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(Isaïe, LI, 4-12), a consacré par là même l'idée théologique de la satis

faction.

Voici ce texte que j'ai déjà eu occasion de lire l'an dernier, à propos des prophéties de l'Ancien Testament :

Mais il a pris sur Lui nos souffrances
Et de nos douleurs il s'est chargé,
Et il paraissait à nos yeux châtié,
Frappé de Dieu et humilié.

Il a été transpercé pour nos iniquités,

Le châtiment qui nous sauve a pesé sur Lui

Et par ses plaies nous sommes guéris.

Tous nous étions errants comme des brebis,
Chacun suivait sa propre voie,

Et Iahvé a fait tomber sur Lui

L'iniquité de tous.

Il était maltraité, et lui se résignait,

Il n'ouvrait pas la bouche.

Comme un agneau qu'on porte à la boucherie

Comme la brebis muette aux mains du tondeur,

Il n'ouvrait pas la bouche.

Par un jugement inique il est emporté,

Et qui songe à défendre sa cause?

On lui prépare une tombe entre les impies,

Il meurt avec les malfaiteurs ;

Pourtant il n'y eut point d'injustice en ses œuvres
Et point de mensonge en sa bouche;

Mais il plut à Iahvé de le broyer par la souffrance.
S'il offre sa vie en sacrifice pour le péché,

Il aura une postérité, il multipliera ses jours;
En ses mains l'œuvre de Iahvé prospérera.
Délivré des tourments de son âme, il le verra;

Ce qu'il connaîtra comblera ses désirs.

Le Juste, mon serviteur, justifiera des multitudes,

Il se chargera de leurs iniquités ;

C'est pourquoi je lui donnerai, pour sa part, des multitudes,

Il recevra des foules pour sa part de butin,

Parce qu'il s'est livré à la mort,

Et qu'il fut compté parmi les pécheurs

Tandis qu'il portait les fautes d'une multitude
Et qu'il intercédait pour les pécheurs.

Ainsi donc le Christ a bien satisfait à la justice divine pour l'humanité. coupable. Nous trouvons en effet dans ce texte que Jésus s'applique et réalise à la lettre, en même temps qu'il s'applique et réalise le texte qui décrit à l'avance tous les détails de la Passion, toutes les idées qui sont devenues communes parmi les chrétiens. L'humanité a encouru la colère divine pour ses péchés. Jésus prend sur lui le châtiment. Il est frappé de Dieu et humilié, parce qu'il s'est substitué aux coupables. Il s'offre à Dieu comme

un agneau, comme une victime, en sacrifice; Dieu agrée la substitution et le sacrifice. Finalement les multitudes sont justifiées dans son sang.

Aussi ne devons-nous pas ètre surpris que Jésus en instituant l'Eucharistie, immédiatement avant sa Passion, prononce ces paroles : « Ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour les multitudes en rémission des péchés. » (Matth., XXVI, 28.) Saint Paul insiste à xxvi, chaque instant sur la même idée : « Alors que nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils. » (Rom., v, 10.) « Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang, pour montrer sa justice par la rémission des péchés précédents. » (Rom., 111, 25.) C'est toujours la même pensée du Christ substitué à l'humanité tout entière qu'exprime l'Apôtre, quand il dit que Jésus « s'est fait péché pour nous », qu'il est devenu « malédiction », car il est écrit: «< Maudit soit celui qui est suspendu au bois du supplice. » (Galat., III, 13.) C'est pourquoi, si l'on veut essayer de faire une synthèse doctrinale, et ne pas s'arrêter à un seul des divers aspects de l'acte rédempteur, si l'on veut essayer de ramener tous ces aspects à l'unité et les expliquer par un seul principe, on peut, comme vient de le faire le P. Prat, ramener la Rédemption au principe de la solidarité. Jésus, quoique innocent, s'est fait solidaire du genre humain coupable,et ainsi il a pu racheter le monde. Voici comment s'exprime le P. Prat, dans son ouvrage sur La Théologie de saint Paul:

« Tous ces points de vue [précédents] sont justes dans une certaine mesure, tous doivent être mis en lumière et ils ne peuvent l'être que successivement; mais tous sont incomplets, et c'est pour les avoir isolés, en exagérant l'un au détriment des autres, qu'on a imaginé des systèmes contradictoires, insuffisants dans leur étroitesse et faux surtout par leur exclusivisme. Chacun d'eux représente une parcelle de vérité, non la vérité tout entière. La théorie du rachat est juste, car le péché nous constituait vraiment débiteurs à l'égard de Dieu, et nous étions hors d'état de payer notre dette; mais cette dette, ce n'est pas un étranger qui la paie pour nous, c'est le genre humain qui l'acquitte lui-même par Jésus-Christ. son représentant. La théorie de la substitution est juste, car le Christ a subi pour nous une peine qu'il ne méritait pas ; mais la substitution est incom plète, puisque celui qui expie nos fautes est le chef de notre famille et qu'ainsi nous les expions en lui et par lui. La théorie de la satisfaction est juste, mais à condition de ne pas l'appuyer exclusivement sur une substi tution de personnes, car un affront n'est vraiment lavé que si l'offenseur prend part à la réparation, comme il a eu part à l'offense. Ainsi quelque chemin qu'on prenne, à moins de s'arrêter en route, on aboutit toujours au principe de la solidarité.

« Ce principe révélateur, les Pères de l'Eglise l'ont non seulement aperçu, mais clairement formulé. Tous disent équivalemment que JésusChrist a dû devenir ce que nous sommes pour nous faire devenir ce qu'il est; qu'il s'est incarné, afin que la délivrance fût par un homme, comme

la chute avait été par un homme; que le Christ, en tant que rédempteur, résume et récapitule toute l'humanité; que Dieu a voulu relever notre nature par elle-même et par ses propres ressources, grâce au Verbe fait chair. Plusieurs d'entre eux, loin de méconnaître le principe de la solidarité, en outreraient plutôt l'application. Les théologiens modernes, eux aussi, entrent de plus en plus dans cet ordre d'idées; les catholiques y cherchent un complément nécessaire à la doctrine de la satisfaction; les protestants, un correctif non moins nécessaire à la théorie de la substitution, dont ils retiennent religieusement la terminologie. C'est un heureux symptôme; on s'achemine par degrés à une conception de la mort rédemptrice qui coupe court à bien des difficultés et qui finira par rallier tous ceux qui accordent à la rédemption une valeur objective'. »

Le principe de la solidarité entre le Christ et l'humanité, principe admis par beaucoup de Pères, est celui-ci : le genre humain est contenu dans le Christ comme dans son chef et son fondé de pouvoirs, de sorte que les actions du Christ sont moralement les actions de la famille humaine 2. S. Irénée écrit par exemple : « Nous avons offensé Dieu dans le premier Adam, en désobéissant à son précepte; nous avons été réconciliés dans le second Adam, en devenant obéissants jusqu'à la mort. » (Hereses V, xvi, 3.) C'est donc nous en quelque sorte, et moralement, qui avons réparé par Jésus-Christ, comme c'était nous qui avions péché par Adam et en Adam. Quant à cette réparation ou satisfaction du Christ pour le péché, il est certain qu'elle a été non seulement équivalente à l'offense, mais surabondante. En effet, à cause de l'union hypostatique, les actions humaines du Christ, bien que finies par elles-mêmes, revêtaient une valeur moralement infinie; la valeur d'une action dépend de la dignité de la personne qui agit, et du prix de la chose offerte. Par exemple, si un roi ou un chef d'armée se rend à l'ennemi, cette action revêt une valeur morale autrement considérable que celle d'un simple soldat qui se constitue prisonnier; le chef engage toute l'armée; c'est toute l'armée qui se rend en sa personne. Reciproquement l'honneur rendu au chef d'une nation rejaillit sur toute la nation. Ici la personne qui agit est infinie; ses actions ont donc une valeur infinie. Et que donne-t-elle ? Quelle est la chose offerte? Le Christ se donne lui-même, « s'offre lui-même pour la rédemption de tous >> (1 Tim., 1, 6). C'est donc un Dieu qui s'offre à Dieu; et voilà pourquoi la satisfaction est équivalente; ce n'est pas assez dire, elle est surabondante, car le péché n'était infini que par rapport à Dieu offensé, tandis que la satisfaction est infinie, sous un double rapport et par la personne qui l'offre, et par ce qu'elle offre. La personne est infinie; ce qu'elle offre est infini, puisqu'elle s'offre elle-même.

Il faut donc affirmer sans crainte que l'efficacité de la mort du Christ pour nous donner la grâcé a été plus puissante que l'efficacité du péché d'Adam pour nous donner la mort. Saint Paul nous dit nettement dans son

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Epître aux Romains: « Là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé » (v, 20). S. Jean Chrysostome, commentant ce texte, écrit : « Supposons qu'un créancier jette en prison un débiteur qui lui doit dix oboles, et avec lui sa femme, ses enfants, ses serviteurs. Quelqu'un survient, et ne se contente pas de payer les dix oboles, mais il paie un grand nombre de talents d'or; puis il introduit le prisonnier dans un palais et le place surun trône; le créancier ne peut même plus rappeler les dix oboles. Ainsi en a-t-il été pour nous, car ce que le Christ a payé surpasse ce que nous devions, comme l'immensité de la mer surpasse la goutte d'eau. » (Hom. X, in Rom., n. 2.) Le pape Clément VI exprime la même idée sous une autre forme : « Ce n'est pas avec de l'or et de l'argent, choses corruptibles, que le Christ nous a rachetés, mais avec son sang précieux d'agneau sans tache et immaculé ; car nous savons que s'immolant innocent sur l'autel de la Croix, il ne s'est pas contenté d'en répandre une goutte, ce qui aurait cependant suffi à cause de son union au Verbe, pour racheter le genre humain, mais qu'il l'a répandu abondamment comme un fleuve. » (Extravag. Unigenitus, 1. V, t. XI, C. 2.)

Surabondante, la satisfaction du Christ a été universelle. Il a vraiment satisfait pour tous les péchés du monde, qu'il s'agisse du péché originel ou du péché actuel. « C'est le péché, dit saint Thomas, et un double péché, qui empêchait les hommes d'entrer au royaume des cieux; l'un commun à toute la nature humaine; c'est le péché de notre premier père; l'autre, spécial à chaque personne; c'est celui que chaque homme commet par un acte propre. Or, la passion du Christ nous a délivrés non seulement du péché commun à toute la nature humaine, et quant à la faute, et quant au châtiment dû à la faute, puisqu'il a payé le prix pour nous; mais ceux-là mêmes sont délivrés de leurs propres péchés, qui communiquent à sa Passion par la foi, la charité et les sacrements de la foi. La Passion du Christ nous a donc bien ouvert les portes du ciel. » (IIIa p., q. 49, a. 5.) D'ailleurs saint Paul nous dit positivement: « Le Christ s'est livré pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité. » (Tit., 11, 5, 14.) Saint Jean écrit de même: « Le sang du Christ nous purifie de tout péché. » (1 Eph., 1, 7.)

Le Christ a donc vraiment satisfait pour tous les hommes, et non seulement pour les prédestinés, comme l'enseignèrent les calvinistes, et après eux les jansenistes. « Il s'est fait propitiation pour nos péchés, écrit saint Jean, non pour les nôtres seulement, mais pour ceux du monde entier » (I Jean, 11, 2.) S'il est de foi définie par le concile de Trente, que le Christ a satisfait, même pour ceux qui ne sont pas prédestinés, il est théologiquement certain et presque de foi qu'il a satisfait pour tous les infidèles, et c'est une doctrine commune dans l'Eglise qu'il a satisfait même pour les enfants morts sans baptême. Il n'y a, en effet, aucune raison de restreindre l'efficacité de la rédemption, alors que saint Paul, les apôtres et après eux toute la tradition nous répètent : « Le Christ est mort pour tous. >> (I Cor., v, 15.)

II. Le mérite du Christ. Par la satisfaction du Christ, le péché a été

réparé; par son mérite, les biens que le péché nous avait enlevés nous ont été rendus. Qu'est-ce donc que le mérite du Christ?

Le mérite en général est la valeur morale d'une action, valeur qui comporte un droit à la récompense; dans l'ordre surnaturel, c'est une action surnaturelle faite pour Dieu, action qui entraîne, parce que Dieu l'a voulu ainsi, un droit à une récompense surnaturelle. Or, toutes les actions du Christ, j'ai déjà eu occasion de le dire, étaient saintes, et offertes à Dieu son Père pour l'humanité. Chacune d'elles à cause de l'union hypostatique, devenait surnaturelle et divine, c'est-à-dire infiniment au-dessus de toute action surnaturelle, quelle qu'elle soit. C'est pourquoi l'on peut dire que ce n'est pas surtout le supplice physique du Christ et toutes ses souffrances physiques et morales qu'il faut envisager dans sa Passion, mais les dispositions intérieures de l'âme de Jésus, tandis qu'il souffrait; les sentiments très purs de soumission à la volonté de Dieu, d'amour de Dieu et du prochain, d'amour même pour ses bourreaux, qui remplissaient son cœur, tandis qu'il était crucifié par eux, voilà ce qui fait le mérite du Christ, et ce qui nous a valu la restitution de la grâce que nous avions perdue; voilà aussi, ajouterai-je, ce qui, dans l'ordre de la rédemption, fait notre mérite; quand nous souffririons les pires tourments, si nous sommes révoltés intérieurement, et si nous n'avons pas au cœur l'amour de Dieu, nous ressemblons alors aux damnés, et tout ce que nous souffrons est perdu pour nous. Si au contraire, à l'exemple de Notre-Seigneur, nous souffrons avec de parfaits sentiments de résignation, de soumission à Dieu et d'amour de Dieu, et si notre âme est en état de grâce (c'est la condition essentielle) nous méritons surnaturellement; rien n'est perdu pour nous, et l'acte humain le plus insignifiant, le plus ordinaire, recevra une récompense surnaturelle, et nous méritera un degré de gloire de plus au Ciel.

Le Christ nous a donc vraiment mérité la grâce et la gloire; c'est là une vérité de foi définie par le concile de Trente; « il était plein de grâce et de vérité et nous avons tous reçu de sa plénitude », nous dit saint Jean; il est la source, et de cette source découlent sans cesse des fleuves de grâce qui se répandent dans toutes les âmes; quelle belle doctrine, et vraiment catholique! Les protestants et les jansénistes ont restreint l'abondance de la source; ils l'ont canalisée pour l'empêcher de se répandre sur le monde ; ils ont mis des bornes à l'amour de Jésus pour les hommes et à l'efficacité rédemptrice de sa Passion: « Tu iras jusqu'ici, ont-ils dit à son amour, et tu n'iras pas plus loin. » Combien la doctrine authentique de l'Eglise est plus belle et plus vraie!

Jésus ne nous a pas seulement mérité la grâce sanctifiante, mais aussi les grâces actuelles dans la vie présente; il nous a mérité aussi les dons préternaturels que le péché primitif nous avait fait perdre ; l'exemption de l'ignorance, de la concupiscence, de la douleur et de la mort; mais ce n'est pas ici-bas que nous jouirons de ces biens; ici-bas nous ne pouvons que commencer par la grâce à être affranchis du joug humiliant de l'ignorance, de la concupiscence, de la douleur et de la mort; le héros chrétien, le

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