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Ces idées nous sont venues en lisant un petit livre sur la Fécondation et l'Hybridation, ces deux phénomènes de la reproduction des plantes et de la variété des espèces. Cet ouvrage, fruit de longues observations pratiques, contient, sous un format modeste, un véritable traité sur l'hybridation artificielle, l'acte le plus ingénieux et le plus curieux de l'intervention de l'homme dans les mystères de la fécondation des végétaux.

Les organes générateurs des plantes sont renfermés dans les fleurs. C'est là qu'au milieu de calices brillants, de corolles diaprées de mille couleurs et disposées, le plus souvent, comme pour protéger et orner ces noces végétales, s'accomplit providentiellement, par la chaste union du pistil et des étamines, la fécondation de la graine et la perpétuation de la famille. La nature a varié presque à l'infini la forme et les nuances des fleurs; elle a également varié la forme et les dispositions de leurs organes sexuels, tantôt les réunissant dans la même corolle, tantôt les séparant sur le même épi ou les isolant sur des rameaux différents, sur des individus distincts; mais tout en diversifiant le mode d'action d'un organe sur l'autre, elle assure constamment, par des moyens d'une admirable prévoyance et d'un succès certain, l'acte de la reproduction, but final de toutes ses œuvres. De cette variété des phénomènes naturels de la génération, est née, dans le langage botanique, la classification des fleurs en hermaphrodites, en monoïques, en dioïques et polygames. Les fleurs sont hermaphrodites, quand elles rassemblent en elles les deux sexes, comme celles de l'orme; monoïques, quand les fleurs, quoique unisexuées, c'est-à-dire ne renfermant qu'un seul sexe, sont portées sur la même plante, comme dans le chêne, le hêtre, le châtaignier, le bouleau, les pins, sapins, mélèzes, etc.; dioïques, quand les fleurs, unisexuées, sont portées sur des sujets differents, comme dans les saules et les peupliers; enfin, polygames, lorsque la même plante, le même individu porte réunies des fleurs hermaphrodites, des fleurs mâles et des fleurs femelles, comme le frêne et l'érable.

Si l'on se souvient maintenant que la fécondation n'est possible que par l'émission sur le pistil, organe femelle de la fleur, du pollen répandu par les étamines, organes måles; si l'on réfléchit cependant que ces organes, souvent isolés l'un de l'autre, comme dans les fleurs monoïques et dioïques, n'ont aucune communication directe entre eux, on sera étonné qu'au milieu de ces difficultés dont la nature semble avoir entouré à plaisir l'acte si important de la reproduction, comme pour se donner le mérite de les surmonter, la fécondation et par suite la génération des espèces où les organes sexuels sont séparés et éloignés, s'opère aussi sûrement que celle des espèces où le pistil et l'étamine sont réunis dans la même fleur, enfermés dans la même

corolle et en contact immédiat. C'est que la nature proportionne toujours ses moyens au but et qu'elle fait concourir au succès de ses desseins tous les éléments qui sont en ses mains et même le mode d'existence des êtres organisés. Elle a donné au pollen la ténuité, la subtilité, la légèreté de la poussière pour rendre sa dissémination plus facile; elle l'a mis en abondance dans les étamines, afin qu'à l'heure voulue de la fécondation, il pût remplir l'air de ses corpuscules innombrables. Puis elle a chargé les vents de prendre cette poussière fécondante, de la disperser, de la promener, de la transporter souvent à de grandes distances sur le pistil solitaire qui l'attend pour accomplir l'œuvre de la génération. Et pour nous faire voir que dans ses opérations tout s'enchaîne, tout coopère à l'éternelle perpétuation des races, la nature a fait de la liqueur miellée qu'elle a mise au sein du calice des fleurs, la pâture de nombreuses familles de mouches et de papillons, afin qu'en pénétrant dans les corolles à organes femelles qui renferment la substance qu'ils cherchent, ees insectes y déposassent le pollen que leurs aîles ont enlevé dans d'autres corolles à organes mâles. Ces nombreuses différences dans la disposition, dans le mode d'action des organes sexuels des plantes, cette diversité dans les moyens de fécondation qui leur ont été providentiellement donnés, devaient être encore pour la nature, qui ne fait rien sans intention lors même qu'elle semble agir au hasard, la source intarissable de ces infinies variétés d'espèces qui se remarquent dans les familles végétales. Si toutes les fleurs étaient hermaphrodites, les types primitifs se conserveraient et se reproduiraient constamment dans toute leur pureté, parce que les deux organes sexuels, toujours réunis et en contact, accompliraient leur union sans trouble, sans danger d'aucune fécondation adultérine. Mais on a vu qu'un très-grand nombre de fleurs sont unisexuées, que les deux sexes sont souvent séparés sur des individus distincts; qu'ils peuvent être fort éloignés l'un de l'autre, et que le pollen échappé de fleurs d'espèces différentes peut se mélanger dans l'air et aller s'attacher aux stigmates de pistils qui ne sont pas ses congénères. Quand cette promiscuité a lieu, si le pollen étranger provient d'une plante qui se rapproche par son espèce, son aptitude, son individualité ou son genre de la plante polluée, la fécondation peut s'opérer, et dans ce cas, il y a croisement de deux races différentes et production d'une variété nouvelle. C'est ce phénomène de physiologie végétale que les naturalistes ont appelé HYBRIDATION.

L'homme s'est emparé de ce procédé naturel de fécondation et l'a perfectionné. La nature ne peut opérer d'hybridation que par ses fleurs unisexuées; l'homme est parvenu à créer des hybrides chez les espèces à fleurs hermaphrodites. Par l'hybridation artificielle habilement pratiquée, par des croisements bien raisonnés, il modifie la qualité des fruits

et des légumes ainsi que leur saveur, leur précocité, leur volume; il double à son gré les fleurs, en change et en varie les couleurs, en mélange les nuances et devient, comme Dieu, un créateur intelligent. Mais il serait trop long d'expliquer ici le mécanisme et les merveilleux résultats de la fécondation artificielle. Il vaut mieux renvoyer les horticulteurs et les forestiers au livre de M. Lecoq, où sont clairement décrites les diverses opérations qui assurent le succès de l'hybridation : le choix et la préparation des sujets, la castration des étamines, l'extraction, la conservation et l'application du pollen, etc. Après l'enseignement des principes généraux de la fécondation artificielle, l'auteur indique pour un très-grand nombre de plantes de genres divers, appartenant à plus de quatre-vingts familles différentes, les procédés particuliers d'hybridation qu'il faut appliquer à chacune, selon l'habitude de la plante, la disposition et la forme de ses organes sexuels. Dans cette partie de son travail, M. Lecoq a toujours mis à côté du précepte théorique, les conseils de son expérience et les résultats de sa pratique, si bien que l'amateur le plus novice peut agir avec la sûreté du praticien. Cet ouvrage, comme nous le disions en commençant, est donc un véritable traité de la fécondation artificielle des végétaux.

Malheureusement, l'hybridation n'a donné de prodiges que dans les mains des horticulteurs qui, à peu près seuls, l'ont fait servir à la multiplication des espèces qu'ils cultivent et à la variété des fleurs. Les sylviculteurs ne l'ont pas appliquée encore, aussi notre flore forestière ne s'est pas enrichie d'espèces nouvelles dues à la culture. C'est que les succès de l'hybridation, si prompts à obtenir chez les fleurs dont la végétation est rapide et l'existence courte, seraient longtemps à se produire chez les arbres dont la croissance est généralement lente. Il ne suffit pas de modifier, par le croisement, le feuillage d'un arbre et son individualité, il faudrait, pour agir utilement en sylviculture, améliorer surtout la qualité de son bois ou les dimensions de sa tige. Or, la vie d'un homme ne suffirait pas, le plus souvent, à attendre quelque résultat certain d'une hybridation. tentée sur nos principales essences forestières, et nous n'aimons pas à entreprendre des expériences dont nous n'avons pas l'espérance, sinon la certitude, de voir la fin. De là, sans doute, l'abandon dans lequel les sylviculteurs laissent cette opération si intéressante et en même temps si utile. Mais ce qu'il ne serait peut-être pas raisonnable de demander à un homme de faire isolément, les directeurs des jardins botaniques peuvent et doivent l'entreprendre, parce qu'ils ont à leur disposition des collections d'arbres exotiques et indigènes, et qu'au directeur qui commencerait les essais d'hybridation, succéderaient toujours d'autres directeurs pouvant en suivre la marche et en constater les résultats. Nos essences forestières les plus précieuses renferment très-probablement beaucoup d'hybrides naturelles. Le genre chêne comprend de nombreuses espèces

répandues dans toutes les parties du monde, et dont quelques-unes ont entre elles de tels rapports physiologiques, de telles ressemblances dans les caractères botaniques, qu'elles sont plutôt des variétés distinctes dues à l'hybridation naturelle, que des espèces séparées. Il en est de même du genre orme, du genre pin. En croisant entre elles les meilleures espèces indigènes, et celles-ci avec les belles espèces exotiques, qui s'en rapprochent par leur type, on arriverait sans doute à obtenir des variétés supérieures par leurs qualités à celles que nous possédons.

Alors l'hybridation donnerait à la sylviculture des résultats aussi féconds et aussi importants que ceux qu'a su en obtenir l'horticulture '. S. SÉGURET.

CONFÉRENCES FORESTIÈRES.

Ouverture de la session de 1846, séance du 11 janvier.

Dimanche, 11 Janvier, a eu lieu l'ouverture des Conférences forestières pour l'année 1846. Le nombre des membres qui en font partie s'étant beaucoup accru, et les bureaux des Annales où elles avaient pris naissance et avaient tenu leurs séances jusqu'ici, ne suffisant plus au développement qu'acquiert chaque jour cette société, l'assemblée s'est réunie à l'Hôtel-de-Ville. M. le prefet de la Seine, qui aime les forêts, qui en parle en homme compétent et s'intéresse vivement à tout ce qui s'y rattache, s'était empressé de mettre à la disposition des Conférences une salle où désormais elles poursuivront leurs travaux 2.

La séance a été ouverte par un compte-rendu de la dernière session rédigé par MM. les secrétaires. Ce compte-rendu, fort complet, nous avait été communiqué dès le mois d'août dernier, et il a été inséré alors, en partie, dans les Annales.

M. le baron de Sahune a ensuite prévenu l'assemblée que, conformément aux statuts qui la régissent, elle avait à procéder, pour la présente session, et par voie de scrutin, à l'élection : 1o de son président; 2o d'un de ses vice-présidents; 30 d'un de ses secrétaires. Le scrutin a été immédiatement ouvert, et, d'après le dépouillement des suffrages, les trois membres sortants ont été réélus à la presque unanimité. Ces opérations terminées, l'assemblée s'est occupée des demandes

* Le défaut d'espace nous force d'ajourner à la livraison prochaine le compte-rendu de l'ouvrage de M. le marquis de Chambray sur les arbres résineux, et celui du Manuel des Gardes de M. Jacob de Richmond.

* C'est la nécessité de prendre les dispositions convenables relativement à ce nouveau local des séances qui a fait ajourner la première réunion fixéo d'abord an 7 décembre.

d'admission qui lui étaient adressées. Empressée d'accueillir dans son sein tous les hommes qui, par leurs études spéciales, leur expérience ou leur position, peuvent apporter dans ses travaux de nouvelles lumières, elle a voté l'admission de six nouveaux membres, savoir:

MM. TALOTTE, inspecteur des forêts;

LE MARQUIS DE SAINT-SEINE, propriétaire ;

De Ladoucette, maître des requêtes;
DUBON, inspecteur des forêts;

F. NETTEMENT, propriétaire;

ARNOUX, propriétaire.

Il a ensuite été question de fixer l'ordre dans lequel seraient examinées et discutées les matières qui doivent faire l'objet des études de la présente session. Ces matières, dont nous avons donné le programme dans la livraison du mois d'octobre dernier, embrassent les questions suivantes : reboisement, défrichement, semis et plantations, choix des essences, abatage des taillis, produits forestiers, transport des bois, impót sur la propriété boisée, flore forestière, statistique forestière. Toutes présentent un grand intérêt; les Conférences ont hâte de les aborder, de les éclairer, de les résoudre, s'il est possible; mais, ne pouvant les embrasser toutes à la fois, elles ont dû faire un choix dicté par l'importance relative de chacune d'elles.

La question du reboisement joint à une importance de tous les temps un intérêt si actuel, qu'elle a été, d'un commun accord, mise en première ligne à l'ordre du jour. Plusieurs membres ont fait valoir l'urgence qu'il y avait à l'étudier sous toutes ses faces: le gouvernement l'a soulevée, une haute commission est nommée pour l'élaborer, les chambres vont être appelées à se prononcer; il importe que les Conférences la discutent dès maintenant. Elles comptent parmi leurs membres et leurs correspondants des forestiers éminents, des savants, des administrateurs, des jurisconsultes. Qui peut, mieux qu'elles, sonder les difficultés de tous genres que cette question doit faire surgir, rechercher les moyens de les aplanir, éclairer l'opinion et les chambres !

Un membre fait observer que les défrichements, les semis et plantations, et le choix des essences, avaient des rapports trop intimes avec le reboisement pour pouvoir en être séparés entièrement dans les études et les discussions qui vont s'ouvrir. Tout en reconnaissant ces rapports intimes, un autre membre pense que ces questions doivent être étudiées et discutées séparément. L'assemblée, conciliant ces deux opinions, a décidé que le reboisement, les defrichements, les semis et plantations et le choix des essences, étaient ensemble mis à l'ordre du jour, mais que ces questions seraient chacune l'objet d'un examen spécial.

Des commissions étudieront ces matières, feront des rapports et
JANVIER 1846. V.
T. V. — 5

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