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« Fort-Dauphin, le Cap, cette opulente capi« tale des Antilles ne sont plus; vous avez

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promené partout des torches incendiaires, << flambeaux de notre liberté. Les pas de nos << ennemis n'ont foulé que des cendres, leurs regards n'ont rencontré que ruines fumantes

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« que vous avez arrosées de leur sang. Voilà par

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quel chemin ils sont arrivés jusqu'à nous! Qu'espèrent-ils? N'avons-nous pas tous les présages de la victoire. Ce n'est pas pour la patrie et la liberté qu'ils font la guerre; <<< mais pour servir la haine et l'ambition du « consul, mon ennemi, parce qu'il est le vôtre; leurs corps ne sont pas mutilés par les sup

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plices de la servitude, leurs femmes et leurs << enfans ne sont pas près de leurs camps, et les sépulcres de leurs pères sont au-delà de « l'Océan. Ce ciel, ces montagnes, ces rivages, « tout leur est étranger! Que disje? dès qu'ils

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respirent le même air que nous, leur bra«voure s'affaiblit, leur courage s'éteint. La « fortune semble nous les avoir livrés comme « des victimes. Ceux qu'épargnera notre glaive,

« recevront la mort d'un climat vengeur. Leurs << ossemens seront dispersés parmi ces mon<< tagnes, ces rochers, et charriés par les flots << de notre mer. Jamais ils ne reverront leur patrie, ni ne recevront les tendres embras« semens de leurs épouses, de leurs sœurs et << de leurs mères; et la liberté régnera sur leur << tombeau (1) ».

Rochambeau trop accoutumé à traiter avec orgueil et mépris les Africains, encouragea néanmoins ses soldats, en leur disant : « que «< cette journée allait mettre le comble à leur gloire, puisqu'il n'y aurait aucune partie du << monde qui n'eût été témoin de leur triomphe, << que le Tibre, le Nil et le Rhin, où ils avaient << vaincu de si redoutables ennemis, retentis<< saient du bruit de leurs exploits; qu'ils n'a<< vaient en ce jour qu'à combattre des esclaves, qui, n'osant les regarder en face, fuyaient « de tous côtés; qu'ils n'étaient pas venus à dix

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(1) Correspondance de Toussaint. Lettres des 19 et 20 pluviose an 10.

« huit cents lieues de leur patrie, pour être << vaincus par un esclave révolté. » Le signal du combat ayant été donné, l'impétuosité de l'attaque fut contenue par une courageuse résistance; les troupes auxiliaires en embuscade dans les flancs du défilé, pressent à gauche, à droite et sur les derrières, les Français qui font partout face à l'ennemi avec leur bravoure accoutumée. Le retranchement ayant été ouvert, la mêlée devint opiniâtre et sanglante. La victoire penchait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Cette indécision ranimait le carnage avec une égale ardeur. On vit alors Toussaint affronter mille périls : quand les Français font tout fléchir, il encourage les siens, et recommence le combat. Bientôt les armes ne servent que trop lentement une fureur réciproque; on se prend corps à corps. Ce sont des athlètes qui s'égorgent. Le champ de bataille se couvre de morts, de sang et de débris; le carnage fut considérable, et la victoire que chaque parti s'attribua,resta indécise. Tous furent des héros, les uns pour ne pas flétrir leurs lauriers, les

autres pour ne pas recevoir des fers. On reconnut ceux qui étaient morts pour la liberté, au genre de blessure, à l'attitude de leurs corps, à des cheveux hérissés, à la fierté de leurs regards.

Cependant Toussaint avait arrêté la marche impétueuse de Rochambeau, tandis que Christophe par une défense pleine de vigueur, retarda celle de Desfourneau et de Hardi. Ainsi Toussaint et son armée ne purent être divisés, ni cernés par terre et par mer au bourg des Gonaïves. Il avait en homme de génie choisi le terrein, le lieu, et le moment du combat.

De la chaîne des montagnes qui séparent le nord de l'ouest, Toussaint va se retrancher sur une autre chaîne de montagnes plus favorable à la guerre; ce sont celles de l'Artibonite, désignées par le grand et le petit Cahos. Ces Montagnes sur lesquelles il étend son armée,ont leur passage défendu par un grand nombre de rivières et surtout par celle de l'Artibonite, terrible dans ses débordemens, et qui comme le Nil nourrit des crocodiles. Là, les principaux

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chefs de son armée, viennent successivement le rejoindre. Une fièvre ardente le consume mais rien n'interrompt son activité. Il médite, et forme des desseins pleins de hardiesse, en se disposant à reporter la guerre sur les derrières de ses ennemis.

Pendant que le capitaine de l'expédition occupé avec son armée le bourg des Gonaïves qui n'offre à ses regards qu'un désert d'où s'élèvent des ruines fumantes, ce bourg où il se vantait d'envelopper et de prendre Toussaint comme dans un filet, Boudet, qui du Port-auPrince doit l'y rejoindre, marche vers SaintMarc. Cette ville et ses approches étaient défendues par Dessalines; c'est toujours le même Scythe: il fuit, disparaît, revient, égorge et brûle tout. L'incendie précède les pas des Français; s'ils s'arrêtent les flammes s'éteignent, s'ils marchent elles s'élèvent. C'est ainsi qu'ils s'approchèrent de Saint-Marc. Dessalines avait tout préparé pour mettre la ville en cendre. Tout s'y fit d'une manière semblable au Cap, sauf des circonstances particulières ajoutées

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