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considère dans le préambule que l'amnistie n'a dû être accordée aux émigrés qu'à des conditions sagement combinées avec l'intérét national.

Il est impossible de trouver un point de législation si souvent rappelé, si positivement établi. Serait-il vrai que le Code civil, œuvre du gouvernement consulaire, aurait abrogé ce grand principe de séquestration des grandes masses de forêts? Le texte du Code n'en annonce pas la moindre intention; les art. 2227 et 2226 ne soumettent l'État à la prescription que pour ceux de ses biens qui sont dans le commerce, et l'art. 2226, en déclarant imprescriptibles généralement tous les biens hors du commerce, s'en réfère, pour savoir quels sont ces biens, à la doctrine et aux lois spéciales que le législateur savait exister sur certaines catégories de biens. La question de savoir si les forêts domaniales sont hors du commerce ne peut être tranchée à l'aide du Code civil; il l'a supposée résolue, et rien en effet n'était alors constant comme l'affirmative sur ce point.

Cependant, à défaut de texte dans le Code civil, on s'appuie sur un exemple emprunté à un sénatus-consulte du 14 avril 1813. Il faut remarquer que le sénatus-consulte cité autorise seulement l'échange de la forêt de Rochefort, dépendant de la dotation de la couronne telle qu'elle était constituée par le sénatus-consulte du 30 janvier 1810, avec la forêt de Dourdan qui faisait partie du domaine de l'État. Le sénatus-consulte de 1813 ne fut qu'une modification du sénatus-consulte de 1810; il fit porter la jouissance de la couronne sur une forêt, en remplacement d'une autre qui redevint libre. Ni l'un ni l'autre de ces sénatus-consultes n'aliénaient le domaine de l'État; ils le grevaient seulement d'une affectation à un service qui est un service de l'État; le Tribunal n'a pas confondu sans doute le domaine de la couronne avec le domaine privé de l'Empereur, et dont l'Empereur a plus tard disposé comme propriétaire. Le domaine de la couronne est une portion du domaine national affectée en jouissance à la liste civile du souverain. A chaque règne, des changements peuvent être faits dans la composition de la dotation immobilière de la couronne: elle peut être augmentée, ou réduite, ou changée ; ce ne sont point là des acquisitions ni des aliénations pour le domaine de l'État; l'État est toujours propriétaire. D'ailleurs, où prend-on qu'un sénatus-consulte n'aurait pu, s'il en eût été besoin, pour composer la dotation de la couronne, déroger à ce principe d'inaliénabilité proclamé par les lois antérieures? et si ce sénatus-consulte avait dérogé législativement à la règle pour des forêts déterminées, pourquoi serait-ce une raison de croire que cette règle n'existe plus pour les autres forêts?

Si l'on voulait juger de la portée d'un principe de droit proclamé par le Code civil sur l'application qui en était faite, au lieu du sénatus-consulte de 1813, venu dix ans après, il fallait porter ses regards sur la loi du 11 pluviose an XII, promulguée pendant que le titre sur la Prescrip

tion, pendant que les art. 2226 et 2227 se discutaient 1; on y aurait vu que le législateur d'alors, loin de répudier le principe de la séquestration des grandes masses de forêts domaniales, en poursuivait au contraire au moment même l'application, en ordonnant la liquidation des rembourse→ ments de finances, qui étaient dus aux engagistes des grandes masses de forêts, évincés deux ans auparavant, en ordonnant la rentrée des échangistes détenteurs des mêmes forêts domaniales, dans les biens qu'euxmêmes avaient cédés en contre-échange; or, tout cela était inutile, si on avait alors abrogé le principe d'inaliénabilité des forêts; la position exceptionnelle faite aux détenteurs de ces forêts, par engagement ou par échange, devait cesser, et il ne restait qu'à les admettre comme tous autres engagistes ou échangistes, à payer le quart de la valeur pour consolider sur leur tête la propriété des biens qu'ils détenaient.

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Les auteurs du Code civil ont voulu, dans l'art 2227, consacrer une conséquence de l'inaliénabilité du domaine antérieurement décrétée, et non toucher à cette règle, ni abolir les exceptions qui l'accompagnaient. A l'égard des domaines nationaux, dit M. Bigot - Préameneu, dans » l'Exposé des motifs, si, dans l'ancien régime, ils étaient imprescriptibles, » c'était une conséquence de la règle suivant laquelle ils ne pouvaient en ? aucune manière être aliénés; on induisait de cette règle que le domaine ne pouvait être possédé en vertu d'un titre valable et sans mauvaise > foi; que cette possession ne pouvait être imputée qu'à la négligence ⚫des officiers publics et que cette négligence ne devait pas entraîner la » perte des biens nécessaires à la défense et aux autres charges de l'État. La » règle de l'inaliénabilité a été abrogée pendant la session de l'Assemblée ⚫ constituante par des considérations de bien public qui ne sauraient être » méconnues. Les lois multipliées qui autorisent la vente des domaines > anciens et nouveaux, les aliénations générales faites en exécution de ces »lois, et l'irrévocabilité de ces aliénations prononcée dans les chartes » constitutionnelles, ont dû faire consacrer, dans le Code civil, comme » une règle immuable, celle qui, en mettant ces domaines dans le com» merce, les assujettit au droit commun sur la prescription.

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Le tribun Goupil-Préfeln, dans son Discours de présentation du projet au corps législatif, exprime la même pensée : « Je ne reviendrai pas sur la définition de la prescription que j'ai liée à celle de la possession • qui en est inséparable; et j'observerai seulement sur ce chapitre des dispositions générales, le changement qu'apporte l'art. 9 à la législation ⚫ établie par les anciennes ordonnances et spécialement par l'édit du do» maine, qui déclarait imprescriptibles les biens appartenant à la nation, » Cette législation était une conséquence de leur inalienabilité, ces biens » devenus aliénables ont dû être déclarés prescriptibles.

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Le titre de la Prescription fut présenté au Conseil d'Etat le 7 pluviose an xa, il fut décrété le 24 ventôse, et promulgué le 4 germinal de la même année.

La citation de écs deux passages, qui sont tout ce qu'offrent de relatif à notre question les travaux préparatoires du Code civil, démontrent clai rement qu'on ne songea pas le moins du monde à réviser, encore moins à abroger les lois spéciales sur l'aliénabilité du domaine; ces lois spéciales furent au contraire prises pour point de départ, et on déclara soumis à la prescription ordinaire les biens domaniaux qu'elles avaient mis dans le commerce, et en tant qu'elles les avaient mis dans le commerce: quant aux biens domaniaux qu'elles retenaient hors du commerce, il ne fut pas besoin d'insérer dans l'art. 2227 one exception pour qu'ils restassent imprescriptibles; l'art. 2226 y suffisait. Le petit nombre d'auteurs et de tribunaux qui ont eu à examiner la question n'y ont mis ancun doute. M. Curassoir, dans son Commentaire du Code forestier, t. 1, p. 139, s'exprime • ainsi : Les questions des prescriptions pour ce qui concerne les bois do» maniaux, sont aussi essentielles que fréquentes. Il faut observer d'abord » qu'avant la révolution, les biens du domaine étaient imprescriptibles » par cela même qu'ils étaient frappés d'inaliénabilité absolue. Ainsi les » possesseurs qui auraient usurpé ou anticipé sur une portion quelcon» que d'une forêt domaniale, ne pourraient invoquer leur "possession » antérieure à la loi du 1er décembre 1790. Cette loi, en autorisant l'a»liénation des biens domaniaux a décidé, comme conséquence, que la pres» cription de quarante ans aurait lieu à l'avenir pour les biens nationaux dont » l'aliénation est permise. Enfin, Part. 2227 du Code civil aassujetti les biens » domaniaux aux prescriptions ordinaires, c'est-à-dire à celle de trente ans » pour toutes les possessions quelconques et à celle de dix ans lorsqu'il y » a titre ét bonne foi (art. 2262 et 2263). Cela posé, il faut distinguer » les forêts de 150 hectares des autres biens et bois domaniaux. Le dé» `tenteur d'un bien domanial ou d'une forêt au-dessous de 150 hectares, a pu commencer de posséder utilement en 1790... A l'égard des forêts » d'une étendue de 150 hectares, la prescription qui était impossible » sous l'empire des lois anciennes, l'a été de même 'depuis 1790, et le » Code civil n'a pas renda práticable non plus cette prescription. L'art. » 2226 décide qu'on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont pàs dans le commerce. Or, la loi de 1790 proscrivait l'alienation des » forêts de 150 hectares. » ·♫să 58

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M. Meaume, professeur de législation et de jurisprudence forestière à l'école royale forestière de Nancy, et qui publie en ce moment le meilleur Commentaire du Code forestier que nous possédions, enseigne la même doctrine dans un article inséré dans lés Annales forestières, sous le titre : De la prescription considérée comme moyen d'acquérir la propriété forestière. Dans la section 11r de son travail, relative aux forêts de l'État, cet auteur rappelle l'ancienne règle de l'imprescriptibilité du domaine, son abolition, sauf pour les grandes masses de forêts, par l'Assemblée constituante et par la loi de nivôse an IV; il ajoute ensuite: «Il » faut maintenant examiner quelle influence a pu exercer sur la pres

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>criptibilité des forêts domaniales la promulgation du titre 20 du Code » civil. Quant à la prescriptibilité, le Code civil n'a rien innové; il n'a >> fait que confirmer les principes posés par les lois de 1789 et 1790 » Ainsi les propriétés qui, soit par leur nature, soit par leur destination » font partie du domaine public, et généralement toutes les choses qui ne » sont pas dans le commerce, sont imprescriptibles. Par conséquent, les grandes masses de forêts ayant été jusqu'alors placées en dehors du com» merce, sont demeurées imprescriptibles même sous l'empire du Code » civil. Bien que l'art. 2227 ait déclaré que l'État est soumis aux mêmes » prescriptions que les particuliers, cette disposition, loin de déroger aux » lois de 1790 et de nivôse an IV, ne fait que confirmer les disposi» tions de ces lois qui ont successivement déclaré aliénables et prescriptibles les forêts d'une contenance inférieure à 100 arpents et à 150 » hectares. Relativement au délai nécessaire pour prescrire, le Code civil » a introduit une innovation importante; il a abrogé, par les art. 2227, » 2262 et 2264, la disposition des lois des 22 novembre-1er décembre 1790, qui permettait de prescrire par une possession de 40 ans la propriété des forêts aliénables; le délai est réduit à 30 ans sans titre, et à » dix ans en faveur des tiers détenteurs, avec titre et bonne foi. »

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La Cour royale de Riom a fait l'application de ces principes dans un arrêt du 6 avril 1838. (Dalloz, 38, 2, 83; Journal du Palais, 70, 284; Annales forestières, tome 3, page 21, Bulletin). Un sieur Thibaud avait commis sur la forêt domaniale de Tronçais, qui est d'une étendue considérable, une empiétement de 3 hectares et demi. En l'an 9, il fit donation de la propriété riveraine et de l'empiétement à autre Thibaud, son frère; ce dernier, assigné en revendication par l'État, oppose une double prescription, d'abord la prescription de 40 ans autorisée par la loi du 1er décembre 1790; il la préférait à la prescription de 30 ans autorisée par le Code civil, parce que la durée de la première finissait en 1830, tandis que pour la seconde il aurait fallu avoir possédé jusqu'en 1834; il opposait ensuite la prescription de dix ans en sa qualité de tiers détenteur avec titre (la donation de l'an 9) et bonne foi, en expliquant que tout au moins la prescription avait dû courir à son profit depuis la loi de finances du 25 mars 1817, qui, suivant lui, avait rendu prescriptibles toutes les forêts domaniales. La Cour a rejeté ces deux moyens de prescription.

C'en est assez sans doute sur une question n'ayant d'autres difficultés que celles qui résultent toujours de ce que la solution s'en trouve dans une législation spéciale d'une application peu fréquente; exposer alors cette législation, c'est prouver; la question n'est pas susceptible d'un au tre mode de discussion. Les deux auteurs que nous avons cités l'enseignent comme notion élementaire de droit, dérivant directement du texte de la loi; si elle a été controversée devant la Cour de Riom, c'était moins sur le point de savoir si les grandes masses de forêts n'étaient

pas

restées imprescriptibles après le Code civil, que sur le point subsidiaire de savoir si du moins la loi de finances de 1817 ne leur avait pas enlevé ce privilége, ce qui est controversé1.

MICHAL,

Avocat à la Cour royale de Grenoble.

LEÇONS DE BOTANIQUE

Comprenant principalement la morphologie végétale, la terminologie, la botanique comparée, etc.

Par Auguste de SAINT-HILAIRE, membre de l'Institut, professeur à la Faculté des sciences de Paris, etc.

La botanique est au premier rang parmi les sciences naturelles qui entrent dans l'instruction du forestier. Cela ne veut pas dire néanmoins que tout forestier doive être botaniste. Ce qu'il faut au forestier de connaissances en botanique ne s'étend pas très-loin, et n'exige pas une trèslongue étude de cette science. Mais il est bon de s'entendre à cet égard, et nous allons en dire notre opinion.

On qualifie souvent la botanique, la plus aimable des sciences: il est incontestable que peu d'études ont autant de charme. Pour peu qu'on y soit porté naturellement, le goût de l'étude des plantes doit se fortifier beaucoup lorsqu'on vit au milieu d'elles, et l'existence du forestier le place dans cette condition. Cependant, nous ne croyons pas qu'il se rencontre souvent chez le même homme, avec l'amour du métier forestier, cette passion de la botanique, qui se caractérise surtout par la formation d'herbiers volumineux et par cette soif insatiable commune à tous les amateurs de collections. Cette passion-là, selon nous, ne vaut pas beaucoup mieux, chez le forestier, que celle de la chasse. Nous pensons donc qu'il faut, dans notre métier, aimer la botanique (comme on peut aussi aimer la chasse), modérément, et conformément à ce précepte ancien : Laïdem habeto, dummodò te Laïs non habeat.

Voici donc, selon nous, comment le forestier sera botaniste.

Il possédera, en physiologie végétale, les connaissances générales que comporte l'état de la science. Il connaîtra la classification des végétaux et saura nommer et classer, au besoin même décrirc tous les arbres,

1 V. MM. Curasson et Meaume, aux endroits cités. La loi de 1817 affecte les forêts à la dotation de la caisse d'amortissement, avec cette disposition qu'elles ne pourront être aliénées qu'en vertu d'une loi (art. 145); ces auteurs en induisent que les forêts ont été dès lors aliénables et prescriptibles. Mais si une longue possession peut faire présumer un titre détruit par le temps, peut-elle faire supposer une loi qui aurait été oubliée contraitement à la maxime que la loi est toujours censée connue ? Ce qu'il est défendu d'aliéner sans une loi, n'est-il pas légalement inaliénable, jusqu'à ce que la loi qui permettra d'aliéner soit rendue ?

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