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fait entendre partant de la même grosse pièce; la trajectoire était la mème: je me précipite à terre et pendant une ou deux secondes j'attends, avec quelle impatience! Vous pouvez le croire. Je le sentais qui m'arrivait dessus, car avec de l'habitude on arrive, d'après le grondement, à repérer à 15 mètres près le point de chute. Un vent rapide me passe sur la figure et une explosion à 5 metres de moi me projette en arrière. Je me releve couvert de boue, mais sans une égratignure. J'ai béni la maison Krupp du peu de précision de ses pièces et les artilleurs prussiens de leur maladresse. J'aurais eu affaire aux 75, le second obus tombait dans le trou du premier et m'écrabouillait; le tir devenait plus rapide, les feux par salve succédaient aux feux par pièce. Sur la route à 200 mètres dans un lavoir les obus avaient fait plusieurs tués et blessés : tout à coup l'un explose à 25 mètres de nous, au milieu d'un groupe de cuirassiers qui se croyaient à l'abri derrière une maison: tous, s'écroulent, sauf l'un d'entre eux, magnifique, qui resta debout quelques secondes, hurla d'une voix effrayante: « Au secours... Mon Dieu... Maman », et puis tomba; il rála quelques minutes et mourut. Il avait le crane fendu, le nez en bouillie, les jambes brisées. Un lieutenant du génie, påle comme un mort, serrait les dents : il avait la hanche déchirée par un éclat d'obus; les autres, grièvement blessés, gémissaient; le sang coulait sur leurs visages; l'un avait la cuisse trouée, le sang tombait dans les bottes; l'autre avait l'épaule traversée, le sang rougissait la tunique. Cela m'a fait revivre certains épisodes de La Guerre et la Paix. Malgré l'insouciance acquise par une longue habitude des souffrances, des misères, j'ai été très remué. Tout va bien quand même. N'allez pas vous imaginer que je cours tous les jours de grands dangers. Nous sommes dans un des secteurs les plus calmes du front.

Haute-Alsace, it avril 1915.

Ma chère Maman,

Je vous ai laissée quatre jours sans nouvelles; j'en ai passé trois aux tranchées et le quatrième jour de repos je n'ai pu résister à un pesant sommeil qui a duré 18 heures. Notre vie est toujours aussi monotone, car on s'habitue à tout, et la musique des balles et des obus, que nous envoient de temps à autre les Allemands, nous semble maintenant fastidieuse. L'autre soir vers 11 heures, comme j'étais couché à plat ventre, au poste d'écoute, en avant de la tranchée : alerte; à notre gauche le poste d'écoute des cavaliers ayant aperçu une forte patrouille ennemie, qui venait couper nos fils de fer, avait tiré et s'était replié en donnant l'alarme. Aussitôt les Allemands, entendant du bruit, croient à une attaque de notre part, garnissent leurs tranchées et tirent comme des enragés. Des nappes de balles passaient très haut, au-dessus de nos têtes, heureusement pour nous. Leurs mitrailleuses entrent en danse, concentrant leurs feux sur un même point de la tranchée. Je rentre toujours à plat ventre, l'un de mes hommes s'était bien comporté, l'autre était plus mort que vif et croyait avoir échappé à un grand danger. Le feu de l'ennemi a duré environ une heure, puis s'est éteint subitement. Notre escadron a fait preuve du plus beau sang-froid; il n'a tiré en tout que trois cartouches. Nous sommes tous restés toute la nuit dans les tranchées, la carabine dans le créneau, attendant une attaque qui n'est pas venue. Nous avons fait deux prisonniers appartenant à un régiment d'infanterie bavaroise.

Deux jours avant, les Allemands, pour fêter le centenaire de Bismarck, s'étaient grisés comme des Polonais. Puis une fois saouls, le capitaine et les officiers commandant l'unité qui nous faisait face eurent l'idée saugrenue d'attaquer nos tranchées sans préparation d'artillerie, sans feu d'infanterie, en colonne par quatre. Elles étaient distantes d'environ 300 mètres des leurs et fortifiées par un réseau serré et très haut de fils de

fer barbelés. Des cavaliers, qui les avaient vus arriver depuis quelque temps, les laissérent venir à environ 30 mètres devant nos fils de fer. Résultat : sur 100 hommes que comprenait la colonne, 60 sont tués ou blessés, 30 se rendent, ro parviennent à se sauver à plat ventre. Quand on amena les prisonniers, on découvrit qu'ils avaient tous un poignard à la botte et une demi-bouteille de vitriol dans leur capote. Les arguments de femme jalouse et de Sioux en quête de scalp n'ont pas eu de succès. Il parait qu'on a fait passer les sous-officiers prisonniers en conseil de guerre.

Donnez-moi des nouvelles de toute la famille et surtout écrivez-moi souvent. Je vous embrasse de tout mon coeur.

Henri DE BONAND.

Lettre de M. le Chanoine Dutoit, vice recteur de Lille. M. l'abbé Prunel a reçu de M. Dutoit la lettre suivante, qui contient des détails intéressants sur les conversions de prisonniers en Allemagne.

Celle, 6 avril 1915.

Cher Monsieur le Vice-Recteur et excellent ami, Merci pour votre amicale et réconfortante lettre du 16 mars; elle a grandement contribué à la joie de notre Alleluia. Nous ne jouissons pas du printemps de France, mais notre belle langue, au service d'âmes et de plumes délicates comme la vôtre, nous en apporte quand même les effluves. Ici c'est le printemps des âmes: conversions de tous degrés ont déjà abouti ou sont en bonne voie; vos livres nous offrent agréable et substantielle nourriture de l'esprit, et nous ont permis d'organiser travail personnel, prédication, cercle d'études sacerdotal, conférences philosophiques. Le Lourdes de Bertrin et le 1er volume de l'Allemagne religieuse de Goyau nous seraient bien utiles pour donner l'élan décisif à quelques àmes qui sont en route, de même que la Renaissance catholique en Angleterre par Thureau-Daugin...

... Je vous écris au lendemain d'une fète de Pàques qui a été splendide. La grand'messe, moitié plain-chant, moitié choeur et quatuor à cordes, avait réuni dans la grande salle du château, non seulement les catholiques, mais la presque totalité des prisonniers de toute provenance et de toute croyance. Tous ont entendu lecture d'évangile et courte allocution et ont pu goûter les charmes de la liturgie catholique dans ce qu'elle a de plus solennel et de plus authentique. Cet éclat de cérémonies n'a été possible que grâce à la bienveillance de notre commandant allemand qui avait mis à notre disposition la salle de réception qui nous sert d'ordinaire de grand réfectoire. Le soir le même local nous rassemblait pour un concert vocal, choral et instrumental, avec intermèdes de déclamation, dont Bach, Schumann, Gounod, Rossini, Victor Hugo ont agrémenté le programme. Toutes les nations alliées ont fourni leur part de concours, mais la France et la Belgique ont particulièrement brillé; en somme glorieuse journée pour l'Eglise et pour Patrie.

Respects et remerciements à Mgr le Recteur, dont le Mgr d'Hulst nous procure lumière, force et sainte émulation.

Fraternellement et de tout cœur in X

H. DUTOIT.

Succès universitaire.

M. Jean Hennion, étudiant de notre Faculté de Droit, a subi le 14 mai 1915 les épreuves du Doctorat juridique (2o examen), et a été reçu avec la

mention Bien.

BIBLIOGRAPHIE

La Géographie de Terre-Neuve, par Robert PERRET. Paris, Guilmoto, s. d. [1914], in-8 de vi-373 pages, avec 31 cartes et gravures hors texte : 10 francs.

M. Robert Perret est un ancien élève de l'Institut catholique et de la Sorbonne; il y a puisé, dans l'enseignement du regretté Albert de Lapparent et du professeur Marcel Dubois, un profond amour de la science, la pratique d'une méthode à la fois large et rigoureuse, et aussi de remarquables qualités d'exposition, tout en développant les dons que la Providence lui avait libéralement accordés. Il s'est, d'autre part, entraîné de bonne heure à l'observation directe de la nature et, non content d'escalader de difficiles montagnes alpestres, il a entrepris d'en préciser la topographie; avec quel succès, ceux qui s'occupent particulièrement du Fer à cheval sont les mieux qualifiés pour le dire! Mais, si intéressante qu'elle soit, l'étude d'un canton des Alpes n'a pas suffi à M. Robert Perret; une fois pourvu de la somme des connaissances qui lui étaient nécessaires comme aussi d'un entraînement physique indispensable, notre ancien étudiant s'est assigné une tâche plus considérable : laborieusement, méthodiquement aussi, il a entrepris des parages de Terre-Neuve, durant l'été de 1907, une exploration maritime et continentale dont seule, jusqu'en 1914, le Correspondant avait fait connaitre quelques épisodes et permis de pressentir l'intérêt. Depuis un an, un gros et beau livre sur la Géographie de Terre-Neuve en expose les résultats ; c'est la synthèse des études menées à bien par M. Perret sur les lieux mêmes, et aussi, dans le silence du cabinet, sur les cartes et à travers les livres, voire même les documents inédits.

C'est que M. Perret n'a négligé aucune source d'informations. Que de fois l'ai-je vu, à la bibliothèque de la Société de Géographie, pendant de longues séances, répétées autant qu'il était utile, préparant son voyage, ou encore, après son retour, réunissant tous les éléments nécessaires à la mise en œuvre systématique de ses observations ! C'est là que M. Perret a discuté et arrêté le plan de son expédition, là qu'il a choisi au milieu des régions-type, ses cinq stations de séjour dans la vieille « terre des morues »; SaintJohn's, Plaisance, Saint-Pierre, la baie des Isles et Millertown au bord du fleuve des Exploits; là aussi, il a résolu de traverser la « Long Range », de suivre les rives du Grand Lac et de reconnaître son bassin, et il a, pour tout dire, déterminé le programme que d'heureuses circonstances et, plus encore, sa ténacité et son énergie lui ont permis d'exécuter de point en point, muni du marteau du géologue, des instruments du météorologiste et d'un appareil photographique. Enfin, les bibliothèques de Paris, comme les villes, les côtes et les savanes de Terre-Neuve, les vieilles archives coloniales de Saint-Pierre ont été interrogées par M. Perret, et, comme elles aussi, elles lui ont livré une partie de leurs secrets... Après une telle préparation, si consciencieuse et si variée, peut-on s'étonner que la Géographie de Terre-Neuve soit un livre d'une très grande valeur, et comme fond, et comme ordonnance, et comme forme, où l'on trouve énormément à prendre, et à la lecture duquel on ait plaisir en même temps que profit?

Il est toujours agréable de lire un ouvrage bien fait et vraiment personnel; mais combien l'agrément s'accroît-il lorsqu'une pointe d'humour ou de légère ironie, une description vivante et pittoresque, une émotion contenue ou encore un sourire détendent un moment l'attention et procurent au lecteur le plaisir, derrière le géographe et le savant, de trouver un homme! Voilà encore un des mérites de la Géographie de Terre-Neuve; avec une parfaite bonne grâce, M. Perret sait faire partager à celui qui lit son volume les impressions, les joies, les admirations qu'il a ressenties au cours de ses expéditions dans

le

pays si bien étudié par lui. « Dans ces courses, écrit-il, j'ai connu la beauté de TerreNeuve et goûté l'ivresse de la vie libre en pays vierge. Que peut-on souhaiter de plus magnifique et de plus sauvage, qu'un soir passé devant un feu pétillant, sur une grève du Grand Lac, entre une falaise et l'eau ? Ou qu'une marche solitaire dans la forêt des Exploits, sous le clair de lune qui frise d'arabesques lumineuses le contour des sapins et des trembles? Le silence règne éternellement dans ces régions désertes où le jour est aussi calme que la nuit. Cette morne grandeur d'une nature boréale me rappelait la solennité des hautes Alpes, à l'instant où l'ombre gagne les cimes et où les neiges s'éteignent, quand la perdrix blanche est blottie sous une roche et quand il n'y a plus d'animé sous le ciel que les nuages chassés par le vent. »

La jolie page! et comme elle est faite pour exciter à poursuivre la lecture d'un volume qui débute de la sorte! D'un bout à l'autre, pour notre part, nous avons lu la Géographie de Terre-Neuve, et nous n'avons cessé de nous en féliciter; comme nous y avons appris! C'est un ouvrage plein de faits et vraiment personnel à tous égards, une monographie géographique très bien ordonnée, accompagnée de cartes excellentes et de quelques gravures pleinement démonstratives; en le fermant, on se plait à y reconnaitre (comme notre commun maitre, M. Marcel Dubois) une œuvre « forte et séduisante à la fois ». Aussi n'est-on pas surpris que la Sorbonne et la Société de Géographie se soient plu à en proclamer la valeur en conférant à M. Robert Perret, la première le bonnet de docteur és lettres et la seconde un beau prix. La Géographie de Terre-Neuve est en effet une œuvre qui s'impose à l'attention et qui restera.

Henri FROIDEVAUX,

BIBLIOTHÈQUE

Dons de Livres

M. HERBOUT; collections importantes d'ouvrages de droit: DAlloz, Merlin, MarCADÉ, etc.

M. le chanoine DESCHAMPS; SIRBY: Recueil périodique jusqu'en 1905.

M. DE LAMARZELLE, Collection d'ouvrages d'économie sociale.

M. CLARO, avocat à la Cour, Collection d'ouvrages juridiques.

Le Gérant: CH. BAULES.

Paris. Imp. LEVÉ, rue Cassette, 17. — S.

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