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de la Sibérie, dont la mousse flétrie laisse percer par places quelques jets de mélèzes déformés et rampants. Cependant nous verrons que l'on retrouve encore au delà de ce point une assez belle végétation, dans les endroits convenablement situés, où le sol plus abrité a le temps de se réchauffer en été pour livrer passage aux racines des plantes.

On arrive ainsi à Nijné-Kolimsk, également sur la Kolima, au 68°, 31' de latitude. C'est, comme nous l'avons dit, l'établissement le plus élevé vers le nord; à 37 kilomètres au delà, toute trace de végétation disparaît. Le pays à l'ouest de Nijné-Kolimsk est désert, et la terre y est tellement durcie par la glace que la majeure partie des racines des mélèzes rabougris qui y végétent, ne pouvant pénétrer dans un sol qui, à quelques pouces au-dessous de sa surface, est pétrifié pour ainsi dire par une glace éternelle, rampent à nu au milieu des mousses.

Donnons une idée du climat de Nijné-Kolimsk. La saison que les habitants du pays nomment printemps, et qui partout ailleurs serait un hiver rigoureux, commence à la mi-mars, à l'époque où le soleil après une absence de plus d'un mois laisse échapper à peine quelques rayons vers le milieu du jour; on a fréquemment alors des froids de 30 degrés Réaumur; leur été apparaît à la fin de mai, et c'est au commencement de juin seulement que les rameaux du saule se couvrent de très-petites feuilles; le véritable été ne s'établit guère qu'en juillet, saison bienfaisante pour les habitants, car elle leur fournit de quoi subsister le reste de l'année. Le poisson remonte alors le courant des fleuves, et les rennes poursuivis dans leurs forêts par les moustiques se rendent par milliers sur les bords de la mer glaciale où les suivent d'immenses volées de cygnes, d'oies et de canards, cherchant les lieux écartés pour y faire leur mue. Dès le mois de septembre, il gèle à 35 degrés ; c'est là la saison que les habitants sont convenus d'appeler automne. Quant à l'hiver, il dure neuf mois, pendant lesquels le thermomètre descend fréquemment au-dessous de 43o de froid!

Toute la région comprise entre Nijné-Kolimsk et l'Indiguirka à l'ouest, n'est qu'un immense désert: le terrain n'y étant pas accidenté, le vent du nord parcourt la toundra du nord au midi, glace le sol, et le rend incapable de toute végétation. Il n'en est pas de même de la rive droite de la Kolima et de la contrée qui s'étend derrière elle vers l'est. Commençons donc par examiner l'état de la végétation sur cette rive, et terminons ensuite cette notice par une excursion dans l'intérieur du pays, jusqu'à la baie de Tchaounsk au nord et le 670 de latitude au midi, sur un espace d'environ dix degrés de l'est à l'ouest dans cet espace coulent plusieurs rivières importantes, sur les rives desquelles s'étale surtout une végétation plus ou moins riche; ce sont donc leurs rives qu'il s'agit de parcourir.

:

Tandis que la rive gauche de la Kolima est basse et marécageuse, sa

rive droite est élevée, sèche et argileuse; des bois d'assez bonne venue la couvrent par place. Lorsqu'on s'éloigne des bords et que l'on entre dans la plaine, l'œil y rencontre avec plaisir quelques plantes assez abondantes, telles que le thym, l'églantier et surtout l'absinthe. Là coulent un grand nombre de petits ruisseaux dont les bords sont tapissés d'une verdure touffue et variée; le groseiller, le vaciet, l'airelle (rubus chamamorus), la knyagėnina (rubus arcticus), et la chikcha (empetrum), y prospèrent; mais, quoique ces plantes y fleurissent, il est fort rare qu'elles donnent des fruits. A deux lieues de Nijné-Kolimsk, près de Krest, rocher qui s'avance dans la Kolima en forme de cap, est un lieu que la nature a particulièrement favorisé: on y trouve des pré touffus et de jolis bouquets de mélèzes, entre lesquels croissent diverses plantes.

Dirigeons-nous vers le nord-est. Nous rencontrons d'abord à peu de distance le mont Pantéley dont le pied, du côté du midi, était autrefois couvert d'une épaisse forêt de mélèzes. Cette forêt fut détruite par un incendie, et, chose singulière, ce n'est que cinquante ans après que le bois a commencé à repousser; c'est maintenant un joli bois, très-touffu. Sur le versant nord du mont, cette brillante végétation cesse; le mélèze s'y déforme et devient de plus en plus rabougri à mesure que l'on descend dans la plaine: au-dessus de la limite des bois, qui ne s'élèvent qu'à mi-hauteur, croissent des plantes variées; on y rencontre l'origan, le thym, la camomille, et surtout le vaccinium uliginosum. Plus haut encore, quelques jets de boursault percent à travers un sol pierreux.

Mais descendons dans la plaine, vers une plage glacée, du côté du cap nommé Bolchoy Berranoff kamene, en suivant le cours de gros ruisseaux qui se précipitent des monts Panteley et Sourovoy. Quelques bouquets de saule et des mélèzes ornent leurs rives, où croissent le vaciet et la knyagénina (rubus arcticus), plante singulière dont les feuilles sont semblables à celles du fraisier, et les fruits pareils à ceux du framboisier; la knyagénina se distingue par sa saveur fine et aromatique, et sa senteur parfumée. Mais bientôt toutes ces plantes disparaissent, le bois se déforme, et l'on arrive dans un affreux désert!

De nouveaux sujets d'étude attendent le naturaliste vers l'est, sur les rives de la Pogrindéna, qui coule du nord au sud, à une distance d'à peu près deux degrés de la Kolima. Là s'élèvent en effet des bois de saules, d'une très-belle venue, parmi lesquels croissent des mélèzes, des trembles et des peupliers. Si l'on suit les bords de la rivière, vers le midi, les forêts s'épaississent et le boursault s'allie au mélèze : le saule de Sibérie est d'une espèce particulière; il se distingue par la finesse et la longueur de ses branches.

Les bords de la Boronischina, rivière qui se jette dans la mer glaciale, et coule à une distance de deux degrés de la Noguindena, mais en sens

inverse, sont peu favorisés vers le nord; une mousse flétrie, une herbe rude les couvrent on y rencontre diverses plantes marines, et entre autres, à ce que l'on prétend, le crambe maritime. Ce n'est que vers le haut de cette rivière que ses rives se parent d'épais buissons parmi lesquels croît une plante fort utile aux voyageurs dans ces contrées inhospitalières, l'oignon sawage.

Le point le plus avancé vers le sud de la baie de Tchaounsk se trouve au 69o de latitude; son rivage ne saurait être productif; cependant on y rencontre le choux à larges feuilles. A l'est de cette baie, sur les rives de la Tounchéo, et à quelque distance des côtes, croissent l'empetrum (bruyère à fruits noirs), le rubus chamamorus et le vaccinium uliginosum. La contrée qui s'étend au sud-ouest de la baie de Tchaounsk aux rives de l'Aniouy est peu boisée. Mais dans le pays où coule l'Aniouy apparaissent de vastes forêts qui, dans certaines parties, présenten l'aspect des forêts vierges de l'Amérique ici gisent d'énormes troncs d'arbres abattus par la tempête ou que l'âge a fait écrouler; leurs longues et épaisses branches s'entrelacent avec les branches des arbres environnants, et forment une barrière où la hache seule parvient à frayer un passage; des ronces épaisses s'élèvent au-dessus du sol, et arrêtent encore le chasseur de la Sibérie, habitué à lutter sans cesse avec une nature qui n'a point encore été pliée sous la main de l'homme. La verdure de ces forêts est aussi belle que les espèces d'arbres y sont variées; je me bornerai à citer le mélèze, le peuplier, le saule, et le bouleau dont quelques individus sont d'une étonnante grandeur. Un fait singulier et qui est commun à toutes les forêts de la Sibérie, c'est que l'écorce des bouleaux, qui naturellement est blanche, y est teinte en rouge du côté du midi, et en noir du côté du nord; et ce phénomène est tellement général que le voyageur, égaré dans la forêt, y a recours comme à une boussole

retrouver sa ronte.

pour

Telles sont les notions relatives à l'état de la végétation forestière des régions glaciales que l'on trouve éparses dans les relations de l'expédition scientifique de 1820. En les réunissant pour les Annales dans le tableau que nous venons de tracer, nous nous sommes proposé de montrer que les plaines de la Sibérie, voisines du 68° de latitude, ne sont pas, ainsi qu'on le croyait jusqu'à présent, des déserts entièrement glacés et inhabitables, et qu'on y trouve encore sur les revers les mieux abrit é et les mieux exposés une végétation remarquable par sa force et la variété des essences propres à ces rudes climats. Nous avons eu pour but de suivre, par delà ces extrèmes limites, la marche décroissante et les dernières traces de cette végétation, jusqu'au point où elle expire complétement, et où l'œil du voyageur, cessant d'en apercevoir les vestiges, n'em brasse plus que des surfaces monotones et désolées, qu'une giace éter nelle condamne éternellement à la stérilité et à la solitude.

I.Prince Emmanuel GALITZIN.

De la compétence en ce qui concerne les questions relatives au mode de partage

DES AFFOUAGES COMMUNAUX 1.

Il y a quelques années les règles relatives à la compétence respective de l'autorité administrative et de l'autorité judiciaire, relativement au partage des affouages communaux, semblaient parfaitement tracées. L'autorité administrative présidait sans conteste à tout ce qui concerne le partage et aux mesures qui le préparent ou le consomment; à l'autorité judiciaire était dévolu le droit de prononcer sur les titres, les usages, invoqués pour modifier la règle générale de l'article 105 du code forestier, sur les droits à la capacité des habitants qui réclamaient une part à l'affouage.

Aujourd'hui tout ce système est bouleversé, et l'incertitude est devenue plus grande que jamais. Par une série d'ordonnances de conflit, le conseil d'État a revendiqué pour le conseil de préfecture la connaissance des contestations soulevées par les réclamations individuelles des habitants : « S'il appartient aux tribunaux de statuer sur les questions de propriété qui peuvent s'élever à cette occasion, porte une ordonnance du 4 mai 1843, l'autorité administrative est seule compétente pour décider si les prétendant droit à une part dans les affouages remplissent les conditions d'aptitude spéciale exigées par les lois ou réglements 2. »

Dans un ouvrage comme celui dont cet article est détaché, il serait oiseux de discuter le mérite de ces décisions, si laconiques dans leurs motifs, et qui puisent certainement leur autorité dans le pouvoir accordé au conseil d'État plutôt que dans leur valeur doctrinale. Mais, même en admettant comme règle cette nouvelle jurisprudence, on rencontre encore de sérieuses difficultés. En effet, les réclamations des habitants qui prétendent une part à l'affouage ne constituent pas tout le contentieux de cette matière, l'examen de leur capacité individuelle n'est pas la seule question qui s'agite. Assez souvent, ainsi que nous l'avons vu, la difficulté porte sur le mode même du partage, sur le maintien ou l'abrogation des usages qui règlent ce mode de partage et dont nous avons fixé le caractère, sur l'influence que des titres particuliers à la commune ou aux habitants peuvent exercer sur le mode de répartition de l'émolument

Le savant auteur du traité de l'affouage, veut bien nous adresser l'intéressant travail qu'on va lire. Cette communication qui, nous l'espérons bien, ne sera pas la dernière, est empruntée à un ouvrage que prépare en ce moment M. Migneret, et qu'il doit publier sous le titre de Cours de droit communal. On peut consulter avec fruit, sur les questions traitées dans l'article suivant, le Manuel de M. Meaume, t. 11, nos 836 à 844.

2 Ord. des 16 mars 1836, 4 mai 1843, et arrêt de Nancy du 15 février 1845. Bulletin des Annales, art. 253, 338, 348.

communal. Quelle est l'autorité qui prononcera dans ce cas? seront-ce les conseils de préfecture, l'administration active ou les tribunaux?

Dans ces derniers temps on a essayé des trois autorités que nous ve→ nons d'indiquer. Ainsi, par ses arrêts du 13 février 1844 et du 4 mars 1845', la cour de cassation a proclamé la compétence de l'autorité judiciaire, sans prononcer sur la légalité d'un usage invoqué et même sur les réclamations individuelles des habitants, tandis que la cour de Besançon, par un arrêt du 1er février 1844, renvoya à l'administration le soin d'en connaître. Nous savons un département où le conseil de préfecture retient la connaissance de toutes les contestations relatives aux usages invoqués, pendant que le préfet se prétend le droit, par application de l'article 18 de la loi du 18 juillet 1837, de prononcer l'annulation de tous les rôles affouagers où l'on ne s'est pas conformé au mode d'interprétation qu'il a adopté pour l'article 105.

La difficulté n'est pourtant pas aussi grande qu'elle le paraît, et elle peut être facilement résolue par un coup d'œil attentif jeté sur la nature du débat. L'article 105 n'a pas livré à la volonté des administrations municipales le mode de jouissance des forêts communales, il l'a réglé par une loi, c'est-à-dire d'une manière immuable, et il a ainsi reconnu le droit à chaque habitant de réclamer le maintien des règles de cette matière. Deux exceptions ont été seulement introduites, l'une en faveur des titres, l'autre en faveur des usages contraires au mode légal de partage. Mais ces exceptions ne sont pas non plus abandonnées à la volonté des conseils municipaux, ils ne peuvent ni créer un titre ni un usage, et ceux-ci se maintiennent, s'exécutent comme des droits reconnus et participant de la nature législative de l'article 105 auxquels ils doivent leur consécration. Ces droits modifient la propriété communale, soit par rapport à la commune elle-même, soit par rapport aux habitants, puisqu'ils déterminent la manière dont les uns et les autres doivent répartir les fruits communs ou en profiter. Il n'est pas possible de dire qu'en Franche-Comté, par exemple, où la futaie se partage d'après le toisé des bâtiments, les communes jouissent comme en Champagne, où elle se partage par feu. Il est impossible de prétendre que là où les communes perçoivent le prix des futaies délivrées aux habitants d'après le mode prescrit par l'article 105, elles jouissent de la même manière que là où ces futaies sont gratuitement et chaque année distribuées entre les affouagers.

De ces simples réflexions il suit forcément deux conséquences : la première que le mode de répartition de l'affouage n'est pas un simple fait administratif, mais un fait légal; c'est-à-dire une règle obligatoire et per

Bulletin, art. 373.

2 Bulletin, art. 217 et 343.

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