ne veut pas être, ce qu'elle ne veut pas faire. C'est toute l'histoire de l'initiative de M. Guibert et de sa pensée sur cette matière grave et délicate. Certes une telle entreprise fut justifiée,

« PreviousContinue »