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ensemble. » L'épiscopat anglican, participant à l'absolutisme royal et le favorisant, va devenir le point de mire des adversaires de la royauté et sombrer avec elle.

Histoire de la Révolution française

COURS PUBLIC DE M. GUSTAVE GAUTHEROT

L'agonie de Marie-Antoinette

I (10 janvier).

Marie-Antoinette devant l'histoire

Louis Blanc a lancé ce défi aux défenseurs de Marie-Antoinette :

« Lorsque l'accusateur public montrait Marie-Antoinette rompant avec la vie facile de ses premières années pour être l'âme d'une guerre à mort contre la Révolution, prenant possession de son époux, le troublant, l'irritant, l'énervant du regret d'un pouvoir perdu, lui soufflant le mépris de la foi jurée, mettant la main au fond de tous les complots, devenant le roi des nobles et la «<< déesse » des prêtres, s'alliant en secret aux ennemis extérieurs de la République, et, pour reprendre un sceptre que l'ancien régime avait fait d'airain, prête à courir la sanglante aventure d'une guerre é trangère compliquée d'une guerre civile, quel homme alors, l'histoire sous les yeux, eût osé se lever et dire à l'accusateur public: Vous mentez! »

L'histoire sous les yeux! Louis Blanc osait assimiler à une page d'histoire le réquisitoire d'un Fouquier-Tinville! Entre son propre esprit et l'histoire, ce romantique maintenait l'épais rideau des brouillards de la légende jacobine; il ignorait que « le mépris de la foi jurée » fut précisément le fait des destructeurs de l'ancienne France et que, s'il y eut « complot », ce mot ne s'applique à rien sinon à leurs anarchiques menées; il ignorait que Marie-Antoinette, grandie par le malheur, n'usa de sa légitime influence sur le roi que pour l'arracher aux pires abdications et ne lança à l'Europe ses cris de suprême détresse qu'en condamnant à l'avance la moindre atteinte portée à l'intégrité du territoire de sa nouvelle patrie; il ignorait que, s'il y eut un « sceptre d'airain », ce ne fut point le sceptre paternel de la monarchie nationale, mais le triangle homicide du gouvernement de la Terreur; il ignorait que si les prisonniers du Temple en devinrent à leur tour les victimes, ce fut parce que Louis XVI ne voulut point verser le sang de ses ennemis et se refusa jusqu'au bout à voir des assassins dans les organisateurs de la « guerre civile »; il ignorait enfin, il ne voulait pas comprendre que si, jusqu'au pied de l'échafaud, MarieAntoinette sut défendre l'inviolabilité de sa conscience et de ses droits de reine de France, ce fut là, justement, en ce temps de folie et de lâcheté, la marque de sa grandeur.

«Oportet unum mori pro populo: il faut qu'un seul meure pour le peuple », devait-elle écrire, d'une main tremblante de fièvre, en tête d'un exemplaire du plaidoyer de son mari que lui remit secrètement le municipal Vincent; elle aussi devait être immolée, et il importe de savoir si c'est vraiment pour le peuple » que la supplicièrent ses bourreaux.

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En août 1790, une affiche placardée sur les murs de Paris déclarait qu'«< il n'y avait point un crime de lèse-nation, mais [seulement] un crime de lèsemajesté à avoir voulu tuer la reine ». Elle supplia alors la princesse de Lamballe de ne pas venir se jeter « dans la gueule du tigre ». N'avait-elle pas, elle aussi, le droit de sauver sa vie?

On menaçait de reviser le procès du collier pour réhabiliter l'infâme La Motte; n'avait-elle pas le devoir de sauver son honneur?

On arrachait au roi, l'une après l'autre, les prérogatives qui étaient les garanties séculaires de la grandeur nationale et des libertés publiques; on assiégeait sa conscience et, de capitulations en capitulations, le faible Louis XVI en était venu à se livrer à l'ennemi. Sa résignation, certes, ni ses suprêmes illusions ne manquaient point de grandeur; lors de son procès, il fit supprimer du plaidoyer de de Sèze les passages les plus éloquents, « ne voulant pas devoir son salut à l'attendrissement, mais à la conscience de ses bourreaux ». Mais il avait renoncé à l'énergie qui fait le souverain au point d'écrire dans son testament lui-même : « Je recommande à mon fils, s'il avait le malheur de devenir roi, de songer qu'il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens. » Marie-Antoinette n'avait-elle pas le droit de vouloir pour le roi défaillant?

Elle n'avait point aspiré jadis à un pareil rôle, Jules Flammermont, mort prématurément, voulait écrire le règne de Marie-Antoinette. Comment le savant historien aurait-il soutenu sa thèse, à moins de mettre en lumière ce que disait M. de Lescure de la vraie Marie-Antoinette: elle voulut « régner par l'amour » et ne « vit longtemps dans le pouvoir que le droit de plaire à tout le monde »?

Ses dons naturels en donnaient l'espérance. « Dieu vous a comblée de tant de grâces, lui avait écrit sa mère le 1er novembre 1770, de tant de douceur et de docilité, que tout le monde doit vous aimer. C'est un don de Dieu; il faut le conserver soigneusement pour votre propre bonheur. »

Peut-être fut-ce ce « don » lui-même qui causa ses malheurs, car, s'il lui valut des amitiés profondes qui se dévouèrent jusqu'à la mort et l'auraient à la fin sauvée si la chose eût été humainement possible, il lui suscita par contre d'implacables haines qui se firent d'autant plus perfides que la tête à abattre était plus haute.

Longtemps, trop longtemps, son ingénue frivolité offrit à ces haines une prise redoutable. L'histoire qui, même à une femme, à une reine aussi infortunée, ne doit que l'impartialité, l'histoire ne saurait l'oublier :

« Absolument honnête au sens strict du mot,... mais entraînée dans un tourbillon de plaisirs, elle était devenue indifférente à l'ennui de son trop indulgent époux, aux gronderies de sa mère, aux remontrances respectueuses de l'ambassadeur impérial Mercy-Argenteau, aux observations attristées de son confesseur, l'abbé Vermond, et allait jusqu'à négliger ses intérêts les plus graves de souveraine et d'épouse, lorsque son amusement immédiat ou la satisfaction de ses volontés était en jeu. » Comme elle insistait auprès de Joseph II pour avoir son avis sur l'échafaudage de plumes et de fleurs qui composait sa coiffure : « Ma foi, répondit l'empereur, si vous voulez que je vous donne mon avis franchement, je la trouve bien légère pour porter une couronne. »

Seulement, l'histoire doit se hâter de l'ajouter, cette insouciante légèreté était non seulement de l'âge qu'avait alors Marie-Antoinette, elle était encore et surtout de son temps. La jeune archiduchesse était arrivée en France au déclin d'un siècle corrupteur, et la cour de Versailles était le foyer le plus brillant, mais aussi le plus gangrené de cette corruption: seule une sainte, comme Madame Elisabeth, pouvait y trôner sans en être atteinte.

En tout cas, Marie-Antoinette ne lui abandonna ni les délicatesses de son cœur d'épouse et de mère, ni les puissances de son âme. La preuve en est que pour la frapper, il fallut la calomnier, et, dès l'abord, de la plus ignoble façon. (Ce point sera ultérieurement établi.)

« Si les Français savaient ce qu'elle vaut, disait Louis XVI à Malesherbes avant de partir pour l'échafaud, s'ils savaient à quel degré de perfection elle s'est élevée depuis nos infortunes, ils la révéreraient, ils la chériraient. >>

Mais les Français ne « savaient » pas. Sur son compte, ils en croyaient les pamphlets qui surgissaient alors, comme de vénéneux champignons, entre tous les pavés révolutionnaires échauffés par l'orage; telle, pour ne citer qu'une seule de ces feuilles, cette Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette d'Autriche, ci-devant reine des Français, depuis son arrivée en France jusqu'à sa détention au Temple, parue en 1793 au palais de la Révolution. Voici comment les trois volumes de cette ordure étaient annoncés par Dubroca dans la Feuille de correspondance du libraire :

<«< Nous avertissons par avance les pères de famille de ne pas laisser cet ouvrage dans les mains de leurs enfants. Les gravures libres dont il est accompagné, le style non moins libre dont il est écrit pourraient produire en eux des ravages dont ils se repentiraient, et nous sommes au moment où des mœurs sévères doivent présider à l'éducation de notre jeunesse. Il ne faut donc mettre cet ouvrage que dans les mains des hommes faits ; encore doit-on les prévenir que ce n'est pas la vérité tout entière qu'ils liront, mais bien de fortes présomptions sur la plupart des faits racontés. Au surplus, le mal que la calomnie pourrait répandre sur une famille aussi perverse est si peu de chose en comparaison de celui qu'elle a voulu nous

faire, que, quand il arrivera que les traits les plus faux de cette histoire seraient crus à la lettre, ce ne serait encore qu'une juste peine que subiraient des êtres malveillants auxquels une nation généreuse voulait assurer le plus beau sort de l'univers, et qui, pour prix d'un semblable bienfait, tramèrent le complot le plus affreux dont l'histoire nous ait transmis le détail. »

Parfois, l'hypocrisie des folliculaires prenait moins de précautions encore, et l'auteur de certaine Vie de Marie-Antoinette, femme du dernier tyran des Français, annonçait tout simplement qu'il reproduisait des « lettres trouvées dans un petit portefeuille vert renfermé dans un compartiment secret du bureau de la reine ».

Dans son entretien suprême avec Malesherbes, Louis XVI avait ajouté : << Les factieux ne mettent cet acharnement à décrier et à noircir la reine que pour préparer le peuple à la voir périr. Sa mort est résolue. En lui laissant la vie, on craindrait qu'elle ne me vengeât. »><

Or, on connaît la lettre que Marie-Antoinette écrivit à l'aube de sa

mort:

«<... Je suis calme, comme on l'est quand la conscience ne reproche rien... Que mon fils n'oublie jamais les derniers mots de son père que je lui répète expressément qu'il ne cherche jamais à venger notre mort... Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. »>

Pardon chrétien que Madame Royale devait crayonner à son tour sur la muraille de sa prison du Temple :

« O mon père, veillez sur moi du haut du Ciel!

«

<< O mon Dieu, pardonnez à tous ceux qui ont fait mourir mes parents! >> On raconte qu'en lisant un jour cette inscription, le régicide Rovère tressaillit: « Le remords, avouera-t-il, me poussa hors de l'appartement.

Cet ex-marquis de Rovère, jadis capitaine dans l'armée pontificale, mourut trois ans après sur les pontons de Sinnamary. D'autres portèrent plus longtemps le poids du remords qui les courba plus tard « aux genoux des rois », tenant à la main le testament de leurs augustes victimes...

Mais déjà l'opinion de la postérité était officiellement trompée comme celle des contemporains de Marie-Antoinette. Napoléon lui-même, qui pourtant devait dire : « Une femme qui n'avait que des honneurs sans pouvoirs; une princesse étrangère, le plus sacré des otages, se traînant du trône à l'échafaud à travers tous les genres d'outrages: il y a là quelque chose de pire encore que le régicide », Napoléon fit emprisonner les auteurs et les libraires qui osaient éclairer le public sur les infortunes des royales victimes. Le 25 octobre 1810, il écrivait au ministre de la police Savary au sujet des éditeurs du testament de Louis XVI: « Faites-les enfermer dans une prison d'Etat... Faites-moi remettre l'état des libraires et imprimeurs dont le mauvais esprit est connu et sur lesquels on ne peut pas compter afin que je leur ôte leur brevet. Suivez cela avec activité, car il est temps qu'on en finisse. Il n'y a pas de plus grands crimes que celui que commettent ces individus. »

C'est ainsi que se sont créées les légendes et que pour Marie-Antoinette le tribunal révolutionnaire siège encore.

Il est temps d'en appeler au jugement de l'impartiale histoire...

II (17 janvier). - Les pamphlets déshonorants avant 1789

Marie-Antoinette, a écrit l'un de ses historiens, « paraît être le bouclier du trône. Il faut qu'elle en devienne le côté vulnérable. La crédulité publique fournira l'arme, la calomnie l'aiguisera. C'est la goutte d'eau qui tombe sans cesse et entame le granit; c'est aussi l'épervier qui fixe sa proie, l'étourdit, la fascine, se précipite et la dévore ». (J. DE CHAMBRIER.) Si une haine implacable s'acharna sur ce front que ceignait la couronne de France, sur ce cœur rempli pourtant d'amour, sur cette âme légère, condamnée à toutes les angoisses, ce fut, en effet, parce qu'au sein d'une société corrompue, et malgré toutes les éclaboussures dont cette corruption ternit sa radieuse et trop frivole jeunesse, elle resta, selon l'expression de Mirabeau, « par le caractère, la justesse d'esprit et la fermeté..., la première et la plus forte barrière du trône, et comme la sentinelle qui veille de plus près à la sûreté du monarque ».

Que la Révolution ait voulu déshonorer cette femme, sa pire ennemie, pour justifier le crime qu'elle préméditait; que des valets à gages comme Hébert et Fouquier-Tinville, des politiciens férocement ambitieux comme Robespierre, des fous furieux comme Marat aient déversé sur elle l'ordure et la calomnie, il n'y a pas lieu de s'en étonner; mais que beaucoup des armes empoisonnées, ramassées par eux, aient été forgées par les « aristocrates » qui devaient partager son sort, il y a là de poignantes leçons.

Hâtons-nous pourtant de l'ajouter: de même qu'il ne faut pas confondre avec le peuple de France les bandes jacobines de l'époque révolutionnaire, il faut se garder d'assimiler à la noblesse de cour toute la société française du XVIIIe siècle. En général, sous la dépravation à la mode d'une trop xvin grande partie de la haute aristocratie, subsistaient des vertus héréditaires que le malheur fera réapparaître. Mais cette dépravation, châtiée par la Révolution, n'en était pas moins effroyable.

Mettons de suite le doigt sur la plaie : l'irréligion. Lès libres penseurs étaient devenus, fatalement, des libres viveurs, ou plutôt les libres viveurs de cette société en décadence trouvaient très commode d'épouser, morganatiquement, les doctrines d'athéisme. Les esprits « forts » étaient ainsi les « procureurs » de tous les esprits faibles, et ce fut là, sans nul doute, la raison de leur force destructive.

Une jeune femme de vingt-deux ans repoussa, au seuil de la mort, le prêtre qui s'approchait : « Si je n'étais si mal, dit-elle, je pourrais m'amuser

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