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de planter des étendues égales de terrains en pente. Il a été reconnu que, dans la pratique, ce système conduirait à de très-grandes difficultés ; souvent les propriétaires des bois défrichés, ne posséderaient pas de terrains en pente susceptibles d'être convertis en bois ; plus souvent encore, ces plantations nouvelles, faites dans le but d'obtenir le défrichement, n'offriraient pas les conditions de succès: ce seraient une dépense et une difficulté opposées à des défrichements utiles en eux-mêmes, et qui ne produiraient aucun avantage; nous avons dû ne pas donner suite à cette indication.

Il nous a paru iudispensable, au contraire, d'assurer l'exécution complète de la loi relative aux défrichements, en empêchant les propriétaires de l'éluder par différents moyens. Les uns détruisent et dévastent leurs bois, soit par des coupes à blanc étoc dans les bois résineux, soit par de mauvaises exploitations des bois feuillus ; quand les bois sont ainsi réduits à l'état de terrains vagues, la défense de les défricher semble être sans objet, et ainsi se trouve atteint le but, qui est de défricher. D'autres propriétaires cherchent, en établissant des clôtures et des habitations de peu de valeur, à placer leurs bois dans le cas d'exception prévu par le paragraphe 3 de l'art. 223 du Code forestier, qui permet de défricher les parcs ou jardins clos et attenant aux habitations.

Nous avons voulu corroborer la loi contre ces deux moyens d'en élu– der les dispositions, en vous proposant de considérer comme défrichement les coupes à blanc étoc dans les bois résineux, et toute exploitation qui aurait pour résultat la destruction des bois, quelle que soit leur nature. Nous vous proposons aussi, quant à l'exception en faveur des parcs et jardins clos, de revenir aux termes de la loi de floréal an XI et de déclarer que cette exception ne sera applicable qu'aux parcs et jardins clos de murs, de haies ou de fossés, et attenant à l'habitation principale ; et, comme, pour des bois d'une étendue considérable, il pourrait y avoir encore profit à éluder la loi, même en supportant les frais de la construction d'une habitation qui pourrait d'ailleurs trouver, après le défrichement, un emploi utile, nous avons dû chercher un surcroît de garantie dans la condition que cette habitation fût construite depuis dix ans au moins, pour que le défrichement pût être effectué: il nous reste à vous donner lecture du projet de loi.

PROJET DE LOI.

LOUIS-PHILIPPE, roi des Français, à tous présents et à venir, salut. Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont la teneur suit, sera présenté, en notre nom, à la chambre des pairs, par notre ministre secrétaire d'État au département des finances, que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Art. 1or. Les dispositions transitoires contenues dans les articles 219 à 224 du Code forestier, continueront à recevoir leur exécution, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, sauf les modifications ci-après :

Art. 2. Dans les cas où, conformément à l'article 219, il y aura recours des parties au ministre des finances, l'avis du préfet sera accompagné de celui des conseils municipaux de la commune où les bois seront situés, et des communes limitrophes.

Art. 3. Le rejet des demandes de défrichement sera prononcé par ordonnance royale, et inséré en extrait au Bulletin des Lois.

Art. 4. Les coupes à blanc étoc, dans les bois résineux, et toute exploitation qui aurait pour résultat la destruction des bois, quelle que soit leur nature, seront considérées comme défrichement.

Art. 5. L'exception mentionnée dans le paragraphe 3 de l'article 223 ne sera applicable qu'aux parcs et jardins clos de murs, de haies ou de fossés, et attenant à une habitation principale, construite depuis dix ans au moins.

Fait au palais des Tuileries, le 12 février 1846.

Observations de la Rédaction.

Une lecture rapide de ce projet de loi et de l'exposé qui le précède, a soulevé dans notre esprit bien des objections. Le temps ne nous permet pas de les formuler et de les discuter aujourd'hui; toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer que l'intervention des conseils municipaux de la commune où les bois sont situés et des communes limitrophes, apportera dans l'exécution de la loi des lenteurs et des entraves qui ne seront nullement compensées par les avantages que le ministre semble s'en promettre. Les conseils municipaux se laisseront déterminer moins par un intérêt général de conservation et d'utilité publique, que par des considérations locales ou par des influences personnel es.

Nous ne pouvons comprendre non plus, pourquoi le rejet des demandes de défrichement doit être prononcé par ordonnance royale, insérée au Bulletin des lois, lorsque les autorisations sont dispensées des mêmes garanties de publicité.

Selon nous, ce n'est pas le rejet, mais bien, au contraire, l'autorisation qui devrait être entourée de plus de garanties, parce que l'autorisation peut être surprise à l'inattention ou à la faveur du ministre.

Enfin, considérer comme défrichement une exploitation vicieuse, c'est rendre l'application de la loi impraticable tant qu'on n'aura pas rédigé aussi un code des exploitations, ce qui est inadmissible. Cet article ferait entrer les juges dans l'appréciation de la valeur, encore aujourd'hui contestée des différents modes d'exploitation, et mettrait certainement. en contradiction les diverses cours du royaume.

Du reste, nous souhaitons qu'un examen plus attentif de ce projet de oi et de l'exposé de ses motifs, le fasse reconnaître moins défectueux et plus praticable que nous ne l'avons jugé à une première lecture.

COMITÉ DE JURISPRUDENCE.

Réponses aux Questions soumises par messieurs les Abonnés.

XXXVI. Question.

Un propriétaire de bois, dont la plus grande partie est close de fosses et qui le ferait clore de toutes parts, demande s'il lui serait possible de défricher sans autorisation, en construisant une maison de plaisance, qu'il habiterait pendant la belle saison seulement, et qui serait entièrement contigue à ce bois?

Le consultant fait observer que sa maison serait construite sur les ruines d'une habitation servant jadis de rendez-vous de chasse à un grand seigneur.

RÉPONSE. M. Coin-Delisle et Frédérich, examinant cette question (Comm. t. 2, p. 260, no 4), pensent qu'elle doit se résoudre suivant les circonstances. Ils disent que si le propriétaire a voulu réellement établir son habitation dans ce lieu, comme la loi ne lui en pas ôté le droit, une fois cette habitation établie, le propriétaire paraît libre de défricher; que si au contraire il avait agi dans l'intention de frauder la loi, ce qui pourrait résulter du peu de valeur des clôtures, de la modicité de l'habitation, de l'étendue des défrichements, et de ce qu'ils auraient eu lieu immédiatement, le propriétaire commettrait un délit; car la fraude fait exception à toutes les règles; et, d'un autre côté, la loi en n'admettant l'exception qu'autant que le bois attient à l'habitation, indique que le bois doit en être l'annexe, la dépendance; si l'habitation nouvellement construite n'est pas en rapport avec le bois, si elle est propre à faire une maison de garde, de fermier et non de maître, si, par son peu d'importance, elle est plutôt une dépendance du bois que le chef-lieu du domaine, ne peut-on pas dire avec raison, demandent ces auteurs, que c'est la maison qui attient au bois et non le bois à la maison?

Nous adhérons à cette opinion, et il nous semble que la question posée doit, en principe, être résolue suivant les circonstances. Il faut en cette matière examiner avant tout l'intention des parties, leur bonne foi, l'étendue des défrichements et l'importance du bois eu égard à l'habitation. Sans doute, le législateur n'a point exigé qu'il y eût ici une habitation principale; et ces mots ont été supprimés du projet primitif par la commission de révision; mais le bois que l'on veut défricher ne doit jamais être qu'une annexe, une dépendance de l'habitation.

D'ailleurs, la pensée de la loi se révèle assez par la rédaction de l'art. 223 C. for. Les bois qu'il est permis de défricher, sont uniquement les

bois en nature de PARCS ou de JARDINS CLOS; ce qui prouve assez que le bois n'est ici que l'accessoire, qu'il doit être assuré à l'habitation à titre d'annexe et pour contribuer à l'agrément ou à l'utilité du domaine. Vainenement objecterait-on l'art. 391 C. pén. qui répute parc ou enclos tout terrain environné de fossés, de pieux, de claies, de planches,etc. La cour de cassation a très-judicieusement écarté l'application de cet article, en matière de défrichements, en faisant observer que la définition de l'art. 391 a un but spécial, un but de répression et de pénalité; que la véritable définition du mot parc, dans la langue forestière, était celle de la loi du 9 floréal an XI, dont l'art. 5 ne permet de réputer parc un bois clos, qu'autant qu'il est attenant à l'habitation principale; ce qui ne peut s'entendre que d'une habitation dont le parc est l'accessoire, et non de celles qui n'y out été établies que pour sa garde, son exploitation et le service des usines qui en dépendent. (Cass. 11 mars 1836, Dalloz, 1836, 1, 332, et R. F. t. 5, p. 366 et suivantes.

Cette doctrine, la seule conforme aux vrais principes, avait été précédemment consacrée par un arrêt de la cour de Nancy, du 22 novembre 1834, rendu sous la présidence de M. Troplong et sur les conclusions conformes de M. Fabvier, alors avocat général. (Dalloz 1835, 2,128). La cour a décidé qu'il ne suffisait pas d'entourer de fossés un bois attenant à une habitation pour l'affranchir de la prohibition de défricher; qu'il faut en outre que, dans la réalité, la forêt soit destinée à l'agrément du propriétaire combiné avec ses intérêts.

Il est vrai qu'antérieurement, et à la date du 15 juin 1833, la Cour avait rendu un arrêt favorable à la faculté de défricher (Voir Bulletin, ann. 1846, art. 423, p. 31, aff. de Villemotte); mais les motifs de cet arrêt ne nous paraissent pas destinés à faire jurisprudence. Il est évident que la cour a jugé sous l'impression des nombreux défrichements effectués en exécution des ventes faites par l'État depuis 1831.

Il ne nous est donc pas possible de répondre d'une manière absolue à la question qui nous est proposée. Néanmoins, dans l'état actuel des choses, il n'est pas possible de regarder le bois dont s'agit comme annexe d'une habitation, puisque l'habitation, aujourd'hui en ruines, était jadis un rendez-vous de chasse. Il est vrai que l'on veut remplacer par une résidence d'été une maison d'agrément; mais c'est plus tard seulement que le défrichement serait possible, et il ne le serait qu'à la condition d'une entière bonne foi, et seulement lorsque le bois pourrait être regardé comme une dependance, un accessoire de la nouvelle habitation.

Notre correspondant ajoute que cette habitation serait contiguë à la forêt qu'on voudrait défricher : il vaudrait mieux qu'elle y fût renfermée; néanmoins, si, par contiguë, on entend que la maison serait attenante, comme le veut la loi, la condition imposée par l'art. 223 serait suffisamment remplie.

XXXVII. QUESTION.

Les procès-verbaux dressés par les gardes-ventes des coupes adjugées l'Etat rentrent-ils dans la catégorie de ceux qui doivent être enregistrés en débet, aux termes de l'art. 170 C. for. ?

par

RÉPONSE. Il paraît que l'administration de l'enregistrement exige sou

vent des gardes-ventes les droits de timbre et d'enregistrement des procès-verbaux par eux dressés.

Notre correspondant nous fait observer que cette prétention, si elle était fondée, aurait pour résultat de laisser à la charge des adjudicataires une dépense sans doute minime, mais réelle. Il est possible, en effet, qu'en constatant un délit, le garde-vente ne puisse, malgré tous ses efforts, en signaler l'auteur, qui demeurera inconnu. En supposant mème que le délit constaté eutraîne une condamnation, la liquidation des dépens comprendra tous les frais de l'instance et par conséquent ceux du procèsverbal, rédigé par le garde, comme ceux du jugement rendu; en cas pareil, c'est le trésor qui recouvre le montant de la condamnation, et il recouvre les frais de timbre et d'enregistrement déjà payés par le garde-vente, en sorte qu'il bénéficie d'une double perception, l'une prélevée sur l'adjudicataire, l'autre sur le condamné!

A notre sens, la prétention de la régie n'est pas admissible, et le texte de la loi, aussi bien que son esprit, exige que les procès-verbaux des gardes-ventes soient enregistrés en débet comme ceux des gardes forestiers.

Cette solution se déduit de la simple combinaison des art. 31 et 170 C. for. L'art. 31 oblige chaque adjudicataire à avoir un garde-vente, lequel est autorisé à dresser des procès-verbaux tant dans la vente qu'à l'ouïe de la cognée, et il ajoute que les procès-verbaux seront soumis aux mêmes formalités que ceux des agents forestiers, et feront foi jusqu'à preuve contraire.

Or, au nombre des formalités imposées par l'article 170 aux procèsverbaux des gardes forestiers, se trouve l'enregistrement dans les quatre jours, et il doit se faire en débet.

Le législateur, dira-t-on, n'entend point assimiler complétement le garde-vente au garde forestier; le premier reste l'homme de l'adjudicataire, son préposé, son mandataire; il est nommé par celui-ci ; s'il dresse des procès-verbaux, c'est dans l'intérêt de la responsabilité, dont la loi le frappe, en présumant, jusqu'à preuve contraire, que les délits commis dans les ventes et à l'ouïe de la cognée, ont pour auteurs l'adjudicataire ou ses agents (C. for. art. 45). Il n'est point, à proprement parler, un agent de l'administration; aussi, sa prestation de serment n'est-elle soumise qu'au droit fixe d'un franc (Circ. du direct, de l'enregis. 12 sep. 1810) tandis que l'acte de prestation de serment des gardes est imposé à un droit plus élevé (L. frim., an vii, art. 68, § 3, no 3 et art. 14. L. vent. an IX.)- On réfutera l'argument tiré de l'art. 31, en disant que la loi soumet bien les procès-verbaux dont elle parle aux mêmes formalités que ceux des gardes forestiers, sans vouloir leur accorder les mêmes priviléges et en particulier celui de l'enregistrement gratuit, lequel est, en principe, une faveur exclusivement réservée aux actes dont les droits tomberaient à la charge de l'Etat.

Cette argumentation nous paraît plus spécieuse que solide. Le garde-vente a un double caractère; sans doute, il est, avant tout, l'homme de l'adjudicataire qui doit le désigner à l'agent forestier local; mais il faut qu'il soit agréé par cet agent, qui a le droit de le refuser; il est donc placé sous le contrôle de l'administration forestière; en outre, il est soumis à un serment devant le juge de paix de la localité, et il devient ainsi offi

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