Page images
PDF
EPUB

au protestantisme continental par le foud, niant les mêmes dogmes que lui, mais elle s'en distingue par la forme, conservant du catholicisme, outre la pompe des cérémonies, les ornements sacerdotaux et la riche décoration des églises, la hiérarchie ecclésiastique, c'est-à-dire l'épiscopat, qu'elle fait remonter jusqu'aux apôtres par une succession ininterrompue. Ceci donne à l'anglicanisme son caractère propre.

Tout en haut de la hiérarchie ecclésiastique, et la dominant sans en faire partie, se trouve le roi, qui a sur l'Eglise de son royaume la juridiction, l'autorité que possède le Pape sur l'Eglise universelle. Ainsi constitué par la loi de Suprématie de 1559, l'anglicanisme est le plus ferme appui du trône, de même que le trône est son soutien le plus assuré. « Point d'évêques, point de roi », avait coutume de dire Jacques Ier.

L'Eglise anglicane fut aussi fortement soutenue par Jacques ler qu'elle l'avait été par Elisabeth. Mais elle était menacée par un danger intérieur, qui devait, au temps de Charles Ier, faire craindre pour son existence même. Ce danger n'était autre que le puritanisme.

Le puritain, appelé d'abord non-conformiste, date du règne d'Elisabeth. Non seulement il désapprouve certains rites, réclamant une forme de culte plus simple et plus pure, mais il conçoit le ministère ecclésiastique d'une façon tout autre que l'anglican, le sacerdoce n'ayant d'autre fondement à ses yeux que la prédication. Il veut rester dans l'Eglise d'Angleterre mais la transformer, en abolissant l'épiscopat, en organisant d'une façon toute différente les fonctions de ministre, en introduisant un culte différent de celui qui est établi par la loi, en dépouillant, en un mot, l'anglicanisme de ce qui est son caractère propre et le rapproche extérieurement du catholicisme.

La lutte entre anglicans et puritains dura tout le règne d'Elisabeth, les premiers disposant des mesures coercitives de la loi, les seconds du pamphlet imprimé par une presse mobile qui échappait aux poursuites de la justice.

Les puritains, traités durement par Elisabeth, saluèrent avec joie l'avènement de Jacques Ier, élevé dans la théologie de Genève, nourri de la moelle même des doctrines presbytériennes. Mais, à mesure que ses espérances au trône d'Angleterre devenaient plus grandes, Jacques avait appris à préférer la discipline soumise de l'Eglise anglicane, qui reconnaissait le souverain comme son chef, aux formes indépendantes d'une secte républicaine, où le roi n'était ni chef ni seigneur, mais un simple membre de la communauté ».

Après avoir essayé vainement de les ramener par la persuasion, à la conférence d'Hampton-Court (janvier 1604), Jacques Ier voulut réduire les puritains par la force: ils durent se soumettre aux règles liturgiques de Î'Eglise établie ou se démettre. La détresse des ministres destitués et de leur famille, l'emprisonnement de quelques-uns et l'exil volontaire de certains autres ont été déplorés et peints avec de sombres couleurs par les écrivains puritains, qui en parlent comme de la plus violente des

*

persécutions. Le fossé se creusait de plus en plus profond entre anglicans et non-conformistes.

Le conflit, après s'être réduit à des discussions de rites et de cérémonies, prit bientôt un caractère plus politique qu'ecclésiastique : les évêques s'appuyèrent sur le roi, faisant une alliance dangereuse avec les prétentions insoutenables de Jacques Ier au gouvernement absolu, tandis que les puritains s'alliaient avec le Parlement et avec le mouvement de plus en plus fort qui poussait la petite noblesse et la bourgeoisie à la liberté individuelle et au gouvernement constitutionnel.

Le travail latent de ces deux forces contraires occupa tout le règne de Jacques et termina par une brusque catastrophe celui de son fils Charles Ier.

Le catholicisme, restauré en Angleterre par Marie Tudor (1553-1558) et redevenu avec elle la religion d'Etat, avait été aboli par Elisabeth et cruellement poursuivi. Une persécution systématique, tenace et constante visa l'extinction graduelle et complète du catholicisme en Angleterre.

Cependant l'Eglise y conserva un groupe compact de fidèles affermis par l'épreuve. La persécution avait développé en eux une force de résistance et d'énergie qui ne devait plus se démentir. Les catholiques, ruinés par des amendes onéreuses, parqués comme des pestiférés, menacés de la mort des traîtres, privés d'élever leurs propres enfants, bien que réduits à 120.000, formèrent une minorité imposante dont durent tenir compte les successeurs d'Elisabeth.

Jacques I, n'étant que roi d'Ecosse, avait fait les plus belles promesses aux catholiques anglais, afin de les gagner à sa cause par l'espoir de la tolérance. Mais une fois sur le trône d'Angleterre, il oublia tous ses engagements et déclara que « les protestants l'ayant si généralement accueilli et proclamé roi, il n'avait plus besoin des papistes ».

Désabusés, les catholiques passèrent de l'espérance au mécontentement. Alors éclata le premier complot, à l'instigation de deux prêtres séculiers, Watson et Clarke. Bien que sévèrement blâmé par Clément VIII, il servit de prétexte à de nouveaux édits de persécution, qui poussèrent quelques catholiques exaspérés à une seconde conspiration, celle dite des poudres (novembre 1605).

Cette conspiration démontrait aux esprits réfléchis le danger de pousser des hommes au désespoir, en les châtiant pour leurs opinions religieuses. Mais la leçon fut perdue. Les lois existantes contre les catholiques, tout oppressives et sanguinaires qu'elles étaient, parurent encore trop bénignes, et quoique la justice eût été satisfaite par la condamnation et la mort des coupables, la vengeance et le fanatisme cherchèrent encore des victimes parmi les innocents. Le corps entier des catholiques anglais dut payer pour le crime de quelques-uns. Le Parlement, malgré les sages avis du roi de France, Henri IV, vota deux lois qui, sans rien retrancher aux

anciennes, ajoutèrent encore à leur sévérité (27 mai 1606). Elles ne contenaient pas moins de 71 articles qui infligeaient des peines aux catholiques, suivant leur condition de maîtres, de domestiques, d'époux, de parents, d'enfants, d'héritiers, de patrons, d'avocats et de médecins, les poursuivant du berceau à la tombe, ne respectant ni la vie privée, ni les liens du mariage, ni le foyer de la famille.

Malgré tout, le catholicisme anglais ne périt point. C'est principalement sur le continent qu'il manifeste sa vitalité et son expansion croissante par des fondations nombreuses, monastères et collèges qui n'ont d'autre but que de préparer son retour et son efflorescence en Angleterre. A l'intérieur, il est moins oppressé en fait qu'au temps d'Elisabeth : si le Code pénal qui le vise reste tout aussi rigoureux et même a été aggravé sur certains points, Jacques Ier, sans être partisan d'une tolérance qu'ignore son siècle, n'a point contre lui les préjugés de la dernière des Tudors; il cède moins à son inclination propre qu'aux avis de son Conseil et au zèle puritain des Communes, quand il sanctionne ou applique les lois persécutrices. Autant qu'il le peut, il en arrête l'exécution brutale et continue. Durant son règne, 24 catholiques moururent pour leurs croyances, au lieu de 250 sous Elisabeth.

A l'avènement de Charles Ier, la situation respective du catholicisme et de l'anglicanisme est nette. D'une part, une Eglise officiellement abolie, toute petite, décimée par la persécution, mais pleine d'énergie, de constance et d'espoir, qui travaille tant à l'intérieur qu'à l'extérieur à la conservation et à l'extension de sa foi; c'est l'Eglise catholique. D'autre part, une Eglise officiellement la seule du royaume, la seule reconnue et protégée, soutenue de toutes façons par la couronne qui lui prête son autorité et sa puissance, mais rongée intérieurement par le ver du puritanisme, en proie à des luttes intestines qui vont, au temps de Charles Ier, la mener à deux doigts de sa perte; c'est l'Eglise anglicane.

[blocks in formation]

A Jacques Ier succéda l'unique fils qui lui restait, Charles Ier. Le nouveau roi avait 24 ans. D'un port noble et gracieux, il était, au contraire de son père, d'un tempérament actif et vigoureux. Ses nombreux portraits, par Van Dyck dont le plus beau peut-être se trouve au Louvre, nous rendent ses traits aussi familiers que ceux d'un contemporain, et leur prêtent le charme attaché à la palette magique du grand maître.

M. de la Ville-aux-Clercs, chargé de négocier le mariage de la sœur de Louis XIII, répondit à Richelieu qui l'interrogeait sur le futur époux d'Henriette-Marie: « C'est un sot ou un homme extraordinaire, suivant que son silence est involontaire ou calculé. » Charles n'était ni si nul ni si profond que le soupçonnait le diplomate. Son silence tenait à la difficulté de s'exprimer

et à la gêne qu'il en ressentait. Il était intelligent, comme le reconnaissaient ses ennemis. Plus qu'aucun autre roi d'Angleterre, il eut le goût des beaux-arts et de la littérature. Il parlait et écrivait correctement, avec dignité, mais sans l'humour ou la profondeur dont l'imprévu relevait la loquacité de son père. Il fut dévot, tempéré, chaste, sérieux (ce sont les paroles mêmes d'une dame puritaine). Beaucoup de vertus qui ennoblissent la vie privée lui furent départies, et sa fidélité conjugale donna aux souverains de son temps un exemple rare. Aux vertus d'un chef de famille, il joignit quelques-unes de celles d'un chef d'Etat. Sur le champ de bataille, il fut courageux, et non sans talent militaire. Et ce n'est pas seulement sur l'échafaud qu'il fit preuve de dignité et de noblesse.

De telles qualités lui eussent suffi, à une autre époque, pour régner avec honneur et pour le bien de son peuple. Mais les difficultés d'un temps agité par l'esprit d'indépendance et de révolution révélèrent en Charles les défauts d'intelligence et de caractère qu'il avait hérités des Stuarts. Son grand tort fut de ne comprendre ni les caractères individuels avec lesquels il eut à combattre, ni les aspirations générales du peuple qu'il avait à gouverner. Il doubla d'une erreur de conduite toutes ses erreurs de jugement, car il était faible quand il convenait de résister, obstiné là où il eût fallu céder. « C'est un prince doux et aimable, écrira Laud dans un moment de dépit, qui n'a jamais su être ou devenir grand. » N'ayant pas le courage de reconnaître ses propres défauts, il ne choisit point comme conseillers ceux qui auraient pu en contre-balancer le fâcheux effet. Il pécha surtout — et nul ne le conteste par son manque de sincérité. Traçant en deux mots le portrait de Charles Stuart devant la Chambre des Communes, Cromwell dira: « Le roi est intelligent; il a de grandes facultés; mais on ne peut se fier à lui; c'est le plus déterminé menteur qui soit au monde. » Charles eût tout promis, mais avec la confiance intime de pouvoir dégager sa parole. Considérant toute résistance à sa volonté propre comme mauvaise ou absurde, il n'eut pas plus de scrupule à tromper un opposant, que n'en éprouve le commun peuple à désarmer par la fourberie un voleur ou un fou. Les mensonges, par une étrange obliquité de conscience, lui paraissaient de légitimes artifices mis au service de la bonne cause.

L'équipée de Madrid, où il se rendit déguisé et à l'insu de tous pour hâter son mariage avec l'infante, donna au monde le premier exemple de sa duplicité. Tout était convenu, les serments échangés, la dispense du Pape accordée et la date de la cérémonie fixée, lorsque soudain il rompit tout, entraînant Jacques Ier dans une guerre qui troubla et peut-être abrégea ses jours.

Charles I avait été élevé dans la doctrine et la discipline de l'Eglise anglicane; il fut sincèrement religieux, sans le pédantisme affecté de son père. « Quand vous prîtes la couronne, écrira quelques années plus tard sir Henry Wotton, vous nous paraissiez avant tout une âme religieuse, la force de vos royaumes, la joie des gens honnêtes et bons. Jamais la chapelle royale ne fut mieux ordonnée; jamais le prêche ne fut plus fréquenté, plus instructif; jamais surtout l'exemple du prince, surpassant tout sermon,

ne fut plus efficace. » Tel était Charles, aux yeux de ses amis, lorsqu'il monta sur le trône, tel il resta. L'adversité ne fit que développer ses sentiments religieux. Du commencement jusqu'à la fin, il demeura le fils dévoué de l'Eglise anglicane. Comme son père, mais par conviction moins politique que religieuse, il mit au service de cette Eglise le prestige de sa couronne et la puissance de son absolutisme royal.

L'absolutisme fut l'idéal politique de Charles. Il l'avait hérité de son père, qui en avait exposé la théorie dans The true Law of free monarchies (La vrai loi des monarchies libres). Il suivit et appliqua avec persistance ses principes absolutistes, tant que le lui permirent les circonstances, et lorsque ce ne fut plus possible, il resta désemparé, n'ayant aucune autre boussole politique. En défendant et en développant de son mieux la prérogative souveraine, il pensait faire son devoir de roi; il s'en crut le champion et, finalement, le martyr. Elevé dans les idées d'absolutisme, il avait vu, de ses propres yeux, comment les souverains étaient obéis à l'Escurial et au Louvre. Il crut possible d'imposer le même joug à ses sujets. C'était ignorer ses contemporains, et méconnaître des hommes dont l'orgueil égalait le sien. L'Angleterre n'était ni la France ni l'Espagne, pays où la tradition monarchique pure n'était tempérée que par les « libertés » locales. Charles imposa bien au royaume dix ans de monarchie absolue, de 1630 à 1640; mais ce fut pour aboutir au « long Parlement », à la guerre civile et à la chute de la royauté.

Cette catastrophe, Charles eût pu l'éviter, s'il avait su choisir des conseillers avisés, capables de l'éclairer et de suppléer à ce qui lui manquait. Mais ce dont il ne l'eut point. Il suivit toujours l'avis de ceux qui lui plaisaient; et s'ils lui plaisaient, ce n'était point pour leur sagesse politique. Jamais Charles Ier n'aurait donné à un esprit supérieur la confiance que Louis XIII plaça en Richelieu. Pendant la guerre civile, il accorde plus de crédit aux projets chimériques de l'intrigant Digby qu'aux raisonnements d'un homme d'Etat comme Hyde. Auparavant, Buckingham, Strafford, Laud, eurent sur lui plus d'influence que n'importe quel homme politique sur un souverain, et l'oreille d'un roi d'Angleterre ne pouvait écouter plus dangereux conseillers.

Le duc de Buckingham, le comte de Strafford, l'archevêque Laud, partageant les idées politiques de Charles et les flattant, l'endurcirent dans son aveuglement. Au lieu de tempérer l'absolutisme royal, ils en furent tous les trois les instruments. Le premier fut assassiné; les deux autres devaient précéder leur maître sur l'échafaud.

L'absolutisme de Charles Ier, dangereux pour la royauté, le fut aussi pour l'Eglise qui avait contracté avec elle une union étroite et qui reposait tout entière sur elle. Le trône ébranlé, l'Eglise anglicane menaça de crouler. « Qu'est-ce que l'épiscopat, s'écriera Bossuet dans l'oraison funèbre de la reine Henriette, quand il se sépare de l'Eglise qui est son tout et du Saint-Siège qui est son centre, pour s'attacher contres a nature à la royauté comme à son chef? Ces deux puissances d'un ordre si différent ne s'unissent pas, mais s'embarrassent mutuellement, quand on les confond

« PreviousContinue »