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nation des éléments sains et honnêtes; des âmes pieuses et ardentes, enrôlées dans les tiers ordres religieux, priaient et faisaient pénitence; les fameux pèlerinages à Notre-Dame-du-Puy comptaient trois cent mille fidèles et la mère de Jeanne d'Arc était au Puy au printemps de 1429, alors que l'héroïne commençait sa mission. Ce sont ces bonnes volontés éparses, ces aspirations des meilleures àmes françaises qu'allait incarner une paysanne de dix-sept ans, et par là déterminer l'élan national qui sauverait la France.

Née dans un village qui portait le nom de l'Apôtre des Francs, visitée comme Marie par un ange, l'ange protecteur de la nation française, saint Michel, elle reçoit son message : sauver la France. Elle part auprès du Roi, et là où tout avait échoué, elle réussit.

Elle se propose le relèvement national, moral et religieux du pays; il le faut pour remédier à la crise.

Le relèvement national s'opère par ia délivrance d'Orléans et le sacre du Roi à Reims; le relèvement moral et religieux, elle y travaille par l'exemple; elle prie et fait prier autour d'elle; elle exhorte les chefs et les soldats à se confesser et à communier; elle veut rétablir en France et dans le monde entier le règne de Jésus-Christ. L'Eglise, dans sa liturgie, le reconnaît quand elle remercie Dieu d'avoir « suscité la bienheureuse Vierge Jeanne pour défendre la foi et la patrie

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En effet, en même temps que se réalise après elle, comme elle l'a prédit, le relèvement complet du pays, se rétablit aussi l'unité de l'Eglise.

Peut-on expliquer naturellement le succès de Jeanne? Non; Jeanne était l'Envoyée de Dieu; sa vocation et sa mission étaient surnaturelles.

« Que Dieu tire un Henri IV du protestantisme et un Bonaparte du jacobinisme révolutionnaire pour faire d'eux les restaurateurs de la patrie et de la religion, ce sont des coups étonnants de la Providence, ce ne sont pas à proprement parler des miracles; Henri IV était roi, Bonaparte était un général chargé de victoires et de gloire, et par là même ils disposaient l'un et l'autre de très puissants moyens d'action. Mais que, de la sanglante anarchie du xve siècle, Dieu tire une villageoise de dix-sept ans pour faire d'elle, sans aucune étape intermédiaire, la libératrice et la restauratrice de la France, c'est un miracle et ce ne peut être que cela. Pourquoi? Parce qu'attribuer à cette enfant comme à la cause principale les merveilles qu'elle a accomplies, c'est insulter la raison, c'est l'outrager elle-même, et c'est la rendre inexplicable. » Jeanne, en effet, n'est rien sans ses voix; elle est la sœur des grandes inspirées, des grandes mystiques, la sœur de sainte Catherine de Sienne et de sainte Brigitte dont les visions contribuèrent à ramener le Pape dans la capitale du monde chrétien.« Elle est l'instrument, l'envoyée de Dieu; du même coup je comprends la hardiesse de son entreprise et le succès qui l'a couronnée, et comme nulle autre histoire ne rapporte un tel miracle, non fecit taliter omni nationi, je suis forcé de convenir que Dieu a donné à la France la preuve irrécusable d'un amour de prédilection et je sens naitre en moi une grande espérance. »

III. L'orateur arrive, en effet, à la crise du xx" siècle, si semblable à celle du xv. N'y eut-il pas crise nationale, produite par le souvenir de Sedan qui pesait sur nous comme celui d'Azincourt sur les contemporains de Jeanne d'Arc? L'idée de patrie n'était-elle pas contestée par des Français? Internationalisme, pacifisme, discordes politiques, agitations sociales, rien n'y manquait, pas même le crime, pas même l'assassinat! La crise morale était visible à tous les regards : le divorce désorganisait la famille, l'alcoolisme menaçait l'avenir de la race. La fureur de jouir, la passion de l'or et du luxe, le dévergondage des modes, même « le bal des pierreries », se ressemblent trait pour trait au xxe siècle et au xve. Enfin la crise religieuse faisait errer les âmes à tout vent de doctrine. La France avait été officiellement séparée de l'Eglise; la mère était traitée en ennemie par sa fille aînée.

Aussi les amis s'attristaient, tandis que les ennemis escomptaient la décadence. Et ce fut la grande ruée.

La Belgique est violée, submergée, la frontière française est forcée, les places du Nord se rendent; l'ennemi est sur la Somme, sur l'Oise, sur la Marne; le voici à trente lieues, à vingt lieues, à dix lieues de Paris; encore trois jours, la capitale sera occupée. De son sort, comme jadis du sort d'Orléans, va dépendre la destinée de la patrie; car, assure-t-on, maitre de Paris, l'ennemi usera de tels moyens de terreur que la seule ressource sera de conclure la paix.

Puis brusquement tout s'arrête. L'ennemi semble courir de lui-même audevant de la défaite que nos généraux lui préparent et lui infligent. C'est le miracle de la Marne, précédé lui-même du miracle français. Et ce miracle français, quel avait-il été? Le même que lors de l'apparition de Jeanne d'Arc le réveil instantané et l'effort commun de toutes les forces profondes de l'âme française. Car il subsistait, au sein d'une anarchie trop visible, des vertus solides, traditionnelles, chrétiennes, dont vivaient beaucoup de bonnes familles de notre aristocratie, de notre bourgeoisie, de nos artisans, de nos cultivateurs. Et le même souffle mystique qui poussait les foules au sanctuaire du Puy, à la veille de la délivrance d'Orléans, les poussait en juillet 1914, à la veille de la guerre, au congrès eucharistique de Lourdes. Depuis la guerre, nos soldats, vrais frères de ceux de Jeanne d'Arc, ont multiplié les actes de foi. Le fond chrétien est remonté à la surface; la conscience française, au xxe siècle comme au xve, a retrouvé son orientation nationale et religieuse.

Et, à vrai dire, de ce miracle français, Jeanne d'Arc n'était pas absente. Dieu, qui avait sauvé la France au xv siècle par la mission de l'héroïne, voulait la sauver au xxe par le culte de la Bienheureuse. Dans la prospérité la France avait un peu oublié Jeanne d'Arc; vaincue et malheureuse, elle l'a étudiée à fond et s'est reconnue en elle; pour notre génération Jeanne

n'était plus seulement un souvenir, mais une espérance. La lumière aujourd'hui est faite. Bénis les historiens, les orateurs, les évêques d'Orléans qui ont ravivé son culte! Béni le Pontife qui, en 1909, l'a déclarée Bienheureuse en un jour inoubliable, et qui, le lendemain, baisait le drapeau de la France! Bénis les vaillants jeunes gens qui ont défendu et vengé sa mémoire contre ses insulteurs et qui aujourd'hui sont au front ou déjà tombés pour la Patrie! Jeanne vit maintenant dans tous les cœurs; elle est redescendue parmi nous; elle est maintenant et à jamais la Sainte de la patrie. Que bientôt sa fête soit pour tous les Français une fête nationale, puisque les Anglais eux-mêmes la vénèrent aujourd'hui.

Ecoutons-la nous jeter son cri de ralliement et nous dire :

« Unissez-vous! Vous avez combattu en frères, vivez désormais en frères! Mais suivez-moi jusqu'au bout dans l'union, aussi bien que dans la victoire. La route que je vous montre, c'est la route que Dieu m'a faite,. route qui part de Dieu et qui va à Dieu. Mon étendard porte les noms de Jésus et de Marie. Unissez-vous autour de ces noms sacrés! Revenez librement à la loi de Dieu. Rétablissez dans vos âmes, dans vos familles, dans la société le règne de Jésus-Christ. Ainsi vous serez unis comme des chrétiens doivent l'être, et, forts dé cette union, vous redeviendrez l'instrument de choix dont Dieu daignera se servir comme autrefois pour des triomphes qui seront tout ensemble les vôtres et les siens, des triomphes français et des triomphes chrétiens. »>

Après ce discours eut lieu la procession de l'étendard et de la statue de la Bienheureuse sous la présidence du Cardinal Archevêque escorté du chapitre et du clergé de la cathédrale et d'un grand nombre d'officiers et de soldats blessés qui encadraient l'image de la sainte guerrière. Les appels de la trompette alternant avec la voix de l'orgue donnèrent à cette procession un cachet grandiose et triomphal.

ANALYSES DE COURS PUBLICS

COURS D'APOLOGÉTIQUE

Fénelon défenseur de la Foi
Deuxième centenaire (1715-1915)

PAR M. LE CHANOINE MOÏSE CAGNAC

Première leçon. De la modernité de Fénelon

La gloire de Fénelon si brillante au XVIe siècle a baissé à la fin du XIXe siècle.

Le xv siècle aima l'archevêque de Cambrai, l'ami et le défenseur du peuple, le censeur courageux du luxe de Versailles. Il lui fut sympathique. En pleine Révolution, Chénier fit applaudir sa tragédie « Fénelon ».

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Peut-être l'aima-t-on pour sa tolérance; mais la tolérance de Fénelon, qui n'était que le respect des consciences, n'était point la tolérance des philosophes qui reconnaissent les mêmes droits à l'erreur qu'à la vérité. Le xix siècle ne fut pas tendre pour Fénelon. Nisard, Crouslé ont prononcé contre lui de violents réquisitoires. « C'est un esprit chimérique », s'écrie le premier. Chimérique! C'est le mot de Louis XIV. Dire à un roi tout puissant, qui vient de signer le glorieux traité de Nimègue, que la royauté penche vers sa ruine, c'est apparaître chimérique. Fénelon ne l'est pas pour nous, puisque dès cette époque se remarquent les symptômes de la décadence du gouvernement absolu. Pour fortifier la royauté, Fénelon désirait qu'on retrempât le pouvoir dans les principes qui avaient fait sa force; qu'on le remît dans ses traditions; qu'on le ramenât à saint Louis.

Crouslé est prévenu contre Fénelon. Il soupçonne et découvre quelque venin dans le moindre passage de ses ouvrages. Il ne comprend pas. Et comment comprendrait-il? Il n'est pas de sang-froid. Son esprit se couvre de ténèbres aussitôt que se montre un texte de Fénelon.

Jules Lemaître est favorable à Fénelon; mais il est incompétent dans les questions théologiques. Aussi il a piétiné le jardin mystique, il a effrontément marché sur les plates-bandes de l'enclos réservé. Il appelait l'oraison de quiétude l'oraison de dormir.

Il est opportun et légitime de reprendre ces questions. Un prêtre semble mieux préparé pour traiter ces problèmes de psychologie religieuse.

La gloire de Fénelon a donc subi des éclipses. Elle renaît de nos jours. C'est que son esprit s'accorde avec le nôtre, ses théories avec nos théories.

En politique, en éducation, dans ses façons de comprendre le catholicisme, il avait l'esprit tourné vers l'avenir; c'est pourquoi il plaît à notre époque.

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10 Dans le gouvernement de l'Etat, il est pour la liberté contre l'absolutisme liberté politique contre l'autorité royale sans contrôle; liberté pour la conscience individuelle contre l'oppression civile; liberté pour l'Eglise contre la tyrannie des lois gallicanes.

Fénelon aurait voulu associer la nation à l'autorité royale. Ce faisant Louis XIV eût peut-être resserré pour longtemps les liens qui unissaient ses sujets à la monarchie, liens qui commençaient de se relâcher; peutêtre eût-il pu faire alors, avec moins de danger, cet apprentissage du gouvernement des assemblées que quatre-vingts ans plus tard la France fit au prix de tant de malheurs.

Fénelon réclamait aussi la liberté pour la conscience et pour l'Eglise.

« Les souverains n'ont de droit sur les actions des sujets, qu'autant qu'elles regardent le bien public; ils n'ont aucun droit sur la liberté d'esprit... de croyance intérieure de leurs sujets.

« Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté d'un cœur. »

Catholique romain, Fénelon tranche évidemment dans le courant gallican, si fort au xvIe siècle. Il jugeait sévèrement ces prétendues libertés gallicanes, «< libertés à l'égard du Pape, servitudes à l'égard du roi ».

2o En pédagogie, il dépasse son siècle; le traité « de l'Education des Filles » fut une révolution. Fénelon a proclamé le droit des femmes à la culture intellectuelle pour la mieux préparer à leur sublime ministère de gardiennes du foyer.

3o En religion il a rappelé l'attention sur le rôle du cœur dans la croyance. Il a voulu ajouter à la force de l'intelligence toute la force de l'amour; fortifier l'intellectualisme du scolastique par l'intuitionnisme du mystique. Il prêcha une religion intérieure fondée moins sur les rites que sur les croyances intimes.

Il ramenait le chrétien au temple intime de l'âme ; est au dedans de vous ».

<«<le royaume de Dieu Notre âge tend de plus en plus à ce christianisme intérieur et cela est un progrès : « Dieu est esprit. Il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité. »

Il faut aller à Dieu avec toute son âme, avec son esprit et avec son cœur.

Enfin Fénelon a aimé le peuple. Il l'a défendu auprès du roi. C'est qu'il était le disciple de l'Evangile. Il était convaincu que, si la voix de Jésus se faisait entendre au monde, plus d'amour et plus de justice seraient parmi les hommes.

Fénelon est l'ancêtre de ces hommes qui propagent à notre époque l'Evangile comme puissance de régénération sociale.

Son cœur débordait par-dessus les frontières. Il croyait à la fraternité des peuples comme à l'Evangile qui fait tous les hommes des frères. Rèves magnifiques, mais possibles avec l'Evangile, code des individus et des peuples; des rêves? Ceux qui les font sont l'honneur de l'humanité. C'est pour tout cela que nos contemporains aiment Fénelon.

« L'on revient, écrit Faguet, à ce grand seigneur des lettres. »

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Qu'a pensé Fénelon de ces deux grandes lumières qui sont aussi deux forces la Raison et la Conscience?

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Sous des tendances intuitionnistes, Fénelon est un intellectualiste, un grand ouvrier de la raison.

C'est un disciple de Descartes, pratiquant la même méthode philosophique, mettant à la base de son système le doute méthodique, au moyen duquel il arrive à l'idée claire comme fondement de la certitude.

Mais il fut attiré par l'esprit de Malebranche. La Recherche de la vérité est de 1674-1675 et Fénelon lui a emprunté les deux preuves de l'existence de Dieu celle qui se fonde sur l'idée de l'être infini et celle qui se fonde sur

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