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affaire. Justement ému, j'ai demandé une audience à M. le préfet de police, qui de la façon la plus courtoise a bien voulu me confirmer que jamais il n'avait, au cours de sa déposition lors de l'enquête de la première révision, fait allusion à ma personnalité. Fort de cette déclaration, je me suis rendu auprès de vous et vous ai rapporté les paroles de M. le préfet de police.

Je viens donc vous demander, Monsieur le Procureur Général, alors que vous avez bien voulu me dire qu'une confusion avait fort bien pu se produire entre moi et mes homonymes faisant partie de différents cercles de Paris, de bien vouloir, au cours de l'enquête qui a lieu en ce moment, faire connaître à la commission d'enquête ma protestation si légitime et les observations que vous croirez devoir y joindre dans l'intérêt de la vérité et pour ma satisfaction personnelle.

Veuillez agréer, monsieur le procureur général, l'hommage de mon profond respect.

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J'apprends par les journaux que le Nouvelliste de Rennes vient de publier l'entrefilet suivant :

«Nos lecteurs connaissent le plaidoyer pour Dreyfus que M. Baudouin, Procureur Général, vient de prononcer à la Cour de Cassation, plaidoyer d'un dreyfusisme militant.

« M. Baudouin n'a pas toujours professé ces sentiments. Il fut un temps où il était aussi convaincu de la culpabilité du traitre qu'il l'est maintenant de son innocence.

« A cette époque, M. Baudouin, qui vient souvent en Ille-et-Vilaine, où il possède une propriété, racontait à qui voulait l'entendre qu'il tenait d'une personne très sùre le renseignement suivant :

« Au cours d'une des visites qu'il faisait à son client, Me Labori eut avec Dreyfus une scène des plus bruyantes. On sait combien l'avocat a le verbe haut; on put l'entendre hurler, s'adresser au traître « Vous n'êtes pas défendable! >> L'histoire est intéressante à rapprocher de l'attitude actuelle de M. Baudouin et à raconter après l'incident dont Me Labori a été le héros à l'audience de samedi, à la Cour de cassation.

« Nous pouvons en affirmer l'absolue authenticité, car nous la tenons d'un de nos amis auquel M. Baudouin lui-même l'avait racontée. »>

Quelques invraisemblables que soient les allégations de cet entrefilet et quelques incroyables qu'elles doivent paraître au plus simple de vos lecteurs je ne puis laisser déformer ainsi mon attitude et mes sentiments à l'occasion d'une affaire qui dépasse de si haut les intérêts particuliers. Tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai dit, tout ce que j'ai écrit depuis six ans proteste contre les paroles que me prête votre informateur. Mais, s'il faut encore que je donne mon sentiment sur l'innocence de Dreyfus et sur l'affaire Dreyfus, je n'hésite pas a répéter aujourd'hui ce que je n'ai cessé de proclamer par la parole et par la plume:

«Non seulement j'atteste que Dreyfus est innocent, mais j'atteste encore que les derniers débats de la Cour de cassation ne donnent qu'une faible idée des crimes qui ont été commis au procès de Rennes par certains accusateurs de Dreyfus, et qui ne sont, hélas! que trop couverts par l'effet des menées politiques dont la loi d'amnistie n'a été que la conséquence. »>

Quant à mon départ de l'audience de la Cour de cassation samedi dernier, au moment où Me Mornard faisait solennellement un appel imprévu à mon témoignage en faveur du cœur et de la sensibilité d'Alfred Dreyfus, il n'a rien à voir avec l'innocence de celui-ci. A tous ceux qui me questionnèrent à la suspension d'audience, j'ai déclaré ceci :

« Tant qu'on a fait l'éloge de Dreyfus, j'ai écouté avec déférence; mais quand M Mornard a cru devoir faire à mon témoignage un appel inattendu, j'ai pensé qu'il ne convenait ni que je confirme ces déclarations par mon silence, ni que je les infirme par une protestation. Je suis sorti et voilà tout.

Il ne m'était pas possible de prendre une autre attitude (les intéressés le comprendront); mais je n'ai rien à ajouter à cet égard. Il s'agit ici d'une question d'ordre particulier qui ne saurait avoir aucune influence sur le fond de l'affaire qu'on a appelée l'affaire Alfred Dreyfus, mais qui est l'affaire bien plus haute et bien plus générale de la justice et du droit universels. Elle l'a été, en effet, dès la première heure, par la communication des pièces secrètes; mais surtout elle l'est devenue, depuis, bien davantage, par l'incroyable obstination de ses auteurs à en refuser l'aveu, par l'appui que leur ont donné les pouvoirs publics, par l'accumulation enfin des mensonges, des manoeuvres et des crimes qui depuis bientôt dix ans n'ont cessé de mettre obstacle au fonctionnement régulier de la justice militaire et civile, faussant ainsi du même coup, avec la conscience publique le jeu de presque toutes nos institutions.

Et c'est pourquoi, dans l'affaire Dreyfus, de l'homme il faut séparer la cause. De tout temps, je l'ai pensé et voici ce que j'écrivais dans la Grande Revue, après l'amnistie:

«Du moment qu'à Rennes toutes les violations de la loi étaient subies, tous les crimes couverts, du moment qu'au nom de l'accusé on plaidait le doute, du moment que le condamné se désistait de son recours en revision

pour obtenir sa gràce, l'affaire Dreyfus, dans ce qu'elle avait de grand, de général, d'humain, était définitivement close.

« Dès lors que la défense de Dreyfus cessait d'être portée sur les hauteurs, dès lors que la personnalité physique de celui qui jusque-là incarnait un principe immatériel devenait pour ses amis, j'allais dire pour ses partisans, la préoccupation essentielle, l'affaire Dreyfus cessait d'ètre une affaire humaine et universelle.

« Les journées de Rennes et l'acceptation de la grace ont été terriblement décisives. En acceptant sa grâce, Alfred Dreyfus n'a, ni de près, ni de loin, reconnu sa culpabilité. Il a, pour des raisons que je n'ai point à juger, préféré sa liberté immédiate à la continuation héroïque, ininterrompue de l'effort pour sa réhabilitation judiciaire. Bien qu'il doive son salut uniquement à un ensemble d'hommes soulevés dans l'intérêt de la justice commune, et préoccupés avant tout de poursuivre une œuvre de progrès social, ou plutôt de défense humaine, c'était son droit d'homme privé. Un particulier peut se mettre au-dessus de la justice des hommes et qui nierait qu'Alfred Dreyfus fut bien placé pour la trouver méprisable ? — il peut, satisfait du jugement de sa conscience, et quel que soit l'intérêt de tous, préférer sa liberté à l'honneur légal. Mais il se conduit par là comme un être indépendant et isolé, non comme un homme épris d'humanité et conscient de la beauté du devoir social; il agit comme un pur individu, non comme un membre de la collectivité humaine, solidaire de tous ses semblables. Du mème coup, et quelle que soit la grandeur du rôle qu'il a pu tenir, il ne représente plus rien.

« Et c'est pourquoi, au point de vue général, l'affaire est close. Elle peut se rouvrir désormais comme une affaire particulière, et nul ne peut empêcher Alfred Dreyfus de poursuivre par les voies légales la revision de son procès. On ne saurait même concevoir que cette revision ne fasse pas partie des projets que le gouvernement forme pour l'avenir. Elle se fera sans violence et sans bruit quand il le voudra. Mais même la réhabilitation légale n'aura plus la signification d'un grand événement universel. Alfred Dreyfus a cessé d'être un symbole, l'Affaire Dreyfus d'être un programme. >>

Ce que j'ai dit est alors aujourd'hui manifeste, et tout le monde maintenant comprendra, je pense, combien j'ai eu raison de placer notre effort commun pour le droit, comme je l'ai toujours fait depuis six ans, audessus des intérêts privés.

Certes, à tous les moments, j'ai fait mon devoir d'avocat de la manière la plus large comme aussi la plus scrupuleuse. A l'heure actuelle, j'ai conscience de remplir avec dévouement et sans calcul les obligations que ce rôle passé m'impose encore. Mais, dans une affaire qui s'élevait fort audessus des affaires ordinaires, l'avocat ne pouvait manquer de devenir, en quelque sorte, et par certains côtés un homme public. Celui-ci également

a des devoirs et, dans la mesure où ils sont compatibles avec les devoirs de l'avocat, je n'ai pas manqué et je ne manquerai pas de les remplir.

La Cour de cassation vient d'ouvrir une enquête qui pourra se faire aussi calme, aussi large que possible. Après elle, s'il y a lieu, la juridiction militaire statuera librement et en pleine connaissance de cause, puisque, pour la première fois, le ministère de la Guerre et les pouvoirs publics ne pèseront plus sur la justice et que par suite la vigueur et le courage des premiers temps, qu'il faut bien prendre garde de ne pas confondre avec la violence, seront désormais, inutiles.

En ce qui me concerne, si l'une ou l'autre de ces juridictions invoque mon témoignage, je comparaitrai devant elle, pour y déposer, soit sur les faits à raison desquels je ne suis pas lié par les obligations du secret professionnel, soit sur les autres dans la mesure où j'aurai été délié de ces obligations. Témoin possible, je ne me livrerai donc à aucune polémique de presse. Les lignes qui prédèdent mettront fin, je suppose, aux fausses interprétations auxquelles mon attitude pourrait donner lieu. Ma lettre n'a pas d'autre objet.

Veuillez agréer, monsieur le directeur, l'assurance de ma considération distinguée.

LABORI.

TABLE DES MATIÈRES

DÉBATS DEVANT LA CHAMBRE CRIMINELLE

Rapport de M. le conseiller Boyer..

I.

-

II.

III.

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Affirmations inexactes et temoignages suspects.

Pièces non produites au dossier secret et relatives à l'affaire
Dreyfus. . .

-

Faits invoqués par M. Alfred Dreyfus.

IV. · Faits relevés dans la lettre du Garde des Sceaux.

-

Réquisitoire de M. le Procureur général Baudouin

Historique.

Bordereau.

Dossier secret..

Charges morales.

Faux témoignages
Fausses pièces.

Faits nouveaux.

Enquête du Ministre de la Guerre.

Affirmations inexactes et témoignages suspects.

Pièces favorables à l'accusé qui ont été dissimulées à la justice.

Pièces falsifiées.

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229

277

297

Historique.
Esterhazy.

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280

293

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