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l'on n'avait soi-même rien à dire, la conversation était vite terminée. Mais venait-on à parler d'études, à exposer ses désirs, ses projets, à demander des informations et des conseils? Le professeur, on le voyait, s'oubliait complètement lui-même; il était tout entier aux questions qu'on lui posait et, par tous les moyens, avec infiniment de dévouement et de bonté, s'efforcait de fournir l'aide de ses avis et de ses lumières. De là la grande influence qu'il a exercée au bénéfice des études scripturaires; de là la confiance qu'il a inspirée à une multitude de disciples qu'il a guidés dans leurs premiers travaux et que volontiers il a associés aux siens. De là les nombreuses amitiés et combien étaient des plus flatteuses! qui lui sont restées fidèles. Bientôt en effet l'on s'en apercevait : les relations que l'on entretenait avec lui ne restaient pas confinées au domaine intellectuel; il s'intéressait à tout ce qui touchait à ses disciples et, avec beaucoup de délicatesse, multipliait les prévenances de toutes sortes. On se sentait retenu auprès de lui, et bien souvent en le quittant on était confus de lui avoir fait perdre une heure fort précieuse.

Toujours, en effet, il avait sur le chantier quelque volume en préparation. De très bonne heure, il donna à diverses Revues des articles fort appréciés, que tantôt il signait, que tantôt il tenait anonymes. Le premier volume qu'il ait mené à terme est le Manuel Biblique (Ancien Testament, 1879-1880) dont les éditions se sont succédées avec une grande rapidité et qui est, aujourd'hui encore, en usage dans un si grand nombre de séminaires français et étrangers. Peu de temps après (1882), il achevait un ouvrage qu'il avait commencé auparavant (1877), La Bible et les Découvertes Modernes, complété par Le Nouveau Testament et les Découvertes archéologiques modernes. En 1883, il publiait La Bible et la Critique, petite brochure pleine de verve dans laquelle il répondait aux nombreuses allégations inexactes que renfermaient les Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse de M. Renan. Cet opuscule n'était qu'une ébauche il préludait à une œuvre beaucoup plus considérable, Les Livres Saints et la Critique Rationaliste (1884-1886). Ces divers travaux furent accueillis avec empressement par le grand public auquel ils s'adressaient. M. Vigouroux comprenait mieux que personne qu'ils devaient être sans cesse mis à jour; chaque jour, en effet, voyait se multiplier les découvertes et les recherches capables de faire avancer les sciences bibliques en leurs diverses directions. Malheureusement il n'eut pas le loisir de suivre ces progrès jusque dans leurs détails. Malheureusement aussi il ne put donner à La Sainte Bible polyglotte (18981909) toute l'attention qui lui aurait permis de réaliser un instrument de formation scientifique. De 1892 à 1912, le vaillant travailleur fut presque constamment absorbé par le Dictionnaire de la Bible, entreprise immense dont la simple direction eût suffi à remplir une carrière. M. Vigouroux eut la consolation de mener à terme ce grand ouvrage, et c'est seulement après avoir achevé cette encyclopédie, au moment où, encouragé par les services qu'elle avait rendus, il songeait à lui ajouter des Suppléments, qu'il a senti ses forces décliner. Peu de savants ont aussi bien et aussi complètement rempli le programme de leur vie intellectuelle. Sans doute, M. Vigouroux

avait songé à d'autres œuvres ; les sujets qu'il traita à l'Institut catholique de 1895 à 1902 laissent clairement entendre qu'il songeait à faire paraître une Histoire du peuple de Dieu. Il avait fait bon accueil aux propositions que des éditeurs lui avaient faites en ce sens. De bonne heure toutefois, il renonça à ce projet ; peut-être jugea-t-il que les circonstances le rendaient pour un temps irréalisable.

J'ai dit ailleurs (Revue d'Apologétique, 15 mars 1915) les mérites de ces divers travaux. J'ai cherché à exposer, tel que je l'avais saisi, l'esprit qui avait présidé à toutes les études exégétiques du vénérable professeur. Il se résume en une grande délicatesse doctrinale et en un perpétuel souci de faire servir la science à l'apologie de la foi, Ce sont ces dispositions d'âme qui ont acquis à M. Vigouroux la considération respectueuse et l'autorité dont il a joui dans le monde catholique. Quand on pouvait invoquer son nom à l'appui d'une opinion nouvelle, nul ne songeait plus à la taxer de téméraire. Les chefs de la hiérarchie ont confirmé cette manière de voir et l'ont encouragée.

Lorsque Léon XIII eut fondé la Commission Biblique, personne ne fut surpris de le voir choisir M. Vigouroux comme secrétaire de cette congrégation. Depuis lors, l'Institut catholique ne bénéficia plus que du prestige qui revenait au corps professoral tout entier des honneurs conférés à l'un de ses membres. M. Vigouroux n'enseigna plus à la Faculté de Théologie. Il dut passer à Rome la plus grande partie de chaque année scolaire. Il s'éloignait de Paris vers la fin d'octobre et n'y revenait que pour les vacances de Pâques et les mois d'été. Il lui en coûta de quitter le vieux Séminaire Saint-Sulpice et la Bibliothèque nationale, de ne plus être en mesure de pousser ses travaux avec la même régularité. Il répondit quand même avec empressement à l'appel du Saint-Père.

Son nouveau titre lui imposait une double fonction. Il lui fallut d'abord prendre une part très active aux délibérations de la Commission, dont il résumait les débats en des comptes rendus, dont, avec le R. P. Janssens, il signait les décisions. Je n'ai aucune donnée sur ce qui se passait dans ces réunions, sur lesquelles le secrétaire n'avait aucune peine à garder le plus complet silence. Le choix de Léon XIII témoigne de la confiance qu'avait en sa sagesse doctrinale ce grand pape, si bon juge en fait de compétence scientifique. Pie X ne pensa pas autrement et j'ai maintes fois entendu dire qu'il se déclarait prêt à signer les yeux fermés les décisions que M. Vigouroux lui présenterait. Ce que j'ai pu constater, au cours d'un voyage à Rome, c'est en quelle haute estime des Cardinaux, et non des moindres, LL. EE. Rampolla et Segna, avaient son savoir. Pendant dix ans, de 1903 à 1913, le modeste secrétaire contribua à la décision d'un grand nombre de problèmes d'Introduction générale aux Ecritures et de questions particulières concernant l'Ancien Testament et le Nouveau.

A Rome, M. Vigouroux avait encore à s'occuper des examens que les candidats à la licence et au doctorat bibliques devaient passer devant la Commission. Les étudiants français, les seuls que j'aie entendu, à ce sujet, sont unanimes à rendre hommage à la bienveillance avec laquelle il

encourageait leurs débuts, au dévouement avec lequel il met sa science à leur service, à la sagesse et à la prudence qui inspiraient ses avis et ses directions pour le choix et l'exécution des thèses. A Rome comme à Paris, il avait le souci constant de gagner à l'exégèse des intelligences d'avenir. On peut dire sans nulle exagération que le séjour de M. Vigouroux dans la capitale du monde chrétien aura contribué à mettre les questions scripturaires en honneur dans ce centre dont le rayonnement est aussi vaste que le monde. Il poursuivit le même but en France et j'ai dit, dans la Revue d'Apologétique, la part très grande qu'il a eue au renouveau des études bibliques et de la linguistique orientale en notre pays. Pour ces multiples raisons, son œuvre lui survivra; plusieurs de ses livres feront longtemps autorité; mais les résultats de son influence seront encore beaucoup plus efficaces.

Il faut finir. D'autres loueront, avec une compétence que je n'ai pas, les qualités et les vertus sacerdotales du vénéré sulpicien. Je veux que mon dernier mot soit pour signaler la modestie, l'humilité profonde, la réserve timide qui caractérisèrent ce vrai savant.

P. J. TOUZARD, S. S.

Le Séminaire des Carmes

L'ordination du Samedi Saint

La guerre a fait au séminaire des Carmes une situation nouvelle que nous sommes heureux de faire connaître aux amis de l'Institut.

Plusieurs diocèses de la région académique ne purent, au mois d'octobre dernier, ouvrir leurs grands séminaires. Les locaux étaient transformés en ambulance; la plupart des directeurs et les supérieurs eux-mêmes étaient mobilisés. Sans doute les élèves de ces séminaires étaient eux aussi, en très grand nombre, appelés sous les drapeaux. Il restait toutefois ceux à qui l'âge ou la santé ne permettaient pas le service militaire. Qu'allaient-ils devenir? A tout prix il fallait les arracher au désœuvrement, et, dans une certaine mesure, aux dangers de la vie familiale. D'ailleurs, pour les œuvres de demain ne convenait-il pas de poursuivre, sans interruption, la préparation aux saints ordres?

Ces diverses circonstances inspirèrent à Mgr le Recteur et à M. le Supérieur du Séminaire l'idée à la fois généreuse et opportune d'offrir la vénérable maison des Carmes à NN. SS. les évêques. Presque tous les étudiants ecclésiastiques l'avaient quittée pour courir à la frontière. Il serait donc facile d'organiser dans ses murs un véritable séminaire.

Le deuxième étage avec ses trente cellules fut aménagé pour les jeunes séminaristes. Un directeur detaché du séminaire d'Issy y prit demeure pour mieux vivre au milieu d'eux. Bientôt les évêques de Meaux, de Versailles, de Verdun et un peu plus tard l'évêque de Châlons nous envoyèrent

tous leurs jeunes clercs. Quelques séminaristes de Gand et de Bruges réfugiés à Paris furent accueillis avec empressement. Mgr le Recteur s'estimait si heureux de payer ainsi à la noble Belgique une part de notre immense dette!

L'Angleterre elle-même ne tarda pas à être représentée par trois jeunes séminaristes de Glasgow, précédemment au séminaire de Versailles. Dès qu'ils avaient appris que la famille était reconstituée, ils avaient demandé avec instance et obtenu d'être réunis à leurs frères. Ainsi au bout de quelques semaines cette petite famille sacerdotale était composée d'une trentaine de membres. En lui ajoutant les seize étudiants ecclésiastiques que les conseils militaires n'avaient pas jugés aptes au service de l'armée, nous arrivions au chiffre bien respectable de près de cinquante élèves.

La vie de piété, les études, les délassements, tout fut vite organisé, et, autant que possible, d'après les programmes de nos grands séminaires. La question des études était un peu compliquée; mais les facultés de théologie et de philosophie s'adaptèrent, avec une bonne grâce parfaite, aux besoins si variés de ces nouveaux élèves.

On n'avait voulu qu'une chose, sauvegarder le moins mal possible le travail et la vocation de ces jeunes gens. Mais on dut convenir bientôt que cette organisation n'était pas une simple organisation de fortune, et que dans ce milieu, tel qu'il avait été créé, les séminaristes trouvaient le recueillement, la piété, les conseils adaptés, une vie intellectuelle incontestablement supérieure. Les émouvants souvenirs de nos prêtres martyrs, les angoisses qui à cette heure étreignent tous les cœurs, les beaux exemples de piété que la chapelle des Carmes met tous les jours sous leurs regards, tout s'unit pour créer une atmosphère où il est facile à des séminaristes de se recueillir et de se sanctifier.

L'année scolaire s'écoule donc, laborieuse, recueillie, féconde pour ces jeunes abbés, édifiante aussi pour ceux qui nous entourent. La chapelle de l'Institut catholique donne en effet tous les jours un spectacle vraiment impressionnant. Elle est littéralement envahie jusque dans ses coins les plus reculés par une foule qui ne se lasse pas de prier. La guerre avec ses tristesses et ses inquiétudes est sans doute la grande cause de cette affluence. Mais, nous le savons, le soin avec lequel s'accomplissent les cérémonies, l'incontestable beauté de notre chant et la piété de nos jeunes gens sont pour un grand nombre un attrait irrésistible.

La semaine sainte paraissait tout indiquée pour une retraite et pour l'ordination. Les cours sont suspendus, les étudiants sont à peu près tous absents, le recueillement du séminaire est encore plus profond. D'ailleurs plusieurs, parmi les plus jeunes, sont eux aussi à la veille d'être mobilisés, et leurs évêques tenaient à leur donner, avant l'épreuve, un lien de plus avec l'Eglise et avec le sacerdoce.

La retraite commença dès le lundi saint. A partir du mercredi les offices liturgiques furent intégralement accomplis, d'abord dans la crypte, puis dans la chapelle. Une foule toujours très compacte y assistait.

Le samedi saint, Mgr Marbeau conféra les saints ordres, dans la

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chapelle même des Carmes. Toujours infatigable, d'un dévouement qui ne sait pas compter, le vaillant évêque nous arrivait directement de Meaux dès l'heure la plus matinale. La veille et à une heure assez avancée de la nuit, il présidait encore dans sa cathédrale les offices de la Passion!

Trente-deux ordinands étaient présents. Ce qui explique ce chiffre assez élevé, c'est que le séminaire de Saint-Sulpice, les Missions étrangères, les Pères maristes nous avaient confié plusieurs de leurs séminaristes ou de leurs novices. On y comptait trois prêtres, quatre diacres, sept sous-diacres, quatre minorés, quatorze tonsurés.

Les cérémonies, préparées et dirigées par M. Touzard, furent exécutées avec une précision et une dignité parfaites.

Cette matinée du samedi saint, dans la chapelle des Carmes, est vraiment inoubliable. Les fidèles qui l'emplissaient ont pu y revivre toutes les phases du grand mystère de la résurrection. Un peu avant 7 heures du matin, les trente-deux ordinands traversent le chœur. Recueillis, pâles, ils se rendent aux places qui leur sont préparées au milieu du transept. La chapelle est sans lumière; seules les premières lueurs du matin permettent de se guider. Les ordinands n'ont pas revêtu leurs ornements, le cierge qu'ils portent à la main est éteint. On ne voit que des aubes blanches et des soutanes noires. C'est vraiment le silence et l'obscurité du tombeau de Jésus.

Mais bientôt la lumière se fait, le feu nouveau paraît. Le chant retentit, le diacre dans l'Exultet nous dit la joie de l'Eglise et du monde tout entier. Le Pontife se dépouille de ses habits de deuil et prend les vêtements de fête. Les jeunes ordinands se sont couchés eux aussi la face contre terre, mais ils se relèvent, montent à l'autel, et successivement reçoivent du Pontife les prérogatives et les grâces de leur ordre et avec elles les habits qui les symbolisent. Et quand la messe pontificale commence, déjà tout est lumière, joie, chants. On entend l'Alleluia, le Magnificat! Revêtus de leurs ornements, tous les ordinands paraissent avoir reçu une vie nouvelle. Le recueillement est toujours profond, mais avec lui c'est la joie émue, grave, doucement triomphante! Le Christ est vraiment ressuscité!

Il était déjà midi quand la fonction liturgique prit fin; mais Mgr de Meaux est inaccessible à la fatigue. Avant de quitter le sanctuaire, il veut dire aux fidèles les leçons de cette belle matinée et les joies et les espérances de l'alleluia pascal.

Le soir, les nouveaux ordonnés se réunissaient dans la crypte, pour réciter, auprès des ossements de nos martyrs, la pénitence de l'ordination!

Parmi les ordinands appartiennent à l'Institut catholique :

Prêtre..
Sous-Diacres

M. Stanilas Courbe, ancien élève.

MM. Lecomte, de la Faculté de théologie; Tocut, de l'Ecole supérieure des sciences; Marguier, de la Faculté de théologie.

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