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logique un seul est nécessaire. Dès lors à quoi bon entasser, multiplier les exemples à l'infini? En face de chacune des hypothèses que nous avons à contrôler, nous produirons simplement un ou plusieurs cas de conversion incompatibles avec l'interprétation psychologique que l'on nous propose, et la démonstration sera faite.

Seconde conférence.

L'enquête intellectuelle des convertis

Nous commencerons par examiner l'aspect intellectuel de la conversion, parce qu'il est le plus apparent. L'évolution religieuse des convertis, envisagée dans sa totalité, est-elle l'œuvre propre de l'activité rationnelle? Pour résoudre ce problème, nous recueillerons un certain nombre d'observations inconciliables avec une réponse affirmative. Puis, sans quitter le terrain de l'expérience, nous rattacherons ces mêmes observations au fait psychologique qui les éclaire et les explique.

Première observation. Tous les convertis ne parviennent pas à l'évidence rationnelle et rigoureusement objective de la crédibilité. Beaucoup se contentent d'une démonstration très élémentaire et parfois même le fil de l'argumentation est si ténu qu'on n'oserait trop le presser de peur de le briser. Si la conversion était l'aboutissant nécessaire d'une enquête rationnelle, pourquoi le rôle de la raison raisonnante y apparait-il, en certains cas, réduit à sa plus simple expression?

Seconde observation. Une preuve, une présomption, une probabilité en faveur de la foi possèdent, semble-t-il, une force intrinsèque qui devrait réagir d'une manière semblable sur les intelligences et toutes choses égales d'ailleurs provoquer une adhésion proportionnée à la quantité même de lumière émanée de l'objet. Or pourquoi, au contraire, remarquons-nous que tel argument convaincant pour celui-ci, ne l'est pas pour celui là? que tel indice, qui entr'ouvre à celui-ci les horizons de la croyance, laisse celui-là parfaitement insensible? Nous sommes en plein mystère psychologique et pourtant le fait se reproduit assez fréquemment. Bien plus, le même système philosophique qui fait perdre la foi à certains fournit à d'autres le moyen de la retrouver. Pourquoi?

Troisième observation. Si la conversion était la conclusion logique. d'une enquête intellectuelle, il n'y aurait pas d'intervalle entre le moment où cette enquête s'achève et celui où l'on se convertit. Le changement de vie coïnciderait avec la dernière illumination rationnelle. Or il n'en est rien. On a vu des hommes aussi convaincas qu'on pouvait l'être et qui pourtant ne se convertissaient pas. Pourquoi?

Il nous faut maintenant essayer de découvrir le phénomène psychologique auquel se rattachent, comme à leur centre de convergence, les diverses observations que nous venons de rassembler. L'expérience des convertis nous fournira elle-même ce fait fondamental par lequel les autres s'expliquent. Voici tout d'abord le cas d'Hermann Cohen devenu sous l'habit de carme déchaux, le Père Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement. A la veille de se convertir, il ignore tout de la religion. Or le jour

où, dans l'église de Sainte-Valère, à Paris, puis dans l'église d'Ems en Allemagne, son âme eut été envahie par une sorte d'illumination intérieure, il se sent invinciblement porté à embrasser le catholicisme. Et lorsqu'il se livre à l'étude de nos dogmes, ce qu'il veut, ce n'est point raisonner mais simplement s'instruire il est dans la disposition d'un petit enfant qui commence à fréquenter le catéchisme. Ce récit, qu'il faut relire dans la biographie du P. Hermann, éclaire d'un jour singulier les faits que nous avons précédemment recueillis. Si, antérieurement à l'enquête intellectuelle, le futur converti a reçu, on ne sait d'où, ce que l'on peut appeler le sens catholique, nous comprenons très bien pourquoi l'évidence rationnelle de la crédibilité n'est pas toujours requise, pourquoi tel argument impressionne celui-ci, qui a reçu ce sens, et non celui-là qui ne l'a point recu; nous comprenons surtout ce discernement merveilleux qui fait reconnaître, démêler la vérité à travers l'erreur. Il existe alors une mentalité antécédente qui supplée aux lacunes de la recherche intellectuelle, oriente la pensée, dirige le jugement, un peu comme chez l'artiste de race, le don inné précède l'éducation et suppléera, dans une certaine mesure, aux insuffisances de la formation technique.

Le cas de Paul Claudel, celui de miss Baker et celui de Thayer corroborent l'expérience de Cohen. Ils nous permettent d'entrevoir à l'œuvre, dans les soubassements de l'âme, je ne sais quelle énergie lumineuse ou quelle lumière énergique, tantôt apparente, tantôt cachée, jaillissant indifféremment à n'importe quel instant de l'évolution religieuse parce qu'en réalité elle est de tous les instants, dont la recherche intellectuelle ne serait que l'humble servante, et qui serait, en un mot, la transposition, en langage psychologique, de cette parole mille fois citée de Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé. »

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Cette constatation ne nous apporte pas, d'ailleurs, la preuve que la conversion soit un fait divin. Car il reste à savoir si cette poussée mystérieuse ne pourrait pas se réclamer de causes purement humaines. Nous savons seulement qu'elle se distingue nettement de l'effort rationnel dont elle est comme le support et le tremplin.

Troisième conférence. — L'effort de la volonté chez les convertis

La poussée mystérieuse ne pourrait-elle pas en effet s'expliquer par un effort de volonté? La question vaut la peine d'être posée lorsqu'on réfléchit à la place qu'occupe ce rouage dans l'ensemble de notre activité psychologique. La volonté n'est-elle pas ce qui nous rend capables de répondre aux exigences de notre destinée? Et la conversion n'est-elle pas, comme on l'a dit, une « régénération des valeurs humaines », la réorganisation de la vie morale autour d'un principe nouveau ? Dans son principe, comme dans ses conséquences, elle entraîne et implique un changement profond, radical, dans la manière de comprendre et de résoudre le problème de la destinée. Qu'on se rappelle les pages émouvantes où le

P. Gratry rapporte comment, après avoir contemplé les perspectives de bonheur terrestre qui souriaient à ses jeunes ambitions, il se trouva peu à peu amené, par la logique inexorable des choses, à envisager le mystère de la mort et des fins dernières. Tous les convertis en sont là. Tous sont dominés par la hantise de la destinée et du salut. Et dès lors, il faut s'attendre à ce que la volonté, dont l'objet propre est le bien total du sujet, prenne une part prépondérante à l'évolution intérieure des convertis. Et nous pouvons aller plus loin. Nous nous étonnions, tout à l'heure, de la complexité de cette puissance anonyme qui, en certains cas, fait irruption dans la conscience des convertis et qui est à la fois lumière et énergie. Pourquoi nous en étonner? N'est-il pas notoire que la volonté, lorsqu'elle est remuée par un attrait, par un désir, devient à son tour un foyer lumineux? Comme l'amour dont elle est la source, elle a des pressentiments, des intuitions déroutantes. Elle devance le lent travail de l'intelligence. Elle anticipe sur les solutions péniblement ébauchées par la raison. Orientée vers le bien, elle a le sens de ce qui convient à ce moi, à cette personnalité au bonheur desquels elle est chargée de pourvoir.

En réalité la question n'est pas là. Il ne s'agit pas de savoir si les convertis ont de la volonté, mais s'ils trouvent en eux, et en eux seuls la force dont ils ont besoin pour imprimer à leurs tendances religieuses et morales une orientation différente de celle qu'ils avaient suivie antérieurement.

Nous serait-il donc loisible de faire passer les convertis par je ne sais quel prisme idéal qui résoudrait en ses éléments primitifs leur activité volontaire, et nous laisserait distinguer la part qui leur revient en propre et celle qui leur vient d'ailleurs? Sans doute ce procédé n'est pas applicable à tous les cas. Il en est même où les composantes sont si intimement unies qu'on ne peut plus les séparer. Mais il en est qui se prêtent à l'application de cette méthode d'analyse. Et si la conversion, en dépit de ses variétés infinies, est un fait homogène, un fait qui peut se réclamer des mêmes causes psychologiques (cf. 1re conférence), nous serons autorisés à conclure qu'elle n'est pas le résultat d'un effort exclusivement attribuable à la volonté personnelle des convertis.

A ce point de vue, le cas d'Adolphe Retté est des plus suggestifs. Si l'on étudie attentivement, chez ce converti, l'éveil de la crise religieuse, ses progrès et son dénouement, on acquerra la certitude qu'aux heures les plus difficiles, à l'instant même où la volonté semblait sur le point de lâcher prise, une énergie inconnue s'empare d'elle, la remet sur la bonne voie, l'épaule, la soutient, la renforce jusqu'à ce que l'évolution soit accomplie. A cet exemple, il est facile d'en ajouter d'autres, choisis au hasard parmi la foule des convertis de tout âge, de tout sexe, de toute condition.

Ainsi notre second coup de sonde dans l'âme des convertis nous met en face d'un fait qu'il faudrait être aveugle pour ne point discerner avec évidence l'effort volontaire et personnel, pas plus que l'enquète rationnelle, ne nous livre le tout de la conversion. Il reste à savoir si cet élément mystérieux qui recule, qui se dérobe au fur et à mesure que nous essayons de

l'étreindre ne pourrait se résoudre en d'autres composantes purement humaines. Nous sommes encore loin du but. Il nous faut aller plus loin.

Quatrième conférence.

La part des affections du cœur dans la conversion

Pour beaucoup de convertis, les jours de la rénovation religieuse. ont commencé parce qu'un souvenir, une présence aimée s'étaient levés dans leur âme. Nous ne pouvons donc laisser dans l'ombre cet aspect de leur psychologie. Aussi bien, sous toutes les formes qu'elle revêt, l'affection obeit à une loi universelle: la tendance à l'unité. Mais alors la crainte plus ou moins réfléchie d'être séparés par l'antagonisme des croyances (le plus redoutable de tous), ou le désir d'une union plus totale ne suffiraient-ils pas à expliquer pourquoi les convertis ont fini par embrasser la foi de ceux qu'ils aimaient? Car il existe peu de conversions où l'on ne voie se glisser la douce et pénétrante influence de l'amitié; et, parfois même, l'influence plus puissante de l'amour y semble apparaitre. La force qui soulève l'âme des convertis vers le catholicisme ne serait-elle pas la force de l'affection purement humaine?

Dès l'abord nous sommes contraints d'éliminer de notre champ d'expérience un nombre incalculable de cas. Ce sont ceux dans lesquels l'affection joue un simple rôle illuminateur. Il arrive que le futur converti soit assisté par une personne amie qui guide ses recherches, s'offre à éclaircir ses doutes ou tout au moins à lui procurer les moyens de les dissiper. Exemples: la sœur de charité au chevet des malades; l'abbé Gévresin et Durtal; Pascal et sa sœur Jacqueline. Sans doute, s'ils n'avaient rencontré ces guides attentifs et dévoués, nos néophytes n'auraient peut-être pas trouvé le chemin de la vérité. Mais les bons anges convertisseurs sont les premiers à comprendre et à faire comprendre que si leur affection peut créer un retour de sympathie, faciliter un échange d'idées, rendre possible une discussion amicale, elle ne saurait décider la conversion.

En d'autres circonstances, l'amitié agit par l'autorité et l'entraînement de l'exemple. Ainsi Mme de Montaigu, par le spectacle de sa vie profondément chrétienne, réussit-elle à rendre la religion catholique aimable à la famille protestante des Stolberg. Mais alors l'affection n'est pas davantage le motif déterminant de la conversion. Ainsi que l'écrivait lui-même le comte de Stolberg: « Ce n'est ni à la plume, ni à la parole qu'est donné exclusivement le don de la persuasion. Ilest répandu sur toute la personne des âmes priviligiées, c'est une atmosphère, un je ne sais quoi, dont l'influence se fait sentir au fond du cœur. » Et ce « je ne sais quoi » n'est que l'idéal catholique dont la beauté devient transparente à travers l'âme de ceux qui le réalisent plus parfaitement.

Et pourtant un reste d'incertitude plane encore sur le rôle des affections dans l'évolution religieuse des convertis. Lorsque la beauté de l'idéal chrétien leur est révélée par la beauté des âmes qu'ils aiment, leur est-il donc

possible d'écarter, avec un désintéressement absolu, cet attrait personnel, direct, particulariste qui est l'essence du lien affectif et contre lequel, d'ailleurs, ils ne songent pas à se défendre? Ne s'illusionnent-ils pas sur euxmêmes et croyant se soumettre aux intimations de leur conscience, n'obéissent-ils pas plus simplement à l'inclination de leur cœur?

L'analyse de deux cas où, précisément, cet attrait dont nous parlons semble s'être exercé à son plus haut degré de puissance, nous permet de résoudre cette question délicate. Schouvaloff et l'auteur anonyme des Souvenirs d'un père eurent l'honneur d'associer à leur vie deux compagnes dignes d'être aimées et qui le furent sans mesure. Or bien loin d'avoir subi, au point de vue religieux, l'influence de leurs épouses, ils s'en sont défendus pendant de longues années, et pour les convertir, il fallut l'intervention de cette même force mystérieuse qui & investissait >> les Cohen, les Claudel et les Retté. Rien ne montre mieux l'impuissance absolue de l'amour humain à opérer directement une conversion.

Et que faut-il penser enfin des conversions que l'on affirme avoir été provoquées par une déception du cœur? L'expérience est là pour le prouver, le « désespoir d'amour » ne saurait être la cause propre du retour à Dieu, ou, s'il l'est, le retour n'est ni profond ni durable. L'histoire nous apporte, à l'appui de cette affirmation, un exemple d'autant plus frappant que, dans la même vie, nous voyons se dessiner une double conversion, la première uniquement inspirée par un chagrin de cette nature, et l'autre, par un repentir sincère. Lorsqu'elle vint frapper à la porte du couvent de Chaillot, Louise de la Vallière, celle qu'on a appelé la Madeleine du xvII siècle, agissait sous l'impulsion d'un mouvement passionnel: elle ne persévéra point dans son dessein. Lorsque, dix ans après, elle se présenta aux grilles du Carmel de Saint-Jacques, elle était sincèrement convertie, et, pendant plus de trente années, elle expia ses égarements passés.

Il est inutile de pousser plus loin cette étude. Successivement nous avons interrogé l'affection illuminatrice, l'amitié qui agit par le prestige de l'exemple, l'amour sous sa forme la plus noble et la plus pure, l'amourpassion enfin; la réponse est toujours la même, calme et sereine, répercutée de proche en proche par la conscience de nos convertis : « non, ce n'est pas l'affection humaine qui ramène les âmes à Dieu ».

CONFÉRENCES ET COURS PUBLICS

DU MOIS DE JUIN 1914

Le lundi, à 5 h. 1/4

COURS D'APOLogétique (3° série)

Nature et Rôle de la Liberté, morale, par M. le chanoine Clodius PIAT
L'idéal du bien.

8 juin.

15 juin.

22 juin.

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