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HARANGUE AU PARLEMENT.

Après que lecture a été faite au parlement, le jeudi 10 janvier 1636, l'audience tenant, des lettres de provision de M. SÉGUIER, en l'office de Chancelier de France,

ANTOINE LE MAISTRE A DIT:

MESSIEURS,

Si c'est une grande gloire à M. le Chancelier d'avoir été honoré de la première charge de France par le plus grand prince de la terre, et un comble de bonheur d'y être reçu dans cet auguste parlement, où lui et ses ancêtres se sont rendus si célèbres ; ce m'est aussi une heureuse occasion d'avoir à louer ces hommes illustres devant de si sages magistrats, et un extrême avantage de rencontrer, pour juges de leurs louanges, les témoins mêmes de leurs vertus. Car la connaissance que vous avez de leurs rares qualités m'ôte l'appréhension que leurs éloges soient suspects de flatterie, et que l'on m'accuse de faire injure à la vérité pour rendre des honneurs à leur mérite.

Je ne dois pas être en peine, Messieurs, de persuader vos esprits, puisque les belles actions de ces grands personnages possèdent dans votre mémoire une place si éminente, que les morts y vivent encore, et que les vivans s'y sont acquis une réputation immortelle. De sorte que l'estime extraordinaire que vous faites d'eux ne me permettant pas de craindre que l'on me blâme d'excès, il ne me reste que la la peur de tomber dans le défaut, et de ne pouvoir rendre leur vertu aussi éclatante avec des ornemens étrangers, qu'elle vous a paru jusqu'à présent avec les seules beautés naturelles.

Mais j'ai cette satisfaction, que ma faiblesse ne fera point de tort à M. le chancelier, ni à ses prédécesseurs. Si je ne trace qu'imparfaitement l'image de leurs glorieuses vies, celle que votre souvenir vous représente en réparera les manquemens: ces grands hommes trouveront dans vos pensées ce qu'ils ne peuvent attendre de mes paroles, et recevront de votre jugement un honneur plus solide et plus durable que le lustre qu'ils pourraient recevoir des plus vives lumières de l'éloquence.

Encore que la qualité de ministre, et de premier officier de la couronne, soit plus relevée que toutes les charges du royaume, toutefois, Messieurs, M. le chancelier estime qu'il ne lui est pas moins honorable d'avoir eu de son nom des avocats généraux, des maîtres des requêtes, et plusieurs présidens en ce parlement, que d'être aujourd'hui chancelier de France; parce que ses pères ont possédé ces charges par leur mérite, et que sa modestie lui fait croire

qu'il ne tient la sienne que de la grâce de sa majesté.

Mais je crois pouvoir dire, Messieurs, que l'honneur qu'il tire de sa naissance n'est pas tellement à lui, , que cette compagnie n'y prenne beaucoup de part; et qu'ainsi que les fleuves n'appartiennent guère moins au lit où ils coulent qu'à la source d'où ils sortent, de même le mérite et la suffisance de ses ancêtres sont des biens presque aussi propres à ce parlement, où ils ont paru avec tant de gloire, qu'à la famille qui les a produits. Ils doivent à la splendeur de cette Cour une partie du lustre de leur vertu, à l'exemple de tant d'excellens magistrats l'éminence de leur probité, et à l'esprit de sagesse et de justice qui anime cet illustre corps, la prudence de leurs conseils, et l'équité de leurs jugemens.

Ç'a été en ce parlement, Messieurs, que messire Pierre Séguier, aïeul de M. le chancelier, sorti de la noble et ancienne famille des Séguiers de Languedoc, dont il y a eu des sénéchaux de Querci, et des présidens au parlement de Toulouse, commença de faire paraître sa suffisance en, la, charge d'avocat général il y a près de cent ans. C'a été en ce lieu même qu'il a prononcé des paroles dignes de la grandeur des juges qui les ont ouïes, de l'intérêt de l'état qu'il a défendu, et de la majesté du prince pour lequel il a parlé.

Il se voit, Messieurs, par vos registres qui sont les plus fidèles témoins des choses passées, qué ses actions publiques lui ont donné rang entre les premiers hommes de son siècle, et que la prudence et le courage avec lesquels il parla sur le sujet du différend

du pape Jules III, et du roi Henri II, lui ont fait mériter aussi justement les louanges de la postérité que les applaudissemens de ses auditeurs.

On aperçoit dans ses discours la renaissance des lettres humaines en ce royaume. Il a été l'un de ceux qui, à l'exemple de Caton, ne se sont pas contentés de l'éloquence de leur siècle; qui ont formé de plus belles idées que celles qu'ils avaient reçues, et excité l'émulation de leurs successeurs, après avoir surpassé les ouvrages de leurs pères.

Il acquit une telle réputation de science et de probité dans les fonctions éclatantes et laborieuses de cette charge, que le Roi Henri II récompensa ses travaux de celle de président de la Cour; voulant qu'après avoir servi de langue à la vérité, il fût l'un des plus nobles organes de la justice.

Honneur que non-seulement il méritait, mais qu'il n'obtint que par son mérite; qu'il n'acheta qu'avec le prix de sa suffisance et de sa vertu; avec cet or divin, dont parle Platon, que le soleil ne forme point dans la terre, mais que Dieu répand du ciel dans les âmes héroïques.

Durant l'espace de près de trente ans qu'il a exercé cette dignité si relevée, ce parlement a souvent emprunté son éloquence pour rendre raison de ses délibérations à trois de ses souverains; et vos registres nous apprennent qu'il n'a pas moins su parler aux rois, que juger les particuliers; qu'il émut le cœur du roi Charles IX, par la sincérité de ses discours; qu'il persuada son esprit par la gravité de ses paroles, et qu'il le mit même dans l'admiration, et dans

le silence par la modeste générosité de ses réponses.

Mais il ne s'est pas contenté d'être sage dans l'administration des choses civiles, et d'être vertueux comme les Grecs et les Romains l'ont été : il a particulièrement étudié cette haute philosophie, que Socrate n'a pas fait descendre du ciel en terre, mais que Dieu même y a apportée. Il a élevé ses désirs et ses espérances au-dessus du monde et de la nature; il s'est efforcé de connaître Dieu 1, qui par sa grandeur est inconnuaux hommes, et de connaître l'homme, qui par sa vanité est inconnu à soi-même; il a tracé pour l'instruction de ses enfans les préceptes si nécessaires de cette divine connaissance; il leur a laissé un testament semblable à celui des anciens patriarches, où il n'ordonne pas le partage de ses biens, mais leur montre le chemin de leur salut; où il ne les appelle qu'à la succession des richesses éternelles, et ne travaille à les rendre héritiers que de Dieu même.

Sa piété, Messieurs, a été en quelque sorte récompensée dès ce monde par le nombre de ses enfans, par leurs honneurs et par leur vertu. Il laissa six fils, qui tous montèrent aux charges, et travaillèrent comme dit Tertullien, à se rendre dignes de teņir le de magistrats dans le ciel, après l'avoir tenu dans la terre.

rang

Le premier, qui fut conseiller, et depuis président aux enquêtes en cette Cour, employa sa science et ses travaux à l'exercice de sa charge et à l'utilité publique. Il n'établit son bonheur qu'à procurer celui

I

Il a fait un livre, intitulé Rudimenta cognitionis Dei et sui.

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