Or, en 1791, le défaut d'entretien et le vandalisme gouvernemental l'avaient réduite en l'état que l'architecte décrivait ainsi : La couverture, enlevée par endroits, menace d'exposer les reins des voûtes aux intempéries; des lacunes considérables dans la plomberie laissent à nu des parties qu'il faut garantir de l'humidité; enfin la vitrerie est dans le plus piteux état. >> Les ministres compétents furent prévenus, mais ils allaient, jusqu'au Concordat, opposer aux réclamations locales une telle force d'inertie que la question s'impose : « Y avait-il derrière les employés de Paris quelque ennemi acharné de l'art gothique... ou même quelque bande noire? » L'entretien de l'édifice était estimé de 15.000 à 18.000 francs par an or, la Commission des revenus nationaux près la Convention le laissait à la charge de la commune, et les biens destinés à y pourvoir avaient, comme partout, disparu. De plus, la Commission des armes prétendit accaparer ses dernières dépouilles : grilles de fer et 400.000 livres de plomb. La Commission des arts d'Amiens dénonça à Grégoire « cette nouvelle guerre que le vandalisme déclarait à un monument si digne de son attention et qu'il avait déjà réussi à sauver de l'invasion des barbares emmagasineurs de fourrages ». Le Comité d'instruction publique de la Convention fut également averti. Cela ne servit à rien. L'année suivante, une loi ne laissa d'ailleurs le libre usage » des édifices du culte aux communes ou sections de commune qu'en spécifiant que les « pétitionnaires » en supporteraient les charges (30 mai 1795). Le 11 juin, les corps constitués étaient réunis dans la cathédrale pour la prestation du serment, lorsque survint un orage : la pluie y pénétra « de toutes parts » et son état de délabrement sauta à tous les yeux. La Commission des arts et le district d'Amiens firent de nouvelles démarches. La Commission des travaux publics renvoya les pétitions à celle des revenus nationaux sous le prétexte que l'édifice était une propriété nationale ne servant pour le moment à aucun besoin public (18 août 1795). L'architecte Rousseau s'indigna : « Rien n'est plus pressant, écrivit-il le 5 octobre, si l'on veut prévenir la ruine totale de cette célèbre basilique, que de pourvoir aux réparations qui y sont à faire et que l'hiver qui s'approche va rendre irrémédiables... On n'a plus d'espoir que dans l'importunité la plus opiniâtre auprès du gouvernement. » La Commission des revenus nationaux, en effet importunée, ne bougea point. Les toits étaient en partie défoncés; les plombs avaient été volés; du côté nord, les voûtes des chapelles étaient découvertes. En novembre 1796, aucune réparation n'avait été effectuée. Et un nouvel hiver passa, puis un autre hiver. Le 6 avril 1793, le département — dont le zèle restera au-dessus de tout éloge redoubla d'insistances auprès du ministre de l'Intérieur : « Ainsi, la ci-devant cathédrale est maintenant abandonnée, la pluie filtre à travers les toits, sur la voûte. La maçonnerie se dégrade de plus en plus et bientôt nous aurons la douleur de voir tomber ce monument que la nation entière doit s'enorgueillir de conserver. » Lamentations superflues! Le ministre ne concevait pas, alors, un pareil «< orgueil », et il ne répondit point. Le département avait réussi à faire quelques économies sur son budget de l'an VI; en mars 1799, il voulut affecter 4.000 livres aux réparations, et il en demanda l'autorisation au ministre de l'Intérieur. Deux lettres successives (9 mars et 28 avril) furent accueillies par le même silence que les précédentes. Le 30 mai, les députés intervinrent encore le ministre se contenta d'observer que la cathédrale paraissant servir à l'exercice du culte, les frais de réparation et les honoraires du gardien devaient rester à la charge de la commune. De pareilles tergiversations ne laissent aucun doute; on voulait la ruine complète. : Après l'hiver de 1799-1800, le préfet Quinette celui-là même qui, l'année précédente, était ministre de l'Intérieur supplia son successeur de laisser au moins au département de la Somme la libre disposition de ses 4.000 livres : « Je vous en conjure, au nom des citoyens de ce département, au nom des arts, hâtez-vous de prévenir la ruine d'un édifice qui, par la beauté et la richesse de son architecture, autant que par la hardiesse et la solidité de sa construction, excite l'admiration de tous les curieux. » Désireux, sans doute, de mettre, tout comme le Quinette de l'année précédente, cette « solidité » aux plus rudes épreuves, le ministre ne songea point aux «< curieux » et fit la sourde oreille. Le 24 juin, puis le 12 août, le préfet venu à résipiscence demanda néanmoins à Rousseau l'état des réparations les plus urgentes à exécuter. Il ne paraît point que cet état ait servi. Cependant, l'ouragan du 9 novembre 1800 arracha plusieurs des feuilles de plomb qui couvraient la flèche; on remarquait maintenant un écartement à la croisée du transept; le gros pilier du Nord-Est continuait à s'affaisser... L'hiver, un onzième hiver,passa. Le 19 avril 1801, le Conseil général demanda en vain au gouvernement 10.000 francs pour commencer les travaux. La sûreté publique l'exigeant, ces travaux furent enfin autorisés à l'automne. Ils n'allèrent pas vite et ne furent dus encore qu'aux initiatives locales. La réfection ne commença sérieusement qu'en 1806. A Reims, la ville du sacre, on vendit aux enchères douze églises, sans parler de la belle église Saint-Nicaise, qu'on préféra démolir avant d'en adjuger les matériaux au citoyen Santerre. Les autres furent dépouillées, mutilées, transformées en casernes, en « fondoirs », en écuries. En l'an V, le Journal de la Marne déplorait les éboulements qui menaçaient une foule d'églises de campagne. Notre-Dame, chef-d'œuvre de cette « école de Champagne » dont la puissance d'expression, l'abondance d'idées et l'originalité de style ont donné à l'art gothique ce qu'il a peut-être de plus noble et de plus saisissant, ne fut pas épargnée. Comme à Chartres, le Chapitre avait consenti, dès 1789, à d'importants :dons patriotiques » 71 marcs de vermeil et 28 marcs d'argent. En 1792 en s'empara du reste : l'or, l'argent, les pierres précieuses furent enlevés sans qu'on prit la peine « de rien peser, ni estimer, ni inventorier »; c'eût été trop long et l'on craignait un soulèvement populaire. Ainsi, « en une journée, observe l'historien Cerf, périt tout ce qui faisait la gloire de l'industrie et des arts de nos pères,... tous ces trésors que la France dans le besoin avait vingt fois épargnés, et tout cela pour obtenir 500 à 600 marcs ». Les drapeaux suspendus aux galeries furent brûlés avec le sceptre et la main de justice, « restes impurs du despotisme ». Les « sergents de la commune » se firent des culottes avec les draps mortuaires. Le corps de SaintRemy alla rejoindre dans la fosse commune les cadavres des soldats morts à l'hôpital. La Sainte-Ampoule, - la « chère fiole » du « sacreur de Clovis», comme disait le représentant Bô, - fut brisée par le pasteur Rühl sur le socle de la statue de Louis XV, cependant que le « métropolitain » Diot, installé en 1791 par quatre-vingts gaillards armés de gourdins, bénissait le mariage de l'un de ses vicaires épiscopaux et le félicitait « d'avoir vaincu les préjugés en alliant aux fonctions du sacerdoce les douceurs de l'hymen ». Le monument lui-même était un «< préjugé » à supprimer. D'après L. Paris, trois patriotes proposèrent, en 1793, de l'acheter à cet effet. Les archives locales sont muettes sur ce point; en tout cas l'édifice fut alors utilisé au mieux des intérêts de la nation : « Environ 300.000 livres de fer détachées de la seule église cathédrale se rendent aux ateliers de Paris, écrivait Bô à la Convention le 13 novembre 1793... Les fourrages de nos armées, qui s'avariaient journellement dans de mauvais magasins, sont logés majestueusement dans la cathédrale. Le magasin était d'autant plus vaste qu'il ne restait plus de l'ancien mobilier que les autels nus, les stalles, quelques tableaux, le grand orgue et l'horloge. L'église servait aussi à la Société populaire. Celle-ci avait fait dresser dans les chapelles absidiales des tribunes avec des « bois d'émigrés »; les antiques tapisseries du Chapitre couvraient les murs et le sol; elles couvraient aussi les charpentes des voûtes, et les tas de débris... Le Club était sur son champ d'opérations: le 4 janvier 1794, CoutierMarion proposa-carrément « de détruire les églises et, avec elles, les chapelles ou oratoires des cimetières ». La cathédrale résista. Les jacobins voulurent du moins avoir raison de ses sculptures: le 28 mars, considérant << qu'il existait encore au tribunal de District un Christ, souvenir affreux d'une religion de sang qui a dégradé l'espèce humaine », ils réclamèrent la disparition de tous « les objets choquants qui seraient connus et, en particulier, des croix de clochers ». Parmi les « objets choquants », il y avait les statues : « Les jacobins n'oublient pas les saints qui sont au portail de la cathédrale, raconte le mémorialiste rémois Lacattre-Joltrois ils en mettent en entreprise la destruction. Heureusement que les entrepreneurs et les jacobins ne s'entendent pas sur la reprise du plomb et du fer qui servent à goujonner toutes ces statues. » La façade de Reims fut ainsi sauvée des complètes mutilations qui déshonorent celles des églises de Châlonssur-Marne. On martela seulement les couronnes des rois et des reines. On sans-culottisa Louis IX, «ci-devant tyran que la farce sacerdotale avait mis au rang des saints ». On anéantit les scènes de la vie de la Sainte Vierge figurées sur le linteau de la porte principale du portail. On décapita un grand nombre de petits personnages, en particulier des statuettes d'anges. En 1795, ce fut le tour du portail septentrional. Lorsque le dégoût public eût expulsé les jacobins du « Temple de la Raison », le parvis était parsemé de bras et de membres. A Saint-Remi, régnait « un délabrement affreux...; il pleuvait de toutes parts..., les plombs étaient enlevés, les voûtes endommagées, les vitres cassées, et, à cause de l'énormité des réparations nécessaires, il était question d'abandonner l'église ». Tel fut l'ouragan qui, durant de longues années, dépouilla le sol de France de ses plus magnifiques floraisons. Il ne respecta même pas la libératrice de la patrie à Rouen, le 25 octobre 1793, la Société populaire demanda la destruction de l'image de la Pucelle et le remplacement de cette « statue du despotisme » par le buste de Marat. Elle lui préférait «< une poire phénoménale qui, par un effet bizarre de la nature, représentait le bonnet de la liberté », poire patriotique dont elle fit l'hommage à la Convention. M. Gautherot termine en établissant un saisissant parallèle entre ces destructions et celles dont M. Maurice Barrès trace en ce moment le tableau dans la Revue des Deux Mondes: la Grande pitié des églises de France de la Révolution, elle est due à ses plus essentiels « principes! ». « Ce que nos vieilles églises n'ont jamais vu, a écrit l'éminent académicien, c'est la loi les mettant hors la loi. » Si, elles l'ont vu, elles ont souffert de cette monstrueuse légalité entre 1790 et 1800. L'historien et le philosophe ne doivent pas l'oublier. (A suivre.) CONFÉRENCES ET COURS PUBLICS DU MOIS DE MAI 1914 Le lundi, à 5 h. 1/4 COURS D'APOLOGÉTIQUE (3′ série) Nature et Rôle de la Liberté morale, par M. Clodius PIAT III. 4 mai. 11 mai. - IV. 18 mai. 25 mai. VI. -- -- « Tu dois, donc tu peux. » - Nature de la liberté morale. Le mardi, à 5 h.1/4 COURS D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE (3° série) Les Paroisses de Paris pendant la Révolution. 5 mai. II. La Rive droite, par M. PISANI La Madeleine, Saint-Philippe du Roule et Chaillot. Saint-Eustache. i Saint-Laurent, Saint-Sauveur et Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Le mercredi, à 3 h. 1/2 CONFÉRENCES SUR LA LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE La Mystique Italienne aux x et xiv' siècles (de saint François à sainte Catherine) par M. Johannès JORGENSEN Saint François : ses relations avec sainte Claire et Jacoma de Settesoli. 20 mai. Sainte Brigitte. 27 mai. Sainte Catherine (et ses prédécesseurs, le bienheureux Colombini, etc.). Le jeudi, à 2 h. 1/4 COURS SUPÉRIEUR DE RELIGION La Grâce, par M. l'abbé PRUNEL - 7 mai. Catholicisme. - - Réponse aux objections. Protestantisme, Jansénisme, Son rôle dans l'économie de la sanctification et du salut. Innocents. La fuite en Egypte. 28 mai. Le Précurseur sur les bords du Jourdain. Le vendredi, à 5 h. 1/4 COURS D'HISTOIRE DES RELIGIONS Le Bouddhisme contemporain, par M. ROUSSEL Lamaseries mongoles. Kounboum : l'arbre aux dix mille images. Organisation du monastère de Kounboum. Ses quatre Facultés. La journée d'un étudiant, Lamaseries tibétaines. Réforme de Tsong-Kapa. Liturgie. Offrandes. Solennités lamaïques. Fête du Nouvel An, Fête des Fleurs, etc. Pèlerinages. Moulins et cylindres à prières. Formule sacro-sainte : le mani. Possessions et exorcismes. Pratiques de sorcellerie. Funérailles : divers modes de sépulture. 22 mai. Panthéon lamaïque : Dieux et Déesses. Divinités communes et divinités locales. Les Protecteurs de la loi. Le paradis d'Amitâbha. Chamanisme et lamaïsme de la Sibérie. Au pays des Bouriates et des Goldes. Bouddhisme coréen. Religions du Japon. Aïnos : le sacrifice de l'ours. Kamis, clergé, liturgie, temples. Le Bouddhisme japonais. Bouddhisme exotérique. Bonzes. Ermites. Divinités. Pagodes. Fêtes. Baptêmes, mariages et funérailles. |